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Cour fédérale

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090708

Dossier : IMM‑5669‑08

Référence : 2009 CF 707

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

MONTESINOS HIDALGO, Marco Antonio

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision datée du 1er décembre 2008 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), dans laquelle la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

Les questions en litige

[2]               La présente demande soulève les questions suivantes :

a)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse de la protection de l’État?

b)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en s’appuyant sur sa décision à caractère persuasif TA6‑07453 dans son analyse de la protection de l’État?

c)         Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale qui exige le renvoi de l’affaire à la Commission?

 

Le contexte factuel

[3]               Le demandeur est un citoyen du Mexique, né à Tapachula, le 2 décembre 1978. Après avoir terminé des études secondaires en 1998, il a obtenu un diplôme en droit et a travaillé dans le domaine juridique pour l’Institut Fédéral Électoral.

 

[4]               En 2004, le demandeur a ouvert sa propre boutique vidéo (DVD Magic) à Tapachula.

 

[5]               En décembre 2006, trois individus qui étaient des clients réguliers sont entrés dans la boutique. Ils ont offert de faire certaines rénovations si le demandeur acceptait de vendre quelque chose dans la boutique en échange. La semaine suivante, ils sont revenus avec un échantillon d’une poudre blanche. Lorsque le demandeur a refusé de vendre la poudre, ils lui ont dit qu’il ne savait pas ce qui l’attendait.

 

[6]               Le 15 janvier 2007, comme il fermait la boutique pour la nuit, quatre personnes avec des armes sont entrées dans la boutique et ont battu le demandeur, lui disant qu’il créait de la résistance à l’encontre de l’expansion de leur territoire. Le demandeur a signalé l’incident à la police qui a accepté d’enquêter.

 

[7]               À la fin de mars 2007, alors qu’il retournait à la maison, le demandeur a rencontré un policier nommé Pedro Sanchez et un des hommes qui étaient venus à sa boutique en janvier. Le policier a amené le demandeur à croire que, s’il ne collaborait pas avec les personnes qui tentaient de vendre la poudre blanche, il le regretterait et pourrait perdre sa boutique.

 

[8]               Le lendemain, lorsqu’il s’est rendu au poste de police pour s’enquérir de l’état de l’enquête, le demandeur a croisé le même policier qu’il avait rencontré la veille. L’agent Sanchez qui lui a dit que parce qu’il ne s’agissait pas d’une affaire urgente et que, parce que la police ne disposait pas des ressources appropriées, celle‑ci ne pouvait rien faire pour lui. Le lendemain, deux personnes sont entrées dans la boutique du demandeur et l’ont agressé pour être allé à la police, et ils ont menacé de le tuer la prochaine fois. Le demandeur s’est rendu à une clinique locale pour faire soigner ses blessures et, pendant qu’il était à la maison en train de se rétablir, sa boutique a brûlé dans un incendie.

 

[9]               Le demandeur a alors déménagé à Tuxtla Gutierrez, au Chiapas, où sa mère et un de ses frères vivaient et travaillaient. En mars 2007, le demandeur s’est rendu à la police à Tuxtla pour signaler ce qui s’était passé avec l’agent Sanchez et ce qui lui était arrivé. La police lui a dit qu’elle enquêterait sur ses allégations et qu’elle questionnerait l’agent Sanchez.

 

[10]           En septembre 2007, le demandeur a reçu un appel sur son téléphone cellulaire. L’appelant lui a dit qu’on avait découvert qu’il avait déposé une plainte à la police et que le bureau central faisait une enquête. L’appelant a menacé de mort le demandeur au cas où il identifierait quiconque dans le cadre de l’enquête.

 

[11]           Le demandeur a décidé de quitter le Mexique pour assister à une conférence à Gatineau, au Québec, dont la participation avait été organisée par son frère. Le demandeur est parti pour le Canada le 7 novembre 2007 et, à la fin de la conférence, il n’est pas retourné au Mexique. On lui a conseillé de présenter une demande d’asile, ce qu’il a fait le 19 décembre 2007.

