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Cour fédérale

 

Federal Court


 

Date : 20090729

Dossier : IMM-494-09

Référence : 2009 CF 773

Ottawa (Ontario), le 29 juillet 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

 

ENTRE :

 

WILMER ARIAS VILLALOBO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision prise le 27 janvier 2009 par un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR), qui a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution ou de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités, s'il était renvoyé au Honduras, le pays de sa nationalité.

 

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur est arrivé au Canada le 22 mai 1997. Il a présenté une demande d’asile que la Section de la protection des réfugiés a rejetée le 21 août 1998. Par la suite, il a soumis deux demandes au titre de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) qui, elles aussi, ont été rejetées.

 

[3]               Le demandeur s'est rendu aux États-Unis le 25 janvier 1999. Il est revenu au Canada et a présenté une deuxième demande d’asile le 8 mai 1999, qui a été rejetée le 8 octobre 2003. Le demandeur n'a pas demandé le contrôle judiciaire de l'une ou l'autre des décisions sur ses demandes d’asile. Les autorités de l'immigration l'ont expulsé au Honduras le 7 juin 2007.

 

[4]               Le demandeur est revenu au Canada en août 2008 sans d'abord obtenir une « autorisation de revenir au Canada », comme le prévoit le paragraphe 52(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés. Il séjournait illégalement au Mexique et aux États-Unis depuis décembre 2007. La présence du demandeur au Canada a été signalée au défendeur à la suite de la détention du demandeur pour omission de se conformer à une ordonnance de probation.

 

[5]               Pendant qu'il se trouvait au Canada, le demandeur a été reconnu coupable des infractions suivantes :

1.        6 août 1999 – Agression armée, alinéa 267a) du Code criminel (Cc);

 

2.        13 mars 2007 – Omission de se conformer à une condition d'un engagement, paragraphe 145(3) Cc et méfait d'une valeur inférieure à 5 000 dollars, paragraphe 430(4) Cc;

 

3.        6 novembre 2008 – Tentative de commettre une infraction, alinéa 463d) Cc; omission de comparaître, paragraphe 145(5) Cc; omission de se présenter au tribunal, alinéa 45(2)a) Cc.

 

[6]               Avisé qu'il en avait la possibilité, le demandeur a présenté une demande d'ERAR en novembre 2008. Dans cette demande, les motifs qu’il a avancés pour démontrer qu'il serait exposé à la persécution étaient tout à fait différents des motifs fournis dans ses demandes d’asile. Le demandeur a soutenu qu’après son expulsion au Honduras, deux gangs de criminels l'ont extorqué et l'ont gravement battu au point qu’il a dû être hospitalisé, et que la police a refusé de lui prêter assistance. 

 

[7]               Cette demande a été rejetée le 27 janvier 2009. Le demandeur a alors présenté une demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi, que le juge Barnes a rejetée le 9 février 2009. Le demandeur a été renvoyé du Canada le 10 février 2009.

 

La décision visée par le contrôle judiciaire

[8]               La demande d'ERAR reposait sur les événements suivants, survenus après la première expulsion du demandeur au Honduras en juin 2007.

a.       Des membres du gang MS‑13 ont abordé le demandeur, lui disant qu'il aurait à leur verser des paiements de protection. Par la suite, plusieurs membres du 18th Street Gang, qui l'avaient vu en conversation avec des membres du MS‑13, l'ont abordé à leur tour. Ils lui ont demandé s'il était un membre du MS-13. Lorsqu'il a répondu par la négative, les membres du 18th Street Gang lui ont également demandé des paiements de protection. Le demandeur est allé voir les policiers, qui lui ont dit de payer les gangs ou de s'acheter une arme et de tirer sur les membres de gang lorsqu'ils s'en prendraient à lui. Les policiers n'ont pas fait de rapport.

 

b.      Une semaine plus tard, des membres du 18th Street Gang ont abordé le demandeur à son kiosque de légumes et ont exigé un autre paiement. Il leur a donné ce qu'il pouvait, en indiquant qu'il leur verserait le reste de la somme plus tard. Le lendemain, des membres du MS-13 lui ont exigé de l'argent. Le demandeur leur a donné une petite somme. Il est retourné voir les policiers, qui lui ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire et que de nombreux agents de police avaient des parents qui faisaient partie des gangs.

