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Federal Court

Cour fédérale

 

Date : 20090707

Dossier : T-1129-07

Référence : 2009 CF 648

Toronto (Ontario), le 7 juillet 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

ABBOTT LABORATORIES et

ABBOTT LABORATORIES LIMITED

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

et SANDOZ CANADA INC.

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT

(motifs confidentiels du jugement rendus le 19 juin 2009)

 

I. Introduction

[1]               Abbott Laboratories et Abbott Laboratories Limited (les demanderesses ou Abbott) demandent, sous le régime du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133 (le Règlement AC) une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité (l’AC) à Sandoz Canada Inc. (la défenderesse ou Sandoz) conformément à l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870, jusqu’à l’expiration des lettres patentes canadiennes 2,285,266 (le brevet 266), 2,358,395 (le brevet 395), 2,325,541 (le brevet 541) et 2,209,714 (le brevet 714).

 

[2]               La demande a été présentée en réponse à un avis d’allégation (l’AA) daté du 7 mai 2007 et signifié par la défenderesse le même  jour. La défenderesse a allégué que les brevets d’Abbott sont invalides pour plusieurs motifs, notamment l’évidence, l’absence de réelle utilité, l’absence d’une prédiction valable d’utilité et le double brevet.

 

[3]               Le 19 juin 2007, les demanderesses ont déposé leur demande, conformément au Règlement AC, affirmant que les allégations ne sont pas justifiées et demandant la délivrance d’une ordonnance d’interdiction.

 

A. Les parties

[4]               La demanderesse Abbott Laboratories est une société canadienne qui distribue et vend des produits pharmaceutiques.

 

[5]               La demanderesse Abbott Laboratories Limited, une société constituée en vertu des lois des États‑Unis d’Amérique, est la société mère d’Abbott Laboratories et elle est titulaire des brevets en cause dans la présente instance. Les demanderesses s’occupent du développement et de la fabrication de produits pharmaceutiques innovateurs.

 

[6]               Sandoz est la filiale canadienne d’un fabricant multinational de produits pharmaceutiques génériques. Elle a demandé un AC lui permettant de commercialiser sa version de la clarithromycine à libération prolongée en comprimés de 500 mg.

 

[7]               Bien qu’il soit partie à la présente instance, le ministre de la Santé (le ministre) n’y participe pas activement.

 

B. Le médicament

[8]               La clarithromycine, ou 6‑0‑méthoxy‑érythromycine, est un dérivé d’érythromycine et un antibiotique. Elle est administrée aux humains dans une composition ou une formulation. Abbott vend ce produit dans une formulation à libération prolongée (la LP) de 1 000 mg sous le nom commercial BIAXIN®XL (BIAXIN).

 

[9]               La clarithromycine est l’ingrédient pharmaceutique actif (l’IPA) dans les comprimés BIAXIN d’Abbott. BIAXIN est administré dans le traitement d’infections bactériennes légères ou modérées.

 

[10]           Pour fonctionner, la clarithromycine doit être libérée de la formulation; elle doit être dissoute, absorbée par le courant sanguin, distribuée dans divers tissus, métabolisée et, finalement, éliminée du corps. Le chemin que le médicament prend de la formulation à travers le corps dépend des caractéristiques biologiques du médicament dans le corps, plus précisément de son absorption, de sa distribution, de son métabolisme et son excrétion (l’ADME).

 

[11]           Avant que le brevet 266 eût été délivré, ces comprimés de clarithromycine étaient vendus uniquement dans une formulation à libération immédiate (la LI). Le patient devait prendre des doses quotidiennes multiples de comprimés. Des doses quotidiennes multiples peuvent entraîner une mauvaise observance de la part du patient et peuvent influer sur l’efficacité du traitement. Un second problème que posait la composition à LI était lié au phénomène de la perversion du goût, un effet indésirable qui peut amener un patient à ne pas observer le régime de traitement.

 

[12]           Abbott a essayé de résoudre les questions associées aux multiples doses en créant une formulation à libération prolongée (la LP). Cela permet aux patients de prendre chaque jour un seul comprimé de 1 000 mg, au lieu de prendre un comprimé de 500 mg deux fois par jour, soit le matin et le soir.