 

[12]           Le demandeur allègue qu’il craint d’être tué en raison de la protection de l’État inadéquate au Mexique à l’encontre des policiers corrompus qui travaillent avec des membres de gangs.

 

La décision contestée

[13]           La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il pouvait bénéficier d’une protection adéquate de l’État et parce qu’il manquait de crédibilité.

 

[14]           La Commission a conclu que le demandeur avait omis de présenter des documents acceptables pour démontrer qu’il était le propriétaire de la boutique DVD Magic à Tapachula. Il a tenté de produire un document d’enregistrement qui n’avait pas été traduit. Lorsqu’on a demandé à l’interprète présente à l’audience de regarder le document, elle a mentionné [traduction] « qu’il n’y avait rien dans le document pour déclarer la nature de l’enregistrement, sauf la date du 14 avril 2000 ». Rien dans le document ne le liait à une boutique vidéo ou à une adresse à Tapachula. En conséquence, le document n’a pas été accepté en preuve et aucun poids ne lui a été accordé.

 

[15]           La boutique du demandeur était située dans un édifice et elle était louée auprès du Dr Carlos Carballa. Le demandeur a admis qu’il avait conclu un bail écrit avec le Dr Carballa, mais qu’il n’avait pas apporté une copie du bail avec lui à l’audience. Le demandeur n’a pas été en mesure de présenter des photographies de sa boutique vidéo, ni des dépliants ni d’autres documents qui mentionnaient le nom de la boutique.

 

[16]           Le demandeur a été présumément blessé le 15 janvier 2007 et il s’est rendu à l’hôpital régional de Tapachula pour se faire soigner. Il a admis que l’hôpital avait inscrit sa visite, mais il n’a pas conservé les dossiers qui, d’après ses dires, sont dans sa maison abandonnée à Tapachula. Le demandeur a signé son Formulaire de renseignements personnels (FRP) le 15 janvier 2008 et il a obtenu les services d’un conseil depuis lors. Le demandeur ou son conseil aurait dû se rendre compte de l’importance de produire des documents disponibles de cette nature pour appuyer la demande d’asile.

 

[17]           À la suite de la deuxième agression, le demandeur a été blessé et traité pour des blessures graves au même hôpital en mars 2007. Il a dû se faire extraire une dent à l’hôpital et le médecin lui a prescrit des médicaments. Le demandeur n’a apporté aucun de ces dossiers avec lui, pas plus qu’il n’a tenté de les obtenir, nonobstant les directives de la question 31 de son FRP qui énoncent ce qui suit : « Joignez des copies de tout rapport médical ou psychologique, rapport de police ou autre document étayant votre demande d’asile. »

 

[18]           À la fin de l’audience, le conseil du demandeur a demandé à la Commission de lui accorder suffisamment de temps pour obtenir ces documents du Mexique pour les lui présenter avant la rédaction des motifs. La Commission a rejeté la demande parce qu’elle estimait que le demandeur était tenu de présenter suffisamment de documents crédibles pour corroborer sa demande d’asile au plus tard 20 jours avant l’audience. Il n’y avait aucune circonstance exceptionnelle en l’espèce qui justifiait un délai pour terminer l’audience et pour que la Commission rédige ses motifs définitifs.

 

[19]           Le demandeur a signalé l’agent Sanchez à la police de Tuxtla lorsqu’il y a déménagé en mars 2007. La police connaissait donc l’identité de l’agent à ce moment‑là et elle a promis de faire enquête. En fait, la police aurait commencé son enquête au moment où le demandeur s’apprêtait à quitter le Mexique pour venir au Canada ou à cette époque. La Commission n’a pas compris pourquoi le demandeur avait reçu un appel en septembre 2007 d’une personne qui menaçait de le tuer s’il identifiait ou nommait quiconque était impliqué, puisqu’il avait déjà nommé et identifié l’un d’entre eux en tant que policier corrompu en mars de la même année.

