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                                                    Date : 20090731

Dossier : IMM-18-09

Référence : 2009 CF 793

Montréal (Québec), le 31 juillet  2009      

En présence de monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

JACITHA JASETTE WILLIAMS

            demanderesse

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               La demanderesse, citoyenne de Saint-Vincent-et-les Grenadines, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue en vertu du par. 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), et demande que l’affaire soit renvoyée pour être réexaminée par un tribunal différemment constitué. Dans sa décision contestée du 28 novembre 2008, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger selon l’art. 96 et les al. 97(1)a) et b) de la Loi.

 

II.        Les faits

[2]               La demanderesse est arrivée au Canada le 12 septembre 2005 mais elle n’a demandé l’asile que le 8 juillet 2007, déclarant alors qu’elle avait souffert de violence sexuelle et physique infligée par son beau-père, de l’âge de 8 à 17 ans, et par son demi-frère alors qu’elle habitait avec lui de septembre 2004 à septembre 2005.

 

[3]               La demanderesse soutient qu’en juillet 2002, alors qu’elle était âgée de 17 ans, elle est devenue enceinte de son beau-père, lequel l’a forcée, en août de la même année, à prendre un médicament qui a provoqué une fausse couche.  

 

[4]               Immédiatement après ces événements, Mme Williams dit avoir quitté la demeure de son beau-père et s’être installée à Shaps pour vivre avec sa demi-soeur. Elle soutient que, deux ans plus tard, son beau-père l’a retracée et a commencé à la menacer.

 

[5]               En raison de ces menaces, la demanderesse aurait demandé l’aide de son demi-frère et, en septembre 2004, elle est déménagé aux îles Cannouan pour vivre avec lui. Elle soutient qu’elle a fait l’objet de violences et de menaces par son demi-frère pendant l’année qui a suivi.

 

[6]               En septembre 2005, la demanderesse a quitté son pays et est venue au Canada, sans au préalable demander protection dans son propre pays. Le 8 août 2007, tout près de deux ans après son arrivée, elle a demandé l’asile, pour la première fois, en soutenant dans sa demande que, jusqu’au mois d’août 2007, elle avait ignoré qu’il était possible de le faire au Canada.

 

[7]               La Commission a rejeté la demande en se fondant sur un certain nombre de conclusions négatives relatives à sa crédibilité et a déclaré que la demanderesse n’était pas crédible en raison de ses contractions sur plusieurs éléments clés.

 

III.       La décision contestée

 

[8]               Compte tenu de l’absence générale de crédibilité de le demanderesse, la Commission a jugé qu’elle n’avait ni la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger en vertu de l’art. 96 et des al.97(1)a) et b) de la Loi.

 

IV.       La question en litige

 

[9]               La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

V.        Analyse

 

Norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle qu’il convient d’appliquer aux conclusions d’une commission quant à la crédibilité ou aux faits est celle de la décision raisonnable. Il s’agit d’une norme en vertu de laquelle les tribunaux administratifs doivent faire l’objet de déférence quant aux décisions rendues concernant des questions qui ne commande pas de réponse précise, de résultat particulier, étant donné qu’un certain nombre de conclusions raisonnables sont possibles (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] A.C.S. no 9 (QL), au paragraphe 47).  Lorsque le tribunal de révision est appelé à se prononcer sur une décision de cette nature, il ne devrait pas s’interposer.

 

[11]           Comme il a été déclaré au paragraphe 161 de l’arrêt Dunsmuir, « la décision relative à une question de fait commande toujours la déférence », particulièrement lorsque la crédibilité de la demanderesse est en cause, et « lorsque le litige ne porte que sur les faits, il n’est nécessaire de tenir compte d’aucun autre facteur pour déterminer si la déférence s’impose à l’endroit du décideur administratif. »

 

[12]           Dans le cadre d’un contrôle judiciaire de la décision de la Commission, les préoccupations de la Cour ont trait « principalement à la justification [ou à l’absence de justification] de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[13]           À moins que les conclusions portant sur la crédibilité n’aient été tirées de façon arbitraire ou en l’absence de preuve à l’appui, ou que la Commission n’ait pas fourni de motifs suffisants exprimés en des termes clairs et non équivoques pour conclure comme elle l’a fait, notre Cour accorde normalement à ces conclusions le degré de déférence le plus élevé. La demanderesse porte le fardeau de démontrer que les inférences défavorables quant à la crédibilité tirées par la Commission étaient déraisonnables (Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732 (QL), au par. 4).