 

[13]           Un aspect important de la formulation LP est qu’elle maintient des niveaux adéquats de médicament dans le sang sur une longue période. Cet avantage est connu comme étant la démonstration de pharmacocinétiques favorables (les p‑cinétiques), soit l’étude du mouvement des médicaments, en particulier leur taux d’absorption et d’excrétion.

 

[14]           En ce qui concerne les p‑cinétiques, la surface sous la courbe de concentration dans le plasma en fonction du temps (la SSC) indique la mesure ou la quantité de médicament, par rapport à la quantité totale, qui est libérée en 24 heures. La C‑maximum (la C‑max) est la concentration maximale de médicament dans le sang qui est atteinte au cours de la période. La C‑minimum (la C‑min) est la concentration minimale de médicament dans le sang atteinte au cours de la période. Le T‑maximum (le T‑max) est le moment auquel la C‑max est atteinte. La biodisponibilité est la mesure de la quantité de médicament disponible dans le sang lorsque le médicament atteint la circulation systémique du corps. Le degré de fluctuation (le DFL) est la mesure de la différence entre la C‑max et la C‑min. En particulier, le DFL mesure la variation des niveaux de médicament entre le niveau le plus bas et le niveau le plus élevé à l’état stationnaire, l’état stationnaire étant le point auquel le taux d’apport du médicament au corps est égal au taux d’élimination du médicament du corps.

 

[15]           Abbott a initialement essayé de résoudre la question des multiples doses au moyen d’une formulation administrée une fois par jour en combinant la clarithromycine avec de l’alginate dans une matrice (la formulation d’alginate) et elle a obtenu un brevet à l’égard de ce produit, soit le brevet 2,209,714 (le brevet 714). La formulation d’alginate est vendue au Royaume‑Uni sous le nom KLARICID®. Toutefois, le brevet 714 ne résoud pas le phénomène de la perversion du goût. Abbott voulait répondre au besoin d’une composition qui permettrait la prise d’une seule dose par jour et qui résoudrait également la question de la perversion du goût, comparativement à la formulation LI.

 

C. Les brevets

[16]           Dans l’AA, il était fait mention de quatre brevets, mais deux brevets seulement sont ici en cause, soit le brevet 266 et le brevet 395.

 

i)          Le brevet 266

[17]           Le brevet 266 est intitulé [traduction] « Formulations à libération prolongée de dérivés d’érythromycine ». L’invention visée par le brevet se rapporte à des [traduction] « compositions pharmaceutiques de dérivés d’érythromycine à libération prolongée d’un composé actif dans le milieu gastrointestinal ». L’invention se rapporte à une composition pharmaceutique qui est prise chaque jour en une seule dose.

 

[18]           Le brevet 266 contient 12 revendications. Seules les revendications 11 et 12 sont en litige.

 

[19]           Le brevet 266 a été déposé auprès du Bureau canadien des brevets le 6 mars 1998; il revendiquait la priorité sur le brevet états-unien 08/838,900. La date de priorité est le 11 avril 1997. Conformément aux articles 28.1 et 28.2 de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P‑4, (la Loi sur les brevets), la date de la revendication est soit la date à laquelle la demande a été déposée de façon régulière auprès du Bureau canadien des brevets, soit la date à laquelle une demande antérieure a été déposée de façon régulière auprès du Bureau canadien des brevets, divulguant l’objet défini par la revendication qui figure dans la nouvelle demande, soit la date de priorité conventionnelle, le cas échéant, selon celle qui est antérieure aux autres. En l’espèce, il s'agit de la date de priorité conventionnelle. Les revendications seront donc examinées en fonction du 11 avril 1997.

 

[20]           Le brevet 266 contient une composition à LP qui comprend un composé pharmaceutiquement actif et un polymère pharmaceutiquement acceptable. Le composé pharmaceutiquement actif est un dérivé d’érythromycine, en particulier la clarithromycine, qui varie environ de 45 à 60 p. 100 en poids de la composition, la quantité privilégiée étant 50 p. 100.

 

[21]           Le polymère pharmaceutiquement acceptable peut être un polymère hydrophile soluble dans l’eau, préférablement un hydroxypropylméthylcellulose à faible viscosité (le HPMC), dont la viscosité va d’environ 50 centipoises (cP) à 200 cP, la quantité la plus appropriée étant 100 cP, lequel est disponible dans le commerce sous la marque de commerce METHOCEL K 100 LV de Dow Chemical Company. La quantité de polymère peut varier de 5 à 50 p. 100, la variance la plus appropriée étant de 10 à 30 p. 100 en poids de cette composition.

