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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20090709

Dossier : T-587-08

Référence : 2009 CF 709

Ottawa (Ontario), le 9 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Max M. Teitelbaum

 

ENTRE :

SHAMS RIYAD CHOWDHURY

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la Loi fédérale), du paragraphe 14(5) de la Loi sur la Citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi) et de l’alinéa 300c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), à l’encontre de la décision (la décision) datée du 15 février 2008 par laquelle une juge de la citoyenneté (la juge) a rejeté la demande de citoyenneté canadienne du demandeur en application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[2]               Le 16 mai 1998, le demandeur s’est marié avec Begum Khanum, une citoyenne canadienne.

 

[3]               Le demandeur est originaire de Sylhet, au Bangladesh, et est entré au Canada à titre de résident permanent le 25 août 2000, grâce au parrainage de son épouse.

 

[4]               Le demandeur aurait vécu exclusivement au Canada depuis son établissement en août 2000, jusqu’à ce qu’il dépose sa demande de citoyenneté en juin 2004. Il aurait aussi continué à vivre exclusivement au Canada avec son épouse et sa fille, Ummatuz Chowdhury, toutes deux Canadiennes.

 

[5]               Depuis son arrivée au Canada le 25 août 2000, le demandeur a été absent du pays pour un total de 330 jours. Le 18 février 2002, le demandeur a quitté le Canada pour le Royaume‑Uni, où il y a passé 177 jours afin d’y visiter la famille de son épouse; cette dernière y a aussi donné naissance à leur fille et y a passé sa période de repos postnatale. Le 21 novembre 2002, le demandeur a quitté le Canada pour le Bangladesh, où il a passé 117 jours afin de rendre visite à sa mère malade et de présenter sa fille à sa famille. Le 3 avril 2004, le demandeur a quitté le Canada pour le Bangladesh, où il a passé 37 jours afin d’assister au mariage de son frère et de rendre visite à des parents.

 

[6]               Le demandeur affirme que lui, son épouse et son enfant sont retournés au Canada à chacune de ces occasions, à l’exception d’une fois, alors que son épouse et sa fille étaient alors restées quelques semaines additionnelles au Bangladesh afin de rendre visite à d’autres parents.

 

[7]               Le demandeur a présenté sa demande de citoyenneté canadienne en juin 2004. Il a été physiquement présent au Canada pour une période de 1058 jours, soit 37 de moins que les 1095 jours exigés.

 

[8]               Le demandeur allègue qu’il a travaillé à Montréal pour divers employeurs au cours de plusieurs périodes, parsemées d’intervalles où il était prestataire d’aide sociale. Depuis son arrivée à Montréal, le demandeur aurait toujours vécu à la même adresse avec sa famille, soit au 8350, avenue Querbes.

 

[9]               Le demandeur possède une carte d’assurance-maladie, un permis de conduire, une carte de résidence permanente valide, un compte bancaire conjoint avec son épouse et une ligne téléphonique inscrite à son domicile. Il a produit des déclarations de revenus pour chacune des années au cours desquelles il était au Canada, avec une preuve de son revenu; sa fille est inscrite à la prématernelle et va au jardin d’enfants. L’épouse du demandeur a travaillé, a reçu des prestations de maternité et d’aide sociale de temps en temps, reçoit des loyers de leur maison et produit régulièrement ses déclarations de revenus.   

 

[10]           Après que le demandeur ait présenté sa demande de citoyenneté en juin 2004, il lui a été demandé de se soumettre à un prélèvement d’empreintes digitales en mai 2005 à des fins de vérification par la GRC. En février 2006, il a été convoqué aux bureaux de CIC à Montréal afin de remplir un formulaire de résidence. Il a aussi été demandé que le dossier du demandeur à la GRC soit mis à jour en janvier ou en février 2007.

 

[11]           Le 7 novembre 2007, après une remise prononcée par un juge de la citoyenneté, le demandeur s’est présenté à une audience devant un juge de la citoyenneté. Le demandeur prétend qu’il a apporté les documents demandés dont il était fait mention dans l’avis de convocation. Ces documents n’auraient été ni demandés par la juge, ni reçus par cette dernière.

 

[12]           À la fin de l’audience, le juge a demandé des preuves additionnelles que le demandeur avait résidé au Canada entre 2000 et 2007. Le demandeur a envoyé les documents demandés pour l’audience, ainsi que des pièces supplémentaires par ExpressPost le 9 novembre 2007 afin de démontrer à CIC qu’il résidait et était établi au Canada.

 

[13]           Au début du mois de janvier 2008, en présence du demandeur, la femme de celui-ci a appelé à l’Infocentre de la CIC pour demander à quel moment une décision sur la demande de citoyenneté de son époux serait rendue. Le 15 février 2008, la juge a rejeté la demande du demandeur. Ce dernier a reçu la décision le 18 février 2008.

 

[14]           Le demandeur a signifié et déposé un avis de demande de contrôle judiciaire de cette décision le 14 avril 2008.

 

[15]           Le juge formule la question en litige comme suit : le demandeur satisfait-il aux conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi?

 

[16]           La juge dit que le demandeur n’a pas fourni de preuve que lui et sa famille vivaient à un endroit précis à Montréal depuis son arrivée au Canada. Il n’a pas corroboré non plus sa déclaration qu’il avait travaillé au Canada depuis son arrivée ici. Même si le demandeur a fourni des carnets de banque concernant les années 2000, 2001, 2002 et 2003 pour montrer les transactions dans son compte bancaire, la juge note que les documents d’impôts sur le revenu du demandeur ne faisaient état d’aucun revenu digne de mention pour la période en question. Les documents d’impôt sur le revenu démontraient que le demandeur a effectivement, travaillé à Montréal de manière sporadique.

 

[17]           La juge déclare, après avoir évalué toute la preuve au dossier, que [traduction] « les documents fournis par le demandeur sont insuffisants et incomplets ». Par conséquent, en raison de preuve insuffisante, la juge a conclu que [traduction] « le demandeur n’a pas démontré qu’il satisfait aux conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) ».

 

[18]           La juge n’a pas accueilli la demande de citoyenneté du demandeur.

