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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090722

Dossier : T-394-09

Référence : 2009 CF 741

Ottawa (Ontario), le 22 juillet 2009

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

 

 

ENTRE :

LA CONSEILLÈRE YVONNE BASIL,

LA CONSEILLÈRE MARY JUNE COUTLEE,

LE CONSEILLER STUART JACKSON,

L’ANCIENNE CONSEIILLÈRE SHANNON KILROY,

L’ANCIEN CONSEILLER LORNE SAHARA,

LE CONSEILLER AARON SAM et LE CONSEILLER CLYDE SAM

 

demandeurs

et

 

 

LE CHEF DONALD CYRIL MOSES,

LE COMITÉ D’ENQUÊTE DES AÎNÉS CENSÉMENT

DE LA BANDE INDIENNE DE LA BASSE NICOLA et LE

CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE LA BASSE NICOLA

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi sur les Cours fédérales), dans sa version modifiée le 15 avril 2009, visant les décisions mentionnées ci-après :

 

 

T-394-09

 

(1)        La décision du chef Donald Cyril Moses (le chef Moses) portant qu’après le 28 novembre 2008, l’Administration de la bande indienne de la basse Nicola (la BIBN) acquitterait à même les fonds de la BIBN les frais du comité d’enquête des aînés (le CEA), sans que cette dépense ait à être approuvée par le conseil de la bande indienne de la basse Nicola (le conseil).

 

(2)        La décision du 27 février 2009, par laquelle le chef Moses a établi que les conseillers Mary June Coutlee, Stuart Jackson et Clyde Sam étaient mis en accusation (impeached), a accepté la démission de chacun d’eux et a exprimé son intention, par conséquent, de déclencher une élection partielle.

 

T-601-09

(1)        La résolution du conseil de bande de la BIBN, datée du 16 mars 2009, qui traite de la tenue d’une élection partielle pour pourvoir les trois sièges vacants au conseil, en raison du rapport du CEA du 27 février 2009 mettant en accusation les conseillers Sam, Coutlee et Jackson, tous trois siégeant au conseil à la date du rapport du CEA.

 

(2)        La résolution du conseil de bande de la BIBN, datée du 16 mars 2009, qui prive de leurs honoraires et autres privilèges les conseillers mis en accusation Sam, Coutlee et Jackson, tous trois siégeant au conseil à la date du rapport du CEA.

 

(3)        La résolution du conseil de bande de la BIBN, datée du 16 mars 2009, qui autorise le versement de 10 000 $ en honoraires d’avocats au cabinet Blake, Cassels & Graydon S.E.N.C.R.L./s.r.l. de Vancouver, en vue de donner effet à la décision du CEA du 27 février 2009 de mettre en accusation les conseillers Sam, Coutlee et Jackson, tous trois siégeant au conseil à la date du rapport du CEA.

 

T-602-09

(1)        La décision du CEA du 27 février 2009 de mettre en accusation les conseillers Sam, Coutlee et Jackson, de déclarer ceux-ci inéligibles comme candidats à toute élection future et de prescrire la tenue d’une élection partielle.

 

[2]               Les demandeurs ont déposé précédemment, soit le 10 mars 2009, une requête en injonction provisoire en vue d’être réintégrés dans leurs fonctions de conseillers jusqu’au prononcé de la décision finale. Cette requête a donné lieu à une ordonnance sur consentement de toutes les parties, par laquelle les conseillers mis en accusation ont été réintégrés dans leurs fonctions de conseillers, sous réserve de certaines conditions, soit notamment que les demandeurs ne se servent pas de leurs postes de conseillers de la BIBN pour s’ingérer dans la procédure du CEA ou les questions dont la Cour est saisie.

 

[3]               Les affaires dans les dossiers T-394-09, T-601-09 et T-602-09 de la Cour fédérale sont distinctes; par ordonnance sur consentement datée du 6 mai 2009, toutefois, ma collègue la juge Eleanor Dawson, la juge chargée de la gestion de l’instance en l’espèce, a ordonné l’instruction des trois affaires pendant la même période. Les dossiers n’ont pas été réunis en une seule instance; par une directive datée du 1er juin 2009, toutefois, la juge Dawson a permis à chaque partie, vu l’interdépendance des faits dans les trois dossiers, de soumettre pour tous trois un même dossier de requête.

 

LE CONTEXTE FACTUEL

 

[4]               La BIBN compte environ 1 050 membres et est administrée par un chef et sept conseillers élus, des élections étant tenues tous les trois ans.

 

[5]               D’octobre 2004 à octobre 2007, le chef était Arthur Dick et les conseillers étaient Mary June Coutlee, Stuart Jackson, Harold Joe, Shannon Kilroy, Lorne Sahara, Clyde Sam et Robert Sterling.

 

[6]               Pour la période d’octobre 2007 à octobre 2010, une élection partielle ayant été tenue en janvier 2008, le chef est Donald Cyril Moses (qui a été chef ou conseiller pendant environ 24 des 35 dernières années) et les conseillers sont Yvonne Basil, Mary June Coutlee, Stuart Jackson, Connie Joe, Harold Joe, Aaron Sam et Clyde Sam. La réélection des quatre conseillers Mary June Coutlee, Stuart Jackson, Harold Joe et Clyde Sam n’a donné lieu à aucune contestation.

 

[7]               La BIBN est une bande indienne agissant selon ses coutumes ou bande non visée par l’article 74, ce qui veut dire que l’article 74 de la Loi sur les Indiens, L.R., 1985, ch. I-5 (la Loi sur les Indiens) ne lui est pas applicable, et elle recourt à ses propres Règles sur les élections selon la coutume pour le choix de son chef et de ses conseillers.

 

[8]               Le 24 septembre 2007, pendant la campagne électorale de 2007, la BIBN a convoqué une assemblée générale de la bande au cours de laquelle ont été présentés à la collectivité les états financiers de la BIBN pour l’exercice se terminant le 31 mars 2007. À l’assemblée, le vérificateur de la BIBN a fait état de questions d’argent préoccupantes, soit plus particulièrement du fait que le chef et plusieurs conseillers d’alors avaient reçu de la BIBN, pendant leur mandat, des sommes en sus de leurs honoraires. Selon le procès-verbal de l’assemblée, le vérificateur a décrit cette [traduction] « autre rémunération pour le chef et les conseillers » en sus des honoraires comme étant [traduction] « un salaire ou de l’argent gagné au moyen d’un contrat ».

 

[9]               Les conseillers touchent des honoraires annuels d’environ 15 600 $. Les conseillers ne peuvent pendant leur mandat, en vertu des Règles sur les élections selon la coutume, être également des employés de la BIBN et il leur est interdit, selon la Politique et les lignes directrices de la bande indienne de la basse Nicola relatives au chef et aux conseillers (les Politique et lignes directrices relatives au chef et aux conseillers), de conclure avec la BIBN un contrat de services professionnels d’une durée supérieure à deux mois ou d’une valeur supérieure à 5 000 $, à moins que les membres de la BIBN n’approuvent ce contrat à une assemblée générale de la bande.

 

[10]           Lors de l’assemblée, on a demandé s’il y avait des renseignements qui confirmaient les montants reçus par le chef et les conseillers, ce à quoi le vérificateur aurait répondu, selon le procès-verbal, qu’il y en avait et que : [traduction] « l’information se trouve au service de la comptabilité, parce qu’à chaque fois qu’un chèque est fait pour une personne, on consigne le paiement reçu pour les services dispensés ainsi que le service d’où il provient ».

 

[11]           On a fait valoir à l’assemblée du 24 septembre 2007, selon le procès-verbal, que [traduction] « le nouveau conseil devrait examiner la situation et décider des mesures à prendre face à cette violation des règlements sur les élections ». L’identité de l’auteur de cette déclaration n’est pas précisée. Le chef Moses a déclaré lors de son contre-interrogatoire ne pas se rappeler qui avait fait cette déclaration, ni plus particulièrement s’il s’agissait de lui-même. Outre le chef Moses, quatre autres personnes étaient présentes à l’assemblée et auraient donc pu être l’auteur de la déclaration, soit les aînés Madeline Lanaro, Maggie Shuter, Gloria Moses et George Coutlee. Aucune motion n’a été proposée ou adoptée à l’assemblée au sujet de la violation des règlements sur les élections.

 

[12]           À la suite de cette assemblée, le chef Moses a engagé une procédure d’examen de la réception de sommes par le chef Arthur Dick et les sept conseillers en poste pendant le mandat en cause, d’octobre 2004 à octobre 2007.

 

[13]           Le chef Moses a constitué le CEA en conviant tous les aînés, soit les membres de la collectivité âgés de 60 ans et plus, à participer au processus, après quoi les aînés eux-mêmes ont choisi les membres du CEA. En vertu des Règles sur les élections selon la coutume, les aînés sont les personnes habilitées à instruire et trancher les appels interjetés à l’égard d’élections au sein de la bande. Les aînés jouent également un rôle important dans la structure de gouvernance selon la coutume de la BIBN en prodiguant avis et conseils aux chefs et conseillers.

 

[14]           Parmi les 115 aînés conviés à participer, 18 ont répondu à l’invitation et, sur ce nombre, cinq ont été choisis pour constituer le CEA. Lors de la première réunion du CEA, le chef Moses a présenté à celui-ci son mandat.

 

[15]           Quatre des cinq aînés choisis étaient présents lors de l’assemblée du 24 septembre 2007 où le vérificateur avait fait état de questions d’argent préoccupantes.

 

[16]           Le chef Moses n’a pas soumis au conseil ni à l’assemblée générale des membres de la BIBN une motion en vue de la constitution et du financement du CEA. La conseillère Basil évalue à 60 000 $ les coûts associés au CEA.

 

[17]           Le chef Moses a estimé que le conseil ne pouvait examiner la question de la constitution et du financement du CEA en raison de conflits d’intérêts, étant donné que, parmi les sept conseillers siégeant au conseil pendant son mandat d’octobre 2007 à octobre 2010, quatre avaient également été en poste lors du mandat précédent du conseil et un autre, bien que nouveau membre du conseil, était le fils d’un conseiller également en poste pendant ce précédent mandat. Deux conseillers n’auraient aucunement été en situation de conflit d’intérêts.

