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Date : 20090706

Dossier : IMM-5054-08

Référence : 2009 CF 701

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

EUI HANG CHO

SEONG HO PARK

JUN HO PARK

JI HO PARK

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision en date du 17 octobre 2008 (la décision), par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître aux demandeurs la qualité de réfugiés au sens de la Convention et celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

 

LE CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse principale, Eui Cho, et ses fils Seong (16 ans), Jun (20 ans) et Ji (dix ans) sont des citoyens de la Corée du Sud. La demanderesse principale allègue que, si ses fils et elle retournaient en Corée, ils seraient exposés au risque que représente son mari violent.

 

[3]               La demanderesse principale s’est mariée en 1987. Son époux consommait de l’alcool de manière excessive et est devenu physiquement et verbalement violent. La demanderesse principale n’a jamais signalé la violence à la police en Corée. Elle n’a pas non plus envisagé le divorce, en raison de la crainte de perdre ses enfants à l’occasion de la procédure de divorce, parce qu’en Corée, le père des enfants se voit prétendument toujours accorder la garde des enfants (un point de vue que la demanderesse principale a acquis en regardant la télévision et en lisant les journaux).

 

[4]               Le 26 décembre 2001, la demanderesse principale est arrivée au Canada avec ses fils, pour qu’ils puissent y fréquenter l’école. Ils sont arrivés à l’aéroport international Pearson, à Toronto. 

 

[5]               Depuis ce temps, l’époux de la demanderesse principale est venu au Canada à l’occasion et a résidé avec les demandeurs. Au cours de ces visites, l’époux a continué à faire preuve de violence. La dernière fois que la demanderesse principale a vécu avec son mari est à la fin de juin 2006. La dernière fois qu’elle a été agressée physiquement par lui était en juillet 2006, avant qu’il retourne en Corée. Jun, le fils aîné de la demanderesse principale, a confirmé la violence physique subie par celle-ci lors de l’audience relative à la demande d’asile.

 

[6]               En juillet 2006, la demanderesse principale a présenté une demande d’asile lorsque la prorogation supplémentaire des visas d’étudiants de ses fils a été refusée.

 

[7]               En août 2008, la demanderesse principale a reçu un appel téléphonique de la part de son époux, à l’occasion duquel il lui a demandé de revenir en Corée parce que les enfants lui manquaient. La demanderesse principale dit aussi qu’elle a reçu une menace de mort de la part de son époux.

 

LA Décision faisant l’objet du contrôle

 

[8]               La Commission a conclu que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

 

[9]               La Commission a désigné Jun comme représentant désigné de ses frères cadets.

 

[10]           La Commission a accepté les copies certifiées des passeports coréens valides des demandeurs et a conclu qu’ils étaient des citoyens de la Corée du Sud.

 

[11]           La Commission a examiné la demande de la demanderesse principale dans le cadre du groupe social de femmes victimes de violence conjugale, qui constitue un motif en vertu de la Convention : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward). La Commission a conclu que les trois demandeurs avaient établi un lien avec un motif de la Convention en étant membres de la famille de la demanderesse principale. La Commission a appliqué les directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe.

 

[12]           La Commission était convaincue que tous les demandeurs étaient « des victimes chroniques de violence physique et psychologique aux mains d’un mari et d’un père qui semble avoir de graves problèmes d’alcoolisme ». La Commission a cependant conclu que la protection de l’État était suffisante dans leur propre pays et que, lorsque la demanderesse principale était en Corée, « celle-ci n’a pris aucune mesure pour s’en prévaloir lorsqu’elle s’y trouvait ».

 

[13]           La Commission s’est référée à l’arrêt Ward pour le principe portant que l’asile peut être correctement demandé uniquement si un requérant a tout d’abord sollicité la protection dans son propre État. Il existe une présomption sous-jacente selon laquelle un État peut protéger ses citoyens, qui ne peut être réfutée que par une preuve contraire claire et convaincante. Lorsqu’un demandeur ne demande pas à son propre État d’être protégé, dans des circonstances où il est objectivement déraisonnable de ne pas le faire, la demande d’asile est rejetée.