 

QUESTIONS

[19]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans la présente demande :

a.       La juge a rendu une décision déraisonnable puisqu’elle a commis au moins trois erreurs susceptibles de révision :

                                                               i.      Elle a omis de préciser sur quel critère juridique elle s’est fondée pour déterminer si le demandeur avait rempli les conditions de résidence et si elle a appliqué un quelconque critère à une série précise de faits;

                                                             ii.      Elle n’a pas donné de motifs à l’appui de sa décision qui démontrent qu’elle a correctement inclus, analysé, considéré ou pondéré toute la preuve documentaire qui lui était soumise;

                                                            iii.      Si elle s’est fondée sur le critère flexible de Re Papadogiokakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F.P.I) (Papadogiokakis), qui a été développé dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (C.F.) (Koo), elle n’a pas su l’appliquer correctement aux faits en l’espèce et a manifestement omis de l’utiliser eu égard à l’établissement réel du demandeur et à ses liens évidents avec le Canada.

 

 

 

 

[20]           La disposition suivante de la Loi s’applique à la présente demande :

 

Attribution de la citoyenneté

 

5.(1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

a) en fait la demande;

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

 

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

 

Grant of citizenship

 

  5.(1) The Minister shall grant citizenship to any person who

(a) makes application for citizenship;

(b) is eighteen years of age or over;

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

 

 

 

[21]           La disposition suivante des Règles s’applique à la présente demande :

 

Application

300.La présente partie s’applique :

a) aux demandes de contrôle judiciaire de mesures administratives, y compris les demandes présentées en vertu des articles 18.1 ou 28 de la Loi, à moins que la Cour n’ordonne, en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi, de les instruire comme des actions;

b) aux instances engagées sous le régime d’une loi fédérale ou d’un texte d’application de celle-ci qui en prévoit ou en autorise l’introduction par voie de demande, de requête, d’avis de requête introductif d’instance, d’assignation introductive d’instance ou de pétition, ou le règlement par procédure sommaire, à l’exception des demandes faites en vertu du paragraphe 33(1) de la Loi sur la responsabilité en matière maritime;

c) aux appels interjetés en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté;

d) aux appels interjetés en vertu de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce;

e) aux renvois d’un office fédéral en vertu de la règle 320;

f) aux demandes présentées en vertu du Code d’arbitrage commercial qui sont visées au paragraphe 324(1);

g) aux actions renvoyées à la Cour en vertu des paragraphes 3(3) ou 5(3) de la Loi sur le divorce;

h) aux demandes pour l’enregistrement, la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement étranger visées aux règles 327 à 334.

Application

300.This Part applies to

(a) applications for judicial review of administrative action, including applications under section 18.1 or 28 of the Act, unless the Court directs under subsection 18.4(2) of the Act that the application be treated and proceeded with as an action;

(b) proceedings required or permitted by or under an Act of Parliament to be brought by application, motion, originating notice of motion, originating summons or petition or to be determined in a summary way, other than applications under subsection 33(1) of the Marine Liability Act;

 

 

(c) appeals under subsection 14(5) of the Citizenship Act;

(d) appeals under section 56 of the Trade-marks Act;

 

(e) references from a tribunal under rule 320;

(f) requests under the Commercial Arbitration Code brought pursuant to subsection 324(1);

(g) proceedings transferred to the Court under subsection 3(3) or 5(3) of the Divorce Act; and

(h) applications for registration, recognition or enforcement of a foreign judgment brought under rules 327 to 334.

 

 

[22]           Le demandeur prétend que la norme de contrôle applicable dans des affaires comme celle-ci est celle de la décision raisonnable simpliciter : Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1555 (Eltom), au paragraphe 14.

 

[23]           Le défendeur prétend que la norme de contrôle appropriée en ce qui concerne les décisions des juges de la citoyenneté est celle de la raisonnabilité : Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 483. Le défendeur fait remarquer que le rôle de la Cour n’est pas de substituer son opinion à celle de la juge, mais de vérifier si cette dernière a correctement appliqué le critère de résidence choisi : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1140 (Chen). Par conséquent, la décision de la juge doit être examinée avec déférence : Paez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 204.

 

[24]           Lorsque l’on répond à la question de savoir si une personne a satisfait aux conditions de résidence prévues à la Loi, il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, de sorte que la norme de contrôle appropriée est celle de la raisonnabilité : Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 44, 47, 48 et 53; Mueller c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 227, au paragraphe 4; Wall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 110, au paragraphe 21; Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1752, aux paragraphes 7 à 10; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693, au paragraphe 51; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688, au paragraphe 4 et Gunnarsson c. Canada, (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1592, aux paragraphes 18 à 22.  

 

[25]           La Cour a déclaré ce qui suit dans la décision Haj-Kamali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 102 (Haj-Kamali), aux paragraphes 7 à 10 :

7     Les deux parties conviennent que, en ce qui concerne les conclusions de fait auxquelles est parvenu le Bureau de la citoyenneté (le calcul, par exemple, du temps passé par M. Haj‑Kamali en dehors du Canada), la norme de contrôle devant s’appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. Cela est conforme à un certain nombre de décisions de la Cour et je retiens en particulier l’analyse à laquelle s’est livré le juge Richard Mosley dans la décision Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1078, 2005 CF 861, où, au paragraphe 10, il s’exprime en ces termes :

 

[10] Cependant, le défendeur fait valoir que dans le cas de conclusions purement factuelles, la norme devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable. Le juge de la citoyenneté, en tant que juge des faits, a accès aux documents originaux et est en mesure de discuter des faits pertinents avec le demandeur. Dans le cas d’un appel en matière de citoyenneté, la présente Cour est une cour d’appel et elle ne devrait pas toucher aux conclusions à moins que ces dernières soient manifestement déraisonnables ou qu’elles fassent état d’une erreur manifeste et dominante : Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 R.C.S. 235.

 

8     L’application aux faits de l’espèce des dispositions de la Loi en matière de résidence constitue, bien sûr, une question mixte de fait et de droit, et la norme de contrôle est donc celle de la décision raisonnable simpliciter. Sur ce point, je retiens l’analyse à laquelle s’est livré le juge Mosley dans la décision Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2004] A.C.F. no 2134, 2004 CF 1752, où, aux paragraphes 9 et 10, il affirme ce qui suit :

 

9 Appliquant la méthode pragmatique et fonctionnelle à l’examen des décisions des juges de la citoyenneté portant sur la condition de résidence prévue par la Loi, plusieurs juges de la Cour fédérale ont récemment conclu qu’une norme plus adéquate serait celle de la décision raisonnable simpliciter : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693, [2004] A.C.F. n° 2069; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688, [2004] A.C.F. n° 2051; Gunnarson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1592, [2004] A.C.F. n° 1913; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chen, 2004 CF 848, [2004] A.C.F. n° 1040; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, [2004] A.C.F. n° 88; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472, [2003] A.C.F n° 1871.

