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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090706

Dossier : IMM-4508-08

Référence : 2009 CF 700

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

 

et

 

SANDRA SIKIRATU IYILE

défenderesse

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et contexte

[1]               Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre) conteste, dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, la décision du 19 septembre 2008 rendue par Marie-Louise Côté, membre de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le Tribunal), qui a ordonné la mise en liberté de Sandra Sikiratu Iyile (la défenderesse), sous réserve d’un certain nombre de conditions. La défenderesse devait se présenter chaque semaine devant l’agent d’immigration à Montréal. Le Tribunal a cependant déclaré : [traduction] « Vous n’aurez plus à remplir cette condition une fois qu’un agent d’immigration aura été convaincu de votre identité ». Elle affirme être née à Benin, au Nigeria, en décembre 1983, ce qui lui donnerait 25 ans. Elle a affirmé avoir quitté le Nigeria le 16 juillet 2008, avec l’aide d’un passeur, en prenant un vol de Lagos à Accra, la capitale du Ghana, où elle aurait passé quelques heures en transit. Puis, elle serait embarquée sur un vol, en compagnie de son passeur, d’Accra vers Genève, où elle serait restée environ quatre jours avant de prendre un vol pour Munich, où elle aurait transité avant de prendre son vol pour Montréal, où elle a atterri le 22 juillet 2008.

 

[2]               L’avocate du ministre soutient que le Tribunal a commis les erreurs de droit suivantes :

 

1)   Se fondant sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, [2004] 3 R.C.F. 572 (Thanabalasingham), le Tribunal a commis une erreur en n’exposant pas de motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions antérieures rendues par les membres de la Section de l’immigration qui ont contrôlé les motifs de sa détention et ne l’ont pas mise en liberté;

 

2)   Le Tribunal a outrepassé sa compétence, en usurpant le rôle conféré au ministre par l’alinéa 58(1)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

3)   Le Tribunal a commis une erreur en invoquant les alinéas 178(1)a) et b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR);

 

4)   Le Tribunal a tiré des conclusions de fait arbitraires ou abusives.

 

[3]               Elle a été mise en détention dès son arrivée à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau, parce qu’il y avait un doute au sujet de son identité. Elle n’avait pas de passeport à son arrivée à Montréal, mais, comme cela fut déterminé quelques jours plus tard, elle était partie de l’Allemagne avec un passeport canadien portant le nom de Catherine Iyodele. Lors de son débarquement, elle était en possession des documents suivants qui lui avaient été délivrés en avril ou en mai 2008 :

 

·      un certificat de naissance national délivré à Sandra Sikiratu Iyile, en date du 21 avril 2008, à la demande de Daniel Odiase. Le certificat mentionne que Sandra Sikiratu Iyile est née le 20e jour de décembre 1983 à Benin City, État d’Edo, de M. Sam Iyile (père) et Mme Margret Iyile (mère) (dossier du ministre, page 38);

 

·      une déclaration solennelle relative à l’âge datée du 17 avril 2008 présentée par Daniel Odiase à la Haute Cour de justice, au Nigeria, dans laquelle il jure que Mme Iyile est sa nièce, il mentionne sa date de naissance et qui sont ses parents (dossier du ministre, page 40);

 

·      un certificat d’identification/d’origine daté du 26 mai 2008, accompagné d’une photo, délivré à Mme Iyile par le Conseil de gouvernement local d’Ikpoba Okha, État d’Edo, au Nigeria (dossier du ministre, page 36);

 

·      un affidavit daté du 26 mai 2008 présenté par Daniel Odiase au tribunal coutumier de l’État d’Edo, au Nigeria, intitulé Affidavit of Local Government Area of Origin. Dans cet affidavit, il déclare que Mlle Iyile est sa nièce (dossier du ministre, page 42).

 

[4]               Ces documents furent envoyés pour vérification en vue de déterminer s’ils étaient authentiques. Ses empreintes digitales ont également été prises et expédiées aux autorités, lesquelles ont conclu qu’elle n’avait aucun dossier au Canada ou aux États‑Unis. Elle a revendiqué le statut de réfugiée dès son arrivée à Montréal et on lui a remis une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle.

 

[5]               Conformément aux dispositions de la LIPR, la détention de la défenderesse a fait l’objet d’un certain nombre de contrôles :

 

·      Le 25 juillet 2008, on a effectué son premier contrôle de la détention, lors duquel la défenderesse a témoigné et on a analysé l’entrevue qu’elle avait eue le 22 juillet, à l’aéroport, avec un agent d’immigration. Le commissaire Ladouceur concluait :

[traduction]

 

Je maintiendrai la détention préventive pendant une période de sept jours, et peut‑être plus courte si l’immigration est convaincue de votre identité. À ce moment‑ci, il s’agit strictement d’une question d’identité. Et ensuite, lorsque votre identité aura été établie, vous serez normalement mise en liberté.

 

 

·      Le 1er août 2008, il y a eu son deuxième contrôle de la détention, lors duquel la commissaire Suzanne Bibeau a décidé que la défenderesse demeurerait en détention, parce qu’elle ne collaborait pas suffisamment pour aider à prouver son identité. La veille, le 31 juillet 2008, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) avait reçu les résultats de l’analyse d’expert concernant les documents fournis par la défenderesse pour prouver son identité. Le même jour, un agent d’immigration a interrogé la défenderesse.

 

·      D’autres contrôles ont été effectués, lesquels seront mentionnés plus loin dans les présents motifs.