 

[14]           La Commission s’est également référée à Flores Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] 4 R.C.F. 636 (C.A.F.) (Carrillo), pour la règle selon laquelle la responsabilité de la sécurité du réfugié repose en premier lieu sur l’État dont il est citoyen. La preuve qu’un demandeur présente pour réfuter la présomption de la protection de l’État doit être « une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante ». L’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (Villafranca), a statué qu’il n’était pas nécessaire que la protection offerte par un État à ses citoyens soit parfaite, mais que l’État doit faire de sérieux efforts pour protéger ses citoyens. Dans l’arrêt N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.) (Kadenko), il a été jugé qu’un demandeur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu’il s’est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de la preuve incombe au demandeur et est directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l’État en cause.

 

[15]           La Commission a conclu que les éléments de preuve fournis par les demandeurs « n’offrent pas de preuves particulièrement pertinentes, fiables et probantes qui [permettraient à la Commission] de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile a réfuté la présomption de protection de l’État ».

 

[16]           La Commission a fait remarquer que la Corée était une démocratie constitutionnelle qui contrôle efficacement ses forces de sécurité et qui est considérée comme disciplinée et non corrompue. Le viol continue à être un problème grave et, même si aucune loi particulière ne définit le viol entre époux comme étant illégal, les tribunaux ont établi un précédent en protégeant les époux dans de tels cas. En août 2004, la cour criminelle de Séoul a déclaré un homme coupable d’agression sexuelle après qu’il eut tenté d’avoir des relations sexuelles avec sa femme sans son consentement.

 

[17]           La violence contre les femmes est encore un problème en Corée. En effet, près de 50 p. 100 des femmes sont victimes de violence conjugale. Le gouvernement coréen a adopté la loi spéciale sur la sanction de la violence conjugale qui définit la violence conjugale comme un crime grave. La loi exige de la police que cette dernière prenne des mesures immédiates lorsque des cas de violence conjugale sont rapportés, ce que la police « fait en règle générale ». La loi exige aussi que les policiers accompagnent les victimes qui y consentent jusque dans un refuge ou à l’hôpital, si celles­ci doivent recevoir des soins. Les policiers sont tenus d’informer les victimes de leurs choix, tels que des mesures temporaires contre l’auteur du crime ou les services d’un procureur pour des mesures temporaires, si les victimes croient que la violence pourrait se reproduire.

 

[18]           La Commission a fait remarquer que le gouvernement de la Corée avait mis sur pied « un certain nombre » de refuges pour les femmes victimes de violence et avait augmenté le nombre d’établissements pour s’occuper des enfants. Les groupes de défense des droits des femmes ont conclu que « ces mesures sont loin d’assurer une résolution efficace du problème ». Au cours de 2007, le gouvernement a construit cinq nouveaux refuges pour les victimes de violence conjugale, pour un total de 97 refuges dans un pays qui compte 48 millions d’habitants. La Commission a également mentionné des éléments de preuve qui donnent à entendre que les femmes coréennes victimes de violence conjugale sont plus susceptibles d’être visées par l’approche sociale que de recevoir une protection adéquate, et de ressentir de la honte, du dégoût, de la mortification et de la culpabilité plutôt que de recevoir le soutien adéquat en raison de « la phallocratie et de l’absence de sensibilité des agents chargés de l’application de la loi ».

 

[19]           La Commission a estimé que, même si la situation des victimes de violence conjugale en Corée n’est pas parfaite (les ordonnances de protection sont difficiles à faire exécuter, car les victimes doivent signaler leur violation encore et encore), le gouvernement de la Corée a mis en œuvre à la fois un cadre législatif et un cadre d’application de la loi pour protéger les femmes victimes de violence conjugale et, « [m]is à part les attitudes phallocrates et l’absence de sensibilité, la police est disposée à appliquer la loi de manière à offrir aux victimes une protection efficace et significative [] le gouvernement de Corée du Sud déploie certainement de sérieux efforts [] afin de protéger les victimes de violence conjugale ».

