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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20090721

Dossier : T-1369-08

Référence : 2009 CF 739

Ottawa (Ontario), le 21 juillet 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

WHITEWATER GOLF CLUB INC.

requérante

et

 

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

intimé

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Par ordonnance rendue ex parte à Ottawa (Ontario) le 24 juillet 2008, sous le régime du paragraphe 231.2(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch.1 (5suppl.) (LIR), et du paragraphe 289(3) de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C., 1985, ch. E-15 (LTA), j’ai autorisé le ministre du Revenu national (le ministre) à exiger de la requérante, Whitewater Golf Club Inc. (Whitewater), de lui fournir certains renseignements et documents relatifs à un groupe de personnes non désignées nommément (l’autorisation).

[2]               Les renseignements demandés se rapportent aux années d’imposition de Whitewater couvrant la période du 30 novembre 2003 au 30 novembre 2005 et comprennent : le nom et l’adresse des personnes ou sociétés auxquelles Whitewater a fourni des produits ou services; les journaux des ventes, factures et autres pièces justificatives; tous les documents comptables en sa possession ou à sa disposition relatifs aux sommes qu’elle a reçues de la vente de produits ou services; toute la documentation relative aux sommes qu’elle a reçues de la vente de produits ou services à des clients (membres), notamment les relevés et livrets de dépôts bancaires et les registres relatifs aux sommes reçues des clients (membres).

 

[3]               L’autorisation et l’avis à l’intimée ont été signifiés au représentant de Whitewater le 31 juillet 2008.  Je suis à présent saisi d’une requête en révision fondée sur les paragraphes 231.2(5) et (6) de la LIR et 289(5) de la LTA. Whitewater cherche en outre à obtenir une ordonnance rejetant la requête introductive d’instance déposée par le ministre (T‑1099-08). Pour les motifs exposés ci‑après, la requête en révision sera rejetée.

 

[4]               Le système fiscal canadien est fondé sur le principe de l'auto‑déclaration et de l'auto‑cotisation (R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627) (McKinlay Tranport). Toutefois, la loi investit le ministre d’importants pouvoirs visant à lui permettre de détecter les contraventions et de prendre des mesures correctrices.  Il convient à ce propos d’indiquer que le degré de respect de la vie privée auquel les contribuables peuvent s’attendre en ce qui concerne les registres commerciaux pertinents pour l’établissement de leur assujettissement à l’impôt est peu élevé : McKinlay Transport, précité, et Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), [2008] 2 R.C.S. 643 (Redeemer), par. 25.

 

[5]               Les pouvoirs du ministre comprennent des pouvoirs de contrainte l’habilitant à exiger la production de renseignements jugés nécessaires à l’accomplissement du mandat ministériel. L’un de ces pouvoirs est énoncé au paragraphe 231.2(1) de la LIR, et il permet au ministre, dans certaines circonstances, d’exiger des renseignements concernant des personnes non désignées nommément, à la condition d’y avoir préalablement été autorisé par un juge (la définition de juge énoncée à l’article 231 prévoyant qu’il s’agit d’un juge de la Cour fédérale ou d’un juge de la cour supérieure de la province ou du territoire où l’affaire prend naissance). Voici le texte de cette disposition :

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), […] par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), […] by notice served personally or by registered or certified mail, require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

 

 

[6]               Le paragraphe 231.2(2) s’applique lorsque le ministre veut vérifier si une catégorie identifiable de personnes se conforme à la LIR et que des renseignements pertinents pour cette opération sont accessibles à des personnes qui ne sont pas légalement tenues de les lui fournir dans leurs déclarations de renseignements ou lors d’examens par le ministre de leur situation fiscale. Voici le texte de cette disposition :

231.2 (2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

 

231.2 (2) The Minister shall not impose on any person (in this section referred to as a “third party”) a requirement under subsection 231.2(1) to provide information or any document relating to one or more unnamed persons unless the Minister first obtains the authorization of a judge under subsection 231.2(3).

 

 

[7]               La procédure applicable en matière d’obtention par le ministre de l’autorisation judiciaire visant la fourniture de renseignements concernant des personnes non désignées nommément est prévue aux paragraphes 231.2(3) à (6). Si le ministre obtient l’autorisation demandée et y donne suite, le tiers peut demander au même juge ou à un juge du même tribunal la révision de l’autorisation.  La révision peut donner lieu à l’annulation, la modification ou la confirmation de l’autorisation.  Les paragraphes 231.2(3) à (6) sont ainsi libellés :

231.2 (3) Sur requête ex parte du ministre, un juge peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

 

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

 

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi.