 

[20]           Outre le policier Sanchez, le demandeur ne savait pas qui étaient les autres trafiquants de drogue, sauf qu’ils portaient des t‑shirts sans manches et des tatouages. Il n’a pas signalé le premier incident à la police parce qu’il croyait qu’ils ressemblaient à des policiers à la manière dont ils étaient habillés et parce qu’il craignait de les signaler. Le demandeur estime que la plupart des policiers du Mexique sont corrompus, tant les policiers de l’État que les policiers fédéraux, nonobstant le fait qu’il s’agissait de la première fois qu’il avait un contact personnel avec la police. Si le demandeur croyait que la police était corrompue et qu’elle n’agirait pas dans des affaires comme celle‑ci, la Commission s’est demandée pourquoi il était allé à la police à deux reprises pour signaler un policier corrompu.

 

[21]           Le demandeur a reconnu que la protection de l’État était l’une des questions déterminantes en l’espèce. Il a aussi reconnu qu’il connaissait la décision à caractère persuasif TA6‑07453, datée du 26 novembre 2007, qui analysait la question de la protection de l’État au Mexique, l’existence de mécanismes permettant de porter plainte et le degré de démocratie au Mexique.

 

[22]           La Commission a rappelé qu’il existe une présomption selon laquelle un État est en mesure de protéger ses citoyens et qu’un demandeur peut réfuter cette présomption en présentant une preuve « claire et convaincante » de l’absence de la protection de l’État dans le pays d’origine. Le demandeur doit demander la protection de son État, s’il est raisonnablement possible de l’obtenir.

 

[23]           Lorsque l’État en cause est un État démocratique, comme le Mexique, le demandeur doit aller plus loin que simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de la preuve qui incombe au demandeur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause; plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur devra avoir cherché à épuiser tous les recours raisonnables qui s’offrent à lui.

 

[24]           La police doit se voir accorder un délai raisonnable pour enquêter sur les faits et porter des accusations si les renseignements et les faits justifient une telle mesure. La police de Tuxtla a indiqué au demandeur qu’elle ferait enquête et que l’agent Pedro Sanchez serait également interrogé. Le demandeur a avoué à l’audience qu’il n’avait pas attendu suffisamment longtemps pour connaître les résultats de l’enquête avant de venir à la conférence au Canada.

 

[25]           La Commission estimait que si le demandeur était demeuré au Mexique, avec la preuve que la police détenait, cette dernière aurait peut‑être pu accuser l’agent Sanchez et le faire déclarer coupable.

 

[26]           La Commission a supposé que, sans autre collaboration du demandeur, parce qu’il était au Canada et qu’il ne serait pas disponible pour témoigner à l’encontre de l’agent Sanchez, l’enquête commencée par la police mexicaine se terminerait probablement rapidement. Le demandeur aurait dû attendre pour voir si justice serait rendue dans cette affaire particulière avant de s’enfuir.

 

[27]           La décision à caractère persuasif TA6‑07453 analysait avec soin l’existence de la protection de l’État et la Commission était convaincue que les faits de l’affaire dont elle était saisie étaient suffisamment semblables aux faits de la décision à caractère persuasif.

 

[28]           À l’audience, le conseil du demandeur n’a pas tenté de distinguer la présente cause des faits ou des conclusions tirées par la Commission dans la décision TA6‑07453, pas plus qu’il ne l’a mentionnée pendant ses observations orales, autrement qu’en reconnaissant son existence.

 

Les dispositions législatives pertinentes

[29]           Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites à l’annexe A, à la fin du présent document.

 

La norme de contrôle

[30]           Compte tenu de Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, de Cervantes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 680, [2008] A.C.F. no 848 (QL), au paragraphe 7, et de Farias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1035, 170 A.C.W.S. (3d) 601, au paragraphe 14, la Cour conclut que la norme de contrôle à l’égard de l’appréciation de la Commission du caractère adéquat et de l’existence de la protection de l’État est la norme de la décision raisonnable.