 

[22]           Le reste de la composition renferme des excipients ou des véhicules pharmaceutiquement acceptables comme du lactose, des amidons, du glucose et ainsi de suite. La quantité d’agent lubrifiant dans la composition varie généralement d’environ 0,5 à environ 10 p. 100 en poids de la composition.

 

[23]           Le brevet 266 fournit des p‑cinétiques qui se prêtent à une seule dose quotidienne, mais qui sont supérieures à celles de la composition d’alginate du brevet 714.

[24]           Le brevet 266 décrit la composition à LP en comparant ses p‑cinétiques à celles de la composition à LI. Ces p‑cinétques sont mesurées dans une étude comparative de p‑cinétiques entre les deux compositions.

 

[25]           Il a été découvert que la C‑max de la clarithromycine dans la formulation à LP est statistiquement plus faible d’une façon significative que dans la composition à LI lorsque la composition à LI est administrée deux fois par jour, alors que la SSC et les niveaux de la C‑min étaient maintenus pendant toute la période de 24 heures. La composition à LP est avantageuse parce que le patient est exposé à une concentration de pointe plus faible du médicament au sommet du cycle, alors que la concentration minimale nécessaire pour être efficace est maintenue et que l'apport général du médicament tel qu’il est mesuré par la SSC est maintenu.

 

[26]           Comme je l'ai mentionné, les revendications du brevet 266 qui sont ici pertinentes sont les revendications 11 et 12. La revendication 11 se rapporte à une composition à LP faite selon les revendications 1 à 10, le dérivé d’érythromycine étant la clarithromycine. La revendication 12 se rapporte à la composition figurant dans la revendication 11, dans laquelle la clarithromycine représente 50 p. 100 du poids de cette composition.

 

ii)         Le brevet 395

[27]           Comme je l'ai déjà mentionné, le brevet 714 ne traite pas de la question de la perversion du goût. Initialement, Abbott avait déposé une demande de brevet pour son invention de la formulation, les p‑cinétiques favorables et le profil de goût amélioré. Toutefois, au cours de la poursuite de la demande relative au brevet 266, le commissaire aux brevets a demandé à Abbott de faire une distinction à l'égard de toute revendication se rapportant au profil de goût amélioré et de l’incorporer dans une demande distincte, d’où la demande 541, qui a finalement abouti à la délivrance du brevet 395. Cela étant, la composition de clarithromycine à LP du brevet 395 est la même que celle qui est décrite pour le brevet 266.

 

[28]           Le brevet 395 est également intitulé [traduction] « Formulations à libération prolongée de dérivés d’érythromycine ». Il a été déposé le 6 mars 1998 et revendique la priorité sur le brevet états-unien 08/838,900. La date de priorité est le 11 avril 1997. Pour les motifs susmentionnés, cette revendication sera examinée en fonction du 11 avril 1997.

 

[29]           L’invention décrite dans le brevet 395 montre que lorsque le composé actif et le polymère sont combinés, ils donnent un profil de goût amélioré et une réduction des effets indésirables sur l’appareil digestif.

 

[30]           Abbott se fonde sur la revendication 22 du brevet 395. Cette revendication se rapporte à une composition à LP décrite dans les revendications 12 à 21, la composition ayant un profil de goût amélioré comparativement à la composition à LI.

 

iii)         Le brevet 541

[31]           Le brevet 541 est lui aussi intitulé [traduction] « Formulations à libération prolongée de dérivés d’érythromycine ». Le brevet 541 est ici en cause uniquement dans la mesure où Sandoz allègue que le brevet 395 est invalide pour cause de double brevet. Le brevet 541 a été cédé au domaine public au moyen d’un avis de cession daté du 20 janvier 2009, avis qui a été déposé auprès du Bureau canadien des brevets le 20 janvier 2009.

 

[32]           Le brevet 541 a été déposé auprès du Bureau canadien des brevets le 6 mars 1998 et revendique la priorité sur le brevet états-unien 08/838,900. La date de priorité est le 11 avril 1997.