 

[6]               Le 31 juillet 2008, l’analyste expert a déposé un rapport sur l’examen des quatre documents présentés : l’affidavit de M. Odiase, daté du 26 mai 2008; le certificat d’identification d’origine, daté du 26 mai 2008, le certificat de naissance national et la déclaration relative à l’âge. L’examinateur a déclaré que ces documents ne pouvaient servir de fondement pour établir l’identification de Mme Iyile, parce que : (1) aucun d’eux ne comportait des caractéristiques de sécurité permettant à l’analyste de vérifier son authenticité; (2) ces documents ne fournissaient aucun renseignement biométrique permettant d’établir un lien avec Mme Iyile; (3) aucun d’eux ne porte de traces de modification; (4) il n’y avait aucun échantillon auquel les documents pouvaient être comparés; (5) en ce qui a trait à certains (la plupart) des documents, ils étaient basés sur des renseignements fournis par un tiers (M. Odiase).

 

[7]               Cette expertise a conduit le conseil du ministre présent devant la commissaire Bibeau à formuler l’observation selon laquelle l’ASFC ne possédait pas suffisamment d’information pour tirer une conclusion quant à son identité. Le conseil du ministre a ensuite décrit les autres mesures que prenait l’ASFC pour vérifier son identité. Après avoir entendu Mme Iyile et avoir pris en considération les observations du ministre, dont ses commentaires au sujet de l’entrevue que la défenderesse avait eue le 31 juillet 2008 avec l’agent d’immigration, la commissaire Bibeau a décidé que la défenderesse devait demeurer en détention pour les motifs suivants :

[traduction]

 

Donc, en ce qui concerne les efforts faits par le ministre dans la dernière semaine, je considère qu’ils sont raisonnables, compte tenu des faits relatifs à votre demande. Les premiers résultats sont arrivés le 30. Donc, à partir de là, ils devaient faire plus de vérifications, parce que la conclusion est qu’ils ne sont pas convaincus. En ce qui a trait à votre coopération, j’ai trouvé qu’elle était assez limitée. Certaines de vos réponses semblent assez imprécises, si je peux m’exprimer ainsi. Quant au montant, je vous ai demandé ce que vous aviez acheté pour ce montant et vos réponses ont été très, très vagues. Le montant déclaré précédemment me cause des problèmes et vous ne semblez pas non plus être en mesure de fournir beaucoup plus de renseignements.

 

Donc, par conséquent, en me fondant sur cela, je conclus que les efforts sont raisonnables et que votre coopération est limitée. Donc, je vous invite à essayer de mieux coopérer, que ce soit en communiquant avec un ami ou en réfléchissant à d’autres renseignements que vous pourriez donner dans le but d’établir votre identité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[8]               Le 14 août 2008, le conseil de la défenderesse a envoyé à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) les documents additionnels suivants : 1) un document intitulé State Primary Education Board; 2) un nouveau registre de fréquentation scolaire; 3) un registre d’admission, de progrès et d’abandon de cours, le tout en lien avec (Iyile) Sandra Sikiratu. Apparemment, ils ont été obtenus et expédiés par M. Odiase. CIC les a envoyés pour analyse.

 

[9]               Le 22 août 2008, CIC a reçu une analyse d’expert. L’examinateur a confirmé que ces documents ne pouvaient pas constituer le fondement pour établir son identité, et ce, pour les raisons déjà exposées par rapport aux quatre documents qui ont fait l’objet du rapport du 31 juillet 2008.

 

[10]           Le 29 août 2008, un troisième contrôle de la détention a été convoqué, cette fois, devant la commissaire Côté. Mme Iyile n’était pas présente, parce qu’elle avait été hospitalisée – elle était sur le point d’accoucher. Le contrôle fut ajourné au 5 septembre 2008.

 

[11]           Le 5 septembre 2008, l’audience a été convoquée devant la commissaire Germain. Mme Iyile était encore absente, puisqu’elle était toujours à l’hôpital. La commissaire Germain a examiné les efforts faits par le ministre pour vérifier l’identité de la défenderesse. Cela comprenait : (1) une information provenant des autorités allemandes selon laquelle on ne la connaissait pas; (2) la réception du rapport d’expertise sur ses documents additionnels; (3) son entrevue du 26 août 2008 avec un agent d’immigration, au cours de laquelle elle a déclaré qu’elle avait voyagé avec un passeport vert du Nigeria jusqu’en Suisse, mais elle ne pouvait pas se rappeler le nom du transporteur aérien utilisé et elle ne pouvait pas donner le nom de la personne qui apparaissait dans le passeport vert, ni donner le nom de la personne qui se trouvait dans le passeport bleu avec lequel elle avait voyagé de la Suisse jusqu’à Montréal; elle a aussi déclaré qu’elle ne connaissait pas l’endroit où était le père de son enfant ni la manière d’entrer en contact avec lui; (4) vérification auprès des autorités suisses pour déterminer si elle était connue dans ce pays; (5) vérification auprès du Bureau canadien des passeports afin de déterminer si et, le cas échéant, quand un passeport canadien bleu avait été déclaré perdu ou volé. Le 28 août 2008, on a découvert que Catherine Iyodele avait déclaré, en août 2008 que son passeport bleu avait disparu depuis mai 2008; (6) la défenderesse a fourni le numéro de téléphone de son oncle au Nigeria; on a communiqué avec lui et il a confirmé être l’oncle de la défenderesse, a donné les noms des parents de celle‑ci et a déclaré être la personne ayant obtenu le certificat de naissance et envoyé les documents scolaires. La commissaire a conclu ce qui suit :

[traduction]

Donc, dans les circonstances, en raison du fait que madame ne collabore pas pleinement avec le ministre et du fait que rien de ce qu’elle a dit ne nous permet de confirmer ou d’infirmer la façon dont elle avait voyagé, puisque nous ne savons pas comment elle a fait, avec quel transporteur aérien, quel nom elle a utilisé, etc., cela fait en sorte qu’il est plus compliqué pour l’Immigration de tenter d’établir l’identité.

