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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20090707

Dossier : IMM‑4516‑08

Référence : 2009 CF 706

Ottawa (Ontario), le 7 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

KELLY PALUMBO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 3 octobre 2008 par une agente d’immigration (l’agente), dans laquelle l’agente a rejeté la demande de dispense de l’obligation d’obtenir un visa de résident permanent présentée par la demanderesse, laquelle demande était fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

La question en litige

[2]               La présente demande soulève la question suivante : l’agente a‑t‑elle commis une erreur de fait ou de droit lorsqu’elle a tranché la demande de la demanderesse?

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

La décision contestée

[4]               Habituellement, la demande de résidence permanente doit être présentée à l’étranger. Cependant, le paragraphe 25(1) de la Loi autorise un ministre à délivrer un visa de résident permanent de l’intérieur du Canada en raison de motifs d’ordre humanitaire.

 

[5]               En l’espèce, la demanderesse demeure au Canada depuis 1990, mais elle n’a eu aucun emploi d’une durée de plus de huit mois alors qu’elle demeurait ici. La demanderesse affirme qu’elle a fait du bénévolat pendant plus d’un an en 2007 et en 2008 mais elle n’a fourni aucun document établissant qu’elle possède des actifs au Canada. Étant donné que la demanderesse vivait au Canada depuis une longue période de temps, l’agente a accordé beaucoup de poids au fait que la demanderesse ne travaille pas, qu’elle n’a donc pas contribué à la société canadienne et qu’elle en a plutôt soutiré des bénéfices sous la forme de prestations d’aide sociale, prestations qu’elle reçoit encore. Étant donné que la demanderesse est citoyenne des États‑Unis, l’agente a conclu qu’il était raisonnable de croire que, si la demanderesse était obligée de retourner aux États‑Unis, elle devrait être capable de continuer de recevoir des prestations d’aide sociale de son pays de nationalité.

 

[6]               La demanderesse a trois enfants canadiens; deux de ses enfants sont citoyens des États‑Unis. L’agente a noté que, s’il respectait certains critères et certaines exigences d’inscription, le benjamin pourrait également avoir la citoyenneté des États‑Unis étant donné que sa mère est citoyenne de ce pays.

 

[7]               La demanderesse a affirmé que ses deux fils les plus âgés sont partis en raison de conflits avec leur père. Elle a également mentionné que, bien que le père ne veuille pas la garde des enfants, il maintient une bonne relation avec le benjamin. La demanderesse a affirmé que le père ne lui permettra pas [traduction] « de déménager si loin avec eux ». Cependant, étant donné que les deux enfants les plus âgés ont plus de dix‑huit ans, il est raisonnable de croire que leur garde n’est plus un problème.

 

[8]               En ce qui concerne la séparation du benjamin et de son père, l’agente a noté qu’il s’agissait d’une décision qui relevait des parents ou des tribunaux. Selon l’agente, les relations ne seront pas restreintes par le lieu de résidence, et il existe plusieurs moyens par lesquels le benjamin pourrait maintenir sa relation avec son père si les parents décidaient qu’il devait accompagner la demanderesse aux États‑Unis.

 

[9]               Les renseignements fournis au sujet des deux fils les plus âgés révèlent qu’ils ne vont pas à l’école secondaire, qu’ils ne travaillent pas et qu’ils reçoivent des prestations d’aide sociale. Étant donné leur âge et leur citoyenneté canadienne, il est raisonnable de croire qu’ils pourraient se trouver un emploi quelconque, à temps plein ou à temps partiel, afin d’aider financièrement la famille. Étant donné que les deux enfants les plus âgés sont également citoyens des États‑Unis, il est raisonnable de croire qu’ils pourraient trouver un emploi aux États‑Unis s’ils décidaient d’accompagner leur mère si cette dernière devait retourner dans son pays d’origine. L’agente a également noté que les trois enfants garderaient leur citoyenneté canadienne peu importe où ils demeurent.

 

[10]           Par suite de l’examen de l’ensemble des renseignements portant sur la demande, l’agente n’était pas convaincue qu’il existait des motifs d’ordre humanitaire justifiant d’accorder la dispense demandée.

 

La disposition législative pertinente

[11]           L’annexe A, qui se trouve à la fin du présent document, renferme le paragraphe pertinent.

 

La norme de contrôle

[12]           À la lumière de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable à une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est la raisonnabilité, et la décision contestée doit faire l’objet d’une grande retenue (Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1152, [2008] A.C.F. n1632 (QL), paragraphes 16 et 17; voir également Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, paragraphes 17 et 62).