 

10 Je reconnais que le point de savoir si une personne a rempli la condition de résidence prévue par la Loi est une question mixte de droit et de fait et que les décisions des juges de la citoyenneté appellent une certaine retenue, parce que ces juges ont l’expérience et la connaissance des affaires qui leur sont soumises. Par conséquent, j’admets que la norme de contrôle devant s’appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter et que, ainsi que le disait la juge Snider dans la décision Chen, précitée, au paragraphe 5, « dans la mesure où ont été démontrées une connaissance de la jurisprudence et une appréciation des faits et de la manière dont ils s’appliquent en regard du critère de la loi, il convient de faire preuve de retenue ».

 

9          L’avocat de M. Haj‑Kamali a fait valoir que le Bureau de la citoyenneté a commis deux erreurs principales lors de son examen de la demande de citoyenneté. La première est une erreur de fait concernant le calcul du nombre de jours passés hors du Canada par M. Haj‑Kamali. Il est allégué que cette erreur a amené le Bureau de la citoyenneté à surévaluer la durée des absences de M. Haj‑Kamali – ajoutant à tort 136 jours d’absence – et ainsi à conclure qu’il manquait au demandeur 307 jours pour atteindre le nombre minimal de jours de résidence requis.

10      La seconde erreur reprochée au Bureau de la citoyenneté concerne son adoption et son application du critère juridique de la résidence prévu au paragraphe 5(1) de la Loi. Selon M. Haj‑Kamali, si le Bureau de la citoyenneté n’avait pas commis d’erreur quant au nombre de jours passés hors du Canada, il aurait peut‑être conclu que le demandeur satisfaisait effectivement aux conditions de résidence prévues par la Loi. Cette question dépend nécessairement du critère relatif à la résidence qu’a appliqué le Bureau de la citoyenneté lors de son examen de la demande de M. Haj‑Kamali. Si le Bureau de la citoyenneté avait retenu, pour l’évaluation de la durée de la résidence, une approche stricte ou littérale, comme cela a été le cas dans la décision Re Pourghasemi (1993), 62 F.T.R. 122, [1993] A.C.F. no 232, l’erreur de fait que le demandeur lui reproche serait sans importance du point de vue juridique, puisque M. Haj‑Kamali ne serait tout de même pas parvenu à établir qu’il avait été physiquement présent au Canada pendant 1 075 jours au cours des quatre ans précédant la date de sa demande de citoyenneté. Si, par contre, le Bureau de la citoyenneté avait, pour l’évaluation de la durée de la résidence, retenu un critère plus souple ou plus libéral, comme cela a été le cas, par exemple, dans la décision Koo (Re), précitée, ou dans la décision Re Papadogiorgakis, précitée, il est allégué que l’erreur de fait reprochée aurait peut‑être eu une incidence importante sur l’issue de l’affaire.

 

 

[26]           Au paragraphe 44 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable sont théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples ». Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y a lieu de fondre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[27]           La Cour suprême du Canada a aussi statué dans l’arrêt Dunsmuir qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer l’analyse relative à la norme de contrôle à chaque occasion. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question précise dont est saisi le tribunal est bien établie par la jurisprudence, la Cour siégeant en contrôle judiciaire peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est seulement que dans les cas où la recherche n’est pas fructueuse que la cour siégeant en contrôle judiciaire doit entreprendre un examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[28]           Par conséquent, compte tenu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions en l’espèce est celle de la raisonnabilité, exception faite de la question portant sur l’équité procédurale. Dans le cadre du contrôle judiciaire en fonction de la norme de la raisonnabilité, l’analyse sera axée sur « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus ainsi [que] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable en ce qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[29]           La question soulevée au sujet du caractère adéquat des motifs est une question d’équité procédurale et de justice naturelle, révisable selon la norme de la décision correcte : Andryanov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 186, au paragraphe 15; Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 486, au paragraphe 9, et Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, au paragraphe 9.

 

[30]           Le demandeur prétend qu’il y a plusieurs critères différents pour déterminer si un demandeur a satisfait aux conditions de résidence prévues à la Loi. Il cite les critères de Mizani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698 (Mizani), au paragraphe 10, Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232 (C.F. 1re inst.), Papadogiorgakis et Koo. Le demandeur estimait qu’il fait manifestement partie [traduction] « de la catégorie de ceux qui vivent régulièrement, normalement ou habituellement au Canada, adoptés par les jugements et les directives de Re Papadogiorgakis, Re Koo et Re Ng ».

 

[31]           Le demandeur prétend qu’il physiquement présent au Canada pendant une longue période précédant sa demande de citoyenneté; sa femme et son enfant mineure à charge résident au Canada, tout comme sa belle-famille; sa tendance à quitter le Canada s’explique par des événements familiaux majeurs, tels qu’une naissance, un mariage et une maladie, et la présentation de sa fille à sa famille qui vit à l’étranger; il lui manque approximativement un mois pour atteindre le seuil des 1 095 jours; son absence physique était attribuable à une situation manifestement temporaire, et il est effectivement revenu au Canada, alors que sa femme est restée un peu plus longtemps au Bangladesh; il possède des liens substantiels avec le Canada (plus qu’avec tout autre pays), est établi ici et désire pleinement résider ici (comme il le fait depuis son arrivée il y a de cela 8 ans, en 2000).

 

[32]           Le demandeur déclare aussi qu’il est resté au Canada depuis son dernier voyage à l’étranger avec sa famille du 10 mai 2004, ce qui en soi dénote au moins « la qualité des attaches » et l’établissement de la résidence.

 

[33]           Le demandeur fait remarquer que, peu importe le critère de citoyenneté utilisé, lorsque le juge est ambigu, la décision ne peut être maintenue : Seiffert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1072 (Seiffert); Haj-Kamili; Zhao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1536 (Zhao), et Sio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 422 (Sio).

 

[34]           Le demandeur cite les paragraphes 26 à 28 d’Eltom :

[26]       La jurisprudence révèle le malaise des tribunaux causé par les différences d’accent au sujet de la condition de résidence; cependant, l’on reconnaît que, en l’absence de possibilité de faire appel devant la Cour fédérale, c’est au législateur fédéral qu’il revient de remédier à la situation (voir par exemple : Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2005] A.C.F. no 1943).  Dans la décision Lam, le juge Lutfy (aujourd’hui juge en chef) a statué que :

[…] le juge de la citoyenneté peut adhérer à l'une ou l'autre des écoles contradictoires de la Cour, et, s'il appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l'approche qu'il privilégie, sa décision ne serait pas erronée. (paragraphe 14).