 

Je ne sais pas; ce n’est pas à moi de décider si les renseignements recueillis seront suffisants pour que [CIC soit] convaincu de son identité. Mais aujourd’hui, je crois que les efforts sont raisonnables dans les circonstances. Ce que je ferai, comme madame n’est pas ici pour la seconde fois, en raison de problèmes médicaux relativement à sa grossesse, la prochaine audience, étant donné son état de santé, lequel devrait être pris en compte par l’ASFC, et vu le fait que madame ne peut fournir rien d’autre concernant son identité, sa prochaine audience aura lieu dans deux semaines.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

La décision du Tribunal sur la mise en liberté

[12]           Comme il a déjà été mentionné, le 19 septembre 2008, après avoir entendu Mme Iyile, son conseil et celui du ministre, en particulier sur la substance d’une entrevue que la défenderesse avait eue avec un agent d’immigration le 16 septembre 2008, le Tribunal, se fondant sur les critères énoncés à l’article 247 du RIPR, a décidé qu’il mettrait fin à la détention de la défenderesse pour cause d’identité. Il a dit qu’il devait considérer sa collaboration, puis regarder les efforts faits par le ministère de l’Immigration pour vérifier son identité. Il a fait remarquer que la défenderesse était une demandeure d’asile qui avait eu recours aux services d’un passeur, qui avait utilisé de faux documents pour venir au Canada et qui était enceinte au moment de son arrivée.

 

[13]           La commissaire Côté a fait remarquer que [traduction] « on a beaucoup insisté sur le critère ayant trait à l’itinéraire » et elle a exprimé le point de vue selon lequel Mme Iyile avait donné des renseignements vagues ou contradictoires, y compris :

 

·      des renseignements contradictoires quant à savoir si elle avait eu recours aux services d’un passeur pour se rendre à Montréal : elle a un jour affirmé avoir voyagé seule et, à une autre occasion, a prétendu avoir été accompagnée d’un passeur;

 

·      des renseignements contradictoires quant à savoir si elle avait détruit le passeport canadien bleu de Mme Iyodele ou si elle l’avait rendu au passeur;

 

·      des renseignements invraisemblables selon lesquels elle aurait voyagé par avion d’Accra, au Ghana, jusqu’à Genève, alors qu’il n’y avait aucun vol entre ces deux villes;

 

·      son incapacité à fournir les noms des personnes à qui les passeports avaient été délivrés, les noms des transporteurs aériens avec lesquels elle avait voyagé, ainsi que les sièges qu’elle avait occupés; cependant, elle a fait remarquer dans son témoignage ce jour-là qu’elle ne pouvait pas lire;

 

·      le fait qu’elle a nié connaître Catherine Iyodele, encore que l’agent d’immigration qui a comparé leurs photos ait discerné des traits similaires du visage, ce qui conduisait à la possibilité qu’elles soient parentes, une suspicion renforcée par le fait que Mme Iyodele n’avait déclaré qu’en août 2008 que son passeport était disparu depuis le 4 mai 2008;

 

·      elle a conclu sur ce point en déclarant ceci : [traduction] « Une bonne partie des préoccupations ont trait à la façon dont vous avez voyagé; votre itinéraire. »

 

[14]           Elle a ensuite écrit :

[traduction]

 

À mon avis, il semble qu’il y a d’autres éléments qui concernent votre collaboration et qui jouent en votre faveur. Je note le fait que vous avez été en mesure de présenter plusieurs documents d’identification. Je fais référence aux quatre documents que vous aviez à votre arrivée au Canada – le certificat de naissance, la déclaration solennelle relative à l’âge, le certificat d’identification annexé à l’affidavit de votre oncle. Il y avait également un autre document scolaire qui avait été ajouté par la suite. Il était intitulé State Primary Education Board. Ce document fut ajouté le 19 août 2008.

 

Je connais bien les résultats de l’expertise des quatre premiers documents que j’ai mentionnés. Ils ont été déposés en tant que pièce C-1 lors d’un contrôle antérieur de la détention. J’ai examiné l’analyse et j’ai remarqué qu’aucun de ses documents ne portait de traces de modification. Je crois qu’il s’agit d’un élément positif.

 

Je prends note du fait que vous avez systématiquement répété qu’il n’existait pas d’autre document que vous pouviez présenter. Vous avez réellement évoqué le fait que vous n’étiez pas en mesure de communiquer avec votre famille et que cela était un facteur qui vous empêchait d’obtenir d’autres documents d’identification. Quoi qu’il en soit, il n’y aurait pas d’autres documents d’identification disponibles. Par exemple, vous n’avez jamais possédé de passeport. Vous n’avez pas de permis de conduire.

 

Je remarque aussi, en fonction de l’appréciation de votre collaboration, que vous avez bel et bien fourni le numéro de téléphone de votre oncle. L’agent d’immigration a communiqué avec lui. Il semble que votre oncle ait été en mesure de confirmer que vous étiez sa nièce et qu’il ait, en fait, donné les noms de vos parents. C’était également lui qui avait fourni certains des documents d’identification qui ont été présentés au ministère de l’Immigration.

 

Il semble que les renseignements qui font référence à votre identité en tant que telle ne soient pas contradictoires. Selon moi, cet élément est important. Je fais expressément référence à l’alinéa 247(1)e) qui vise les documents qui contredisent les renseignements fournis par l’étranger au sujet de son identité. Des documents furent présentés et ils ne contredisent pas les renseignements que vous avez donnés.