 

D. L’AA

[33]           Par une lettre datée du 7 mai 2007, Sandoz a signifié son AA aux demanderesses, conformément au paragraphe 5(3) du Règlement AC, au sujet de la présentation abrégée de drogue nouvelle (la PADN). La PADN a été déposée par Sandoz à l’égard de sa version de comprimés de clarithromycine de 500 mg à libération prolongée devant être administrés par voie orale pour le traitement d’infections légères ou modérées causées par des souches vulnérables du microorganisme désigné de certaines maladies des voies respiratoires supérieures et des voies respiratoires inférieures.

 

[34]           L’AA était long et renfermait des allégations d'absence de contrefaçon, d’inscription irrégulière au Registre des brevets et d’invalidité à l’égard de quatre brevets, soit le brevet 714, le brevet 266, le brevet 541 et le brevet 295. Ces questions n’ont pas toutes été traitées par les parties dans leurs exposés écrits du droit.

E. La preuve

[35]           Les deux parties ont déposé les affidavits de témoins des faits et de témoins experts. Les compétences des experts ne sont pas contestées, quoique chaque partie ait contesté la crédibilité et la fiabilité de certaines preuves d’opinion qui ont été soumises.

 

i)          Les témoins des demanderesses

[36]           Abbott a déposé les affidavits de Mme Sonia Atwell, de Mme Claire Nachbauer, de Mme Dr Cynthia Holas (Ph.D.), de M. Daniel Weiner (Ph.D.) et de M. Gilbert Banker (Ph.D.).

 

[37]           Mme Atwell est stagiaire en droit chez McCarthy Tétrault LLP, avocats des demanderesses. Dans son affidavit, elle a mentionné une lettre datée du 28 mars 2000 de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada demandant la modification du brevet 266.

 

[38]           Mme Nachbauer est parajuriste principale au sein du contentieux s'occupant de propriété intellectuelle chez Abbott Laboratories. On lui a demandé d’obtenir des copies des rapports d’études sur les données relatives aux effets indésirables pour les études M96-454, M97-667, M97-756, M97-734 et M02-472 d’Abbott. Dans son affidavit, Mme Nachbauer a déclaré que les études M95-454, M97-667, M97-756 et M97-734 ont été cataloguées et enregistrées dans la base de données RIC/Webcat du Centre d’information en matière de recherches du service des affaires réglementaires pharmaceutiques globales d’Abbott (le CIR) aux 17 novembre 1997, 30 mars 1999, 2 avril 1999 et 21 avril 1999 respectivement. Cela veut dire que les rapports d’études et les données sur les effets indésirables pour chacune de ces études étaient mis à la disposition des inventeurs des brevets d’Abbott avant le mois d’octobre 2001.

 

[39]           Mme Holas est directrice adjointe, Essais de spécialités dans les opérations cliniques chez Abbott Laboratories. Elle était autrefois directrice de projets cliniques au sein de l’équipe des projets cliniques sur les anti‑infectieux chez Abbott Laboratories, du mois de juillet 2002 au mois de décembre 2005. En cette qualité, elle gérait les bases de données internes d’Abbott. La liste maîtresse des stocks de clarithromycine (la CMIL), qui figure dans la base de données, est la liste complète des études dans lesquelles de la clarithromycine était en cause, études parrainées ou gérées par Abbott. Mme Holas a déclaré que l’étude M02‑472 était la dernière étude qu’Abbott eût effectuée depuis 2002.

 

[40]           M. Weiner est statisticien chez Pharsight Corporation. Il est titulaire d’un doctorat en statistique de l’Université du Kentucky et il travaille depuis plus de 25 ans dans l’industrie pharmaceutique. On lui a demandé d’exprimer une opinion sur la question de savoir si certaines formulations à LP de clarithromycine présentent un profil de goût amélioré et une réduction statistiquement significative de la gravité des effets indésirables sur l’appareil digestif comparativement aux formulations à LI.

 

[41]           M. Weiner a examiné le brevet 395; à cet égard, il a procédé à une méta‑analyse de toutes les études pertinentes d’Abbott en vue de déterminer si la formulation à LP du brevet 395 produisait un profil de goût amélioré. Une méta‑analyse comporte la collecte de toutes les données pertinentes, notamment celles provenant d’études multiples, visant à évaluer les différences de résultats sur le plan de la sécurité afin de déterminer la signification statistique. M. Weiner a mentionné la CMIL, qui contient toutes les études d’Abbott portant sur la clarithromycine, et, pour les besoins de la méta‑analyse, il a choisi les études répondant aux critères ci‑après énoncés :

a)      Les formulations à LP devaient être de 10 à 30 p. 100 en poids du HPMC;