 

[18]           Le chef Moses a estimé pouvoir décider unilatéralement de constituer et de financer le CEA en se fondant, premièrement, sur le procès-verbal de l’assemblée du 24 septembre 2007, selon lequel on avait déclaré que [traduction] « […] le nouveau conseil devrait examiner la situation et décider des mesures à prendre face à cette violation des règlements sur les élections » et, deuxièmement, sur le pouvoir conféré par les Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil, en son alinéa 23e) sur la saine gestion, de [traduction] « prendre des décisions au nom du conseil lorsque cela est nécessaire pour assurer une saine gestion ». Le chef Moses a également fait remarquer qu’il lui fallait agir, parce qu’il avait pour responsabilité d’assurer la saine gestion de la bande, que le chef et les conseillers devaient tous respecter leur serment et qu’il était allégué que les membres du précédent conseil avaient manqué à ce serment.

 

[19]           Le serment prêté par les membres du conseil pour le mandat de 2004 à 2007 comportait notamment les éléments qui suivent :

[traduction]

3.       Nous ne laisserons pas nos intérêts commerciaux ou personnels influer sur les décisions à prendre et nous agirons toujours dans l’intérêt supérieur de la collectivité.

 

4.       Nous observerons les lois de la bande tel qu’elles sont approuvées par le conseil de bande et que les font connaître les assemblées générales et, de manière générale, les aînés, les jeunes et les autres membres de la bande.

 

5.       Nous veillerons à préserver et à promouvoir notre culture et nos traditions et à ce que les membres de la bande occupent la place qui leur revient au sein de la société.

 

6.       Nous démissionnerons de notre poste électif si on conclut que nous avons enfreint les règles sur les élections au sein de la bande ou les Politique et procédures relatives au chef et au conseil ou que nous n’avons pas respecté le présent serment.

 

[20]           N’acceptant pas les gestes unilatéraux posés par le chef Moses, le conseil a adopté le 14 octobre 2008 la motion n° 5 et exprimé comme suit sa non-acceptation du CEA : [traduction] « que l’"enquête" prenne fin le 14 octobre 2008 et qu’aucune autre dépense ne soit engagée pour cette initiative avant qu’il n’en soit discuté lors d’une réunion spéciale du conseil, ou de la prochaine assemblée générale de la bande du 27 octobre 2008 ». Or, sauf en ce qui concerne la motion n° 5, la question du CEA n’a été abordée ni lors d’une réunion spéciale du conseil ni à une assemblée générale de la BIBN.

 

[21]           Le chef Moses a informé le conseil, par note datée du 30 octobre 2008, qu’il considérait la motion du 14 octobre 2008 comme invalide, deux conseillers ayant voté en sa faveur étant selon lui en situation de conflit d’intérêts, puisque l’enquête que la motion était censée interrompre les mettait directement en cause en tant que membres du précédent conseil. Il a ajouté qu’il règlerait cette question en s’appuyant sur le pouvoir dont il disposait comme chef de prendre des décisions visant à assurer la saine gestion de la BIBN, puisque quatre conseillers en poste étaient en conflit d’intérêts de manière directe comme faisant l’objet même de l’enquête, et qu’un autre l’était au plan personnel, en tant que fils d’un conseiller faisant lui-même l’objet d’une enquête. Le chef Moses a informé le conseil qu’il comptait bien faire se dérouler l’enquête.

 

[22]           À une réunion du conseil tenue le 4 novembre 2008, les conseillers des demandeurs ont censément adopté une motion mettant fin au pouvoir conféré au chef Moses par l’alinéa 23e) des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil, de manière à mettre un terme à l’enquête du CEA. Le chef Moses a répliqué en faisant valoir l’invalidité de la motion du 4 novembre 2008, les conseillers l’ayant adoptée étant en conflit d’intérêts, puisque faisant l’objet de l’enquête même à laquelle ils tentaient de mettre fin.

 

[23]           Le 10 novembre 2008, cinq conseillers ont rédigé une lettre où ils exprimaient leur refus de reconnaître le CEA.

 

[24]           Le 9 décembre 2008, le chef Moses a introduit un recours en contrôle judiciaire devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique afin, notamment, de faire déclarer comme ayant été prise dans les limites de ses pouvoirs en tant que chef sa décision de faire effectuer une enquête par le CEA. L’affaire a été ajournée pour des raisons de compétence. Le Chef Moses a intenté l’action en son nom, et au nom de la BIBN, bien qu’aucune motion en vue de son autorisation n’ait été soumise au conseil. L’ordonnance rendue relativement aux dépens prévoyait que [traduction] « si une procédure devait être introduite devant la Cour fédérale du Canada quant aux questions mentionnées dans la présente requête, notre cour renverrait autant que faire se peut à la Cour fédérale du Canada la question des dépens dans la présente instance ».

 

[25]           Le CEA a mené à bien son enquête, et délivré son rapport le 27 février 2009. Les conseillers ont été conviés à comparaître devant le CEA avant qu’il ne tire ses conclusions préliminaires, mais un seul a choisi de le faire.

 

[26]           Selon le mandat énoncé par le chef Moses, la formation de dix membres du CEA devait procéder à une recherche des faits et à une appréciation impartiales, en vue de présenter des recommandations au chef et au conseil; le processus d’examen du CEA pouvait donner lieu à des poursuites au civil et au criminel; le CEA [traduction] « pouvait » présenter ses conclusions à la BIBN dans son ensemble et sans préciser qui, selon le CEA, avait manqué à ses obligations.

 

[27]           Le 23 février 2009, le CEA a transmis ses conclusions préliminaires au chef Moses pour l’informer que le CEA avait estimé que chaque conseiller ayant fait l’objet de l’enquête avait manqué à ses obligations fiduciaires. Le rapport n’était pas définitif à cette date, puisque le CEA avait convié les conseillers à lui présenter des observations dans un délai de dix jours, soit jusqu’au 25 février 2009.

 

[28]           Le même jour, le chef Moses a transmis des lettres aux conseillers Jackman, Coutlee et Sam, les informant qu’ils étaient suspendus de leurs fonctions de conseillers de la BIBN, [traduction] « pour avoir manqué à [leurs] obligations fiduciaires envers la bande et ses membres par l’appropriation de plus de 1 000 000 $ des fonds de la bande pendant le mandat de 2004 à 2007, […] jusqu’à ce que soient délivrés le rapport final et les décisions du [CEA] ». Le même jour, le chef Moses a publié un communiqué au nom de la BIBN faisant savoir qu’il avait été conclu que les membres de l’ancien conseil avaient tous manqué à leurs obligations fiduciaires en s’appropriant plus de 1 000 000 $ des fonds de la BIBN.

 

[29]           Le 24 février 2009, le chef Moses a rédigé une lettre informant la GRC que la BIBN comptait déposer des accusations au criminel, contre les anciens chef et conseillers, pour abus de confiance criminel. Le chef ajoutait que le personnel et lui-même craignaient [traduction] « que [les conseillers Jackman, Coutlee et Sam] tentent de prendre la direction de [la BIBN] et d’en assumer l’administration », et, [traduction] « advenant l’atteinte de leur but, qu’ils saisissent cette occasion pour s’approprier illégalement la réserve pour impôts mise de côté [par la BIBN] ». Le chef Moses a fait changer les serrures du bureau de la BIBN le même jour et, dès le lendemain, des agents de sécurité étaient postés au bureau de la BIBN pour empêcher que n’y entrent les employés de la BIBN et des tiers.

 

[30]           Le CEA a publié son rapport final le 27 février 2009. Le chef Moses et plusieurs membres du CEA étaient présents à une conférence de presse où l’on a traité du rapport, et celui‑ci a été publié sur le site Web de la BIBN.

 

[31]           Le CEA a déclaré dans son rapport qu’à la fois il formulait des recommandations et infligeait des sanctions. Le CEA mettait en accusation l’ancien chef et tous les anciens conseillers, sauf un, en poste pendant le mandat de 2004 à 2007.

 

[32]           Le CEA a notamment conclu dans son rapport que chacun des huit conseillers de l’ancien conseil avait manqué à ses obligations fiduciaires envers le BIBN, et que divers conseillers avaient enfreint les règlements, politiques et procédures de la BIBN, s’étaient fait les complices d’autres conseillers en vue de s’approprier des fonds de la BIBN et avaient négligé de prendre diverses décisions financières dans l’intérêt des membres de la BIBN.

 

[33]           Le principal reproche du CEA à l’endroit des conseillers avait trait à la fourniture de services par ceux-ci à la BIBN, à titre d’employés ou d’entrepreneurs, contre rémunération. Le CEA a fait valoir le non-respect de certaines exigences procédurales prévues par les règlements et politiques de la BIBN pour justifier ses conclusions de manquement à des obligations fiduciaires. Le CEA a statué que les conclusions tirées à l’encontre de chacun des conseillers, hormis le conseiller Joe, justifiaient leur mise en accusation, et que les conseillers mis en accusation ne devaient pas être autorisés à l’avenir à se présenter à une élection ou à siéger comme administrateurs au sein de l’une quelconque des sociétés de la BIBN.

 

[34]           Le CEA a conclu que le conseiller Jackson avait occupé un poste de directeur d’école puis un poste d’agent, droits et titres ancestraux, en violation des Règles sur les élections selon la coutume. Quant au conseiller Sterling, le CEA a conclu que c’était le poste de coordonnateur, droits et titres ancestraux, qu’il avait occupé en violation de ces Règles. Le CEA a conclu, en outre, que le chef Dick avait touché une rémunération pour des services de fenaison en violation de ces Règles et des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil. Le conseiller Clyde, lui, aurait reçu une [traduction] « autre rémunération » du fait de contrats que ses collègues du conseil lui avaient attribués pour des services liés à de l’équipement lourd. Les conseillers Kilroy, Joe et Sahara, enfin, auraient touché des sommes en sus de leurs honoraires pour des raisons que le CEA n’a pu établir.

 

[35]           Le 10 mars 2009, le chef Moses a informé par lettre les conseillers Sam, Basil, Connie Joe et Harold Joe qu’il avait annulé la tenue de toute réunion du conseil pour une période de deux semaines, et que c’était sous forme de notes que les décisions seraient alors prises.