 

J’aimerais aussi faire référence aux articles de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui traitent des documents qui sont acceptés concernant les demandeurs d’asile. Je mentionne le paragraphe 178(1) qui indique quels documents un demandeur d’asile peut présenter lorsqu’il ne détient pas de passeport, et qui fait expressément référence aux alinéas 178(1)a) et b). Parmi ces documents qui sont acceptés, il y a ceux qui ont été délivrés avant votre venue au Canada et il y a aussi des déclarations assermentées d’une personne qui vous connaît à titre de parent. Dans la présente affaire, il y a un affidavit de votre oncle, lequel fut réellement étayé par ses réponses à un agent d’immigration.

 

Inexplicablement, ces éléments que j’ai mentionnés semblent avoir été mis de côté et on a beaucoup insisté sur la question de votre itinéraire et des autres points que j’ai énoncés précédemment. Le fait que vous ne puissiez pas lire peut, selon moi, expliquer le fait que vous ayez pu ne pas être en mesure de lire les noms des sociétés de transport aérien. Le fait que vous fuyiez la persécution, comme vous tenterez de l’établir dans le cadre de votre demande d’asile, combiné avec le fait que vous étiez enceinte à l’époque, peut expliquer le fait que n’avez pas noté le numéro du siège dans lequel vous étiez assise. On peut également expliquer que vous n’étiez peut‑être pas en Suisse, étant donné que le passeur vous a dit que vous étiez dans ce pays. Mais les renseignements que vous m’avez donnés au sujet de votre séjour là‑bas soulèvent des doutes sur le fait que vous étiez réellement en Suisse.

 

Je veux souligner que ce point en particulier a été soulevé lors d’un contrôle antérieur de la détention qui fut tenu devant ma collègue le 1er août 2008. Ce jour‑là, vous avez précisément affirmé que vous aviez voyagé du Nigeria jusqu’à l’endroit que le passeur a indiqué être la Suisse, mais que vous ne connaissiez pas. Cela pourrait peut‑être expliquer pourquoi le ministère n’est pas capable de trouver un vol allant d’Accra à Genève, par exemple.

 

Pour les motifs que j’ai exposés, je tire la conclusion que, pour quelqu’un se trouvant dans votre situation particulière, vous collaborez, même s’il y a des contradictions quant au fait, par exemple, que vous auriez détruit un passeport dans l’avion au lieu de le donner à quelqu’un d’autre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[15]           Le Tribunal s’est ensuite entrepris l’analyse des efforts de CIC pour vérifier l’identité de la défenderesse et a écrit ce qui suit :

[traduction]

 

Je dois examiner les efforts qui ont été faits par le ministère de l’Immigration pour voir s’ils sont raisonnables. Je remarque que, lors de l’entrevue qui s’est tenue le 16 septembre 2008, plusieurs points ont déjà été établis auparavant. Le fait que vous n’aviez aucun autre document d’identification, par exemple. Le fait que vous n’aviez pas de passeport, et aucun autre document scolaire à fournir. Le fait que vous aviez quitté le Nigeria le 16 juillet. Le fait que vous avez voyagé avec un passeur nommé Paul. Le fait que vous ne pouviez pas donner le nom de la société de transport aérien. Le fait que vous étiez demeurée quatre jours dans un pays que vous pensez être la Suisse.

 

Il y a des éléments qui avaient déjà été établis auparavant. Ils ne sont pas nouveaux. Cependant, au cours de la présente entrevue, il y avait des éléments qui étaient pertinents quant à la question de votre identité. Et à cet égard, l’entrevue constitue un effort qu’il faut examiner.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[16]           Elle a fait remarquer qu’il y avait eu [traduction] « plusieurs efforts concernant le vol d’Accra à Genève, y compris la vérification sur Internet, l’appel téléphonique de l’agent d’immigration à l’aéroport de Genève et la demande de renseignements à Lufthansa afin de déterminer si la défenderesse avait réellement voyagé d’Accra à Genève et comment cela avait pu se faire ». La commissaire écrivait ensuite :

[traduction]

 

L’effort doit être examiné à la lumière du fait qu’il y a, en l’espèce, un doute possible que vous étiez en Suisse. Je crois qu’il importe de tenir compte de votre déclaration antérieure selon laquelle il s’agissait peut‑être de la Suisse, et peut‑être pas.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[17]           La commissaire a ensuite analysé les efforts pour vérifier si la défenderesse avait un statut en Suisse (un visa de visiteur ou une demande d’asile). Elle a exprimé l’avis qu’elle ne pouvait pas donner un caractère raisonnable à cet effort, étant donné que cela n’avait pas porté de fruits. Elle n’a pas non plus vu de pertinence dans les demandes de renseignements faites aux Pays‑Bas, [traduction] « étant donné que rien ne montrait que vous aviez effectivement voyagé là‑bas ».

 

[18]           Le Tribunal a ensuite examiné les efforts de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour voir s’il existait des liens familiaux entre la défenderesse et Catherine Iyodele. Elle a signalé que des photographies avaient été comparées et que [traduction] « apparemment, des traits similaires avaient été relevés ». La commissaire a évoqué la prétention de la défenderesse [traduction] « que vous n’avez aucune parenté au Canada et vous dites ignorer qui elle est ». Elle concluait ainsi :

[traduction]

 

Je ne suis pas convaincue que cet effort est nécessaire pour établir votre identité. Quoi qu’il en soi, cela devient beaucoup moins important lorsqu’on le compare à d’autres éléments auxquels j’ai fait référence en fonction de votre collaboration. Je renvoie aux documents que vous avez présentés, au fait que votre oncle a confirmé que vous étiez sa nièce. Dans ce contexte, le fait de comparer les photographies, et de peut‑être relever des traits similaires à ceux de Catherine Iyodele, n’est pas, à mon avis, aussi pertinent que ça le devrait.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[19]           La commissaire a ensuite formulé des commentaires sur les enquêtes menées par CIC quant à savoir si la défenderesse avait voyagé en France par suite de la déclaration de Mme Iyodele selon quoi, lorsqu’elle avait embarqué pour un vol de Paris à Montréal, elle avait perdu son passeport bleu avec lequel la défenderesse a voyagé de Munich à Montréal. Elle écrivait : [traduction] « Je remets en question la pertinence de cet effort, en fait, pour établir votre identité. »