b)      Les études devaient avoir été effectuées en parallèle, en ce sens que la formulation à LP devait avoir été administrée dans la même étude que la formulation à LI afin de contrôler la variabilité découlant de différences entre les essais;

c)      Les formulations à LP devaient avoir été administrées en doses de 1 000 mg une fois par jour, alors que les formulations à LI devaient avoir été administrées en doses de 500 mg deux fois par jour;

d)      La SSC de la formulation de clarithromycine à LP devait être bioéquivalente à celle de la formulation à LI parce que, selon l’une des exigences du brevet 395, la formulation à LP doit libérer une quantité totale équivalente de médicament à celle de la formulation à LI, quoique sur une période plus longue.

 

[42]           En appliquant ces paramètres, M. Weiner a conclu que les seules études pertinentes à utiliser dans la méta‑analyse étaient les études M96-454, M97-667, M97-756, M97-734 et M02-472. En utilisant la méthode Cochran‑Mantel‑Haenszel (CMH) pour analyser les données combinées, laquelle compare les groupes à LP et à LI les uns par rapport aux autres, M. Weiner a conclu que l’incidence de la perversion du goût pour la formulation à LP dans le brevet 395 était plus faible, d'une façon statistiquement significative,  que celles de la formulation à LI et qu’il y avait moins d’une chance sur vingt que cette différence dans l’incidence de la perversion du goût entre les formulations puisse être uniquement attribuable au hasard.

 

[43]           M. Banker est doyen émérite et professeur émérite distingué John L. Lach, Administration de médicaments, au Collège de pharmacie de l’Université de l’Iowa. Il a obtenu son doctorat de l’Université Purdue en 1957. On lui a demandé d’exprimer une opinion sur l’allégation d'absence de contrefaçon et d’invalidité énoncée dans l’AA.

 

[44]           M. Banker a traité d’un certain nombre de questions, en commençant par une définition de la personne versée dans l’art. À son avis, cette personne aurait de l’expérience en matière de formulation pharmaceutique et comprendrait ce que sont les p‑cinétiques. Elle serait titulaire d’un baccalauréat en sciences, avec spécialité en chimie, en pharmacie ou dans un autre domaine similaire, et posséderait au moins deux années d’expérience dans l’industrie pharmaceutique ainsi que de l’expérience dans la conception et dans l’évaluation de formulations.

 

[45]           M. Banker a fait des remarques au sujet des allégations d’évidence et il a affirmé qu’une personne versée dans l’art qui lirait les six références d’antériorités citées par Sandoz dans son AA croirait qu'une tentative pour créer une formulation à LP avec de la clarithromycine et un polymère comme le HPMC entraînerait probablement une biodisponibilité réduite, soit le résultat le moins souhaitable pour un médicament comme la clarithromycine.

 

[46]           M. Banker a exprimé l’opinion selon laquelle, même si par expérimentation, une personne versée dans l’art obtenait une composition à LP biodisponible en utilisant le HPMC, la façon de le faire de manière à obtenir les avantages p‑cinétiques comparatrices des brevets 266 et 395, ou de manière à entraîner un profil de goût amélioré, ne serait néanmoins pas évidente. M. Banker a déclaré qu’en l’absence d’une expérimentation intensive, une personne versée dans l’art ne serait pas en mesure d’obtenir les compositions revendiquées, de sorte que l’objet de ces brevets n’est pas évident.

 

[47]           M. Banker a également fait des remarques au sujet de la réelle utilité du brevet 395. Il a dit que les données contenues dans le tableau VI du brevet 395 démontrent qu’il y avait de fait une amélioration observée du profil de goût pour la composition à LP revendiquée comparativement à la composition à LI. En outre, Sandoz allègue que les études M97‑667 et M97‑756 montrent que les compositions revendiquées n’ont pas un profil de goût amélioré, mais M. Banker ne souscrivait pas à cette allégation. Selon lui, ces études montrent une diminution observée de l’incidence de la perversion du goût dans la formulation revendiquée dans le brevet 395.

 

[48]           M. Banker a également dit que la mention par Sandoz de jurys de dégustation et de super dégustateurs démontre une méconnaissance de la nature du « profil de goût ». Les jurys de dégustation et les super dégustateurs évaluent le goût d’un composé sur la langue ou dans la bouche. Cela est différent de la perversion du goût dont il est question dans le brevet 395. La perversion du goût y est définie comme étant un effet indésirable qui se produit après l’ingestion. Selon M. Banker, il ne convient pas d’utiliser des jurys de dégustation ou des super dégustateurs pour évaluer la perversion du goût.