 

[20]           La Commission a conclu que la demanderesse principale n’avait pas réfuté la présomption de la protection de l’État et n’avait pas pris suffisamment de mesures pour se prévaloir de la protection qu’elle pouvait obtenir en Corée. La Commission a aussi conclu que « Jun Ho est légalement un adulte et je ne vois aucune raison pour laquelle celui-ci se soumettrait à la discipline ou à la violence de son père, que ce soit ici ou en Corée du Sud. Bien qu’ils soient encore mineurs, aucune preuve ne me permet de conclure que Seong Ho Park et Ji Ho Park seraient en danger ou que ceux-ci ne bénéficieraient pas de la protection des autorités de leur pays d’origine s’ils retournaient en Corée du Sud. »

 

[21]           La Commission a statué que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention et que, parce qu’ils pouvaient se réclamer de la protection de l’État, un examen distinct des demandes au titre du paragraphe 97(1) « donnerait lieu à la même issue négative ».

 

LA Question en litige

 

[22]           Les demandeurs présentent la question suivante dans le cadre de la présente demande :

1)      La conclusion de la Commission selon laquelle la Corée du Sud offre une protection suffisante pour les victimes de violence conjugale est-elle raisonnable?

 

LES Dispositions législatives

 

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

LA Norme de contrôle

 

[24]           Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à la question de la protection de l’État est la norme de la décision raisonnable : Song c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 467, et Eler c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 334.

 

[25]           Le défendeur souligne que la Cour ne devrait pas intervenir à moins que la décision n’appartienne pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Le défendeur fait valoir que la Cour ne devrait pas intervenir en l’espèce, car la norme est une norme qui commande la retenue : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62 (Dunsmuir); Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12; Mwaura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 748, aux paragraphes 10 et 11; Muszynski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1075, aux paragraphes 7 et 8.

 

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la raisonnabilité simpliciter et la norme du manifestement déraisonnable étaient théoriquement différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. En conséquence, la Cour suprême du Canada a statué que les deux normes de raisonnabilité devaient être fondues en une seule norme de « raisonnabilité ».

 

[27]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a aussi statué qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle à chaque occasion. En effet, lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision entreprend l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[28]           Ainsi, compte tenu de l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à la question en l’espèce est la norme de la raisonnabilité. Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse se préoccupera de la question de savoir si « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. En d’autres termes, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable dans le sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

L’ARGUMENTATION

            Les demandeurs

                        La protection de l’État

 

[29]           Les demandeurs soutiennent que la question ne vise pas l’existence des mesures prises par le gouvernement coréen pour répondre à la question de la violence conjugale, mais l’efficacité de ces mesures. Les demandeurs se réfèrent à Erdogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 407, au paragraphe 28, qui cite Elcock c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1438, au paragraphe 15, pour la proposition selon laquelle « [n]on seulement le pouvoir protecteur de l’État doit-il comporter un encadrement légal et procédural efficace mais également la capacité et la volonté d’en mettre les dispositions en œuvre ».

 

[30]           Les demandeurs déclarent que les éléments de preuve présentés à la Commission démontrent que, même si un encadrement légal existe en Corée, il n’est pas mis en œuvre de manière efficace. Les demandeurs résument comme suit les éléments de preuve sur l’efficacité des différentes mesures de l’État et des mécanismes législatifs offerts aux femmes victimes de violence conjugale :

1)                  les femmes victimes de violence sont plus susceptibles de faire l’objet d’une critique sociale que d’être protégées;

2)                  les femmes ne reçoivent pas un soutien approprié en raison de la phallocratie et de l’absence de sensibilité des agents chargés de l’application de la loi;

3)                  les ordonnances de protection sont difficiles à faire exécuter;

4)                  les mesures concernant la violence conjugale sont loin de régler le problème.

 

[31]           Les demandeurs prétendent que la Commission a conclu dans ses motifs que les éléments de preuve sur lesquels se sont appuyés les demandeurs n’étaient pas d’une grande pertinence, malgré qu’ils proviennent de sources fiables comme le Département d’État des États-Unis et le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes. Les demandeurs affirment qu’il s’agit d’une preuve claire et convaincante et que, selon la prépondérance des probabilités, la seule [traduction] « décision raisonnable est qu’une protection de l’État efficace ne peut être assurée en Corée pour les femmes victimes de violence conjugale ».

 

[32]           Les demandeurs font aussi valoir que, bien que la Commission ait souligné que les policiers sont habituellement sensibles aux signalements de violence conjugale, ils doivent y répondre de manière efficace, ce qui n’est pas ce que démontre la preuve, particulièrement compte tenu de la phallocratie et de l’absence de sensibilité dont font preuve les agents chargés de l’application de la loi.