 

[20]           Finalement, la commissaire a signalé la demande faite par CIC au centre de détention en vue d’examiner la liste des visiteurs venus voir la défenderesse. En ce qui concerne cette demande, le Tribunal a écrit que cela [traduction] « n’est pas pertinent, à mon avis, à l’égard de l’établissement de votre identité » et a ajouté ceci : [traduction] « Il semble beaucoup plus pertinent de prendre en compte le fait que vous avez bel et bien fourni le nom et le numéro de téléphone de votre oncle et celui‑ci a confirmé votre identité. À mon avis, cela est beaucoup plus pertinent. »

 

[21]           La commissaire a exposé comme suit sa conclusion globale :

 

[traduction]

 

Je constate que le ministère fait des efforts, mais il me semble que certains d’entre eux n’ont aucune pertinence et qu’ils sont beaucoup moins importants que la collaboration que vous avez démontrée jusqu’à ce jour. Par conséquent, j’en suis venue à la conclusion que votre détention n’était pas justifiée, compte tenu de la collaboration que vous avez offerte. J’insiste encore une fois sur le fait que cette collaboration a été examinée à la lumière des critères énoncés à l’article 247 du Règlement.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Elle a aussi exprimé l’avis selon lequel elle croyait que CIC était [traduction] « dans une position lui permettant de continuer son enquête, même si vous êtes mise en liberté », et elle a ajouté :

[traduction]

 

Selon moi, il doit exister une façon de vous imposer des conditions qui permettent au ministère de demeurer en contact étroit avec vous, de vous poser les questions que les fonctionnaires peuvent juger pertinentes quant à ce qui a trait à votre identité. Je sais que le délégué du ministre ne pense pas que votre identité a été établie. Je conclus que le maintien en détention n’est pas justifié, puisque j’ai appliqué les critères de l’article 247. Quoi qu’il en soit, je suis également préoccupée par le fait qu’il ne semble pas y avoir d’autres documents que vous puissiez présenter. Il ne semble pas qu’on puisse en voir la fin. Donc, pour ces motifs, je ne maintiendrai pas la détention pour cause d’identité.

 

[23]           Le Tribunal a alors imposé la condition suivante : [traduction] « Vous devez vous présenter une fois par semaine devant l’agent d’immigration jusqu’à ce que votre identité soit établie. Vous n’aurez plus à remplir cette condition une fois qu’un agent d’immigration aura été convaincu de votre identité. »

 

Le régime législatif et réglementaire

[24]           La section 6 de la LIPR porte le titre « Détention et mise en liberté » et elle comprend l’article 54 qui précise que la Section de l’immigration est la section de la Commission chargée du contrôle visé à la section.

 

[25]           L’article 58 de la LIPR prévoit la mise en liberté, l’alinéa 58(1)d) se lisant ainsi :

 

Mise en liberté par la Section de l’immigration

 

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l’étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

 

[…]

 

d) dans le cas où le ministre estime que l’identité de l’étranger n’a pas été prouvée mais peut l’être, soit l’étranger n’a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l’identité de l’étranger. [Non souligné dans l’original.]

 

 

Release – Immigration Division

 

 

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

 

 

[…]

 

 (d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity. [My emphasis.]

 

 

[26]           Les critères réglementaires se trouvent à la partie 14 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR), également intitulée « Détention et mise en liberté ». L’article 244 du RIPR prévoit que pour l’application de la section 6 de la partie 1 de la LIPR, « les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l’appréciation […] c) de la question de savoir si l’intéressé est un étranger dont l’identité n’a pas été prouvée ».

 

[27]           Le paragraphe 247(1) de la LIPR est intitulé « Preuve de l’identité de l’étranger » et prévoit que pour l’application de l’alinéa 244c), les critères sont les suivants :

 

Preuve de l’identité de l’étranger

 

247. (1) Pour l’application de l’alinéa 244c), les critères sont les suivants :

 

a) la collaboration de l’intéressé, à savoir s’il a justifié de son identité, s’il a aidé le ministère à obtenir cette justification, s’il a communiqué des renseignements détaillés sur son itinéraire, sur ses date et lieu de naissance et sur le nom de ses parents ou s’il a rempli une demande de titres de voyage;

 

 

 

b) dans le cas du demandeur d’asile, la possibilité d’obtenir des renseignements sur son identité sans avoir à divulguer de renseignements personnels aux représentants du gouvernement du pays dont il a la nationalité ou, s’il n’a pas de nationalité, du pays de sa résidence habituelle;

 

c) la destruction, par l’étranger, de ses pièces d’identité ou de ses titres de voyage, ou l’utilisation de documents frauduleux afin de tromper le ministère, et les circonstances dans lesquelles il s’est livré à ces agissements;

 

d) la communication, par l’étranger, de renseignements contradictoires quant à son identité pendant le traitement d’une demande le concernant par le ministère;

 

e) l’existence de documents contredisant les renseignements fournis par l’étranger quant à son identité. [Non souligné dans l’original.]

 

Identity not established

 

247. (1) For the purposes of paragraph 244(c), the factors are the following:

 

(a) the foreign national’s cooperation in providing evidence of their identity, or assisting the Department in obtaining evidence of their identity, in providing the date and place of their birth as well as the names of their mother and father or providing detailed information on the itinerary they followed in travelling to Canada or in completing an application for a travel document;

 

(b) in the case of a foreign national who makes a claim for refugee protection, the possibility of obtaining identity documents or information without divulging personal information to government officials of their country of nationality or, if there is no country of nationality, their country of former habitual residence;

 

(c) the destruction of identity or travel documents, or the use of fraudulent documents in order to mislead the Department, and the circumstances under which the foreign national acted;

 

 

(d) the provision of contradictory information with respect to identity at the time of an application to the Department; and

 

(e) the existence of documents that contradict information provided by the foreign national with respect to their identity. [My emphasis.]