 

[49]           M. Banker a également traité de la question du double brevet à l’égard des brevets 266, 541 et 395. Il a affirmé que trois inventions distinctes sont décrites dans ces trois brevets et qu’aucune des inventions n’est invalide pour cause de double brevet. Il a déclaré que le brevet 266 revendique les compositions de clarithromycine et de HPMC pour la libération prolongée et comme comportant certaines p‑cinétiques. Le brevet 541 revendique les compositions avec une restriction supplémentaire, à savoir que les compositions ont un profil de goût amélioré. M. Banker a dit qu’il n’y a pas double brevet par rapport au brevet 266, étant donné que le profil de goût amélioré dans le brevet 541 n’est pas la même invention que celle qui est revendiquée dans le brevet 266, et parce que les p‑cinétiques et le profil de goût améliorés ne coexistent pas nécessairement avec les revendications du brevet 266.

 

[50]           En outre, M. Banker a fait remarquer que le brevet 395 ne constituait pas un double brevet par rapport au brevet 541, étant donné que le brevet 395 comportait la restriction supplémentaire d’une réduction statistiquement significative de la gravité des effets indésirables sur l’appareil digestif, restriction qui n’existe pas pour les formulations du brevet 541. Il a fait observer qu’une réduction de la gravité des effets sur l’appareil digestif ne va pas de pair avec de meilleures p‑cinétiques ou avec un profil de goût amélioré. Par conséquent, de l’avis de M. Banker, la réduction de la gravité des effets sur l’appareil digestif ne ressort pas d’une façon évidente des revendications des brevets 266 et 541.

 

ii)         Les témoins de la défenderesse

[51]           La défenderesse a déposé les affidavits de Mme Pamela Christoforakis, de M. Metin Celik (Ph.D.), de M. Walter G. Chambliss (Ph.D.), de M. Thomas R. Einarson (Ph.D.) et de M. Jake J. Thiessen (Ph.D.).

 

[52]           Mme Christoforakis est stagiaire chez Hazzard & Hore LLP, avocats de Sandoz. Elle a joint une copie de l’AA à son affidavit, ainsi que les 147 références d’antériorités sur lesquelles Sandoz se fonde.

 

[53]           M. Celik est professeur et chercheur, Traitement pharmaceutique, Département du génie industriel et du génie des systèmes, Rutgers, à l’Université du New Jersey; il est également président de Pharmaceutical Technologies International Inc. Il a obtenu, en 1984, un doctorat en technologie pharmaceutique de l’Université De Montfort. Ses services ont été retenus pour qu’il exprime une opinion au sujet des allégations se rapportant à l'absence de contrefaçon, à l’évidence, à l’antériorité et au double brevet.

 

[54]           En ce qui concerne la question de l’évidence se rapportant au brevet 266, M. Celik a dit que l’on savait que des formulations telles que celles qui étaient divulguées dans le brevet 266 avaient généralement les mêmes p‑cinétiques que celles qui étaient divulguées dans le brevet 266. De plus, il a dit que le brevet WO 95/30422 (le brevet 422) énonce les paramètres nécessaires requis du brevet 266, mais que de l’azithromycine est utilisée.

 

[55]           M. Celik a fait remarquer qu’il était bien connu que l’azithromycine, l’érythromycine et la clarithromycine étaient similaires quant à leur composition et que si la personne versée dans l’art avait formulé l’un de ces produits d’une certaine façon, elle aurait formulé les autres de la même façon. À son avis, il aurait été évident pour la personne versée dans l’art qu’il fallait substituer la clarithromycine pour arriver à la composition revendiquée.

 

[56]           M. Celik a également dit que le brevet 395 est évident, étant donné que dès les années 90, on savait que les antibiotiques macrolides comme la clarithromycine comportaient des effets secondaires dépendant de la concentration et que ces effets secondaires pouvaient être réduits en limitant la concentration de la dose.