 

Analyse

[13]           Il existe une présomption selon laquelle l’agent d’immigration a examiné l’ensemble de la preuve. Même si l’agent n’est pas obligé de faire état de l’ensemble des faits dans sa décision, les faits pertinents devraient être mentionnés et ils devraient être examinés et discutés. Une déclaration générale selon laquelle l’agent a examiné l’ensemble de la preuve peut être suffisante pour respecter le présent critère (Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, 83 A.C.W.S. (3d) 264 (C.F. 1re inst.); Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 63 F.T.R. 312, 40 A.C.W.S. (3d) 657 (C.F. 1re inst.).

 

[14]           En l’espèce, l’agente d’immigration a examiné la preuve et, étant donné le peu de renseignements dont elle disposait, a fourni des motifs pertinents qui justifient son refus d’accueillir la demande de la demanderesse. Il convient de noter que la demanderesse a eu de l’aide afin de remplir sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[15]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a tenu compte des facteurs énoncés dans la section 5.19 du Guide opérationnel.

 

[16]           Cependant, l’intérêt supérieur de l’enfant ne sera pas nécessairement le facteur déterminant dans toutes les affaires (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358). Une fois que l’agent d’immigration a défini et établi l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il s’est montré réceptif, attentif et sensible, l’agent peut lui accorder le poids qu’il mérite selon les circonstances de l’affaire dont il est saisi, et il n’appartient pas à la Cour de réexaminer le poids accordé à ces facteurs par l’agent (Legault, précité, paragraphes 11 et 12).

 

[17]           En l’espèce, la Cour conclut qu’il n’est pas justifié d’intervenir.

 

[18]           La demanderesse demande à ce que la question suivante soit certifiée :

[traduction]

Le délégué du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a‑t‑il l’obligation d’obtenir d’autres renseignements concernant l’intérêt supérieur des enfants nés au Canada s’il croit que les renseignements présentés par le demandeur sont insuffisants et ne permettent pas d’évaluer l’intérêt supérieur des enfants?

 

[19]           Le défendeur conteste la certification d’une telle question parce qu’elle ne trancherait pas l’affaire. En outre, la Cour d’appel fédérale a récemment refusé de répondre à une question certifiée très semblable dans l’affaire Kisana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189.

 

[20]           La Cour est d’avis que, bien que la Cour d’appel fédérale ait écrit ce qui suit au paragraphe 62 de l’arrêt Kisana, il n’était pas nécessaire en l’espèce d’obtenir d’autres renseignements : « […] Je n’écarte cependant pas la possibilité qu’il puisse exister des situations dans lesquelles l’équité commande que l’agent obtienne de plus amples informations. La réponse à la question de savoir si l’équité exige une telle chose dépend donc des faits de chaque espèce. »

 

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


ANNEXE A

 

Disposition légale pertinente

 

L’article 25 de la Loi régit les demandes de résidence permanente fondées sur des motifs d’ordre humanitaire :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – ou l’intérêt public le justifient.

 

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

 

 

Le Guide opérationnel IP 5 – Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (guide opérationnel) fournit les lignes directrices suivantes :

5.19. Intérêt supérieur de l’enfant

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés introduit l’obligation légale de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant directement affecté par une décision prise en vertu du L25(1), lors du contrôle concernant les circonstances d’un étranger qui présente une demande dans le cadre de cet article. Ceci précise la pratique du ministère eu égard à la loi, éliminant ainsi tout doute sur le fait que l’intérêt supérieur de l’enfant sera pris en considération.

 

L’agent doit toujours être vigilant et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant lors de l’examen des demandes présentées au titre du L25(1). Toutefois, cette obligation ne s’applique que lorsqu’il est suffisamment clair, selon l’information soumise au décideur, que la demande s’appuie en entier ou pour le moins en partie, sur ce facteur. Il incombe au demandeur de prouver le bien‑fondé de sa demande CH. Si le demandeur ne fournit pas suffisamment d’information appuyant ces déclarations, l’agent peut conclure que ces dernières manquent de fondement. Comme pour toute décision d’ordre humanitaire, la conclusion du cas est laissée à l’entière discrétion de l’agent.

 

Il est important de noter que la codification du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la législation ne signifie pas que l’intérêt de l’enfant surpasse tous les autres facteurs liés au cas. L’intérêt supérieur de l’enfant est l’un des nombreux facteurs dont l’agent doit tenir compte lorsqu’il prend une décision CH ou une décision liée à la politique publique qui affecte directement un enfant.

 

Lorsqu’il prend une décision concernant une demande CH, l’agent doit tenir compte de l’intérêt supérieur de tous les enfants directement affectés par la décision. Dans ce contexte, « tout enfant directement affecté » peut désigner autant un enfant canadien qu’un enfant né à l’étranger (et peut inclure les enfants hors du Canada).