 

[33]           Les demandeurs concluent que les conclusions de la Commission concernant la protection de l’État sont déraisonnables et ne sont pas étayées par la preuve.

 

[34]           En outre, les demandeurs soutiennent qu’un demandeur d’asile n’est pas tenu de s’adresser à l’État pour réfuter la présomption de la protection de l’État lorsque, selon une analyse objective, la preuve démontre que la protection de l’État ne peut être raisonnablement assurée : Ward. Les demandeurs affirment que, parce que le gouvernement coréen ne s’occupe pas des problèmes de violence conjugale de manière efficace, la protection de l’État n’aurait pu être raisonnablement assurée en l’espèce. Il était donc inutile que les demandeurs s’adressent à l’État de la Corée pour démontrer que la protection n’était pas efficace : Ward.

 

[35]           Les demandeurs soutiennent que, bien que la Commission se réfère à des éléments de preuve, la conclusion ultime de la Commission doit être appuyée par la preuve et elle ne l’est pas en l’espèce.

 

Le défendeur

 

[36]           Le défendeur se réfère aux critères relatifs à la protection de l’État dans Ward, Villafranca et Carrillo. De même, selon lui, la Cour fédérale a statué qu’exiger que la capacité de l’État de protéger ses citoyens soit efficace est une norme impossible à atteindre et que le critère approprié pour la protection de l’État consiste à décider la question de savoir si elle est adéquate. Exiger autre chose renverserait irrégulièrement le fardeau de la preuve et la Commission serait tenue d’établir l’existence de la protection de l’État : Samuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762, aux paragraphes 10 et 13; Flores c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 723, aux paragraphes 9 à 11; Mendez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 584, au paragraphe 23.

 

[37]           Le défendeur déclare que la preuve des demandeurs n’établit pas que les autorités coréennes n’auraient pas été en mesure de leur assurer une protection adéquate ou qu’elles n’auraient pas voulu le faire.

 

La Commission n’a pas ignoré la preuve

 

[38]           Le défendeur souligne que la Commission a fait référence, dans son appréciation, à presque toutes les sources qui, selon les demandeurs, ont été négligées par la Commission. La Commission a très bien compris que la violence conjugale demeure un problème en Corée, mais elle n’était pas convaincue que la preuve établissait, selon la prépondérance des probabilités, une absence de protection adéquate.

 

La Commission n’a pas commis d’erreur dans son appréciation de la preuve

 

[39]           Le défendeur fait valoir que les observations de la Commission sur la pertinence de la preuve exigée ne visaient pas l’indépendance ou la fiabilité de ses sources. L’utilisation de l’expression « preuves claires et convaincantes » vise à illustrer que la tâche de prouver l’absence de protection de l’État est difficile et qu’une certaine quantité d’éléments de preuve convaincants sera nécessaire avant qu’un juge des faits ne soit convaincu qu’un fait est plus vraisemblable que le contraire. Le seul fait que les éléments de preuve proviennent d’une source fiable et indépendante n’en fait pas une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de protéger; il incombe au juge des faits de décider cette question, compte tenu des éléments de preuve dont il est saisi. La Commission a mentionné et soupesé l’ensemble de la preuve concernant le problème de la violence conjugale et la preuve selon laquelle les mesures législatives et d’application de la loi pour lutter contre la violence conjugale étaient mises en œuvre. La Commission a alors conclu qu’une protection adéquate était offerte. Voir Carrillo.

 

La demanderesse a omis de s’adresser à l’État pour obtenir sa protection

 

[40]           Le défendeur se réfère à Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, qui confirme que le fardeau de tenter de démontrer qu’un demandeur ne devrait pas être tenu d’épuiser tous les recours disponibles dans un pays est un fardeau lourd. L’arrêt Hinzman a été suivi dans la décision Song, dans laquelle la Cour a statué que la Corée du Sud était une démocratie développée et que la preuve d’un demandeur devait comprendre une preuve selon laquelle il avait épuisé tous les recours dans son pays. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la Commission conclue que la demanderesse n’avait pas épuisé tous les recours.