 

[57]           M. Chambliss est professeur de pharmaceutique à l’Université du Mississipi, et professeur et chercheur au Centre national de recherche sur les produits naturels, Institut de recherche en sciences pharmaceutiques, à l’Université du Mississipi. Il a obtenu, en 1982, son doctorat en pharmacie de l’Université du Mississipi. On lui a demandé d’exprimer son opinion au sujet des allégations d’invalidité de Sandoz se rapportant aux brevets 266 et 395.

 

[58]           M. Chambliss a également traité de la notion de personne versée dans l’art, pour le compte de Sandoz, et il a dit qu’une telle personne serait titulaire d’un doctorat en pharmacie ou dans un domaine similaire, et compterait au moins deux années d’expérience dans le domaine des formulations pharmaceutiques ou dans un domaine équivalent. Il a proposé une autre définition, celle d’une personne qui est titulaire d’un baccalauréat ou d’une maîtrise dans le domaine en question, mais qui possède beaucoup plus d’expérience dans la formulation de produits pharmaceutiques.

 

[59]           M. Chambliss a traité de l’allégation d’évidence à l’égard des brevets 266 et 395. Il a exprimé l’opinion selon laquelle ces brevets sont évidents compte tenu des antériorités à la date de revendication du 11 avril 1997. Il a déclaré qu’il était bien connu à cette date que des polymères hydrophiles comme le HPMC pouvaient être utilisés pour faire la formulation à LP revendiquée.

 

[60]           M. Chambliss a également dit qu’à la date pertinente, les antériorités montraient comment faire les formulations à LP à l’aide du HPMC et enseignaient en particulier qu’un HPMC à faible viscosité était approprié pour des médicaments comme la clarithromycine, qui sont peu solubles dans l’eau.

 

[61]           M. Chambliss a également dit que la clarithromycine pouvait facilement être substituée à des formulations connues composées d’un médicament similaire appelé azithromycine, de sorte qu’une personne versée dans l’art aurait facilement pu arriver aux brevets revendiqués. Il a également dit que les p‑cinétiques revendiquées dans le brevet 266 étaient bien connues et qu’elles avaient antérieurement été divulguées.

 

[62]           M. Chambliss a parlé de l’allégation d’absence d’une prédiction valable d’utilité à l’égard du brevet 395. Il a utilisé, pour la perversion du goût, une interprétation plus large que celle que M. Banker avait utilisée et il a dit qu’une personne versée dans l’art interpréterait ces termes comme se rapportant au goût initial du médicament dans la bouche d’un patient ainsi qu’à un goût indésirable résultant des effets systémiques de l’ingestion. Il a dit que les antériorités révèlent une définition plus générale de la perversion du goût que celle que proposait M. Banker.

 

[63]           M. Chambliss a également dit que les études d’Abbott qui démontrent censément un profil de goût amélioré utilisaient un nombre inadéquat de sujets, de sorte que les résultats ne pouvaient pas être considérés comme étant statistiquement significatifs. Il a déclaré qu’on ne savait pas si les comprimés à LI de comparaison étaient revêtus d’un enrobage aqueux. Il avait déjà été constaté que cet enrobage améliorait le profil du goût. Si les comprimés à LP étaient enrobés, alors que les comprimés à LI ne l’étaient pas, cela pourrait expliquer toute amélioration notée dans le profil du goût entre les compositions à LP et les compositions à LI.

 

[64]           Enfin, M. Chambliss a fait des remarques au sujet de l’allégation d’invalidité pour cause de double brevet, en ce qui concerne les brevets 266, 541 et 395. Il a exprimé l’opinion selon laquelle ces trois brevets divulguent et revendiquent chacun la même formulation. Les revendications du brevet 266 portent sur les p‑cinétiques, les revendications du brevet 541 portent sur le profil de goût amélioré et les revendications du brevet 395 portent sur les p‑cinétiques et sur le profil de goût amélioré. De l’avis de M. Chambliss, les revendications se chevauchent, de sorte que le brevet 395 est invalide pour cause de double brevet.

 

[65]           M. Einarson est professeur agrégé, Gestion pharmaceutique, faculté de pharmacie Leslie Dan, à l’Université de Toronto, et professeur agrégé, Politique, gestion et évaluation en matière de santé, faculté de médecine, également à l’Université de Toronto. Il a obtenu, en 1987, son doctorat en pharmacie de l’Université de l’Arizona. On lui a demandé d’exprimer une opinion au sujet de la méta‑analyse à laquelle M. Weiner avait procédé.