 

[31]           Les questions d’équité procédurale devraient être évaluées selon la norme de la décision correcte (Ellis‑Don Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), 2001 CSC 4, [2001] 1 R.C.S. 221, au paragraphe 65). Lorsqu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité, en règle générale, la décision devrait être annulée (Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2006] 3 R.C.F. 392, au paragraphe 54).

 

a)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans ses conclusions à propos de la protection de l’État?

[32]           La Commission a droit à un degré de déférence élevé à l’égard de ses conclusions sur la question de savoir si un demandeur a réfuté la présomption de la protection de l’État. En l’espèce, la Commission pouvait légitimement conclure, compte tenu du présent contexte, que le demandeur n’avait pas épuisé tous les recours raisonnables offerts par l’État.

 

[33]           Le demandeur a admis qu’il avait quitté le Mexique pour le Canada en novembre 2007, juste au moment où l’enquête concernant l’agent Sanchez était sur le point de débuter. Ainsi, le demandeur avait tort de croire que les autorités mexicaines ne pouvaient pas le protéger. En s’enfuyant du Mexique, le demandeur n’a simplement pas donné aux autorités mexicaines l’occasion de lui offrir une protection adéquate par la poursuite des contrevenants. Les autorités de Tuxtla ont déclaré qu’elles enquêteraient sur la plainte du demandeur, mais ce dernier n’a pas attendu les résultats de l’enquête avant de s’enfuir du Mexique. Il était raisonnable que la Commission conclue que le demandeur n’avait pas démontré au moyen d’une preuve claire et convaincante que le Mexique ne pouvait pas le protéger.

 

b)         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en s’appuyant sur sa décision à caractère persuasif TA6‑07453 dans son analyse de la protection de l’État?

 

[34]           Le contexte factuel entourant la décision à caractère persuasif TA6‑07453 n’est pas exactement le même que celui en l’espèce, mais suffisamment semblable pour que la Commission adopte et applique les mêmes conclusions quant à la protection de l’État dans l’affaire sur laquelle elle devait se prononcer. Cette conclusion n’est pas déraisonnable.

 

[35]           La Commission n’était pas liée par la décision à caractère persuasif. Elle a plutôt examiné sa pertinence à l’occasion de son évaluation particulière de la demande d’asile du demandeur en fonction de la preuve dont elle était saisie.

 

[36]           Il est présumé que la Commission a apprécié et examiné l’ensemble de la preuve dont elle était saisie, à moins que le contraire ne soit établi. Le simple fait que la Commission n’a pas, dans ses motifs, examiné chaque élément de preuve en détail ne signifie pas qu’elle n’a pas examiné ces documents et cela n’a pas pour effet de vicier sa décision (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL); Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317, à la p. 318, 36 A.C.W.S. (3d) 635 (C.A.F.)). En l’espèce, les motifs de la Commission étayent convenablement la décision et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

c)         Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale qui exige le renvoi de l’affaire à la Commission?

 

Les arguments du demandeur

[37]           Sans tirer de conclusion précise dans ses motifs quant à l’absence de crédibilité du demandeur, la Commission a attaqué sa crédibilité concernant deux choses : le téléphone de menaces de septembre 2007 et l’absence de documents déposés à l’appui de sa demande d’asile.

 

[38]           La Commission n’a pas conclu que le témoignage du demandeur était incohérent ni qu’il était contredit par un autre élément de preuve dont elle était saisie. La Commission n’a pas fait d’observation concernant des omissions dans le témoignage du demandeur ou dans son FRP, mais la décision mentionne à plusieurs reprises l’omission du demandeur de présenter une preuve corroborante à l’appui de sa demande d’asile. Cependant, selon la jurisprudence, un commissaire commet une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur lorsqu’il s’appuie uniquement sur l’absence de preuve documentaire (Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 137, 41 A.C.W.S. (3d) 863 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 45).

 

[39]           En l’espèce, rien ne contredit le témoignage sous serment du demandeur selon lequel il était le propriétaire d’une boutique vidéo et qu’il s’était rendu à une clinique médicale après avoir été battu à deux reprises en janvier et en mars 2007. En mettant en doute la crédibilité du demandeur en raison de l’absence d’une preuve documentaire corroborante, le demandeur soutient que le commissaire a commis une erreur de droit.