 

(4) L’autorisation accordée en vertu du paragraphe (3) doit être jointe à l’avis visé au paragraphe (1).

 

 

 

(5) Le tiers à qui un avis est signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1) peut, dans les 15 jours suivant la date de signification ou d’envoi, demander au juge qui a accordé l’autorisation prévue au paragraphe (3) ou, en cas d’incapacité de ce juge, à un autre juge du même tribunal de réviser l’autorisation.

 

 

(6) À l’audition de la requête prévue au paragraphe (5), le juge peut annuler l’autorisation accordée antérieurement s’il n’est pas convaincu de l’existence des conditions prévues aux alinéas (3)a) et b). Il peut la confirmer ou la modifier s’il est convaincu de leur existence.

 

231.2 (3) On ex parte application by the Minister, a judge may, subject to such conditions as the judge considers appropriate, authorize the Minister to impose on a third party a requirement under subsection 231.2(1) relating to an unnamed person or more than one unnamed person (in this section referred to as the “group”) where the judge is satisfied by information on oath that

 

 

(a) the person or group is ascertainable; and

 

(b) the requirement is made to verify compliance by the person or persons in the group with any duty or obligation under this Act.

 

 

 

(4) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), it shall be served together with the notice referred to in subsection 231.2(1).

 

(5) Where an authorization is granted under subsection 231.2(3), a third party on whom a notice is served under subsection 231.2(1) may, within 15 days after the service of the notice, apply to the judge who granted the authorization or, where the judge is unable to act, to another judge of the same court for a review of the authorization.

 

(6) On hearing an application under subsection 231.2(5), a judge may cancel the authorization previously granted if the judge is not then satisfied that the conditions in paragraphs 231.2(3)(a) and 231.2(3)(b) have been met and the judge may confirm or vary the authorization if the judge is satisfied that those conditions have been met.

 

 

[8]               Il s’agit de déterminer en l’espèce si le ministre satisfait à la deuxième condition énoncée au paragraphe 231.2(3) de la LIR, selon laquelle la fourniture doit être « exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi ». La requérante soutient que le ministre lui a demandé de communiquer le nom de ses membres collectifs dans le cadre de la vérification de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) la concernant et non pour vérifier si ces personnes se conformaient à la LIR ou à la LTA. Elle ajoute que la requête ex parte du ministre n’alléguait pas tous les faits et éléments de preuve substantiels fondant la requête.

 

[9]               Dans le cadre de la vérification complète du respect des obligations de la requérante au titre de l’impôt sur le revenu et de la TPS/TVH effectuée par l’ARC, celle‑ci a demandé copie des états financiers, plus précisément des documents de travail du comptable, ainsi que copie des livres et registres électroniques de Whitewater. Au cours des mois de décembre 2006 et janvier 2007, l’avocat de la requérante a informé l’ARC par lettres que sa cliente ne fournirait que des copies papier des documents demandés parce que le nom de membres de Whitewater figurait dans les documents électroniques. Au mois de novembre 2007, l’avocat du ministre, M. MacPhee, a transmis à celui de la requérante une lettre indiquant qu’il avait [traduction] « parlé à [s]a cliente à ce propos, laquelle lui avait confirmé que Whitewater Golf Club Inc. était la seule personne visée par la vérification et que les documents demandés étaient nécessaires pour mener à bien cette vérification ».

 

[10]           Quoi qu’il en soit, le ministre reconnaît que l’ARC a quelque peu modifié sa position concernant la façon de procéder dans ce dossier depuis le moment où la demande de renseignements a été faite. Bien que l’ARC ait d’abord considéré que le nom des membres ne servirait qu’à la vérification relative à Whitewater, elle a changé sa position par la suite et elle a affirmé à la Cour que les personnes non désignées nommément auxquelles la demande de renseignements se rapportait feraient également l’objet d’une vérification visant la conformité à la LIR et à la LTA. Ce changement d’orientation est clairement décrit dans la requête introductive d’instance déposée par le ministre (T-1099-08).

 

[11]           La requérante soutient que cette affirmation du ministre n’est pas faite de bonne foi, et que cette position a été arrêtée à la seule fin d’assurer la conformité de la demande aux conditions d’obtention de l’autorisation prescrites par la LIR, ce qui contrevient à l’obligation du ministre de faire preuve de bonne foi et d’exercer ses pouvoirs de vérification de façon judicieuse : M.R.N. c. Chambre immobilière du Grand Montréal, 2007 CAF 346, [2007] A.C.F. no 1477, par. 48).