 

[27]       La jurisprudence révèle que le juge Lutfy a été largement suivi (voir par exemple : Seiffert c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1326, Lama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 576), encore qu’il y des exceptions. Dans la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 1693, 2001 CFPI 1229, on a expressément rejeté le principe énoncé dans la décision Lam en ces termes : « [i]l est regrettable que les décisions de la Section de première instance ne puissent être portées en appel devant la Cour d’appel fédérale, mais cette lacune ne peut donner lieu à une interprétation hybride du texte législatif » (paragraphe 13). On y reconnaît que seule l’intervention du législateur fédéral peut remédier à la divergence des critères suivis, mais on laisse entendre que chaque juge de la Cour fédérale peut appliquer celui qu’il estime correct plutôt que s’incliner devant le choix du juge de la citoyenneté (paragraphe 15).

 

[28]       Il semble que le critère de la décision Koo soit devenu le critère dominant, apparemment en partie en raison du fait que les six questions ont été précisément énoncées dans un formulaire utilisé par les juges de la citoyenneté; cependant, dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Wall, [2005] A.C.F. no 146, 2005 CF 110, le juge Harrington a rappelé que les autres critères peuvent toujours être invoqués.

 

[35]           Le demandeur prétend qu’il n’aurait pas dû être laissé dans l’ignorance quant à la manière dont son cas serait tranché, par souci d’équité procédurale et de justice naturelle, selon Haj‑Kamali. La juge a négligé de [traduction] « mentionner le critère juridique qu’elle a employé, négligé d’inclure la totalité des documents présentés par le demandeur […] choisi d’inclure certains documents et d’en omettre d’autre dans ses “motifs”, ce qui a résulté en une décision tellement mal écrite et contradictoire qu’elle en était ambiguë, et par conséquent susceptible de révision ».

 

[36]           Le demandeur affirme aussi qu’il semble que la juge ait appliqué le critère numérique strict de la présence physique à sa situation, et ait [traduction] « ensuite employé un critère “qualitatif” très vague et qui portait fortement à confusion ». Le demandeur prétend ensuite que la juge s’est contentée de faire mention de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les cas de difficultés spéciales ou inhabituelles et de l’omission du demandeur de produire un quelconque élément de preuve, ce que le demandeur croyait être [traduction] « une déclaration ambiguë et empreinte de généralisation qui ne donnait aucune explication à propos de la quantité d’éléments de preuve exigée, de sorte que sa décision est susceptible de révision et ne peut être maintenue ».

 

[37]           Le demandeur déclare qu’il a présenté à la juge une quantité impressionnante d’éléments de preuve à l’appui de sa demande le 7 novembre 2007, soit son passeport visiblement estampillé, son permis de conduire, son acte de naissance, sa fiche d’établissement, sa carte de résidence permanente et sa carte d’assurance-maladie.

 

[38]           Le demandeur prétend que la juge s’est concentrée sur les questions visant son mariage, ses démarches de parrainage, la façon dont il est entré au Canada, et s’il avait des enfants ou non. Le demandeur déclare qu’il a fait part de toutes les circonstances à la juge et a répondu honnêtement et ouvertement aux questions de cette dernière. Le demandeur a aussi expliqué qu’il avait travaillé au Canada et avait été bénéficiaire de l’aide sociale, avait quitté le pays à trois reprises pour des raisons familiales, a mentionné son lieu de résidence et la double citoyenneté canado-britannique de sa femme et de sa fille. À la fin de l’audience, la juge a demandé au demandeur d’apporter des pièces additionnelles afin de prouver qu’il a résidé au Canada de 2000 à 2007. Le demandeur a obtempéré et a fait parvenir d’autres pièces.

 

[39]           Le demandeur déclare qu’il n’a pas été informé des documents précis que la juge voulait voir. Il allègue que, si la juge avait été plus précise au sujet de la documentation qu’elle désirait, il aurait apporté d’autres pièces qui auraient [traduction] « démontré de manière encore plus convaincante qu’il réside et a toujours résidé au Canada depuis son arrivée ». Le demandeur ne s’est pas non plus « fait demander des détails additionnels à propos des documents [dont la juge] a prétendu tenir compte ou de dissiper tout doute qu’elle pouvait avoir quant à ses documents » : voir Abdollahi-Ghane c. Canada (Procureur général), 2004 CF 741.

 

[40]           Le demandeur souligne qu’à l’instar de « beaucoup de gens », il ne garde pas la totalité de ses talons de paie, de ses reçus de prestations d’aide sociale et de ses factures de services publics. Par conséquent, il lui était difficile de produire une quantité importante de factures, particulièrement celles datant de 3 à 7 ans. Cependant, il a présenté les documents relatifs au travail et à l’impôt qu’il a pu trouver.

 

[41]           Le demandeur a souligné que lui et son épouse reçoivent un revenu de location d’un immeuble appartenant aux parents de son épouse, qui a été [traduction] « déclaré à l’aide sociale à toutes les occasions ». Il insiste aussi sur le fait qu’il ne lui a jamais été [traduction] « demandé, lors de l’audience, de présenter un bail ou de fournir tout autre élément de preuve concernant son domicile, soit des pièces qu’il avait, mais qu’il n’a pas apportées ».

 

[42]           Le demandeur prétend que la juge était « manifestement dans l’erreur » en affirmant qu’elle a reçu la documentation, qu’elle a agi de manière « déraisonnable » en déclarant que la documentation était insuffisante et prétend aussi [traduction] « qu’aucune analyse de la documentation dont elle disposait indéniablement n’avait été conduite ».

 

[43]           Le demandeur se demande si la juge a regardé les documents en totalité [traduction] « puisqu’à la lecture de ses motifs, il est évident qu’elle a complètement négligé certaines pièces que toute personne raisonnable aurait non seulement pris en considération et mentionné, mais aussi conclu qu’ils sont pertinents, car ils démontrent l’établissement de la résidence et la “qualité des attaches” du demandeur au Canada […] ».

 

[44]           Le demandeur commente la déclaration de la juge voulant qu’il n’ait pas démontré de revenu digne de mention. Le demandeur se demande ce que cela signifie et affirme que la juge n’a pas tenu compte du revenu de son épouse, ni de ses déclarations de revenus pour les années 2005 et 2006. Le demandeur affirme que la juge [traduction] « semblait, au mieux, confuse à propos des montants déposés dans leur compte conjoint, alors que leurs chèques d’aide sociale et de leurs emplois divers y étaient directement déposés ».