 

[36]           Par la suite, soit le 16 mars 2009, le chef Moses et une conseillère, nièce de ce dernier, ont rédigé et adopté trois résolutions du conseil de bande (RCB) qui traitaient de la tenue d’une élection partielle, avalisaient les conclusions du CEA et leur donnaient effet, privant ainsi les conseillers mis en accusation de leurs honoraires et autres privilèges, et autorisaient le déboursement d’honoraires d’avocats de 10 000 $ pour que soit mise en œuvre la décision du CEA.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.         Le CEA avait-il compétence pour mettre en accusation des membres anciens et actuels du conseil de la BIBN?

2.         Le processus du CEA respectait-il les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en faveur des demandeurs?

3.         Les conclusions du CEA étaient-elles raisonnables?

4.         Les trois résolutions du conseil de bande ont-elles été valablement adoptées?

5.         Les démissions des conseillers ont-elles été valablement acceptées?

6.         Y a-t-il prescription de la contestation par les demandeurs du financement du CEA?


LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[37]           Une fois qu’il est établi qu’une enquête visant les conseillers d’une bande est légalement autorisée, les conclusions découlant de cette enquête constituent des questions mixtes de fait et de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité; la question de savoir si une telle enquête relève bien de la compétence de la bande, toutefois, est assujettie à la norme de la décision correcte (Martselos c. Première nation n° 195 de la Salt River, [2008] A.C.F. n° 1053, 2008 CAF 221 (C.A.F.); Prince c. Première nation de Sucker Creek n° 150A, [2008] A.C.F. n° 1613, 2008 CF 1268 (C.F.)).

 

[38]           Le CEA devait interpréter le droit de la BIBN en vue d’établir quels critères les conseillers étaient tenus de respecter, et tirer de complexes conclusions de fait sur la foi des dossiers de la BIBN. À ce titre, les questions soulevées dans le cadre de la présente demande sont des questions mixtes de fait et de droit, qui appellent la norme de la raisonnabilité. Les manquements à l’équité procédurale, toutefois, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. n° 2056, 2005 CAF 404 (C.A.F.)).

 

[39]           Tel qu’il est dit dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] A.C.S. n° 9, 2008 CSC 9 (C.S.C.), au paragraphe 47, la Cour, lorsqu’elle procède à un contrôle selon la norme de la raisonnabilité, doit examiner si « la décision [appartient] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ANALYSE

 

1.         Le CEA avait-il compétence pour mettre en accusation des membres anciens et actuels du conseil de la BIBN?

 

[40]           Les dispositions sur la mise en accusation auxquelles la BIBN est assujettie sont énoncées, comme suit, aux articles 34 et 35 des Règles sur les élections selon la coutume :

 

[traduction]

 

34. Tout membre du conseil peut être destitué de ses fonctions sur-le-champ par l’adoption d’une résolution du conseil de bande en ce sens, une élection partielle étant ensuite aussitôt déclenchée aux termes de l’article 24 ci-dessus, si :

 

a)       le membre, pendant qu’il est en fonctions, est déclaré coupable d’un acte criminel, sauf s’il s’agit d’un acte de nature politique lié à l’exercice ou à la défense de droits ou titres ancestraux, ou déclaré coupable d’une infraction sexuelle ou de voies de fait,

 

b)       il est conclu dans une instance judiciaire reconnue par le conseil que le membre a fait un mauvais usage de fonds ou de ressources de la bande, ou a manqué à ses responsabilités fiduciaires,

 

c)       le membre ne s’est pas acquitté de ses responsabilités de membre du conseil pendant une période de plus de 30 jours suivant la réception d’un avis écrit du conseil lui enjoignant de ce faire.

 

 

35.     Aux fins de l’alinéa 34b) ci-dessus, les responsabilités d’un membre du conseil s’entendent notamment de ce qui suit :

 

a)       la prestation d’un serment et la signature d’une entente par lesquels il s’engage à agir conformément à l’intérêt supérieur de l’ensemble de la bande, et à veiller à l’application et à la protection des droits et titres ancestraux de tous les membres de la bande,

 

b)       la conduite de réunions du conseil et d’assemblées spéciales ou générales de la bande, ou la participation à de telles réunions ou assemblées,

 

c)       le maintien d’une présence dans les réserves de la bande, et la disponibilité du membre pour satisfaire aux besoins et veiller aux intérêts des membres de la bande.

 

 

 

[41]           Les demandeurs soutiennent qu’on n’a pas satisfait aux conditions préalables de la mise en accusation précédemment mentionnées et qu’il convient de rejeter tout argument en faveur du pouvoir de mettre en accusation se fondant sur le droit ancestral.

 

[42]           Les demandeurs soulignent que, lors de son contre-interrogatoire, le chef Moses n’a pas dit que les mises en accusation étaient fondées sur l’article 34, ni n’a revendiqué le pouvoir unilatéral, en tant que chef, de procéder à des mises en accusation. Il a plutôt déclaré que les mises en accusation étaient le fait du CEA, qui disposait du pouvoir de mettre en accusation, indépendamment de l’article 34.

 

[43]           Selon le rapport du CEA, les mises en accusation résultent de violations dites être [traduction] « contraires à l’article 34 des REC [Règles sur les élections selon la coutume] ». Cet énoncé joint aux déclarations du chef Moses a conduit les demandeurs à conclure que les mises en accusation avaient pour fondement hybride l’article 34 et le droit ancestral ou coutumier non écrit. Les demandeurs soutiennent qu’il y a même des contradictions dans la preuve quant à savoir ce qu’est le droit ancestral, comme eux-mêmes et le chef Moses conviennent que les aînés ont pour rôle traditionnel de donner avis et conseils, alors que les affidavits des défendeurs font état du droit inhérent des aînés de rendre justice, sans toutefois donner de détail concret sur ce qu’est la justice ancestrale.

 

[44]           Les défendeurs soutiennent pour leur part que le CEA constitue une [traduction] « instance judiciaire reconnue par le conseil » au sens de l’article 34 des Règles sur les élections selon la coutume et, qu’à ce titre, le chef Moses pouvait se fonder sur les conclusions du CEA pour mettre les conseillers en accusation.

 

[45]           L’expression « instance judiciaire » n’est pas définie dans les Règles sur les élections selon la coutume, mais rien n’y est prévu qui empêche de considérer être une « instance judiciaire » un comité constitué d’aînés.

 

[46]           Les défendeurs font valoir la partie I des Règles sur les élections selon la coutume, où l’on reconnaît qu’un comité ad hoc d’aînés peut jouer un rôle d’enquête et décisionnel en bonne et due forme. Les articles 26 à 30 autorisent la nomination d’un conseil des aînés chargé de faire enquête dans le cadre d’appels en matière électorale, de trancher ces appels et de rendre à cette fin des décisions obligatoires. Le comité prévu dans ces dispositions doit être financé par la BIBN et régler de manière indépendante les différends en matière électorale. Les défendeurs y voient la codification du rôle ancestral et coutumier des aînés au sein de la BIBN, et ils s’appuient sur les observations présentées par le CEA sur ce point.

 

[47]           Selon les défendeurs, le rôle important de conciliateurs juridiques joué au sein de la collectivité par les aînés, et la codification de ce rôle dans les Règles sur les élections selon la coutume, font voir qu’un conseil des aînés procédant à des enquêtes indépendantes peut être considéré de façon raisonnable comme constituant une « instance judiciaire » aux fins des conditions prévues pour la mise en accusation de conseillers.

 

[48]           Le CEA soutient en outre que les coutumes de la BIBN lui conféraient compétence inhérente pour procéder à l’enquête, infliger des sanctions et formuler des recommandations dans son rapport. Cette compétence découle des coutumes anciennes du peuple de la basse Nicola, qui fait partie de la nation Nlaka’pamux, ainsi que du rôle joué par les aînés dans la collectivité. Le CEA ajoute que, même s’il n’avait pas eu compétence inhérente pour mettre en accusation les conseillers, il avait compétence pour faire enquête sur leurs fautes alléguées et pour faire au sujet de celles-ci des recommandations au conseil ou au chef de la BIBN.

 

[49]           Bien que dans les Règles sur les élections selon la coutume des dispositions traitent de la [traduction] « mise en accusation » de conseillers, ces dispositions [traduction] « n’ont pas tout prévu » sur le sujet. Il demeure un rôle à jouer pour les aînés, particulièrement en fonction des faits d’espèce, dans l’administration selon la coutume de la BIBN. Le CEA fait valoir plus précisément ce qui suit :

[traduction]

 

a)      Les Règles sur les élections selon la coutume ne visaient pas à priver, ni n’ont privé, les aînés de leur rôle coutumier de surveillance à l’égard de l’administration de la basse Nicola;

 

b)      De manière subsidiaire, dans la mesure où les Règles sur les élections selon la coutume ont prévu certains éléments de la question de la mise en accusation de conseillers, elles n’ont rien prévu en regard de la présente situation unique où cinq des huit conseillers en poste font l’objet d’enquête et de sanctions ou sont d’une autre manière en situation de conflit d’intérêts. Quant à cette situation unique, il y a dans les Règles sur les élections selon la coutume une « lacune » que d’autres coutumes de la bande doivent servir à combler.

 

[50]           Le CEA fait ressortir le rôle important et actif que jouent les aînés dans l’administration des collectivités Nlaka’pamux. Leur rôle coutumier serait reconnu par les Règles sur les élections selon la coutume, aux termes desquelles un appel à l’encontre d’un résultat d’élection doit être porté devant un [traduction] « conseil des aînés ». Les membres du conseil des aînés sont choisis [traduction] « au hasard » parmi les membres de la BIBN âgés de plus de 60 ans, et le conseil a le pouvoir de rendre des décisions obligatoires à l’égard d’appels en matière électorale. C’est le bureau électoral qui met en œuvre les décisions du conseil des aînés.

 

[51]           Le CEA fait remarquer que, si les Règles sur les élections selon la coutume n’énoncent pas de manière exhaustive les coutumes de la BIBN relatives à l’administration de celle-ci, tel qu’il est souligné dans l’affidavit de Victor York, elles renferment des dispositions explicites reconnaissant les aînés en tant qu’organisme d’examen dont les décisions peuvent avoir force obligatoire.

 

[52]           Nul ne conteste qu’une coutume de la BIBN confère comme rôle aux aînés de prodiguer des avis à ses dirigeants élus. Selon les éléments de preuve qui suivent, les aînés exercent une fonction décisionnelle coutumière dans les collectivités Nlaka’pamux :

 

a)      la xiλixstm, une ancienne coutume du peuple de la basse Nicola;

b)      les Règles sur les élections selon la coutume, qui reconnaissent expressément les aînés en tant qu’organe juridique coutumier rendant des décisions obligatoires à l’égard d’appels en matière électorale;

 

c)      les témoignages par affidavit de Joe, G. Sam, Shutter, York et Toodlican.