 

 

[28]           Par souci d’exhaustivité, je présente également l’article 178 du RIPR auquel a fait référence le Tribunal. Il traite des situations dans lesquelles un demandeur sollicitant la résidence permanente ne détient pas l’un des documents mentionnés aux alinéas 50(1)a) à h) du RIPR. L’article 178 est libellé ainsi :

 

Pièces d’identité

 

178 (1) Le demandeur qui ne détient pas l’un des documents mentionnés aux alinéas 50(1)a) à h) peut joindre à sa demande l’un ou l’autre des documents suivants :

 

a) toute pièce d’identité qui a été délivrée hors du Canada avant son entrée au Canada;

 

b) dans le cas où il existe une explication raisonnable et objectivement vérifiable, liée à la situation dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle, de son incapacité d’obtenir toute pièce d’identité, une affirmation solennelle dans laquelle il atteste de son identité et qui est accompagnée :

 

(i) soit de l’affirmation solennelle d’une personne qui a connu le demandeur, un membre de sa famille, son père, sa mère, son frère, sa soeur, son grand-père ou sa grand-mère, faite avant l’entrée du demandeur au Canada, attestant de l’identité du demandeur,

 

(ii) soit de l’affirmation solennelle d’un représentant d’une organisation qui représente les ressortissants du pays dont le demandeur a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle, attestant de l’identité de ce dernier.

 

Documents de remplacement

 

(2) Les documents fournis au titre du paragraphe (1) en remplacement des documents mentionnés aux alinéas 50(1)a) à h) sont acceptés si :

 

a) dans le cas d’une pièce d’identité, la pièce, à la fois :

 

(i) est authentique,

 

(ii) identifie le demandeur,

 

(iii) constitue une preuve crédible de l’identité du demandeur;

 

b) dans le cas d’une affirmation solennelle, l’affirmation, à la fois :

 

(i) est compatible avec tout renseignement fourni précédemment par le demandeur au ministère ou à la Commission,

 

(ii) constitue une preuve crédible de l’identité du demandeur.

DORS/2004-167, art. 49.

 

Identity documents

 

178 (1) An applicant who does not hold a document described in any of paragraphs 50(1)(a) to (h) may submit with their application

 

 

(a) any identity document issued outside Canada before the person’s entry into Canada; or

 

(b) if there is a reasonable and objectively verifiable explanation related to circumstances in the applicant’s country of nationality or former habitual residence for the applicant’s inability to obtain any identity documents, a statutory declaration made by the applicant attesting to their identity, accompanied by

 

 

(i) a statutory declaration attesting to the applicant’s identity made by a person who knew the applicant, a family member of the applicant, or the applicant’s father, mother, brother, sister, grandfather or grandmother prior to the applicant’s entry into Canada, or

 

(ii) the statutory declaration of an official of an organization representing nationals of the applicant’s country of nationality or former habitual residence attesting to the applicant’s identity.

 

 

Alternative documents

 

(2) A document submitted under subsection (1) shall be accepted in lieu of a document described in any of paragraphs 50(1)(a) to (h) if

 

(a) in the case of an identity document, the identity document

 

(i) is genuine,

 

(ii) identifies the applicant, and

 

(iii) constitutes credible evidence of the applicant’s identity; and

 

(b) in the case of a statutory declaration, the declaration

 

(i) is consistent with any information previously provided by the applicant to the Department or the Board, and

 

(ii) constitutes credible evidence of the applicant’s identity.

SOR/2004-167, s. 49. 

 

 

Analyse

a) La norme de contrôle

[29]           Depuis la réforme de l’analyse relative à la norme de contrôle entreprise par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), par suite de l’élimination de la norme de la décision manifestement déraisonnable, il ne subsiste que deux normes de contrôle : la décision correcte et la décision raisonnable.

 

[30]           Au paragraphe 51 de l’arrêt Dunsmuir, les juges Bastarache et LeBel déclaraient qu’en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte. La norme de la décision raisonnable exige de la déférence de la part de la cour de révision dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse pour décider si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (voir Dunsmuir, aux paragraphes 48, 49 et 50). En outre, dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 57, les juges Bastarache et LeBel ont jugé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse exhaustive pour arrêter la bonne norme de contrôle si la jurisprudence a réglé la question de manière satisfaisante.

 

[31]           Dans l’arrêt Thanabalasingham, au paragraphe 24, le juge Rothstein a jugé que ma collègue, la juge Gauthier, avait correctement appliqué les normes de contrôle appropriées dans cette affaire. La conclusion qu’a tirée ma collègue concernant la norme de contrôle d’une décision de mettre ou non en liberté aux termes des articles 57 et 58 de la LIPR dépendait, en grande partie, de la nature de la question en litige : (1) les questions de droit sont contrôlées selon la norme de la décision correcte; (2) les questions de fait (qui étaient auparavant assujetties à la norme de la décision manifestement déraisonnable) sont maintenant contrôlées selon la norme de la décision raisonnable; (3) pour les questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle dépendait du fait de savoir si la question mixte était « principalement factuelle ou s’il s’agi[ssai]t principalement d’une question de droit ». En résumé, dans la décision Thanabalasingham, publiée : [2004] 3 R.C.F. 523, ma collègue la juge Gauthier :

 

1)   a appliqué la norme de la décision raisonnable à la question de la nature du contrôle de la détention aux termes des articles 57 et 58 de la LIPR et celle du fardeau de la preuve, parce qu’elles soulevaient des questions de droit;

 

2)   a appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable à la question de l’appréciation de la preuve, parce que cette question était en grande partie fondée sur les faits.