 

[45]           Le demandeur prétend que [traduction] « la juge a construit son propre critère et tiré ses conclusions sans chercher à obtenir des explications additionnelles de la part du demandeur […] lui enlevant la chance de donner des explications sur ses finances personnelles et familiales, ce qui a donné lieu en fin de compte au rejet de sa demande de citoyenneté ». Le demandeur déclare que la décision de la juge est susceptible de révision [traduction] « si elle n’analyse pas la preuve adéquatement, ne considère pas tous les facteurs pertinents et ne donne pas de motifs ». Voir Seiffert, aux paragraphes 9 et 10; Fung c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1440, et Eltom, aux paragraphes 29 à 31.

 

[46]           Le demandeur déclare que : la juge a répertorié la preuve dont elle disposait de manière bien singulière en omettant des éléments, en faisant abstraction d’autres et en étant [traduction] « manifestement dans l’erreur lorsqu’elle a déclaré qu’il n’y avait pas de preuve, alors qu’il y en avait »; elle a nié que des pièces aient été présentées, mais s’est ensuite contredite; a écrit des [traduction] « motifs en style télégraphique qui reprenaient toutes les erreurs susmentionnées et a écrit une lettre type de refus qui ne comprenait aucune analyse des pièces dont elle était saisie, ni aucune mention du critère appliqué, autre que de sous‑entendre qu’elle a compté les journées réelles de présence physique et a par conséquent appliqué un critère strict ».

 

[47]           Le demandeur souligne que la juge a commis une erreur en déclarant qu’il était âgé de 50 ans, alors qu’il était âgé de 40 ans au moment de l’audition.

 

[48]           Le demandeur prétend que le critère flexible et plus souple de citoyenneté énoncé dans Re Ng, [1996] A.C.F. no 1357 (C.F. 1re inst.); Koo; Yen (Re), [1997] A.C.F. no 1340 (C.F. 1re inst.), Huang c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 788 (C.F. 1re inst.), et Hajjar (Re), [1998] A.C.F. no 168 (C.F. 1re inst.), est « bien établi ». Le demandeur fait aussi remarquer qu’il y a eu des cas où les demandeurs se sont vu attribuer la citoyenneté même s’ils avaient voyagé hors du Canada par affaires et sont revenus à leur domicile au Canada. Voir : Sio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 422.

 

[49]           Le demandeur mentionne qu’il n’est pas un homme d’affaires international, mais un homme qui [traduction] « s’est établi avec sa famille dans ce pays dans les faits, et avec l’intention continue d’y résider avec sa famille ».

 

[50]           Il cite la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hung, [1998] A.C.F. no 1604, au paragraphe 9 :

9     La condition de la vie centrée au Canada est davantage que le fait d'y avoir un domicile où l'on a juste l'intention de revenir. Ainsi que l'a fait observer le juge Noël dans Re Lai (1994), 85 F.T.R. 62, en pages 63 et 64 (C.F. 1re inst.) :

 

Dans les cas où l'absence physique se produit pendant la période prévue par la loi, il faut, pour faire la preuve de la résidence continue, présenter des éléments de preuve démontrant le caractère temporaire de l'absence, une intention claire de revenir au Canada et l'existence de liens factuels suffisants avec le Canada pour affirmer que l'on résidait en fait au Canada durant la période en cause […] Lorsqu'un homme d'affaires choisit le Canada comme lieu de résidence en y fixant son foyer conjugal et sa famille, il lui est loisible de se déplacer, dans des limites raisonnables, pour gagner sa vie.

 

 

 

[51]           Le demandeur résume ses observations de la façon suivante :

[traduction] 

a.                   […] la juge de la citoyenneté a omis de préciser quel critère juridique elle a utilisé afin de statuer si [le] demandeur a satisfait aux conditions de résidence, elle n’a pas appliqué un quelconque critère à une série précise de faits, n’a pas fourni de motifs adéquats détaillés à l’appui de sa décision, ni donné d’indices indiquant qu’elle avait minutieusement pondéré la preuve présentée devant elle et, finalement, si la juge de la citoyenneté a appliqué le critère flexible, elle ne l’a pas appliqué correctement aux faits en l’espèce et n’a manifestement pas évalué le lien du demandeur avec le Canada

b.                  Donc, la décision de la juge a été rendue de manière arbitraire, abusive et manifestement déraisonnable, et, par conséquent, est susceptible de révision et ne peut être maintenue.

 

 

[52]           Le défendeur fait observer que le demandeur n’avait pas démontré que la juge avait commis une erreur révisable qui justifie l’intervention de la Cour.

 

[53]           Le défendeur souligne que la Cour, aux paragraphes 10 à 12 de Mizani, répertorie les trois interprétations possibles de la résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi et énonce qu’un juge est libre d’opter pour n’importe laquelle de ces trois interprétations :

10     La Cour a interprété le terme « résidence » de trois façons différentes. Premièrement, il peut s’agir de la présence réelle et physique au Canada pendant un total de trois ans, selon un comptage strict des jours (Pourghasemi (Re), [1993] A.C.F. no 232 (QL) (1re inst.)). Selon une interprétation moins rigoureuse, une personne peut résider au Canada même si elle en est temporairement absente, pour autant qu’elle conserve de solides attaches avec le Canada (Antonios E. Papadogiorgakis (Re), [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.)). Une troisième interprétation, très semblable à la deuxième, définit la résidence comme l’endroit où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou l’endroit où l’on a « centralisé son mode d’existence » (Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), au paragraphe 10).

 

11     Je suis d’accord pour l’essentiel avec le juge James O’Reilly lorsqu’il écrit, au paragraphe 11 de la décision Nandre, précitée, que le premier critère exige la présence physique, alors que les deux autres nécessitent un examen plus qualitatif :

 

Manifestement, la Loi peut être interprétée de deux manières, l’une exigeant une présence physique au Canada pendant trois ans sur un total de quatre, et l’autre exigeant moins que cela, pour autant que le demandeur de citoyenneté puisse justifier d’attaches étroites avec le Canada. Le premier critère est un critère physique et le deuxième un critère qualitatif.