 

Caractère raisonnable de la décision

[14]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur de droit en  négligeant de prendre en compte les caractéristiques particulières de la personne et en s’appuyant sur des erreurs innocentes pour attaquer sa crédibilité.

 

[15]           La demanderesse a soumis en preuve à la Commission le rapport d’un psychologue dans lequel il était déclaré que la demanderesse montrait de nombreux signes d’un trouble de stress post-traumatique, de forte anxiété, ainsi que des sentiments de désarroi, de honte et de dépression sous-jacente.

 

[16]           Pour rendre sa décision en l’espèce, la Commission a fait valoir qu’elle avait pris en compte les Directives données par la présidente concernant les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Elle a aussi tenu compte de [traduction] « la difficulté de concentration alléguée de la demanderesse notée dans le rapport d’évaluation psychologique [...] ainsi que le fait qu’elle a cessé de fréquenter l’école en huitième année ». 

 

[17]           La Commission a cependant conclu que la demanderesse s’était contredite dans son témoignage, que son comportement révélait une absence de peur subjective et que son témoignage était à l’occasion invraisemblable. En outre, la Commission ne pouvait admettre qu’elle avait été victime de violence pendant des années et qu’elle a été amené contre son gré à faire une fausse couche.

 

[18]           La Commission a indiqué dans ses motifs qu’elle [traduction] « rejette les explications de la demanderesse [concernant le retard dans la présentation de sa demande d’asile] car elles sont insuffisantes et est d’avis que le comportement de la demanderesse est incompatible avec celui d’une personne craignant pour sa vie ».

 

Absence de transcription

[19]           La demanderesse n’a pas démontré dans son affidavit qu’une possibilité sérieuse d’erreur dans le dossier ou que l’absence de transcription l’ait privé de motifs de contrôle judiciaire. En fait, son affidavit ne contient aucune autre déclaration contredisant les conclusions de la Commission; elle n’a fait que reprendre les allégations qui figuraient déjà dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

Crédibilité

[20]            Comme la Cour d’appel fédérale l’a écrit dans Siad c. Canada (Secrétaire d’État)(C.A.), 1996 CanLII 4099 (C.A.F.) :

Le tribunal se trouve dans une situation unique pour apprécier la crédibilité d'un demandeur du statut de réfugié. Les décisions quant à la crédibilité, qui constituent « l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits » doivent recevoir une déférence considérable à l'occasion d'un contrôle judiciaire, et elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve […]

[Notes de bas de page omises.]

 

[21]           Bien que la demanderesse soit en profond désaccord avec l’appréciation de sa crédibilité par la Commission, elle n’a pas démontré que la décision était arbitraire ou rendue sans prise ne compte des éléments de preuve présentés. La Commission a conclu que la demanderesse s’était contredite dans son témoignage, que son comportement révélait une absence de peur subjective et que son témoignage, à l’occasion, était invraisemblable. Son affidavit n’ajoute rien pour contredire ces conclusions.

 

Retard

[22]           La demanderesse est arrivée au Canada le 12 septembre 2005 et elle a attendu jusqu’au 8 juillet 2007 pour revendiquer l’asile, soit presque deux ans plus tard. Elle a expliqué qu’elle n’avait pas demandé la protection du Canada plus tôt car elle ne savait pas qu’[traduction] « elle devait obtenir des documents prouvant son identité ou un passeport au Canada étant donné que le  processus n’était pas le même dans son pays d’origine ». La preuve démontre toutefois qu’elle avait un passeport, valide jusqu’au 5 octobre 2013, qui lui avait été délivré

le 6 octobre 2003. De plus, elle a expliqué qu’elle n’avait pas obtenu son passeport pour voyager, mais plutôt « pour fin d’identification » et pour se « procurer un téléphone cellulaire ».

 

[23]           Elle a également expliqué qu’immédiatement après son arrivée au Canada, elle a vécu avec une compatriote et elle aurait voulu convaincre la Commission qu’elles n’ont jamais discuté de ses problèmes personnels et qu’elle n’avait jamais posé de questions sur le processus de demande d’asile au Canada. En mai 2006, elle est censée avoir travaillé pour une dame ayant offert de la parrainer. En réalité, ce n’est qu’après avoir rencontré un étranger dans un supermarché au mois d’août 2007, et après en avoir discuté avec lui, qu’elle a compris qu’elle pouvait demander l’asile au Canada.