 

La relation entre le demandeur et « l’enfant directement affecté » n’est pas nécessairement un lien de filiation; il peut s’agir de n’importe quel lien que la décision affecte. Par exemple, un grand‑parent peut être la personne qui s’occupe de l’enfant et cette personne est affectée par la décision en matière d’immigration; l’enfant est donc affecté lui aussi par cette décision. Le résultat d’une décision prise en vertu du L25(1) qui affecte directement l’enfant dépendra

toujours des faits relatifs au cas. L’agent doit tenir compte de toutes les informations soumises par le demandeur en vertu de leur demande soumise selon L25(1). Par conséquent, les directives

suivantes ne constituent pas une liste exhaustive des facteurs qui concernent les enfants et ne

sont pas nécessairement décisives. Elles servent plutôt à guider l’agent et à illustrer les types de

facteurs qui sont souvent présents dans les cas liés au L25(1) qui concernent l’intérêt supérieur

de l’enfant. Comme madame la juge McLachlin de la Cour suprême du Canada l’a affirmé : « … La multitude de facteurs qui risquent de faire obstacle à l’intérêt de l’enfant rend inévitable un certain degré d’indétermination. Un critère davantage précis risquerait de sacrifier l’intérêt de

l’enfant au profit de l’opportunisme et de la certitude. . . » (Gordon c. Goertz [1996] 2 R.C.S. 27).

 

En général, les facteurs liés au bien‑être émotif, social, culturel et physique de l’enfant doivent être pris en considération, lorsqu’ils sont soulevés. Voici quelques exemples de facteurs qui peuvent être soulevés par le demandeur :

- l’âge de l’enfant;

- le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur CH;

- le degré d’établissement de l’enfant au Canada;

- les liens de l’enfant avec le pays concerné par la demande CH;

- les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant;

- les conséquences sur l’éducation de l’enfant;

- les questions relatives au sexe de l’enfant.

 

Les faits entourant une décision prise en vertu du L25(1) peuvent parfois donner lieu à la question de savoir si la décision placerait l’enfant directement affecté dans une situation de risque. La question du risque peut survenir, que l’enfant soit citoyen canadien ou né à l’étranger. Le cas échéant, il convient de consulter les sections 13.1 à 13.6 de ce chapitre qui offrent davantage de directives.

 

 

12.4 Facteurs liés aux liens avec les membres de la famille

L’agent doit tenir compte des facteurs qui suivent :

- Quels sont les liens réels avec les membres de la famille (enfant, époux, parent, fratrie, etc.) en ce qui a trait aux relations actuelles par opposition à un simple fait de parenté biologique?

- Où le demandeur réside‑t‑il par rapport aux membres de la famille, particulièrement les enfants?

- S’il y a eu antérieurement des périodes de séparation, quelle a été leur durée et leur motif?

- Si le demandeur et l’époux sont séparés ou divorcés, y a‑t‑il eu ordonnance de la Cour pour les dispositions de garde?

 

12.10 Séparation des parents et des enfants

Le renvoi du Canada d’une personne sans statut peut avoir des répercussions sur les membres de la famille qui ont juridiquement le droit d’y séjourner (c.‑à‑d. résidents permanents ou citoyens canadiens). À l’exception d’un époux ou d’un conjoint, les membres de la famille ayant statut juridique peuvent comprendre les enfants, les parents et la fratrie, notamment. Une longue séparation des membres de la famille peut créer des difficultés qui peuvent justifier une décision CH favorable.

Dans l’évaluation des cas de ce type, l’agent doit peser les intérêts divers et importants en jeu :

- l’intérêt du Canada (compte tenu de l’objectif législatif de maintenir et de protéger la santé, la sécurité et l’ordre dans la société canadienne);

- l’intérêt de la famille (compte tenu de l’objectif de la Loi de faciliter la réunification familiale);

- le contexte de tous les membres de la famille, notamment les intérêts et la situation des enfants à charge apparentés à la personne sans statut;

- le contexte particulier de l’enfant du demandeur (âge, besoins, santé, développement affectif);

- la dépendance financière que supposent les liens familiaux;

- le degré de difficulté par rapport au contexte personnel du demandeur (voir les définitions, Section 6.6, Motifs d’ordre humanitaire ou considérations humanitaires).

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4516‑08

 

 

INTITULÉ :                                                   KELLY PALUMBO

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 29 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 JUILLET 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jamie Liew                                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Agnieszka Zagorska                                         POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Galldin Liew LLP                                             POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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