 

12     Il a aussi été reconnu que le juge de la citoyenneté est libre d’appliquer l’un ou l’autre de ces trois critères (Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 410 (1re inst.) (QL)). Par exemple, dans la décision Hsu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 579, [2001] A.C.F. no 862 (QL), la juge Elizabeth Heneghan conclut, au paragraphe 4, que l’un ou l’autre de ces critères peut être appliqué pour rendre une décision sur la question de la résidence :

 

La jurisprudence sur les appels en matière de citoyenneté a clairement établi qu’il existe trois critères juridiques permettant de déterminer si un demandeur a démontré qu’il était un résident selon les exigences de la Loi sur la citoyenneté […] le juge de la citoyenneté peut soit calculer de façon stricte le nombre de jours de présence physique, soit examiner la qualité de la résidence, soit analyser la centralisation au Canada du mode de vie du demandeur.

 

 

 

[54]           Le défendeur prétend que les motifs de la décision de la juge militaient en faveur de l’interprétation stricte de la « présence physique » au Canada et qu’elle n’a pas essayé de déterminer si le demandeur avait de forts liens avec le Canada, ou si le Canada était l’endroit ou il vivait « régulièrement, normalement ou ordinairement ». Le défendeur cite le paragraphe 15 de Bing Ma c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 587 :

15     Je ne crois pas non plus qu’elle ait tenté d’appliquer le critère établi dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), car elle n’a pas cherché à savoir si le Canada était le lieu où le demandeur vivait régulièrement, normalement ou habituellement ou le pays où il avait centralisé son mode d’existence.

 

 

[55]           Le défendeur dit que la juge s’est fondée sur l’interprétation stricte, ce qu’elle avait le droit de faire, particulièrement vu que le demandeur a confirmé son nombre d’absences du Canada. Le défendeur cite le paragraphe 15 de Mizani :

15     À mon avis, il ne fait aucun doute que la juge a appliqué correctement le critère de la « présence physique ». Tout au long de ses motifs, elle fait référence au critère minimal des « 1 095 jours » et concentre son analyse sur la présence physique du demandeur au Canada telle qu’elle ressort de la preuve. Je ne suis pas convaincue qu’elle a fusionné ce critère avec un autre.

 

[56]           Le défendeur prétend que la juge n’avait pas l’obligation de mentionner quel critère elle avait appliqué, puisque ce dernier peut être décelé de manière implicite. Par conséquent, il n’y a pas d’erreur révisable sur cette question : Kwan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 738 (Kwan). Le défendeur se fonde sur le paragraphe 17 de Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 390 :

17     Même si la juge reconnaît divers facteurs qualitatifs et positifs qu’invoque le demandeur, elle ne combine pas les critères applicables et je crois qu’elle indique clairement que, selon elle, le facteur décisif est d’ordre quantitatif, et il s’agit là du fondement de sa décision en vertu de l’alinéa 5(1)c).

 

[57]           Il cite aussi les paragraphes 17 et 18 de Tulupnikov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1439 (Tulupnikov) :

17     Il n'est pas contesté devant la Cour que, si le juge de la citoyenneté peut choisir d'appliquer l'un ou l'autre des trois critères, il ne lui est pas permis de les « fusionner ». L'avocat du demandeur soutient que le juge a commis une erreur justifiant que j'accueille le présent appel en ne précisant pas sur lequel des trois critères il se fondait et, en outre, en [TRADUCTION] « fusionnant » le critère Pourghasemi avec des éléments des deux autres critères. L'avocat fait valoir qu'en formulant une conclusion basée sur le compte strict des jours, puis en présentant des observations à la fois détaillées et défavorables sur la preuve documentaire du demandeur, le juge a manifestement [TRADUCTION] « fusionné » les critères.

 

18     Je ne souscris pas à cet argument. À la fin de son entretien avec le demandeur, le juge était manifestement arrivé à la conclusion qu'il ne pourrait accueillir sa demande sur le fondement du compte strict des jours. Comme je l'ai dit plus haut, il a alors invité le demandeur à produire d'autres documents et l'a avisé que, s'il ne le faisait pas, sa demande de citoyenneté canadienne devrait être rejetée. Le juge a ensuite examiné les autres documents produits et, comme en témoigne sa lettre de décision, il a manifestement constaté qu'ils ne suffisaient pas à étayer une décision favorable au demandeur suivant l'un ou l'autre des critères plus souples. Par conséquent, ce qui est selon moi manifeste au vu de la lettre de décision, il est revenu au critère du compte strict des jours pour rejeter la demande de citoyenneté. Il n'a pas [TRADUCTION] « fusionné » ou confondu les critères. En outre, je ne vois aucun motif de conclure que le juge aurait omis de tenir compte d'aucun des éléments de preuve documentaire produits devant lui.

 

[58]           Par conséquent, le défendeur conclut que l’analyse de la juge est conforme à la jurisprudence. En tout état de cause, selon lui, l’analyse des documents du demandeur n’était pas essentielle à la décision, parce que le demandeur n’a pas été présent au Cananda pendant le nombre de journées exigées et sa demande aurait pu être rejetée sans autres commentaires. Voir : Chen et Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 501.

 

[59]           Le défendeur fait observer que la formulation employée par la juge est très similaire à celle employée dans la décision El Fihri c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1106 (El Fihri). Cette décision énonce, aux paragraphes 8 et 9 :

8     Or, bien que la demanderesse soumet que le juge n'a appliqué aucune des interprétations possibles, il est évident que l'interprétation stricte a été utilisée, soit le critère de la présence physique au Canada qui requiert l'accumulation de 1 095 jours durant les 1 460 jours qui ont précédé la date de la demande :

 

Aux termes de l'article 15(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, le candidat à la citoyenneté doit avoir totalisé au moins trois ans de résidence au Canada dans les quatre ans qui précèdent immédiatement la date de sa demande.

(Page 7 du dossier de la demanderesse - décision du juge en date du 30 septembre 2004, au paragraphe 2)

[TRADUCTION] La demanderesse, alors âgée de 14 ans, est entrée au Canada et s’est vu octroyer le statut de résidente permanente le 14 juillet 1995. Elle a demandé la citoyenneté canadienne le 30 avril 2003.

Cela lui donne donc 1 460 journées totales au Canada. Elle ademts avoir été absente, ou à l’extérieur, du Canada pour une période de 225 journées, ce qui lui donne donc 1 235 journées de présence physique au Canada.