 

[53]           En l’espèce, les Règles sur les élections selon la coutume ne prévoient pas toutes les questions se rattachant à la mise en accusation de conseillers, et le pouvoir coutumier des aînés d’infliger des sanctions aux membres du conseil fait toujours partie des coutumes de la BIBN et continue de s’appliquer.

 

[54]           Le CEA estime que les Règles sur les élections selon la coutume comportent une lacune. Celles-ci prévoient en effet que, dans certaines circonstances, un membre du conseil peut être mis en accusation par l’adoption d’une RCB, mais elles ne traitent pas de la situation où, comme en l’espèce, le conseil ne peut procéder à une telle adoption parce que ne peut être atteint le quorum lui permettant de régler la question. On peut remédier à cette lacune, selon le CEA, en autorisant un quorum réduit du conseil, ou au moyen de l’exercice par le chef du pouvoir que lui confèrent les Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil d’assurer la saine gestion de la bande, ou par application des coutumes de la BIBN que les Règles sur les élections selon la coutume n’ont pas codifiées.

 

[55]           Le CEA soutient de manière subsidiaire que, même si la Cour devait conclure en l’absence de compétence inhérente des aînés pour mettre les conseillers en accusation, les aînés ont tout au moins compétence pour faire enquête et soumettre des recommandations au conseil et au chef relativement à la conduite des conseillers. Les Règles sur les élections selon la coutume reconnaissent que les délibérations des aînés constituent une instance judiciaire au sens du droit coutumier de la BIBN. Les conclusions du CEA constituent par conséquent une instance judiciaire au sens de la coutume de la BIBN.

 

[56]           Il convient de rejeter, pour les motifs qui vont suivre, les arguments des défendeurs appuyant la compétence de mise en accusation sur le fait que le CEA constituerait une instance judiciaire aux fins de l’article 34 des Règles sur les élections selon la coutume.

 

[57]           Premièrement, il importe de noter qu’il ressort du mandat même du CEA que celui-ci ne pouvait se considérer être une instance judiciaire (article 4 du mandat) :

[traduction]

 

4.              Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la formation formulera des recommandations quant aux poursuites au civil et au criminel et aux autres instances judiciaires qui, à son avis, devraient être introduites en réponse aux violations alléguées des lois, politiques et lignes directrices de la BIBN ainsi que de serments.

 

 

Si on lui donne une interprétation franche tenant compte de la phrase où elle figure, l’expression « autres instances judiciaires » n’a de sens que si elle repose sur l’hypothèse que le CEA ne constitue pas lui-même une instance judiciaire. Il serait illogique que le CEA fasse fonction d’instance judiciaire et, en même temps, use de son pouvoir discrétionnaire pour recommander le recours à d’autres instances judiciaires.

 

[58]           Deuxièmement, les défendeurs font valoir avec insistance que les articles 25 à 30 des Règles sur les élections selon la coutume codifient la fonction décisionnelle traditionnelle des aînés et leur pouvoir coutumier de mettre en accusation. Or s’il est bien vrai qu’aux articles 25 à 30, on codifie l’existence d’un conseil des aînés, c’est uniquement dans le contexte très restreint d’appels à l’encontre de résultats d’élections, et encore plus particulièrement s’il y a eu [traduction] « une manœuvre électorale frauduleuse ou une violation des présentes Règles […] » (article 25). Je vois mal comment on pourrait raisonnablement interpréter la codification de l’existence d’un conseil des aînés chargé de trancher les appels à l’encontre de résultats d’élections, ce qui n’est pas la situation en l’espèce, comme voulant dire qu’un conseil des aînés procédant à des enquêtes indépendantes constitue une « instance judiciaire » aux fins des conditions requises pour la mise en accusation de conseillers. La mise en accusation et les appels en matière électorale sont deux situations distinctes, et il peut très bien y avoir des raisons pour qu’un conseil des aînés entre en jeu dans un cas, et pas dans l’autre.

 

[59]           Je conclus par conséquent que le CEA n’était pas une « instance judiciaire » aux fins de l’article 34 des Règles sur les élections selon la coutume.

 

[60]           J’examinerai maintenant l’argument du CEA selon lequel les Règles sur les élections selon la coutume sont lacunaires, puisqu’elles prévoient que, dans certaines circonstances, on peut mettre un membre du conseil en accusation par l’adoption d’une RCB, mais elles ne prévoient pas une situation telle que celle en l’espèce où le conseil ne peut, faute d’un quorum pouvant être atteint, adopter une RCB.

 

[61]           L’argument de la lacune se fonde entièrement sur l’article 34 des Règles sur les élections selon la coutume, qui stipule qu’un membre du conseil peut être destitué de ses fonctions sur‑le‑champ par l’adoption d’un RCB en ce sens, s’il se retrouve dans l’une des situations mentionnées aux alinéas 34a), b) ou c). Plus particulièrement en l’espèce, la situation est celle visée à l’alinéa 34b) – un membre du conseil peut être mis en accusation par l’adoption d’une RCB s’il est conclu, dans une instance judiciaire reconnue par le conseil, qu’il a fait un mauvais usage de fonds ou de ressources de la BIBN, ou qu’il a manqué à ses responsabilités fiduciaires.

 

[62]           L’argument de la lacune avancé par le CEA perd ainsi toute portée pratique, puisque j’ai conclu que le processus de mise en accusation de ce comité ne constituait pas une instance judiciaire aux fins de l’article 34 des Règles sur les élections selon la coutume.

 

[63]           Les arguments favorables au pouvoir de mise en accusation présentés par les défendeurs sur le fondement du droit ancestral doivent également être rejetés.

 

[64]           Bien que le pouvoir dont disposent les bandes indiennes agissant selon leurs coutumes d’élaborer leurs propres règles sur les élections selon la coutume soit d’une portée leur permettant de destituer les chefs et conseillers, notamment par mise en accusation (Lafond c. Première Nation crie du lac Muskey, [2008] A.C.F. n° 923, 2008 CF 726 (C.F.)), il convient d’interpréter restrictivement les règles permettant une telle mesure, compte tenu de sa sévérité (Bugle c. Lameman, [1997] A.C.F. n° 560, 71 A.C.W.S. (3d) 417 (1re inst.), paragraphe 2; Première nation Dene Tha’ c. Didzena, [2005] A.C.F. n° 1561, 2005 CF 1292 (C.F.), paragraphe 28). La Cour n’a pas reconnu d’autres sources autorisant la mise en accusation, comme le droit coutumier ou ancestral, lorsqu’elle concluait que les règles sur les élections selon la coutume d’une bande avaient « [tout] prévu » (Prince, précitée), constituaient « un code juridique général » (Martselos c. Première Nation de Salt River #195, [2008] A.C.F. n° 13, 2008 CF 8 (C.F.), paragraphe 32; Bugle, précitée, paragraphe 2) ou « expos[aient] des procédures disciplinaires explicites » (Lafond précitée, paragraphe 30).

 

[65]           Je conclus que les dispositions sur la mise en accusation des Règles sur les élections selon la coutume sont exhaustives et bien établies, et satisfont aux critères en fonction desquels la jurisprudence ne reconnaît pas d’autres sources, fondées sur le droit coutumier, autorisant cette mesure. Je suis également convaincue que tout est prévu en la matière par ces dispositions.

 

[66]           En outre, aucune preuve ne démontre que les pouvoirs de mise en accusation des aînés font l’objet d’un large consensus parmi les membres de la collectivité. Dans l’affaire Catholique c. Le Conseil de Bande de la Première nation de Lutsel K'e, [2005] A.C.F. n° 1782, 2005 CF 1430 (C.F.), le chef avait pu être destitué hors du cadre énoncé dans le projet de règles écrites de la bande.

 

[67]           Dans la décision Catholique, précitée, mon collègue le juge Richard Mosley a conclu (paragraphe 50) que, selon la coutume de la bande, « la destitution d’un chef et des conseillers devait avoir lieu au moyen d’un large consensus exprimé par la communauté, lors d’un vote tenu pendant une assemblée spéciale ». Il a statué (paragraphes 44 et 45) qu’afin de déterminer la coutume d’une bande à une époque donnée, il fallait tenir compte de « l’opinion de la communauté », en vue d’établir de manière subjective « si les pratiques relatives au choix d’un conseil sont "généralement acceptables" ou font l’objet d’un "large consensus" parmi les membres de la bande ». Les faits dans cette affaire révélaient qu’on avait déjà recouru auparavant au mode de destitution en cause.

 

[68]           En l’espèce, je ne suis pas convaincue que les témoignages par affidavit de Joe, G. Sam, Shutter, York et Toodlican démontrent l’existence d’un large consensus au sein de la collectivité quant aux pouvoirs de mise en accusation dont les aînés seraient investis. Bien que les déposants aient expliqué, ce qui n’est pas contesté, que les aînés ont comme fonction judiciaire coutumière au sein des collectivités Nlaka’pamux d’examiner si les membres ont commis des fautes et d’infliger des sanctions à ceux qui en sont tenus responsables, aucun n’a pu citer le moindre cas dans le passé de mise en accusation d’un conseiller par un comité d’aînés sur le fondement de la justice ancestrale.

 

[69]           Je conclus par conséquent que le CEA n’avait pas compétence pour mettre en accusation des membres anciens ou actuels du conseil de la BIBN.

 

[70]           Reconnaître qu’il n’y a pas un large consensus dans la collectivité quant aux pouvoirs de mise en accusation des aînés, cela n’empêche toutefois pas d’admettre que ceux-ci jouent un rôle actif et important dans l’administration des collectivités Nlaka’pamux. C’est à juste titre qu’on peut dire que, selon toute vraisemblance, un document de cinq pages traitant des élections selon la coutume ne présente pas en détail, de manière exhaustive et exclusive, l’ensemble des coutumes de la BIBN.

 

[71]           Lorsque la codification de toutes les coutumes n’a pu être réalisée, l’analyse formulée par le juge Mosley dans la décision Catholique, précitée, pour déterminer quelle est la coutume d’une bande peut s’avérer fort utile. Il faut ainsi tenir compte de l’« opinion de la communauté » en vue d’établir de manière subjective « si les pratiques relatives au choix d’un conseil sont "généralement acceptables" ou font l’objet d’un "large consensus" parmi les membres de la bande ».