 

[12]           Le ministre fait valoir qu’au début du processus l’ARC a pris connaissance des « commentaires du vérificateur » formulant des recommandations sur l’orientation que devrait prendre la vérification. Compte tenu de ces commentaires et de l’examen de la question par l’ARC, il a été décidé que l’opération viserait également à vérifier le respect par les membres collectifs de Whitewater des limites applicables à la déduction des frais d’adhésion.

 

[13]           La requérante a néanmoins ajouté que les commentaires du vérificateur, bien qu’il en ait été fait état dans l’affidavit souscrit le 21 mai 2008 par Mme Mary Davies au soutien de la requête ex  parte initiale du ministre, n’ont jamais fait partie des pièces déposées et qu’en conséquence le ministre n’a pas communiqué tous les faits et éléments de preuve substantiels fondant sa requête.

 

[14]           J’ai déjà indiqué quels étaient les motifs de révision d’une autorisation accordée sous le régime des paragraphes 231.2(3) de la LIR et 289(3) de la LTA. La Cour n’annulera ou ne modifiera l’autorisation que si elle n’est pas convaincue que les conditions énoncées aux alinéas 231.2(3)a) et 231.2(3)b) ont été respectées.

 

[15]           La Cour suprême du Canada a en outre confirmé, au par. 27 du récent arrêt Redeemer, que :

... si le programme de bienfaisance d’un organisme n’est pas valide, tant l’organisme que tous ses donateurs qui réclament un crédit d’impôt contreviennent à la loi.  L’ARC a donc un intérêt légitime à enquêter sur chacun d’eux.  Il en serait de même de toute autre relation impliquant un traitement fiscal réciproque.

 

[16]           L’autorisation en cause sera confirmée, la Cour étant convaincue que le ministre a exigé de bonne foi les documents dans le but de vérifier si les membres de Whitewater Golf Club respectaient les devoirs et obligations prévus par la LIR. De plus, la requérante n’a invoqué aucun motif convaincant justifiant de modifier l’autorisation et je ne vois aucune raison logique de restreindre aujourd’hui la fourniture des documents aux membres collectifs étant donné que les membres individuels aussi peuvent avoir réclamé des déductions ou remboursements de TPS non admissibles.

 

[17]           La requérante n’a présenté aucun élément de preuve objectif à l’appui de son allégation de mauvaise foi. Le changement de position du ministre étendant la vérification aux membres de Whitewater, dont découle la requête pour autorisation en cause, n’est pas suffisant en soi pour justifier l’annulation de l’autorisation. D’ailleurs, ce changement de position a été clairement exposé dans les documents produits à l’appui de la requête ex parte. La présente situation correspond précisément à la relation impliquant un traitement fiscal réciproque dont il est question dans Redeemer. Le ministre semble selon moi avoir opté pour la démarche la plus prudente consistant à demander une autorisation judiciaire et avoir suivi en cela la recommandation faite antérieurement par l’avocat de la requérante.

 

[18]           En conclusion, l’argumentation de la requérante selon laquelle le ministre n’a pas communiqué les documents indiquant que la vérification ne visait pas les membres de Whitewater est mal fondée juridiquement et rationnellement.  De plus, la LIR n’énonce aucune exigence concernant la nature des éléments de preuve à présenter à l’appui d’une requête ex parte pour autorisation. Il n’était certainement pas obligatoire de produire des documents protégés avec l’affidavit de Mary Davies. Les seules conditions applicables sont celles qui sont énoncées aux alinéas 231.2(3)a) et b) de la LIR. Encore une fois, il a été établi à la satisfaction de la Cour que le ministre a exigé les documents pour vérifier le respect des dispositions de l’alinéa 18(1)l) de la LIR par les membres. À l’audition de la présente requête, l’avocat du ministre a fait état d’autres raisons valables de procéder à une vérification, se rapportant notamment aux remboursements de TPS. Enfin, les registres des membres existent et la requérante ne peut simplement refuser de les fournir au motif qu’elle n’est pas légalement tenue de les constituer.

 

[19]           La requête de Whitewater sera rejetée et l’autorisation confirmée, le tout avec dépens en faveur de l’intimé.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la requête en révision de l’autorisation est rejetée avec dépens en faveur de l’intimé.

 

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   T-1369-08

 

INTITULÉ :                                                  WHITEWATER GOLF CLUB INC. c. LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

                                                                                                                       

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 17 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Harris                                                 POUR LA REQUÉRANTE

807-623-1100

 

Ronald MacPhee                                             POUR L’INTIMÉ

613-957-8482

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MacIvor Harris Roddy                                    POUR LA REQUÉRANTE

Thunder Bay (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                            POUR L’INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

 

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