 

[24]           Comment la Commission pouvait-elle croire que la demanderesse n’aurait jamais entendu parler de la possibilité de demander l’asile au Canada alors qu’elle a vécu huit mois avec une femme de son pays d’origine, et comment aurait-elle pu ignorer la nécessité d’obtenir un statut officiel lorsqu’elle a reçu l’offre de parrainage?  En outre, comment la Commission pouvait-elle croire que la demanderesse a pris conscience du processus de reconnaissance du statut de réfugié seulement deux ans environ après son arrivée au Canada, après la rencontre d’un pur étranger dans un supermarché?

 

[25]           Avec de telles explications, la Commission disposait de motifs valables pour ne pas croire la demanderesse et pour conclure que ses explications n’étaient ni logiques ni plausibles. Il était tout à fait loisible à la Commission de conclure à l’invraisemblance de cette série d’événements. Il est possible de prendre en compte la rationalité et le bon sens lorsqu’il s’agit d’apprécier le véracité du scénario d’un demandeur d’asile. La Commission était en droit de conclure que le comportement de la demanderesse n’était pas celui d’une personne éprouvant une peur subjective de persécution, et de tirer une conclusion défavorable quant à sa crédibilité. 

 

[26]           Notre Cour reconnaît que le retard à formuler une demande d’asile, même si ce facteur ne peut être ignoré, ne constitue pas en soi, selon la jurisprudence, un facteur décisif; néanmoins, dans un cas comme celui qui nous occupe, ce retard justifie le rejet de la demande, même si cela est malheureux pour la demanderesse. Ses explications, considérées dans le contexte de l’ensemble de sa preuve non corroborée, justifiaient le rejet de sa demande par la Commission.

 

Le rapport psychologique

[27]           La Commission a souligné qu’elle avait pris en compte le rapport psychologique de la demanderesse et que, bien que celle-ci puisse souffrir de dépression et d’anxiété, elle n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que ces symptômes étaient associés à une peur raisonnable d’être assassinée par son beau-père ou son demi-frère si elle devait rentrer dans son pays d’origine.

 

[28]           Il est bien établi en droit que le témoignage d’opinion ne peut servir de substitut au rôle décisionnel de la Commission. Le « témoignage d'opinion n'est valide que dans la mesure où les faits sur lesquels il repose sont vrais. Si la [Commission] ne croit pas les faits sous-jacents, il lui est tout à fait loisible d'apprécier le témoignage d'opinion comme [elle] l'a fait » (Xi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 174). En l’espèce, la Commission a jugé non crédible les faits sur lesquels reposait le rapport de l’experte en médicine, et il lui était donc loisible de conclure que ce rapport [traduction] « ne démontrait pas, selon la prépondérance des probabilités, que les symptômes [de dépression et d’anxiété de la demanderesse] étaient associés à une peur raisonnable d’être assassinée [...] si elle devait rentrer dans son pays d’origine ».

 

VI.       Conclusion

 

[29]           La Commission a eu l’avantage d’avoir vu la demanderesse témoigner. Elle est donc en meilleure position que notre Cour pour apprécier à sa juste valeur son récit et les explications qu’elle a formulées une fois mise devant les contradictions et les invraisemblances de son histoire.

 

[30]           Il se peut très bien que la décision de la Commission ne soit pas celle espérée par la demanderesse; c’est évidemment pour ce motif qu’elle a attiré l’attention de notre Cour sur des éléments de preuve étayant des conclusions différentes. Le rôle de notre Cour ne consiste cependant pas à réexaminer le preuve. Notre Cour est uniquement appelée à déterminer si la décision contestée, prise dans son ensemble, est raisonnable compte tenu des fait au dossier et du droit.

 

 

[31]           La demanderesse n’a pas démontré que la décision contestée s’appuyait sur des conclusions de faits tirées de façon abusive ou arbitraire, ou que la Commission a rendu sa décision sans prendre en compte la preuve. La décision contestée est justifiée en fait et en droit; elle est donc raisonnable. La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[32]           Aucun des avocats n'a suggéré de question à certifier. Notre Cour estime que la présente demande ne soulève pas de question importante justifiant d’être certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-18-09

 

INTITULÉ :                                       JACITHA JASETTE WILLIAMS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 juillet 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant LAGACÉ

 

DATE :                                               Le 31 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Styliani Markaki

POUR LA DEMANDERESSE

 

Zoé Richard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Styliani Markaki

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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