 

[72]           Les témoignages par affidavit de Joe, G. Sam, Shutter, York et Toodlican font voir qu’il y a consensus dans la collectivité quant au rôle coutumier exercé par les aînés dans la BIBN et consistant à formuler des conseils et des recommandations, un rôle essentiel de guides pour lequel les aînés sont révérés. Ce dont on fait état dans ces témoignages est toutefois de l’ordre d’une aptitude à conseiller et à recommander, plutôt que d’un pouvoir de mise en accusation.

 

[73]           En l’occurrence, le rôle coutumier de formulation de conseils et de recommandations joué par les aînés comporte nécessairement une fonction d’enquête et la capacité de faire rapport des conclusions tirées au chef de la BIBN, la capacité de formuler conseils et recommandations ayant sa plus large portée lorsqu’elle comprend celle de faire enquête et de faire rapport.

 

[74]           Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le CEA avait compétence pour faire enquête sur les prétendues fautes des conseillers, avait le droit de tirer les conclusions qui ont été les siennes et pouvait ensuite faire rapport de ces conclusions au conseil de la BIBN.

 

 

2.         Le processus du CEA respectait-il les principes de justice naturelle et d’équité procédurale en faveur des demandeurs?

 

[75]           Les demandeurs soutiennent qu’ils avaient droit au respect en leur faveur des principes de justice naturelle et d’équité procédurale, et que ce droit leur a été dénié. On aurait aussi dû leur accorder le droit d’être entendus, tel qu’il est établi dans Prince, (précitée, paragraphes 39 à 49). Ils avaient en outre comme attente légitime que le CEA ne ferait que présenter des recommandations au chef Moses et au conseil.

 

[76]           Les défendeurs font valoir divers éléments démontrant que le CEA a respecté, dans sa procédure, les principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Ainsi, le CEA a accordé à chaque membre du conseil pendant le mandat de 2004 à 2005 l’occasion de comparaître devant lui et de lui présenter des observations, les membres du CEA ont été choisis parmi les membres de la BIBN et ils n’étaient pas en situation de conflit d’intérêts, le CEA a obtenu des conseils juridiques de source indépendante, le CEA a soumis à examen approfondi l’ensemble de la documentation, et le CEA a présenté des motifs écrits. Le CEA soutient que le processus d’enquête et décisionnel était équitable; on avait ainsi fourni l’occasion aux demandeurs d’être entendus, mais ceux-ci ne s’en étaient pas prévalus. Je suis d’accord, pour les motifs qui vont suivre.

 

[77]           Dans l’arrêt Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, 174 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), la Cour suprême du Canada a souligné que l’obligation d’équité était souple et variable, et son contenu tributaire du contexte particulier de chaque cas. Il faut tenir compte de toutes les circonstances pour décider de la nature de l’obligation d’équité procédurale. Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses. Or il ne fait aucun doute qu’en l’espèce, la gravité des conséquences d’une décision défavorable du CEA rendait nécessaire que les personnes visées aient la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position dans le cadre d’un processus équitable, impartial et ouvert.

 

[78]           Je suis convaincue qu’on a respecté cette norme élevée.

 

[79]           Premièrement, dès le 30 septembre 2008, au moyen d’une note adressée aux conseillers de la BIBN, le chef Moses avisait les conseillers contestés qu’il ferait procéder à l’enquête et que, [traduction] « comme les conséquences de l’enquête pourraient s’avérer fort graves s’il y a eu manquement à une quelconque obligation fiduciaire, ou si les personnes faisant l’objet de l’enquête se sont appropriées ou ont utilisé de manière abusive des fonds de la bande, il est loisible à chacune de ces personnes de retenir les services d’un avocat à ses frais, pour qu’il l’accompagne lors de sa comparution devant la Commission ».

 

[80]           Deuxièmement, la preuve révèle ce qui suit :

a)      Le CEA a informé les conseillers contestés, par lettre transmise le ou vers le 11 février 2009, des résultats de son enquête ainsi que de ses conclusions, leur a fourni copie des conclusions préliminaires et, à l’égard de celles-ci, les a conviés à prendre des dispositions pour comparaître devant lui en vue de lui présenter des éléments de preuve ou des observations.

 

b)      On a averti les conseillers contestés que, s’ils ne prenaient pas les dispositions requises pour comparaître devant le CEA, celui-ci présenterait sans leur participation son rapport final, ses conclusions et ses recommandations quant à des sanctions.

 

c)      Les demandeurs ont, malgré tout, choisi de ne pas communiquer avec le CEA ni de comparaître devant lui.

 

[81]           Malgré l’invitation faite par le CEA et l’avertissement donné, les demandeurs ont choisi de ne pas comparaître devant le CEA. Les demandeurs pourraient alors difficilement prétendre maintenant qu’on ne leur avait pas fourni l’occasion d’être entendus.

 

[82]           Quant à l’argument des demandeurs selon lequel ils avaient pour attente légitime que le CEA n’inflige pas de sanctions, celui-ci soutient qu’aucun témoignage par affidavit ne fait voir que les demandeurs s’attendaient à ce qu’il s’en tienne à des recommandations dans ses conclusions ou que, si les demandeurs avaient su que leur mise en accusation était possible, ils auraient comparu devant lui. De fait, selon le seul témoignage émanant des demandeurs à cet égard, soit celui de Stuart Jackson lors de son contre-interrogatoire, les demandeurs n’ont pas reconnu la légitimité du CEA. Le CEA soutient que M. Jackson n’avait aucune attente quelconque et qu’il n’a tout simplement pas reconnu son processus. Cette fois encore, je suis du même avis que le CEA.

 

[83]           Aucun des demandeurs n’a déclaré dans son affidavit que, s’il avait eu connaissance des activités entreprises par le CEA, il aurait comparu devant lui. Comme l’a souligné le CEA, le seul motif invoqué par les demandeurs dans leurs témoignages pour ne pas avoir comparu devant lui était qu’ils ne reconnaissaient pas la validité de son processus.

 

[84]           En outre, comme cela a déjà été mentionné, les demandeurs ont été avisés dès le 30 septembre 2008 de la gravité des conséquences d’une conclusion de manquement à une obligation fiduciaire.

 

[85]           Plus important encore, chaque demandeur a déclaré, lorsqu’il a prêté serment : [traduction] « Nous démissionnerons de notre poste électif si on conclut que nous avons enfreint les règles sur les élections au sein de la bande ou les Politique et procédures relatives au chef et au conseil ou que nous n’avons pas respecté le présent serment ». Au vu de ce serment, je ne puis admettre la prétention que les demandeurs ne s’attendaient pas à ce que les résultats de l’enquête puissent avoir une grave incidence sur leurs postes de conseillers et qu’ils auraient réagi différemment si seulement ils avaient eu conscience de l’éventualité de leur mise en accusation.

 

[86]           Je désire souligner que, dans l’arrêt Baker (précité, paragraphe 26), la Cour suprême du Canada a formulé comme sage commentaire que la doctrine de l’attente légitime, appliquée au Canada, était « fondée sur le principe que les "circonstances" touchant l’équité procédurale comprennent les promesses ou pratiques habituelles des décideurs administratifs » en matière de procédures, et qu’il serait injuste de la part de ces derniers de « revenir sur des promesses matérielles sans accorder de droits procéduraux importants ». Or, tel n’était manifestement pas la situation en l’espèce.

 

[87]           On n’a ni déclaré ni promis aux demandeurs qu’un processus différent serait engagé, et qu’il leur serait subséquemment fourni l’occasion de présenter des observations.

 

 

3.         Les conclusions du CEA étaient-elles raisonnables?

 

 

[88]           Les demandeurs soutiennent que les conclusions du CEA étaient déraisonnables. Ils se plaignent principalement du processus suivi, mais sans aucunement contester dans le détail sa décision sur le fond.

 

[89]           Selon les demandeurs, la non-conformité à certaines exigences procédurales des règlements et politiques de la BIBN a simplement servi à justifier une conclusion de manquement à une obligation fiduciaire. Pour établir s’il y a eu manquement à une obligation fiduciaire, il s’avère nécessaire toutefois d’examiner des questions de fond, plutôt que de seulement apprécier, comme l’aurait fait le CEA d’après les demandeurs, la conformité à des exigences procédurales.

 

[90]           Les demandeurs soutiennent de plus qu’ils ignoraient totalement l’existence du règlement n° 1 de 1987, puisqu’il ne figurait pas dans leur guide d’orientation des conseillers, et que des parties pertinentes en l’espèce de ce règlement, comme la nécessité de l’adjudication des contrats, étaient devenues désuètes. Également, alors que le CEA s’est dit plusieurs fois inquiet du fait que les chèques de la BIBN avaient été signés par deux conseillers plutôt que par un conseiller et un membre du personnel, cela n’aurait aucune importance, puisqu’en tout état de cause, c’est l’Administration qui prépare les chèques.

 

 

[91]           Les défendeurs soutiennent qu’il était loisible au CEA de tirer les conclusions qui ont été les siennes et que les demandeurs n’ont pas fondamentalement pu contester les faits sur lesquels s’appuyaient ces conclusions. À ce titre, les conclusions du CEA appartiennent aux issues à caractère raisonnable.

 

[92]           Selon les défendeurs, il est difficile de savoir précisément ce que les demandeurs ont voulu dire en déclarant que le CEA n’avait décelé la preuve que d’irrégularités procédurales et n’avait pas fait enquête sur des questions de fond, mais cette déclaration dénote à l’égard des obligations fiduciaires une compréhension gravement erronée du droit. Les défendeurs soutiennent qu’une violation des règles de procédure qui entraîne l’obtention par des conseillers de contrats auxquels ils n’auraient autrement pas droit constitue manifestement un manquement à l’obligation fiduciaire à laquelle tout conseiller est tenu envers le BIBN. Ce qu’on vise principalement à éviter, en effet, c’est que l’élection à un poste de conseiller puisse être considérée comme une occasion de s’enrichir, les intérêts de la BIBN, plutôt, devant primer sur tout.