 

c.       Le demandeur prévoyait déplacer son kiosque de légumes, car les gangs continuaient de le harceler pour lui soutirer de l'argent. Il s'est encore une fois rendu chez les policiers, qui lui ont dit qu'ils ne pouvaient pas l'aider. Il a alors déménagé à un endroit qui se trouve à une distance de deux ou trois heures et y a établi son kiosque de légumes. Vers la fin de septembre 2007, un des membres du MS-13 l'a aperçu. Plus tard le même jour, sept membres du gang ont abordé le demandeur, lui disant qu'ils attendaient leur paiement et qu'ils seraient de retour le lendemain. Le demandeur est allé voir les policiers, qui lui ont dit que « tout le monde est dans la même situation ». Le frère du demandeur lui a donné une arme à feu, qu'il a ensuite vendue pour obtenir de l'argent pour effectuer le paiement.

 

d.      En décembre, des membres du MS-13 ont de nouveau exigé de l'argent au demandeur. Le 13 décembre 2007, le demandeur a été battu et a reçu une balle sous le genou droit et un coup de poignard à l'estomac. Il a été hospitalisé pendant deux semaines à la suite de cette agression. Il s'est ensuite enfui du Honduras et est arrivé au Canada après être passé par le Guatemala, le Mexique et les États-Unis.

 

[9]               L'agent a noté que le demandeur se fondait sur son affidavit et n'avait pas présenté de preuve corroborante (dossier de la demande, p. 10) :

[traduction] Le demandeur affirme avoir demandé à son frère d'obtenir les rapports de la police pour lui. Les policiers voulaient semble-t-il savoir pourquoi le demandeur ne venait pas les chercher lui-même. Ils ont avisé le frère de ne plus revenir et de se mêler de ses affaires. Le demandeur affirme avoir téléphoné à une amie qui est avocate, lui demandant d'obtenir son dossier d'hospitalisation. Un employé de l'hôpital a répondu à cette amie que le dossier était probablement disponible, mais qu'il ne savait pas combien de temps il faudrait pour le récupérer. Ils parviennent facilement à récupérer les dossiers de leurs patients réguliers. Apparemment, ce n'est pas le cas pour les patients ponctuels.

 

[10]           D'après l'agent d'immigration, la preuve matérielle indiquait que les autorités policières au Honduras prenaient des mesures pour contrer la violence des gangs et il n'y avait pas de preuve matérielle suggérant que les policiers refusaient d'enquêter sur les activités criminelles des gangs. L'agent d'immigration a signalé que, en fait, des militants pour les droits de la personne avaient critiqué les lois antigang en raison de leur sévérité (p. 12) :

[traduction] À la lumière de la recherche, il est clair que le Honduras a de nombreux défis à relever en ce qui a trait aux gangs. Je signale que le gouvernement a pris des mesures pour faire face à cette situation, notamment dans la loi sur les associations illicites [...]. Il s'agit de la loi dont les autorités se servent pour contrer le problème des gangs et qui a essuyé les critiques de la communauté des ONG, aux yeux de qui cette loi est d’une rigueur excessive et contrevient aux droits de la personne. La recherche n'indique pas que les policiers refusent de faire enquête sur les activités des gangs.

 

[11]           L'agent d'immigration a également conclu que le demandeur disposait de voies de recours si les policiers refusaient de lui prêter assistance et qu’il ne s'était pas prévalu de ces protections (p. 13) :

[traduction] Je signale également que, d'après la recherche, le demandeur dispose de voies de recours par le truchement du Bureau des affaires internes, qui enquête sur les allégations d'activités illégales au sein des forces policières, ainsi par le truchement de la Police préventive et de la DGIC, qui sont toutes les deux dotées d'un bureau de la responsabilité professionnelle chargé de mener des examens internes sur l'inconduite policière.

 

[12]           L'agent d'immigration a conclu que le demandeur n'avait pas réfuté la présomption de la protection de l'État.