 

[32]           Cela amène un commentaire additionnel, lequel a trait à l’existence de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales (la LCF) qui prévoit que la Cour fédérale peut annuler la décision d’un tribunal fédéral si la Cour est convaincue que celui‑ci a rendu une décision « fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ».

 

[33]           Très récemment, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a eu l’occasion d’examiner l’effet de l’alinéa 18.1(4)d) sur la norme de contrôle. Le juge Binnie, au nom des juges majoritaires, a conclu que :

 

1)   cet alinéa de la LCF ne constituait pas une norme de contrôle légale;

 

2)   ce paragraphe, cependant, exprimait bel et bien l’intention du législateur quant au degré de déférence applicable aux conclusions de fait d’un tribunal fédéral. De telles conclusions de fait appelaient un degré élevé de déférence (voir les paragraphes 3 et 45).

 

b) Son application en l’espèce

Première question en litige – Les motifs pour s’écarter des décisions antérieures

[34]           Dans la décision Sittampalam c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 1352, ma collègue la juge Dawson a eu l’occasion de résumer le raisonnement énoncé dans l’arrêt Thanabalasingham :

 

19    Dans l’arrêt Thanabalasingham, précité, la Cour d’appel fédérale a pris en compte la nature du contrôle de la détention devant la Commission et formulé les principes suivants. Premièrement, avec ce genre de contrôle, il ne s’agit pas, à proprement parler, d’une audition de novo. La constitution du dossier de la Commission se fait de manière continue au fil des audiences et celle-ci est censée prendre en compte les motifs pour lesquels les ordonnances précédentes ont été rendues. Deuxièmement, la Commission doit décider à nouveau, à chaque contrôle, si le maintien de la détention est justifié. Troisièmement, si un commissaire choisit de ne pas suivre les décisions rendues antérieurement par la Commission, il doit invoquer des motifs clairs et convaincants pour ce faire. Quatrièmement, c’est toujours au ministre qu’il incombe d’établir qu’il y a des motifs justifiant la détention ou le maintien en détention. Cependant, lorsque le ministre a présenté une preuve prima facie en faveur du maintien de la détention, l’intéressé doit produire des éléments de preuve en réponse, sinon il risque le maintien de sa détention. [Non souligné dans l’original.]

 

[35]           Dans l’arrêt Thanabalasingham, le juge Rothstein a expliqué pourquoi il y avait de bonnes raisons d’exiger de tels motifs clairs et convaincants. Voici ce qu’il écrivait au paragraphe 11 :

 

11    La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et d’évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l’admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l’encontre d’une décision antérieure. [Non souligné dans l’original.]

 

[36]           Aux paragraphes 12 et 13 de ses motifs, le juge Rothstein expliquait ce qu’était la meilleure façon, pour un tribunal, de fournir des motifs clairs et convaincants :

 

12    La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

 

13    Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[37]           Des principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thanabalasingham, nous retenons que la constitution du dossier, dans le cadre des contrôles de la détention, se fait de manière continue d’un contrôle à l’autre et qu’on s’attend à ce que le commissaire tienne compte des motifs pour lesquels les ordonnances précédentes ont été rendues. Néanmoins, le commissaire doit à nouveau trancher la question de savoir si le maintien en détention est justifié, de là l’exigence qu’une décision différente de celles rendues dans le passé soit accompagnée de « motifs clairs et convaincants » de la part du commissaire.

 

[38]           Selon l’examen que j’ai fait des transcriptions relatives aux contrôles de la détention en l’espèce et des motifs exprimés par les différents commissaires, que ce soit au cours des diverses entrevues que la défenderesse a eues avec différents agents d’immigration (à l’aéroport le 22 juillet 2008, le 31 juillet 2008, le 26 août 2008 et le 16 septembre 2008) ou durant son témoignage lors des contrôles de la détention, plusieurs commissaires ont eu de sérieux problèmes avec le témoignage.

 

[39]           Je cite les exemples suivants :

 

1.    Lors du premier contrôle de la détention, le commissaire Ladouceur a constaté l’incompatibilité entre ce qu’elle a dit à l’agent d’immigration à l’aéroport, selon quoi elle avait voyagé seule et ce qu’elle a déclaré dans son témoignage devant lui – selon quoi elle avait voyagé avec un passeur. Il a également fait remarquer que le problème fondamental concernant son identité était le fait qu’elle avait voyagé avec un passeport, mais qu’elle n’en avait pourtant aucun en sa possession à son arrivée à Montréal.

 

2.    Lors du deuxième contrôle de la détention, la commissaire Bibeau a fait remarquer qu’elle avait plusieurs problèmes avec le témoignage de la défenderesse, ce qui l’a amenée à conclure que sa coopération était assez limitée, du fait que ses réponses semblaient être très imprécises ou vagues; elle a constaté ce qui suit : (1) l’invraisemblance du montant que, selon son témoignage, elle a payé au passeur; (2) la différence entre le nom du passeur lors de l’entrevue à l’aéroport (Mathew) et celui donné lors de l’entrevue du 31 juillet 2008 (Paul); (3) les documents qu’elle a présentés à l’appui de son identité n’étaient pas concluants quant à son identité. Elle a également conclu que les efforts faits par CIC pour découvrir son identité étaient raisonnables : les efforts pour déterminer son statut en Suisse et en Allemagne ainsi que ceux faits pour trancher la question de savoir si Mme Iyodele était entrée en Suisse.