 

[93]           Le CEA soutient que ses conclusions appartiennent aux issues à caractère raisonnable. Bien que les demandeurs rejettent les violations des Règles sur les élections selon la coutume et des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil, en les qualifiant de non‑conformité à des exigences procédurales, les dispositions en cause sont, en fait, des dispositions de fond destinées à protéger les intérêts de l’ensemble des membres de la BIBN. L’acceptation de contrats par les conseillers contestés, au détriment de la bande, constituait un manquement à leurs obligations fiduciaires. Les conseillers étaient également tenus, de par le serment qu’ils avaient signé, d’observer les lois de la BIBN et de démissionner s’ils étaient reconnus avoir enfreint les politiques et les règles en matière électorale de la BIBN.

 

[94]           Je conclus qu’étaient raisonnables, pour les motifs qui vont suivre, les conclusions du CEA relatives au manquement par les conseillers à leurs obligations fiduciaires.

 

[95]           Il existe un rapport fiduciaire entre les conseillers d’une bande et ses membres, et les conseillers ont l’obligation fiduciaire de gérer les biens de la bande dans le meilleur intérêt des membres (Toney c. Bande de la Première nation d’Annapolis Valley, [2004] A.C.F. n° 2107, 2004 CF 1728 (C.F.)).

 

[96]           Selon le droit régissant les rapports fiduciaires, tel qu’il est mentionné dans la décision Toney (précitée, paragraphe 28), « le fiduciaire a une obligation d’agir avec la plus entière bonne foi dans le meilleur intérêt du bénéficiaire. Il doit également éviter tout conflit d’intérêts ».

 

[97]           Les critères très sévères auxquels la conduite des fiduciaires doit être conforme sont décrits dans l’arrêt Canadian Aero Service Limited c. O’Malley, [1973] A.C.S. n° 97, 40 D.L.R. (3d) 371 (C.S.C.) (pages 381 et 382), comme étant ceux « de loyauté, bonne foi et d’évitement de conflits d’intérêts et d’obligations », et dans l’arrêt Bande indienne de la rivière Blueberry c. Canada (Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1995] A.C.S. n° 99, 130 D.L.R. (4th) 193 (C.S.C.), on déclare (paragraphe 55) : « Un fiduciaire est à tout le moins tenu de respecter les dispositions de l’acte qui lui confère ses pouvoirs et crée la fiducie ».

 

[98]           Le bénéficiaire de l’obligation fiduciaire incombant aux conseillers, c’était l’ensemble des membres de la BIBN.

 

[99]           Conformément à la décision Toney (précitée, paragraphe 29), en vue d’établir si un conseiller, en sa qualité de fiduciaire, s’est bien acquitté de ses obligations, « la question principale qui se pose n’est pas de savoir si ce dernier a été malhonnête ou s’il a agi de façon frauduleuse, mais plutôt s’il a agi dans le meilleur intérêt du bénéficiaire et sans conflit d’intérêts ». Il suffit, par conséquent, de démontrer que le fiduciaire n’a pas agi conformément au meilleur intérêt de la BIBN. À cet égard, je désire souligne que le CEA a pris en compte les critères énoncés dans Toney, précitée, lorsqu’il s’est penché sur la conduite des conseillers.

 

[100]       La BIBN a élaboré des règles, des règlements et des procédures pour s’assurer que les conseillers ne tirent pas d’avantages pécuniaires excessifs du fait de leur élection. Le CEA a pris en compte ces règles, règlements et procédures lorsqu’il a procédé à son enquête; sont reproduits ci-après ceux applicables, notamment, à la contestation fondée sur le fait que les conseillers auraient abusivement, en tant qu’employés ou entrepreneurs, dispensé des services à la BIBN et été rémunérés pour ces services.

 

[101]       L’article 9.1 du règlement n° 1 de 1987 de la BIBN prévoit ce qui suit :

[traduction]

 

9.       Contrats et soumissions

9.1.    Sauf en cas d’urgence ou si le conseil de bande en a ainsi décidé à l’avance, des soumissions sont sollicitées pour tout contrat d’un montant prévu de plus de 1 000 $.

 

 

 

[102]       L’article 1 de la Politique de la BIBN sur les conflits d’intérêts applicable au chef et aux conseillers prévoit ce qui suit :

[traduction]

 

Obligations du chef et des conseillers

 

1. Dans l’exercice de ses pouvoirs et l’exécution de ses fonctions, tout conseiller de la bande

 

a) agit en toute honnêteté et de bonne foi et dans l’intérêt supérieur des membres de la bande;

b) agit avec soin, prudence et compétence tel que le ferait une personne raisonnablement prudente.

 

 

[103]       L’article 20 des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil prévoit ce qui suit :

[traduction]

 

Nul membre du conseil n’occupe un poste administratif rémunéré au sein d’un organisme ou d’un service de la BIBN, sauf s’il y est consenti au moyen d’une décision du conseil approuvée par la collectivité. Malgré ce qui précède, les membres du conseil peuvent conclure des contrats de service professionnel à court terme avec l’Administration, suite à la demande de celle-ci. Ces contrats ne peuvent à aucun moment être d’une durée de plus de deux mois ou d’une valeur de plus de 5 000 $.

 

 

 

[104]       Le serment prêté par les membres du conseil pour le mandat de 2004 à 2007 comportait notamment les dispositions suivantes :

[traduction]

3. Nous ne laisserons pas nos intérêts commerciaux ou personnels influer sur les décisions à prendre et nous agirons toujours dans l’intérêt supérieur de la collectivité.

 

4. Nous observerons les lois de la bande tel qu’elles sont approuvées par le conseil de bande et que les font connaître les assemblées générales et, de manière générale, les aînés, les jeunes et les autres membres de la bande.

 

5. Nous veillerons à préserver et à promouvoir notre culture et nos traditions et à ce que les membres de la bande occupent la place qui leur revient au sein de la société.

 

6. Nous démissionnerons de notre poste électif si on conclut que nous avons enfreint les règles sur les élections au sein de la bande ou les Politique et procédures relatives au chef et au conseil ou que nous n’avons pas respecté le présent serment.

 

 

 

[105]       Les faits révèlent que les conseillers Jackson, Coutlee et Sam ont agi en violation des dispositions qui précèdent, ne s’acquittant pas ainsi des obligations leur incombant en tant que fiduciaires. Au moyen d’un témoignage par affidavit, chacun d’eux a mis ses manquements en contexte, sans jamais toutefois fournir le moindre élément démontrant le caractère déraisonnable des conclusions du CEA.

 

 

[106]       En ce qui concerne l’attribution d’un contrat de travail au conseiller Robert Sterling fils, alors en poste (pas un demandeur), jugé par le CEA comme ayant enfreint l’article 20 des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil, le CEA a conclu que ce contrat en était un à l’égard duquel les conseillers en poste avaient manqué à leurs obligations fiduciaires. Rien dans les témoignages des conseillers Jackson, Coutlee et Sam ne laissait entendre que l’emploi de Robert Sterling fils n’enfreignait pas les règles, règlements et procédures de la BIBN relatifs aux limitations d’emploi pour les conseillers en poste.

 

[107]       Les conseillers Jackson, Coutlee et Sam ont dit dans leurs témoignages par affidavit que Robert Sterling fils était le seul postulant ayant le diplôme requis en archéologie. Lorsqu’il a été contre-interrogé à l’égard de son affidavit, le conseiller Sam a toutefois déclaré qu’il ne se rappelait pas si le poste avait été d’une quelconque façon annoncé; il savait par ailleurs que la durée du contrat était supérieure à deux mois, mais que ce poste n’avait jamais été soumis à un vote à une assemblée générale de la BIBN. Mary June Coutlee a de même déclaré, lorsqu’elle a été contre-interrogée à l’égard de son affidavit, qu’elle savait que le contrat d’emploi de Robert Sterling fils serait d’une durée de plus de deux mois et qu’il n’avait pas été approuvé lors d’une assemblée générale de la BIBN.

 

[108]       Pour ce qui est cette fois de l’attribution d’un contrat de travail au conseiller Stuart Jackson, alors en poste, jugé par le CEA comme ayant enfreint l’article 20 des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil pour avoir accepté un contrat de travail sans qu’il n’ait été approuvé par la collectivité, le CEA a conclu que les conseillers Jackson, Coutlee et Sam avaient manqué à leurs obligations fiduciaires en approuvant l’octroi de ce contrat à un de leurs collègues, conseiller en poste. Tout en contestant les conclusions du CEA sur ce point dans leurs témoignages par affidavit, les conseillers Jackson, Coutlee et Sam n’ont pas expliqué comment le contrat en cause avait été attribué au conseiller Jackson.

 

[109]       Le chef Moses a mentionné dans son troisième affidavit supplémentaire que d’autres membres de la BIBN comptaient davantage d’expérience d’enseignement que le conseiller Jackson et étaient intéressés par le poste en question. Lorsqu’on l’a contre‑interrogé à l’égard de son affidavit, le conseiller Jackson a admis n’avoir jamais occupé de poste administratif dans une école avant de devenir directeur de l’école de la BIBN, et que sa seule expérience dans l’enseignement avait consisté en un stage de huit semaines. Les auteurs des affidavits ont également déclaré que l’embauche du conseiller Jackson comme employé de la BIBN n’avait jamais été approuvée par la collectivité lors d’une assemblée générale de la BIBN, bien qu’on ait su que la durée de l’emploi serait de beaucoup supérieure à deux mois.

 

[110]       Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, l’esprit des règlements pertinents avait été respecté, puisque le conseiller Jackson n’avait pas participé aux discussions du conseil sur son contrat de travail comme directeur d’école par intérim, ni au vote tenu pour approuver ce contrat. On a formulé le juste commentaire suivant, que je fais mien, au paragraphe 33 de la décision Toney, précitée :

 

33     Les garanties procédurales, notamment celle sur laquelle le défendeur s'est appuyé, ont pour objet d'assurer que les fiduciaires ne participent pas à des décisions dans lesquelles ils ont un intérêt personnel. Le fondement du raisonnement est que si le fiduciaire ne participe pas au processus de décision, les autres fiduciaires pourront, sans avoir de parti pris, prendre une décision conforme au mieux des intérêts du bénéficiaire. Là où le bât blesse en l'espèce, c'est que tous les fiduciaires (le défendeur, M. Copage et Mme Toney) pouvaient bénéficier personnellement des contrats. M. Copage et Mme Toney n'avaient peut-être pas un intérêt direct dans le contrat du défendeur, mais c'était dans leur intérêt d'accorder un contrat favorable au défendeur de manière à ce qu'il leur rende la pareille, aux mêmes conditions. Par conséquent, peu importe que le défendeur quitte la pièce pendant qu'on discutait de son contrat, puisque tous les membres du conseil étaient personnellement intéressés. En outre, le défendeur s'est mis directement en situation de conflit d'intérêts quand il a signé la résolution du conseil de bande acceptant et ratifiant son propre contrat d'emploi.