(Page 30 du dossier de la demanderesse - Notes manuscrites du juge de la citoyenneté, aux paragraphes 1 et 2)

 

9     Il est donc évident que la demanderesse devait fournir sa preuve pour démontrer qu'elle était au Canada pour une période de 1 460 jours précédant la date de sa demande, qui était le 30 avril 2003. Le juge a donc examiné et a questionné la demanderesse pour cette période :

 

[TRADUCTION]

La demanderesse, même si elle était âgée de 14 ans lorsqu’elle est entrée au Canada, n’est jamais allée à l’école secondaire ou au collège ici, Est-elle retournée chez elle au Maroc pour continuer ses études en 1995? Elle prétend que non.

Elle a plutôt affirmé qu’elle ne voulait pas venir au Canada et qu’elle n’a, par conséquent, rien fait – absolument rien – jusqu’au 17 septembre 2000, soit cinq ans et deux mois plus tard. Ce qui la situait à 17 mois à l’intérieur de la période pertinente.

De plus, elle n’a rien à présenter pour témoigner de ces cinq ans et deux mois. Elle n’est pas allée à l’école, n’a pas travaillé, n’est membre d’aucune communauté, association culturelle ou sociale, groupe, club ou organisation. Pas de lettres d’amis; rien. Absolument rien, et ce, à partir de l’âge de 14 ans.

Ce n’est seulement qu’à l’été/automne 2000 que la demanderesse a montré des signes qu’elle avait une vie au Canada [...]

La demanderesse a déposé des éléments de preuve de résidence à compter de septembre 2000, mais rien sur la période précédant cette date, soit 17 mois après le début de la période pertinente. Il n’y a rien avant.

(Page 30 du dossier de la demanderesse - Notes manuscrites du juge de la citoyenneté, aux paragraphes 3 à 6 et 9)

 

[60]           Le défendeur affirme qu’il n’y a pas d’erreur dans la démarche adoptée par la juge.

 

[61]           Le défendeur fait observer que la juge est présumée avoir tenu compte de toute la preuve présentée et qu’elle n’avait pas, par conséquent, à faire mention de chaque document dont elle a tenu compte : Kwan, au paragraphe 26, et Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688, au paragraphe 15.

 

[62]           Le défendeur affirme aussi que, conformément à la Loi, la juge devait étudier la situation du demandeur depuis les quatre années qui ont précédé la date de sa demande. Par conséquent, la juge n’avait pas à tenir compte des éléments de preuve postérieurs à la demande, tels que les déclarations de revenus pour les années 2005 et 2006 et les bulletins préscolaires. Le défendeur souligne que le fait que le demandeur n’ait pas quitté le Canada depuis le 10 mai 2004 est totalement non pertinent. La juge n’a pas commis d’erreur en ne tenant compte que de la preuve portant sur la période pertinente et elle n’avait pas l’obligation d’informer le demandeur que des éléments de preuve supplémentaires, ou une preuve plus complète, étaient requis : Kwan, au paragraphe 28, et Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1311, au paragraphe 14.

 

[63]           Le défendeur prétend que demandeur avait le fardeau d’établir, selon la prépondérance de la preuve, qu’il avait satisfait aux conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi : Saqer c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1392, au paragraphe 20. Il incombait aussi au demandeur de présenter les éléments de preuve nécessaires à l’appui de sa demande : El Fihri, aux paragraphes 10 à 12, et Farrokhyar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 697, aux paragraphes 17 et 18.

 

[64]           Le défendeur prétend que l’analyse de la preuve produite par le demandeur révèle que celle‑ci est incomplète et insuffisante. Les documents fournis par le demandeur à l’appui de sa demande ne démontrent pas où il résidait ni depuis combien de temps, s’il travaillait depuis son arrivée ou s’il avait un revenu digne de mention au cours de la période pertinente.

 

[65]           Le défendeur affirme que le critère appliqué peut facilement être décelé, que l’analyse des éléments de preuve fournis est raisonnable et que les motifs sont intelligibles et compréhensibles. Les juges de la citoyenneté ne sont pas tenus à une norme de perfection : Tulupnikov, aux paragraphes 21 et 22.

 

[66]           Le défendeur prétend que, même si les motifs étaient ambigus, ceux-ci ne justifieraient pas que l’appel soit accueilli, selon les paragraphes 10 et 11 de Farshchi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 487 :

10     La décision de la juge de la citoyenneté n’est pas sans ambiguïté. Sous la rubrique [traduction] « Le demandeur a‑t‑il rempli la condition de résidence de 1 095 jours passés au Canada ? », on peut lire le paragraphe suivant :

 

[traduction] Dans sa demande de citoyenneté, M. Farshchi écrivait que, au cours de la période de quatre ans, il a été hors du Canada durant 405 jours, ce qui signifie qu’il a passé 1 055 jours au Canada. C’est 40 jours de moins que le nombre requis par la Loi sur la citoyenneté. Je pourrais considérer qu’il s’agit là d’un déficit mineur et fermer les yeux sur l’exigence de la Loi sur la citoyenneté, mais il me faut être persuadée que M. Farshchi a bel et bien été présent au Canada durant 1 055 jours au cours de la période applicable et qu’il a manifesté une présence continue au Canada.

 

11     Si la juge de la citoyenneté entendait appliquer le critère de la présence physique, ce que je crois qu’elle a fait, elle aurait pu, dans son analyse, s’en tenir aux deux premières phrases de ce paragraphe. Mais la dernière phrase est discutable. Je n’ai connaissance d’aucun précédent permettant d’affirmer qu’une période de 40 jours constitue un « déficit mineur » qui autoriserait un juge de la citoyenneté à « fermer les yeux sur l’exigence de la Loi sur la citoyenneté ». Si l’on applique le critère de la présence physique, il me semble que ce critère exige que la présence au Canada totalise 1 095 jours. (S’agissant de la condition de résidence énoncée dans la Loi, seule l’interprétation d’après la notion de « résidence normale » permet que la présence effective au Canada soit inférieure aux trois années.) Mais, même si j’ai raison d’affirmer cela, et même si la juge de la citoyenneté a mal énoncé le droit et l’a appliqué de la sorte, il n’aurait pas pu opérer au détriment du demandeur. Si la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas été physiquement présent durant 1 055 jours, alors elle n’aurait pas pu dire qu’il avait été présent durant 1 095 jours. Après lecture attentive de la décision, il ressort que, en réalité, la juge de la citoyenneté n’était pas persuadée hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait été physiquement présent au Canada durant 1 055 jours au cours de la période considérée, comme il le prétendait. Sous la rubrique [traduction] « Le demandeur manifeste‑t‑il une présence physique continue au Canada? » [non souligné dans l’original], la juge de la citoyenneté a relevé qu’il n’avait pas produit le passeport applicable pour une partie de la période considérée. Puis elle écrivait ce qui suit :

 

[traduction] Sans ce passeport manquant, M. Farshchi est tenu d’apporter une preuve substantielle et concrète d’une présence physique continue au Canada.