 

3.    Lors du contrôle de la détention du 5 septembre 2008, la commissaire Germain a entendu les observations du conseil du ministre concernant les efforts faits par CIC en vue de déterminer l’identité de la défenderesse : (1) la réponse de l’Allemagne selon quoi elle n’était pas connue là‑bas; (2) une décision selon laquelle son deuxième ensemble de documents qui avait été envoyé pour vérification n’était pas concluant quant à son identité; (3) les résultats de l’entrevue qu’elle a eue le 26 août 2008 avec un agent d’immigration, qui ont révélé une contradiction importante entre ce qu’elle dit maintenant ― qu’elle avait voyagé avec un passeur sur le vol Munich‑Montréal et lui avait remis le passeport bleu ― et ce qu’elle avait déclaré antérieurement ― qu’elle avait voyagé seule et détruit le passeport bleu dans l’avion; (4) le fait qu’elle affirme maintenant devoir encore de l’argent à Paul, mais sans savoir où il se trouve; (5) son témoignage selon lequel elle ne sait pas où se trouve le père de son enfant ni comment communiquer avec lui. Elle a aussi fait remarquer que l’oncle de la défenderesse avait été interrogé. La commissaire Germain était convaincue que les efforts du ministre pour découvrir son identité étaient raisonnables dans les circonstances, parce que la défenderesse ne coopérait pas pleinement avec CIC (elle ne fournissait que des renseignements limités), et elle a constaté que la défenderesse ne pouvait ni confirmer ni infirmer la manière dont elle avait voyagé, ce qui, selon la commissaire, de sorte qu’il était plus difficile pour CIC d’établir son identité.

 

[40]           D’après les faits établis, je mentionne que, le 16 septembre 2008, la défenderesse a été interrogée une autre fois par un agent d’immigration. Au cours de cette entrevue, elle a encore modifié son témoignage pour affirmer qu’entre Munich et Montréal, elle avait voyagé seule et détruit son passeport. Lors de cette audience, le conseil du ministre a dit que les enquêtes de CIC avaient révélé qu’il n’y avait pas de vol entre Accra et Genève, ce qui avait déclenché une toute nouvelle série d’enquêtes quant à savoir comment elle avait voyagé. C’est aussi lors de cette audience que la défenderesse a dévoilé, pour la première fois, le fait qu’elle ne pouvait pas lire.

 

c) Conclusions

[41]           À la lumière du dossier, j’estime convaincantes les observations de l’avocate du ministre selon lesquelles le Tribunal a contrevenu aux principes énoncés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thanabalasingham, en ne fournissant pas de motifs clairs et convaincants pour expliquer pourquoi il s’était écarté des conclusions des commissaires antérieurs, lesquels avaient décidé que les efforts du ministre étaient raisonnables, et la collaboration de la défenderesse faible et limitée. Je tire cette conclusion pour les motifs suivants :

 

1)   Le Tribunal n’a jamais expliqué comment il était venu à la conclusion que les documents fournis par la défenderesse ou son oncle établissaient son identité, alors que la preuve dont il disposait et les conclusions des autres commissaires allaient dans le sens contraire, puisque le rapport d’expertise sur les documents mentionnait que ces documents ne pouvaient servir à établir l’identité de la défenderesse.

 

2)   Le Tribunal n’a jamais abordé les changements ou les ajouts apportés constamment au récit de la défenderesse ni la façon dont cela se répercutait sur sa crédibilité, comme l’ont déterminé les autres commissaires. En tirant la conclusion qu’il a tirée, il a accepté le récit de la défenderesse sans dire pourquoi il faudrait la croire, alors que les commissaires antérieurs pensaient autrement.

 

3)   Le Tribunal n’a pas apprécié les répercussions que les changements consécutifs apportés au récit de la défenderesse ont eues sur les efforts du ministre visant à découvrir son identité. L’enquête de CIC portant sur le fait qu’il n’y avait aucun vol entre Accra et Genève a considérablement changé le paysage et a obligé le ministre, CIC et l’ASFC à entreprendre une autre série d’enquêtes. Je me réfère à la décision de mon collègue le juge Shore dans l’affaire Igbinosa c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1372, au paragraphe 64, dans laquelle il a reconnu que la collaboration inadéquate du demandeur et son manque de crédibilité avaient compliqué les efforts en vue de déterminer son identité et, par conséquent, avaient donné lieu à des efforts renouvelés et à d’autres enquêtes.

 

[42]           Comme il a déjà été mentionné, le Tribunal a remis en question la pertinence d’un bon nombre des efforts déployés par CIC. À mon avis, ces critiques ne sont pas raisonnables dans les circonstances, en particulier lorsqu’un élément essentiel de son témoignage s’avère ne pas être raisonnable ― son vol d’Accra à Genève et son séjour de quatre jours là‑bas. Cette incompatibilité ne peut être simplement emportée par cette déclaration de la défenderesse : [traduction] « C’est ce que le passeur m’a dit. Je ne savais pas vraiment que j’étais à Genève ou en Suisse. »

 

[43]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Il n’est pas nécessaire que j’aborde les autres questions soulevées par l’avocate du ministre.

 

[44]           Je m’empresse d’ajouter que la présente décision est compatible avec l’accent mis par le législateur sur l’identité d’une personne et à l’importance qu’il a accordée à ce facteur lorsque la LIPR est entrée en vigueur en 2002. (Voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Gill, 2003 CF 1398.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du Tribunal de mettre en liberté la défenderesse est annulée et la question de son maintien en détention est renvoyée à la Section de l’immigration pour nouvel examen par un autre commissaire. Aucune question n’a été proposée en vue de la certification.

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4508-08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

c.

SANDRA SIKIRATU IYILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 JUIN 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       LE 6 JUILLET 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Michèle Joubert

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Joseph Di Donato

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Joseph Di Donato

Montréal (Québec)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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