 

[40]           Le demandeur indique également que son conseil ne lui avait pas demandé de fournir des documents concernant sa demande d’asile avant l’audience. À l’audience, le conseil du demandeur a demandé à la Commission un délai pour présenter des documents avant que la Commission ne rédige ses motifs définitifs. La Commission a rejeté la demande, déclarant qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles qui justifiaient un délai pour compléter l’audience et pour que la Commission rédige ses motifs définitifs. Sur le plan de l’équité procédurale, le demandeur fait valoir que, étant donné que la décision n’avait pas encore été rendue à la date du dépôt de la requête, la Commission aurait dû examiner la demande. En omettant de le faire, la Commission a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur.

 

[41]           Le 26 novembre 2008, le demandeur, représenté par un nouveau conseil, a déposé une requête auprès de la Commission pour demander, entre autres mesures, une prolongation de délai pour déposer de nouveaux éléments de preuve documentaire. Bien que la requête du demandeur ait été déposée plusieurs jours avant que le commissaire ne rende sa décision, la Commission n’a pas accusé réception de la requête. Le 15 décembre 2008, la requête a été renvoyée au conseil du demandeur, qui a été informé que la décision avait déjà été rendue dans le dossier du demandeur.

 

[42]           Dans une deuxième demande écrite distincte, le demandeur a présenté de nouveaux renseignements montrant qu’il existait des circonstances exceptionnelles à l’appui de la demande. Plus particulièrement, le demandeur a expliqué que son conseil à l’audience ne l’avait jamais informé qu’il était tenu de fournir une preuve documentaire à l’appui de sa demande d’asile, qu’il avait uniquement été informé de cette exigence au cours de l’audience et qu’il avait facilement accès à cette information.

 

[43]           Le défendeur soutient qu’il ne s’agissait pas d’une situation exceptionnelle dans laquelle il y avait de nouveaux éléments de preuve ou qu’ils n’avaient pu être présentés auparavant. Le demandeur ne soutient pas que la Commission était tenue d’accepter sa demande de lui accorder plus de temps pour présenter des documents. Le demandeur allègue que, puisque la Commission a reçu la requête avant la date de la décision, et puisqu’en vertu de l’article 69 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, la Commission a le pouvoir de « modifier une exigence d’une règle », de « permettre à une partie de ne pas suivre une règle » ou de « proroger ou abréger un délai avant ou après son expiration », la requête aurait dû être examinée avant que la décision ne soit rendue. L’omission de la Commission de considérer la requête du demandeur constitue un manquement à l’équité procédurale.

 

Les arguments du défendeur

[44]           Le demandeur n’a pas fourni de preuve documentaire corroborante à l’intérieur du délai prescrit par la loi et allègue maintenant que ses tentatives de déposer des documents en retard au moyen d’une requête, des semaines après l’audience, ont mené à un manquement à l’équité procédurale. Le dossier indique toutefois que, au lieu d’avoir subi un manquement à l’équité procédurale, le demandeur n’a tout simplement pas présenté sa requête à temps pour que la Commission l’examine avant de rendre sa décision.

 

[45]           À l’audience, le conseil du demandeur a demandé une prorogation de délai pour déposer des éléments de preuve documentaire, mais la Commission a refusé la prorogation parce qu’elle a conclu qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles qui justifiaient le délai. La Commission a conclu que le demandeur avait l’obligation de fournir tout document pour corroborer sa demande d’asile 20 jours avant l’audience, comme le prévoient l’alinéa 29(4)a) des Règles de la Section de la protection des réfugiés et le Formulaire de renseignements personnels (FRP).

 

[46]           La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur le 4 novembre 2008, soit le lendemain de l’audience. Une ébauche des motifs a été fournie à la secrétaire à cette date et les motifs ont été signés 1er décembre 2008.