 

Elle a ensuite examiné la preuve pour savoir si elle attestait une « présence constante » ou une « présence continue » au Canada. Il m’est impossible de dire que sa conclusion est déraisonnable. Il y avait selon moi de bons motifs de douter de l’affirmation du demandeur selon laquelle il avait été présent au Canada durant la quasi‑totalité de la période visée par son premier passeport, un passeport qu’il ne pouvait pas produire, alors que, durant la période pertinente englobée par son passeport actuel, le passeport montrait qu’il avait été absent du Canada 53 p. 100 du temps. La juge de la citoyenneté était certainement fondée à dire que les autres preuves produites pour prouver la présence du demandeur au Canada n’étaient pas concluantes. Je ne vois rien qui démontre qu’elle a appliqué une norme de preuve autre que celle de la prépondérance de la preuve.

 

 

[67]           Le défendeur conclut que, même si le demandeur est en désaccord avec la décision de la juge, il n’a pas prouvé qu’une erreur révisable aurait été commise. Il n’a pas pu démontrer non plus qu’il avait satisfait aux conditions de résidence prévues à la Loi, ni que la juge avait commis une erreur dans l’évaluation de la preuve. Par conséquent, l’appel devrait être rejeté.

 

[68]           Le demandeur sollicite les redressements suivants :

a.       Accueillir l’appel;

b.      Annuler la décision de la juge de la citoyenneté rendue le 15 février 2008;

c.       Lui octroyer la citoyenneté sur-le-champ;

d.      Ordonner que l’affaire soit réexaminée par un autre juge de la citoyenneté, avec les instructions nécessaires, et ce, dans les plus brefs délais;

e.       Prononcer toute ordonnance que la Cour considère appropriée;

f.        Le tout avec dépens ou sans frais, selon le désir de la Cour.

 

[69]           Le défendeur sollicite que l’appel soit rejeté.

 

[70]           Le demandeur a prétendu que non seulement la juge avait commis une erreur en n’identifiant pas le critère utilisé afin de déterminer si le demandeur a satisfait aux conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, mais qu’elle a aussi donné des motifs insuffisants dans sa décision, et que peu importe le critère de résidence qu’elle a appliqué, elle ne l’a pas appliqué correctement.

 

[71]           Quant à la première question, je suis d’accord avec le défendeur qu’un juge de la citoyenneté a le droit de choisir le critère qu’il désire employer, que ce soit le critère plus strict de la « présence physique » ou l’approche plus souple, telle que celle analysée dans Koo. Au premier coup d’œil, en raison de l’absence d’analyse dans les motifs de la juge et de l’attention démesurée portée au fait qu’il manquait 37 jours au demandeur, l’on pourrait inférer que la juge a effectivement appliqué le critère strict de la « présence physique ». Cependant, après mûre réflexion, je suis en désaccord avec l’hypothèse que le défendeur a mis de l’avant, et ce pour plusieurs raisons :

a.       Le demandeur était ouvert et honnête concernant le fait qu’il lui manquait 37 jours, mais la juge lui a demandé des documents supplémentaires. Si la juge avait simplement appliqué le critère strict de la « présence physique », toute l’information dont elle avait besoin aurait été présentée lors de l’audience, puisqu’on savait qu’il manquait 37 jours au demandeur et que les motifs expliquant ses voyages à l’étranger qui allaient bien au-delà de « courtes vacances », de voyages d’études ou d’affaires;

b.      Même si la juge avait l’intention d’appliquer le critère strict de la « présence physique », il semble qu’elle ait pris en considération le critère de Koo en demandant des pièces supplémentaires, puisque celles-ci auraient pu faire en sorte que la demande soit acceptée, selon l’analyse de Koo, y compris le fait que la Juge a commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas divulgué la preuve que, dans les faits, il travaillait;

c.       Même si la juge avait abandonné ce critère, ou était incertaine de celui qu’elle voulait utiliser, les messages contradictoires qu’elle a envoyés au demandeur ainsi que le manque d’indications contenues dans la décision suffisent à me convaincre qu’il n’y pas de critère qui ait été clairement retenu durant tout le processus suivi par le demandeur : par conséquent, la juge a commis une erreur.

 

[72]           En ce qui concerne la deuxième question, je suis d’accord avec le demandeur que pas assez de motifs lui ont été fournis. La lettre envoyée au demandeur mentionne simplement que les documents qu’il avait fourni ne constituaient pas [traduction] « une preuve satisfaisante de résidence au Canada », et que, par conséquent, il ne satisfaisait pas aux conditions de résidence. Même les notes de la juge ne donnent pas d’autres explications sur ce qui l’a menée à en venir à sa décision, à l’exception du fait qu’il manquait 37 jours au demandeur et que la documentation était insuffisante pour la convaincre d’accepter la demande. Je conclus qu’il s’agit d’une entorse à l’équité procédurale.

 

[73]           Puisque j’ai tranché en faveur du demandeur les deux premières questions, il est évident que je dois aussi trancher en sa faveur la troisième, qui concerne la mauvaise application des critères de résidence.

 

[74]           Je considère que la décision de la juge est malheureuse, puisqu’il est évident que le demandeur est un candidat idéal pour les « circonstances exceptionnelles » prévues à la section 5.9 B du Manuel des politiques de citoyenneté CP 5 – Résidence de Citoyenneté et Immigration Canada (le manuel des politiques de citoyenneté).

 

[75]           La présente demande illustre très clairement le manque de directives auquel sont confrontés les juges de la citoyenneté. Les éclaircissements et, plus important encore, l’établissement d’un seul critère de résidence, aiderait à atténuer les problèmes soulevés dans la présente demande, et ferait en sorte de mettre fin, en grande partie, au jeu de devinettes auquel la Cour doit se livrer lors du contrôle judiciaire. Cependant, compte tenu de l’état actuel de la jurisprudence, je conclus que la demande doit être accueillie.

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour nouvel examen, en conformité avec les présents motifs.  

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad.

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-587-08

 

INTITULÉ :                                       SHAMS RIYAD CHOWDHURY c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 9 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Cheryl Ann Buckley

 

POUR LE DEMANDEUR

Alain Langlois

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cheryl Ann Buckley

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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