 

 

 

[111]       En ce qui concerne maintenant le conseiller Sam et l’attribution de contrats à son entreprise de pelle rétrocaveuse, bien qu’on ait déclaré dans les témoignages par affidavit fournis par les demandeurs que le conseiller Sam s’était montré prudent en faisant état du conflit d’intérêts personnel mis en cause par les contrats de la BIBN, on y mentionne également que d’autres membres de la BIBN avaient les compétences voulues pour exécuter ces contrats. Le CEA a conclu qu’on avait attribué les contrats sans suivre la procédure régulière, et les demandeurs n’ont présenté aucune preuve venant contredire cette conclusion.

 

[112]       En réplique à l’affirmation des demandeurs qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence du règlement n° 1 de 1987 et que celui-ci était devenu désuet, le chef Moses nous apprend dans son affidavit que la conseillère Coutlee était en poste au moment de l’élaboration du règlement et qu’elle a signé ce texte de loi. Hormis la question de la participation de la conseillère Coutlee, invoquer l’ignorance de ce règlement ne change rien aux faits conférant un caractère raisonnable à la conclusion de violation du règlement, et le maintien en existence de celui-ci me fait voir son but et son utilité.

 

[113]       Les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve pour contester les conclusions du CEA relativement à la conduite de Lorne Sahara, de Shannon Kilroy et de l’ancien chef Arthur Dick. Par conséquent, nulle conclusion du CEA à l’égard de ces personnes n’est contestée.

 

[114]       En fonction d’un contrôle selon la norme de la raisonnabilité, je suis convaincue de l’appartenance des conclusions du CEA aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

 

4.         Les trois résolutions du conseil de bande ont-elles été valablement adoptées?

 

[115]       Les demandeurs soutiennent que même une bande indienne agissant selon ses coutumes est assujettie aux dispositions suivantes du paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens :

 

2(3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

[…]

b) un pouvoir conféré au conseil d’une bande est censé ne pas être exercé à moins de l’être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée.

 

[116]       En vertu de ces dispositions, soulignent les demandeurs, l’exercice des pouvoirs conférés au conseil nécessite l’obtention d’un vote majoritaire lors d’une réunion du conseil dûment convoquée; or les trois RCB en cause n’ont pas émané de pareille réunion. La décision Première Nation Malecite de Viger c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord Canada), [2006] A.C.F. n° 245, 2006 CF 187 (C.F.), vient étayer (au paragraphe 31) l’argument des demandeurs selon lequel même une bande indienne agissant selon ses coutumes est assujettie au paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens.

 

[117]       L’article 28 des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil prévoit que le quorum du conseil est de cinq membres en règle, et l’article 33 que les décisions du conseil doivent être prises par consensus, ou par la majorité du quorum lors du vote tenu après qu’une motion a été proposée et appuyée.

 

[118]       Selon les demandeurs, on a supposé à tort, en adoptant les trois RCB, que le quorum était devenu de trois membres. Le conseil est habituellement constitué d’un chef et de sept conseillers, le quorum étant alors de cinq membres. Quatre des huit membres du nouveau conseil avaient également siégé dans le conseil précédent, à l’endroit duquel le chef Moses souhaitait faire enquête. Un cinquième membre était le fils d’un des conseillers contestés. Selon le chef Moses, cela ne laissait que trois membres du conseil admissibles à voter, soit lui-même et les deux autres membres non en conflit d’intérêts quant aux actions de l’ancien conseil, et ces trois membres constituaient donc le quorum.

 

[119]       Les défendeurs admettent que même le conseil d’une bande indienne agissant selon ses coutumes est assujetti au paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens, mais soutiennent que les dispositions en ont été respectées.

 

[120]       Les RCB du 16 mars 2009 ont été débattues, adoptées et signées lors d’une réunion où étaient présents le chef Moses et Connie Joe. Il n’a pu en être débattu à une réunion rassemblant l’ensemble des conseillers, puisque, mis à part Yvonne Basil, les autres conseillers se trouvaient en conflit d’intérêts vis-à-vis l’élément fondamental des RCB, soit l’adoption des recommandations du CEA. Yvonne Basil était pour part en conflit d’intérêts vis-à-vis le rapport du CEA, parce qu’elle était une partie désignée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Bien que la conseillère Basil ait été absente de la réunion, on lui a donné l’occasion de faire objection par écrit aux RCB dans un délai de sept jours; aucune preuve ne laisse voir toutefois qu’elle a soulevé la moindre objection (paragraphe 3(3) de la Politique sur les conflits d’intérêts).

 

[121]       Faisant valoir le pouvoir conféré au chef par l’alinéa 23e) des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil de prendre des décisions [traduction] « au nom du conseil » lorsque cela est nécessaire pour assurer une saine gestion, les défendeurs soutiennent que les faits de l’espèce justifient que ce pouvoir soit invoqué pour la mise en œuvre des sanctions recommandées par le CEA.

 

[122]       Selon les défendeurs, bien que les demandeurs aient prétendu que les exigences procédurales prévues pour la mise en œuvre de recommandations de mises en accusation devaient être suivies avec rigueur, la Cour fédérale a statué que ce qui justifiait une telle rigueur c’était la protection, non pas du chef ou des conseillers, mais bien plutôt de la bande en général (Première Nation Qualicum c. Recalma-Clutesi, [2006] A.C.F. n° 1097, 2006 CF 854 (C.F.) (paragraphes 36 et 37)).

 

[123]       Quoi qu’il en soit, soutiennent les défendeurs, le paragraphe 2(3) de la Loi sur les Indiens prévoit que les exigences procédurales en cause s’appliquent uniquement « [s]auf indication contraire du contexte ». À ce titre, selon les défendeurs, les exigences procédurales ne reçoivent pas strictement application dans le contexte unique qui nous occupe. La situation en l’espèce serait exceptionnelle du fait que des conseillers en poste ont été jugés comme ayant enfreint les lois et politiques de la BIBN et manqué à leurs obligations fiduciaires. Les conseillers en poste refusent toutefois de se déclarer en situation inhérente de conflit d’intérêts en regard de la mise en œuvre des conclusions du CEA, bien que celles-ci ne soient pas contestées pour l’essentiel. Il est impossible pour le chef et le conseil d’adopter une RCB qui mette en œuvre les recommandations en se conformant aux exigences procédurales, si celles-ci sont interprétées restrictivement, puisque les conseillers en poste qui ont fait l’objet d’une mise en accusation constituent la majorité. Il est justifié dans ce contexte, d’après les défendeurs, de déroger de façon raisonnable à l’application stricte des exigences procédurales. Bien qu’entachées de lacunes au plan technique, les RCB devraient ainsi être reconnues valables.

 

[124]       Je ne partage pas l’avis des défendeurs, pour les motifs qui suivent.

 

 

[125]       Selon moi, il n’y a pas eu exercice valide en l’espèce du pouvoir conféré au chef par l’alinéa 23e) des Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil de prendre des décisions [traduction] « au nom du conseil » lorsque cela est nécessaire pour assurer une saine gestion. Tout d’abord, l’adoption de chacune des trois RCB reposait sur l’hypothèse de mises en accusation valides. Or, j’ai conclu que le CEA avait compétence pour faire enquête et tirer les conclusions qui ont été les siennes, mais pas compétence pour mettre en accusation. L’adoption de RCB se fondant sur la reconnaissance de mises en accusation qui ont résulté d’un processus vicié ne constitue pas un exercice valide du pouvoir prévu à l’alinéa 23e). Je désire toutefois reconnaître que le chef Moses était animé des meilleures intentions et qu’il a tenté de bonne foi de régler la situation très grave et exceptionnelle qui se présentait à lui en tant que chef de l’ensemble de la BIBN.

 

 

[126]       Les RCB étaient en outre lacunaires au plan technique. En procédant à l’adoption des RCB au moyen de notes, le chef Moses a en fait créé une procédure d’adoption distincte de la procédure régulière nécessitant la tenue d’un vote. Il a effectué cette modification de manière unilatérale. Comme l’ont souligné les demandeurs, et je suis du même avis, on ne peut dire que ces RCB ont émané d’une réunion dûment convoquée. C’est là le résultat d’une situation unique : le chef Moses ne pouvait soumettre les RCB au quorum requis des membres du conseil, puisque les conseillers contestés ne pouvaient servir à constituer un quorum aux fins d’un vote sur des questions liées à leurs propres fautes.

 

[127]       Les trois RCB datées du 16 mars 2009 n’ont donc pas été valablement adoptées.

 

5.         Les démissions des conseillers ont-elles été valablement acceptées?

 

 

[128]       À l’article 6 du serment fait par chaque conseiller une fois élu au conseil de la BIBN, il est prévu : [traduction] « Nous démissionnerons de notre poste électif si on conclut que nous avons enfreint les Règles sur les élections au sein de la bande ou les Politique et procédures relatives au chef et au conseil ou que nous n’avons pas respecté le présent serment ». Cela signifie, selon les défendeurs, qui invoquent Première Nation d’Ermineskin c. Minde, [2008] A.C.F. n° 203, 2008 CAF 52 (C.A.F.), que le chef Moses pouvait présumer que les conseillers avaient démissionné une fois qu’on avait conclu qu’ils avaient enfreint ces Politique et procédures ou qu’ils n’avaient pas respecté le serment.

 

[129]       Les demandeurs déclarent pour leur part qu’aucune démission n’a jamais été présentée.

 

[130]       Dans l’arrêt Minde, précité, la Cour d’appel a statué (au paragraphe 51) que le Conseil des anciens en cause pouvait présumer que la charge du chef était devenue vacante lorsqu’on avait conclu que celui-ci avait enfreint les lois de la bande et avait manqué à ses obligations fiduciaires en détournant des fonds de la bande. Le chef avait reconnu que sa charge deviendrait vacante advenant une telle conclusion; la Cour d’appel a statué qu’une entente de cette nature ne servait pas des fins purement protocolaires, et qu’il n’y avait pas lieu de faire abstraction de la promesse du chef de démissionner.