 

[47]           Le 26 novembre 2008, quelques semaines après l’audience, un conseil autre que celui qui était inscrit au dossier pour le demandeur a transmis par télécopie à la Commission des documents de requête pour une requête sollicitant une prorogation de délai pour le dépôt d’éléments de preuve. Ce conseil n’était pas le conseil inscrit au dossier pour le demandeur à ce moment‑là. Au moment où le demandeur a déposé un avis de substitution de conseil le 9 décembre 2008, la décision de la Commission avait déjà été rendue.

 

[48]           Dans son affidavit, le nouveau conseil du demandeur a affirmé qu’on lui avait demandé d’agir pour le compte du demandeur le 21 novembre 2008. Toutefois, le demandeur ou son conseil n’a tenté de substituer le conseil inscrit au dossier pour le demandeur que le 9 décembre 2008, après la signature de la décision. Les Règles de la Section de la protection des réfugiés exigent un avis immédiat de la substitution de conseil, tel que le réitèrent les divers formulaires qu’a reçus le demandeur. Le demandeur et son nouveau conseil auraient dû être au courant des délais serrés et auraient dû s’assurer que la requête provienne du conseil inscrit au dossier afin qu’elle soit présentée régulièrement à la Commission. L’adhésion de la Commission à ses Règles ne constitue pas un manquement à l’équité, pas plus qu’elle n’est trop sévère, compte tenu du fait que le conseil a été avisé qu’il pouvait présenter une requête en réouverture.

 

[49]           Le paragraphe 4(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit qu’un demandeur d’asile doit fournir par écrit toute modification relative aux coordonnées de son conseil à la Section et au ministre. Le FRP indique également aux demandeurs d’asile devant la Commission d’aviser immédiatement la Commission s’ils changent de conseil. La trousse du FRP contient un formulaire spécial à cette fin. Il est important que les demandeurs fournissent à la Commission des coordonnées à jour de leur conseil.

 

[50]           Le 11 décembre, après que la Commission eût rendu sa décision, le demandeur a tenté de fournir à la Commission des documents à l’appui de sa demande d’asile. La décision de la Commission lui a été fournie.

 

[51]           Le 15 décembre, le personnel du greffe de la Commission a retourné les documents de requête au nouveau conseil et l’a avisé que, puisque la décision avait déjà été rendue, il pouvait présenter une requête en réouverture de la cause s’il choisissait de le faire. Le demandeur ne s’est pas prévalu de cette option et a plutôt présenté la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[52]           En l’absence de circonstances exceptionnelles, la Cour ne devrait pas récompenser le retard du demandeur ou de son conseil en concluant à un manquement à l’équité procédurale. Agir ainsi serait injuste à l’égard des autres demandeurs qui respectent les Règles de la Section de la protection des réfugiés et les exigences en matière de délais prescrits. De fait, la Commission avait déjà réglé la question de la demande du demandeur de déposer des éléments de preuve après l’audience. Tel qu’il a été mentionné dans les motifs de la Commission, à la fin de l’audience, le conseil d’alors du demandeur avait demandé une prorogation de délai pour déposer des éléments de preuve documentaire avant que la Commission ne rédige ses motifs. Celle‑ci avait toutefois rejeté la demande en raison de l’absence de circonstances exceptionnelles justifiant un délai, car il ne s’agissait pas d’une situation exceptionnelle dans laquelle les éléments de preuve étaient nouveaux ou n’avaient pu être présentés auparavant.

 

Analyse

[53]           La Commission n’a pas manqué à l’équité procédurale en déterminant qu’il n’y avait pas de circonstances exceptionnelles justifiant l’octroi d’un délai supplémentaire pour la présentation d’éléments de preuve documentaire qu’elle devrait examiner dans ses motifs. Le demandeur a signé son FRP le 15 janvier 2008. Il avait jusque‑là été représenté par un avocat d’expérience. La date de l’audience était le 3 novembre 2008. Le demandeur a eu amplement le temps de réunir et de déposer ses documents devant la Commission.