 

ANALYSE

 

[41]           Les demandeurs affirment que la preuve présentée à la Commission révélait que la protection de l’État en Corée n’était pas adéquate. Ils prétendent que l’agent a omis de tenir compte de cette preuve en mettant en cause sa pertinence et en s’appuyant simplement sur un encadrement de protection législative pour les victimes de violence conjugale qui n’est pas efficace.

 

[42]           À mon avis, une lecture complète de la décision révèle que les demandeurs ont tort à cet égard. Tant dans la décision que dans la transcription de l’audience, l’agent révèle que sa préoccupation consiste à vérifier l’efficacité réelle de la protection de l’État en Corée. Il reconnaît pleinement que la preuve sur laquelle s’appuient les demandeurs révèle qu’un problème très réel existe et que les attitudes sociétales envers la violence conjugale en Corée doivent être modifiées. Mais l’agent mentionne clairement que « la police est disposée à appliquer la loi de manière à offrir aux victimes une protection efficace et significative, et elle le fait dans la réalité ».

 

[43]           Nonobstant la preuve présentée par les demandeurs, l’agent disposait d’une preuve abondante pour étayer ses conclusions selon lesquelles la protection de la police pour les demandeurs est efficace et significative et qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. L’agent se réfère précisément au témoignage du sociologue auquel on s’était adressé, mais il ressort clairement de l’ensemble de la décision qu’il a également tenu compte de la preuve à l’appui dans le rapport du Département d’État qui indiquait que la police répondait habituellement aux signalements de violence conjugale.

 

[44]           Ainsi, à mon avis, il s’agit d’une affaire dans laquelle l’agent a soupesé la preuve dont il était saisi, a pleinement reconnu les problèmes que soulevait la preuve des demandeurs, mais il a finalement décidé que la preuve était suffisante pour établir l’existence d’une « protection efficace et significative » pour les demandeurs en Corée. Les demandeurs n’avaient fait aucun effort pour se prévaloir de cette protection et n’avaient donc pas réfuté la présomption habituelle. Il aurait été possible de tirer d’autres conclusions compte tenu de la preuve dans son ensemble, mais la décision de l’agent n’a rien de déraisonnable.

 

[45]           Les demandeurs se sont dits préoccupés par le libellé précis qu’a utilisé l’agent concernant leur preuve et l’indication selon laquelle cette preuve n’avait pas la « solidité » nécessaire pour réfuter la présomption de la protection de l’État. Les demandeurs soulignent que leur preuve provenait de sources reconnues et fiables et elle n’était pas moins solide que la preuve sur laquelle les conclusions de l’agent s’appuyaient.

 

[46]           J’ai examiné avec soin cette partie précise des motifs par rapport à la décision dans son ensemble et je ne puis dire qu’elle rend la décision déraisonnable. À mon avis, l’agent tente simplement de résumer la jurisprudence applicable et, quoiqu’il le fasse maladroitement, il dit qu’en fin de compte, la preuve des demandeurs n’est pas suffisante pour réfuter la présomption de la protection de l’État.

 

[47]           J’apporte cette précision parce que la décision dans son ensemble indique clairement que l’agent a pris la preuve des demandeurs très au sérieux, l’a soupesée et examinée, et a pleinement reconnu les problèmes qui persistaient en Corée en ce qui a trait au traitement de la violence conjugale.

 

[48]           Mais pour l’agent, la question fondamentale était de savoir s’il existait des éléments de preuve démontrant que les victimes de violence conjugale bénéficient d’une « protection efficace et significative ». Malgré la persistance des problèmes, il a conclu à l’existence d’une telle protection. Cette conclusion n’était pas déraisonnable, d’autant plus que les demandeurs n’avaient fait aucun effort pour se prévaloir de la protection de l’État, soit en Corée soit au Canada, à l’encontre de la violence perpétrée par le père.

 


 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.      La présente demande est rejetée.

 

2.      Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

aVocats inscrits au dossier

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5054-08

 

INTITULÉ :                                       EUI HANG CHO et autres

                                                            c.

            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 21 MAI 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 JUILLET 2009

 

 

Observations écrites :

 

Hart A. Kaminker                                                         POUR LES DEMANDEURS

 

Alexis Singer                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

aVocats inscrits au dossier :

 

Hart A. Kaminker                                                         POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

                       

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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