 

[131]       À mon avis, il ressort clairement à l’article 6 du serment que, si on concluait que les conseillers prêtant serment avaient enfreint les Règles sur les élections selon la coutume ou les Politique et lignes directrices relatives au chef et au conseil, ou qu’ils n’avaient pas respecté le serment même, ils devraient être considérés comme ayant démissionné. Or j’ai admis, et jugé raisonnables, les conclusions du CEA selon lesquelles les conseillers contestés avaient enfreint les règles, politiques et procédures applicables.

 

[132]       Le chef de la BIBN dispose du pouvoir, en vertu de l’alinéa 23e) des Politique et procédures relatives au chef et au conseil de [traduction] « prendre des décisions au nom du conseil lorsque cela est nécessaire pour assurer une saine gestion ». À mon avis, l’alinéa 23e) confère au chef Moses le pouvoir d’accepter les démissions rendues nécessaires par l’article 6 du serment. Ces circonstances particulières, si on y ajoute la force d’un serment signé par chaque conseiller en présence de quatre aînés, permettaient l’acceptation des démissions par le chef Moses.

 

 

6.         Y a-t-il prescription de la contestation par les demandeurs du financement du CEA?

 

 

[133]       J’estime, pour les motifs qui vont suivre, qu’il y a prescription de la contestation par les demandeurs du financement du CEA.

 

[134]       Le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, qui traite du délai de présentation des demandes de contrôle judiciaire, prévoit ce qui suit :

 

Délai de présentation

 

18.1 (2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

 

[135]       Les défendeurs font remarquer à juste titre que le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales requiert le dépôt des demandes de contrôle judiciaire dans les 30 jours qui suivent la communication d’une décision et que, les demandeurs ayant déposé leur avis de demande le 10 mars 2009, seules les décisions rendues dans les 30 jours ayant précédé cette date pourraient faire l’objet d’un contrôle judiciaire. J’ajouterais qu’en utilisant le 16 avril 2009, la date du dépôt de l’avis de demande modifié, comme date étalon aux fins du calcul de la période antérieure de 30 jours, les demandeurs ne pourraient soutenir qu’ils ne sont pas hors délai.

 

[136]       Il s’agit donc maintenant de savoir si c’est en vertu des dispositions du mandat que la BIBN a financé le CEA, et à quelle date la décision de financer a été prise et communiquée aux demandeurs.

 

[137]       Les demandeurs ont bien déclaré, mais pas en lien avec la présente question, que [traduction] « les détails sur les paiements versés au CEA et mentionnés dans [la décision sur le financement, laquelle fait l’objet du présent contrôle] n’ont pas encore été communiqués aux demandeurs ». Obtenir des détails sur le financement, c’est toutefois tout autre chose que de prendre connaissance de la décision de financer, et c’est cette dernière décision qui importe pour se prononcer en l’espèce sur le respect des délais.

 

[138]       Les demandeurs ont su au moins à compter du 22 octobre 2008 que la BIBN assurerait le financement du CEA. C’était là la date de délivrance du mandat, lequel prévoyait que la BIBN acquitterait les honoraires des membres de la formation du CEA et ceux des avocats qui les assisteraient.

 

[139]       C’est toutefois avant cette date, soit le 14 octobre 2008, que le conseil d’alors a adopté la motion n° 5, laquelle exprimait sa non-acceptation du CEA et sa volonté [traduction] « que l’"enquête" prenne fin le 14 octobre 2008 et qu’aucune dépense ne soit engagée pour cette initiative avant qu’il n’en soit discuté lors d’une réunion spéciale du conseil […] ». L’adoption d’une motion pour mettre fin à l’initiative du CEA, c’est une chose, mais que les conseillers aient traité expressément de financement, cela suppose qu’ils savaient que la BIBN était derrière ce financement. Il aurait été illogique que le conseil traite expressément de financement sans savoir que la BIBN en était la source.

 

[140]       Quoi qu’il en soit, il est évident que les demandeurs avaient connaissance dès le 14 octobre 2008 du financement, aux fins de l’établissement de la date de communication de la décision, sinon dès le 22 octobre 2008, soit la date à laquelle le mandat révélait l’intention de faire financer le CEA par la BIBN.

 

[141]       Les défendeurs signalent à juste titre que les demandeurs n’ont présenté aucune preuve révélant la prise d’autres décisions de financement du CEA après le 28 novembre 2008, soit la date flottante mentionnée par les demandeurs lorsqu’ils ont formulé la question liée au financement devant faire l’objet d’examen.

 

[142]       Comme c’est la communication de la décision de financement par la BIBN, et non la communication de détails sur les sommes à verser, qui importe en l’espèce, j’estime comme les défendeurs, en fonction de la date de communication de cette décision, qu’il y a prescription de la contestation par les demandeurs du financement du CEA.

 

CONCLUSION

[143]       Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

 

[144]       Même si le CEA a bien comme rôle de dispenser des conseils et de faire enquête et que ses conclusions et recommandations sont ainsi valables, il n’exerce pas en matière de mise en accusation une fonction décisionnelle prévue par les Règles sur les élections selon la coutume et exprimée dans son mandat. La mise en accusation des conseillers par le CEA est par conséquent invalide.

 

[145]       En outre, comme cela a déjà été mentionné, l’adoption des trois RCB du 16 mars 2009 s’appuyait sur des mises en accusation invalides, et résultait d’un processus vicié. Les trois RCB doivent par conséquent être annulées.

 

[146]       J’ai admis les conclusions du CEA, puis ai décidé que les conseillers étaient réputés avoir démissionné et que leurs démissions pouvaient valablement être acceptées par le chef Moses; il demeure à trancher des questions liées aux trois RCB du 16 mars 2009. J’examinerai maintenant la mesure de redressement appropriée, qui puisse exprimer un large consensus au sein de la collectivité, étant donné la situation unique où se trouvent les parties.

 

[147]       L’avocat des demandeurs a suggéré comme solution la tenue de votes lors d’une assemblée générale des membres de la BIBN convoquée en vue de l’adoption de motions générales de la bande expriment la volonté de l’électorat. Les assemblées générales de la bande peuvent toutefois être source de différends et de discorde. L’avocat du CEA a averti que renvoyer des questions aussi difficiles à l’ensemble des membres de la BIBN en vue d’un vote public à une assemblée de la collectivité n’était pas souhaitable pour divers motifs, comme le fait que des membres de la BIBN vivent hors réserve et que leur participation serait donc difficile, et que d’autres membres sont intimidés dans un tel cadre, l’ensemble de la collectivité pouvant voir comment vote chacun de ses membres.

 

[148]       Comme l’a suggéré l’avocat du CEA à titre de possible redressement, je conclus que la meilleure solution consiste en la tenue par la BIBN d’un référendum portant sur les questions restant à trancher. Cela serait préférable à la tenue d’un vote public lors d’une assemblée de la collectivité, et serait conforme aux souhaits du CEA.

 

[149]       Les trois RCB du 16 mars 2009 sont par les présentes déclarées invalides. Les questions demeurant à trancher en regard des RCB sont renvoyées au chef Moses et à la collectivité de la BIBN pour qu’elles fassent l’objet d’un vote par référendum.

 

LES DÉPENS

[150]       Les demandeurs demandent que soit reporté à une prochaine audience le règlement de la question des dépens, une fois rendue une décision dans la présente affaire. Les demandeurs soutiennent qu’ils devraient obtenir la pleine indemnisation de leurs frais de justice si leur demande devait être couronnée de succès, comme il serait injuste qu’ils n’obtiennent qu’une indemnisation partielle alors que le chef Moses serait pleinement indemnisé pour avoir prétendu unilatéralement au droit d’agir au nom du conseil de la BIBN, et que le CEA réclamerait une pleine indemnisation en vertu des dispositions sur l’indemnisation de son mandat.

 

[151]       Dans l’action connexe abandonnée devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique, celle-ci a déclaré que la Cour fédérale devait trancher la question des dépens afférents à l’instance en Colombie-Britannique.

 

[152]       Les défendeurs appuient la demande des demandeurs quant au règlement de la question des dépens après le prononcé d’une décision sur le fond dans la présente affaire. Ils s’attendent à soulever des points importants relativement aux dépens.

 

[153]       La question des dépens sera par conséquent tranchée lors d’une audience sur le sujet devant être tenue à une date fixée par l’Administration.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie.

2.                  Les conclusions et recommandations du CEA sont admises et elles sont jugées être raisonnables.

3.                  La mise en accusation par le CEA des conseillers contestés est déclarée invalide.

4.                  Les démissions des conseillers ont été valablement acceptées par le chef Moses.

5.                  Les trois RCB du 16 décembre 2009 sont déclarées invalides.

6.                  Les questions demeurant à régler en regard des RCB sont renvoyées au chef Moses et à la collectivité de la BIBN pour qu’elles fassent l’objet d’un vote par référendum.

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-394-09

 

INTITULÉ :                                       LA CONSEILLÈRE YVONNE BASIL, LA CONSEILLÈRE MARY JUNE COUTLEE, LE CONSEILLER STUART JACKSON, L’ANCIENNE CONSEIILLÈRE SHANNON KILROY, L’ANCIEN CONSEILLER LORNE SAHARA, LE CONSEILLER AARON SAM et LE CONSEILLER CLYDE SAM

                                                            c.

LE CHEF DONALD CYRIL MOSES, LE COMITÉ D’ENQUÊTE DES AÎNÉS CENSÉMENT DE LA BANDE INDIENNE DE LA BASSE NICOLA et LE

CONSEIL DE LA BANDE INDIENNE DE LA BASSE NICOLA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LES 23 ET 24 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 22 JUILLET 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Drayton

 

POUR LES DEMANDEURS

Joseph C. McArthur

 

POUR LES DÉFENDEURS

(le chef Donald Cyril Moses et le conseil

de la bande indienne de la basse Nicola)

 

 

F. Matthew Kirchner

 

POUR LE DÉFENDEUR

(le comité d’enquête des aînés)

 

 

 

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gibraltar Law Group

Kamloops (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

Blake, Cassels & Graydon

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

(le chef Donald Cyril Moses et le conseil

de la bande indienne de la basse Nicola)

 

 

Ratcliff & Company

Vancouver Nord

(Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

(le comité d’enquête des aînés)

 

 

 

 

 

 

 

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