 

[54]           De plus, le demandeur aurait pu présenter une requête en réouverture de sa cause après la signature de la décision, mais il a plutôt choisi de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire. À la lumière de ces circonstances, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[55]           Les parties n’ont présenté aucune question à certifier, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


ANNEXE A

 

Dispositions législatives pertinentes

 

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228

 

4. (1) Le demandeur d’asile transmet ses coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

4. (1) The claimant must provide the claimant’s contact information in writing to the Division and the Minister.

 

Délai

(2) Les coordonnées doivent être reçues par leurs destinataires au plus tard dix jours suivant la réception, par le demandeur d’asile, du formulaire sur les renseignements personnels.

 

Time limit

(2) The claimant’s contact information must be received no later than 10 days after the claimant received the Personal Information Form.

 

Changement des coordonnées

(3) Dès que ses coordonnées changent, le demandeur d’asile transmet ses nouvelles coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

Change to contact information

(3) If the claimant’s contact information changes, the claimant must without delay provide the changes in writing to the Division and the Minister.

 

Coordonnées du conseil

(4) Dès qu’il retient les services d’un conseil, le demandeur d’asile transmet les coordonnées de celui‑ci par écrit à la Section et au ministre. Dès que ces coordonnées changent, le demandeur d’asile transmet les nouvelles coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

Claimant’s counsel

(4) A claimant who is represented by counsel must, on obtaining counsel, provide the counsel’s contact information in writing to the Division and the Minister. If that information changes, the claimant must without delay provide the changes in writing to the Division and the Minister.

 

29. (1) Pour utiliser un document à l’audience, la partie en transmet une copie à l’autre partie, le cas échéant, et deux copies à la Section, sauf si les présentes règles exigent un nombre différent de copies.

 

29. (1) If a party wants to use a document at a hearing, the party must provide one copy to any other party and two copies to the Division, unless these Rules require a different number of copies.

 

Communication de documents par la Section

(2) Pour utiliser un document à l’audience, la Section en transmet une copie aux parties.

 

Disclosure of documents by the Division

(2) If the Division wants to use a document at a hearing, the Division must provide a copy to each party.

 

Preuve de transmission

(3) En même temps qu’elle transmet les copies à la Section, la partie lui transmet également une déclaration écrite indiquant à quel moment et de quelle façon elle en a transmis une copie à l’autre partie, le cas échéant.

 

Proof that document was provided

(3) Together with the copies provided to the Division, the party must provide a written statement of how and when a copy was provided to any other party.

 

Délai

(4) Tout document transmis selon la présente règle doit être reçu par son destinataire au plus tard :

 

Time limit

(4) Documents provided under this rule must be received by the Division or a party, as the case may be, no later than

 

a) soit vingt jours avant l’audience;

 

(a) 20 days before the hearing; or

 

b) soit, dans le cas où il s’agit d’un document transmis en réponse à un document reçu de l’autre partie ou de la Section, cinq jours avant l’audience.

 

(b) five days before the hearing if the document is provided to respond to another document provided by a party or the Division.

69. La Section peut :

 

a) agir de sa propre initiative sans qu’une partie n’ait à lui présenter une demande;

 

 

b) modifier une exigence d’une règle;

 

c) permettre à une partie de ne pas suivre une règle;

 

d) proroger ou abréger un délai avant ou après son expiration.

69. The Division may

 

(a) act on its own initiative, without a party having to make an application or request to the Division;

 

(b) change a requirement of a rule;

 

(c) excuse a person from a requirement of a rule; and

 

(d) extend or shorten a time limit, before or after the time limit has passed.

 

 

 


Cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑5669‑08

 

Intitulé :                                       MONTESINOS HIDALGO, Marco Antonio

et

le ministre de la citoyenneté

ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 30 juin 2009

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 8 juillet 2009

 

 

 

Comparutions :

 

Michael Bossin                                                                         pour le demandeur

                                                                                               

 

Zoe Oxaal                                                                                pour le défendeur

 

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ottawa Community Legal Services                                            pour le demandeur

Ottawa (Ontario)

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                     pour le défendeur

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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