 

QUESTIONS À TRANCHER

[13]           À titre de question préliminaire, le défendeur a demandé à la Cour de statuer que la demande de contrôle judiciaire visant la décision de l'agent d'ERAR est théorique parce que le demandeur a déjà été expulsé et que, pour ce motif, la demande doit être rejetée.

 

ANALYSE

Question no 1 : le caractère théorique

[14]           Le défendeur soutient que, en raison du renvoi du demandeur du Canada le 10 février 2009, la présente demande de contrôle judiciaire est théorique. Il fait valoir que le processus d'ERAR a été mis en place pour permettre aux personnes visées par une mesure de renvoi de demander une évaluation des risques avant leur renvoi, conformément aux obligations nationales et internationales du Canada qui s'est engagé à ne pas renvoyer les personnes protégées dans tout pays où elles seraient exposées à un risque de persécution. Après le renvoi d'un demandeur, il n'est plus possible d'atteindre cet objectif.

 

[15]           Le défendeur soutient également que si la décision de l'agent d'ERAR était annulée à la suite d'un contrôle judiciaire, le défendeur ne serait aucunement tenu de permettre au demandeur de revenir au Canada en vue d'un nouvel examen de sa demande. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire n'aurait aucune portée pratique.

 

[16]           La Cour d'appel fédérale s'est récemment prononcée sur la question de savoir si les demandes de contrôle judiciaire visant la décision d'un agent d'ERAR sont théoriques lorsque le demandeur en cause a déjà été expulsé. Dans l’arrêt Solis Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 171, la Cour d'appel fédérale a examiné les questions suivantes certifiées par le juge Martineau :

i)        La demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’ERAR est-elle théorique lorsque la personne faisant l’objet de la décision a été renvoyée du Canada ou a quitté le Canada après le rejet d’une demande de sursis à l'exécution de la mesure de renvoi?

 

ii)        Quels facteurs ou critères, s’ils sont différents ou autres que ceux énoncés dans l’arrêt Borowski, la Cour devrait-elle examiner dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’instruire une demande de contrôle judiciaire qui est théorique?

 

iii)      Si la demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’ERAR est accueillie après que le demandeur a été renvoyé du Canada ou qu’il a quitté le Canada, la Cour a‑t‑elle le pouvoir d’ordonner au ministre de faire revenir le demandeur au Canada en attendant qu’une nouvelle décision soit rendue et, selon le cas, aux frais du gouvernement?

 

[17]           Le juge Marc Noël de la Cour d'appel fédérale a statué, au paragraphe 5 :

5          Nous sommes d’avis que la demande de contrôle judiciaire est théorique, et, plus particulièrement, nous souscrivons aux propos suivants tenus par le juge Martineau au paragraphe 25 de ses motifs :

 

[…] le législateur voulait que la demande d’ERAR soit jugée avant que la personne demandant l’ERAR soit renvoyée du Canada, dans le but d’éviter de la placer à risque dans son pays d’origine. Ainsi, si la personne demandant un ERAR est renvoyée du Canada, avant qu’une décision n’ait été prise sur les risques auxquels elle ferait face dans son pays d’origine, l’objectif visé par le régime ERAR ne peut plus être atteint, ce qui explique pourquoi l’article 112 de la Loi précise qu’un demandeur de protection est une « personne se trouvant au Canada ».

 

Suivant la même logique, le contrôle judiciaire de la décision défavorable d’un agent d’ERAR rendue après que la personne en cause a été renvoyée du Canada est sans objet.

 

[18]           Cet arrêt a été rendu le 26 mai 2009, après l'autorisation de la présente demande. Les deux parties ont signalé que la question était en instance devant la Cour d'appel fédérale. Cet arrêt s'applique directement à la présente affaire et règle de manière définitive la question de savoir si la présente demande est théorique et si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d'instruire la demande bien qu'elle soit théorique. Notre Cour est liée par l’arrêt de la Cour d'appel fédérale.

 

[19]           Par conséquent, il n'y a pas de motif d'examiner au fond la présente demande et cette dernière est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée parce qu'elle est théorique.

 

 

 

                                                                                                             « Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-494-09

 

INTITULÉ :                                       WILMER ARIAS VILLALOBO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 23 JUILLET 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 29 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Melinda Gayda

 

POUR LE DEMANDEUR

Mme Bridget O’Leary

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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