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Federal Court

 

Cour fédérale

 


 

Date : 20090715

Dossier : IMM-2602-09

Référence : 2009 CF 722

Vancouver (Colombie-Britannique), le 15 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

BORHAN GHAHREMANI et

FATEME SOLTANI OVANDI

Demandeurs

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les demandeurs, un couple marié, doivent être renvoyés dans leur terre natale, l’Iran, plus tard ce mois-ci. Ils sollicitent à la Cour le sursis de ce renvoi.

 

[2]               Leur revendication du statut de réfugié ou de la protection du Canada par un autre moyen a été rejetée en 2006. Plus récemment, leur examen des risques avant renvoi (ERAR) a aussi donné lieu à une décision favorable. Ils ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision à la Cour. Compte tenu des délais prévus dans les Règles, l’autorisation sera accordée ou refusée dans un mois.  

 

[3]               On ne peut ignorer une date cruciale en l’espèce : le 12 juin 2009. Lors de cette journée, une élection générale a eu lieu en Iran. Il s’agit d’un fait notoire, non contesté par le ministre, que de nombreux Iraniens ne croient pas que le président sortant, Mahmoud Ahmadinejad, ait réellement gagné cette élection. Il y a eu des manifestations dans les rues à l’échelle du pays; celles-ci ont été réprimées avec une grande violence. Bon nombre de manifestants ont été tués, battus ou arrêtés. Il est difficile de savoir exactement ce qui se passe, en raison des sévères restrictions à la liberté de la presse. Le gouvernement du Canada a blâmé l’Iran et annulé l’invitation des diplomates iraniens à la Fête du Canada. Les citoyens iraniens qui travaillaient à l’ambassade britannique à Téhéran ont été arrêtés. Certains ont été remis en liberté; le mystère plane sur le sort des autres. La Grande‑Bretagne a été accusée d’activités subversives.

 

[4]               Par contre, le Canada n’a pas décrété de moratoire sur le retour en Iran des demandeurs d’asiles déboutés jusqu’à ce que la situation actuelle puisse être clarifiée, d’où la requête à la Cour en sursis du renvoi, en attendant que soit tranchée la demande sous-jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire.

 

[5]               Le sursis est une réparation discrétionnaire. Il incombe aux demandeurs de convaincre la Cour que la demande sous-jacente soulève une une question sérieuse, qu’un préjudice irréparable leur serait causé et que la prépondérance des inconvénients joue en leur faveur : Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), 6 Imm. L.R. (2d) 123; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Le critère est conjonctif.

 

[6]               Selon l’arrêt RJR-MacDonald, la question sérieuse dont il est question en l’espèce est de savoir si la requête en sursis est frivole et vexatoire. Ce critère est moins contraignant que celui consistant à déterminer si la cause au sujet de laquelle une demande d’autorisation est demandée est défendable, et beaucoup moins contraignant qu’une décision sur le fond, fondée sur la prépondérance de la preuve.

 

[7]               D’après les autorités canadiennes, M. Ghahremani est un menteur. Le motif pour lequel le couple demande le statut de réfugié sur place est que M. Ghahremani travaillait comme électricien dans une centrale nucléaire secrète, est entré au Canada avec un visa de visiteur lorsque son père est décédé ici et, à la suite d’une série de mésaventures, cette information a été divulguée, ce qui pourrait conduire à sa persécution s’il devait être renvoyé en Iran.

 

[8]               Le tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que toute cette histoire avait été fabriquée à partir d’informations qui étaient accessibles au public. Cependant, il est vrai que le demandeur a été interrogé deux fois par le SCRS. La SPR n’a pas tenu compte de la question de savoir si ce fait pourrait mettre M. Ghahrmani en danger à son retour en Iran, cela a donc été traité comme une question nouvelle dans l’ERAR, tout comme l’était sa récente opposition au régime iranien actuel.

 

[9]               Bien que l’agent d’ERAR ait reconnu que les Iraniens de retour au pays pourraient être interrogés, même de manière brutale, il n’a pas cru nécessaire que M. Ghahremani fasse mention de ses rapports avec le SCRS ou de sa présente opposition au gouvernement en place. En d’autres mots, l’agent d’ERAR a encouragé M. Ghahremani à mentir si on lui pose des questions. Il ne croyait pas que le demandeur serait traité de façon brutale.

 

Question sérieuse

[10]           Il n’est certainement pas frivole ou vexatoire de prétendre que les conclusions de l’agent d’ERAR étaient hautement conjecturales. Dans l’arrêt Boyer c. The King (1948), 94 C.C.C. 195, l’accusé a été condamné pour infraction à la Loi sur les secrets officiels du Canada, même si l’information qu’il avait révélée était, à ses dires, du domaine public. La question n’est pas de déterminer si les fonctionnaires canadiens considèrent que M. Ghahremani est un menteur, mais plutôt comment il sera considéré en Iran.

 

Préjudice irréparable

[11]           Même en faisant abstraction des troubles actuels en Iran, si on peut soutenir que la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire a été rendue sur le fondement de conclusions de faits erronées, il n’y a pas de doute que les demandeurs font face à une sérieuse possibilité de préjudice irréparable, de persécution, de peines inusitées, de torture et peut-être même de mort.

 

[12]           De plus, si les demandeurs sont renvoyés maintenant, leur demande de contrôle judiciaire devient caduque, compte tenu du récent arrêt Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 171, 2009 A.C.F. no 691, de la Cour d’appel fédérale. Il serait trop conjectural de concevoir que la Cour utiliserait néanmoins son pouvoir discrétionnaire afin d’instruire la demande de contrôle judiciaire sur le fond.

 

Prépondérance des inconvénients

[13]           La prépondérance des inconvénients joue nettement en faveur des demandeurs. Non seulement une grande incertitude règne-t-elle sur la situation actuelle en Iran, mais la demande d’autorisation sera, selon toute vraisemblance, tranchée d’ici un mois. De plus, l’avocat a avisé la Cour que des efforts seront déployés afin de renvoyer d’une façon ou d’une autre la présente affaire à un nouveau décideur, que ce soit par le biais d’un nouvel ERAR ou par une demande CH accélérée.


ORDONNANCE

 

VU LA REQUÊTE en sursis du renvoi des demandeurs en Iran, présentement prévu pour le 31 juillet 2009, en attendant que soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision défavorable de l’agent d’évaluation des risques avant renvoi rendue le 26 février 2009;

 

LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie. Il est par conséquent sursis au renvoi des demandeurs.  

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2602-09

 

INTITULÉ :                                       BORHAN GHAHREMANI et al. c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 juillet 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Harrington

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 15 juillet 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shepherd I. Moss

 

POUR LES DEMANDEURS

Caroline Christiaens

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Shepherd I. Moss

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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