 

[66]           M. Einarson a traité de la question de l’absence de réelle utilité du brevet 395. Il a examiné la méta‑analyse que M. Weiner avait effectuée et il a conclu qu’elle était défectueuse. Il a dit que les cinq études dont M. Weiner avait tenu compte étaient différentes quant à leur conception et à la population de patients et que M. Weiner avait employé une méthode d’analyse, à savoir le modèle des effets fixes, qui n’est habituellement utilisé que lorsque les protocoles d’étude sont les mêmes. M. Einarson a dit que la méthode qu’il convenait d’employer était le modèle des effets aléatoires, qui tient compte des différences existant entre les protocoles d’étude.

 

[67]           M. Einarson a également critiqué M. Weiner pour avoir omis d’effectuer une recherche appropriée dans les publications. Il a dit qu’il avait lui‑même procédé à une recherche et qu’il avait trouvé trente‑cinq études portant sur les effets indésirables de la clarithromycine entre les formulations à LP et les formulations à LI. Après avoir combiné ces études avec celles que M. Weiner avait choisies, il a conclu qu’il n’y avait pas de différence statistiquement significative dans le profil de goût entre les compositions à LP et les compositions à LI.

 

[68]           M. Thiessen est directeur Hallman, École de pharmacie, et directeur du campus des sciences de la santé, à l’Université de Waterloo. On lui a demandé d’exprimer une opinion au sujet des questions d’absence de réelle utilité et d’absence d'une prédiction valable d’utilité.

 

[69]           M. Thiessen a examiné les monographies de produit pour les diverses formes de clarithromycine d’Abbott et il a conclu qu’il n’y avait pas de différence dans le profil de goût entre les compositions à LI et les compositions à LP. Il a également conclu que deux articles, l’un de John Murray et coll., et l’autre de Jay Adler et coll., dont un employé d’Abbott était coauteur dans les deux cas, ne faisaient état d'aucune différence dans le profil de goût entre les deux compositions. Il a conclu que la composition à LP n’avait aucune utilité.

 

[70]           M. Thiessen a examiné l’étude M96‑454 effectuée par Abbott. Il a exprimé l’opinion selon laquelle cette étude, qui était la seule étude disponible à la date de dépôt au Canada du 6 mars 1998, s’applique à un groupe‑échantillon trop petit pour donner un résultat valable quant à la question du profil de goût. Il a dit que les conclusions tirées dans cette étude au sujet des incidences de la perversion du goût n’étaient pas non plus concluantes parce que la quantité de lactose utilisée dans la formulation à LP par opposition à la formulation à LI avait pu influer sur les résultats, quant au goût. Il a conclu que le profil de goût amélioré de la composition à LP n’était pas prévu d’une façon valable.

 

II. Les questions en litige

[71]           La présente demande soulève les questions suivantes :

1.      La Cour devrait-elle permettre à Sandoz de présenter de nouveaux éléments de preuve en ce qui concerne le brevet 395?

2.      Comment les revendications 11 et 12 du brevet 266 et la revendication 22 du brevet 395 devraient‑elles être interprétées?

3.      Les allégations d’invalidité de Sandoz, en ce qui concerne les brevets 266 et 395, sont‑elles valides, pour ce qui est :

a)      de l’évidence des brevets 266 et 395;

b)      de la réelle utilité du brevet 395;

c)      d'une prédiction valable d’utilité du brevet 395;

d)      du double brevet à l’égard du brevet 395 par rapport aux brevets 266 et 541?

 

III. Analyse et dispositif

[72]           Les parties ont produit un grand nombre d’éléments de preuve dans le cadre de la présente instance. Je ne ferai pas mention de tous les éléments versés au dossier, mais je baserai plutôt mes conclusions sur les éléments qui, selon moi, sont les plus pertinents, les plus crédibles et les plus dignes de foi. Je n’ai pas omis de tenir compte des éléments dont je ne fais pas expressément mention.

 

A. La nature de la présente instance

[73]           La présente demande vise à faire interdire la délivrance d’un AC à la défenderesse pour son produit qui contient de la clarithromycine. Les demanderesses contestent l'AA de la défenderesse pour le motif que les allégations d’invalidité des brevets 266 et 395 ne sont pas justifiées.

 

[74]           Un AC autorise la commercialisation de médicaments au Canada. Il est délivré par le gouvernement fédéral et indique qu’il a été satisfait, conformément au Règlement sur les aliments et drogues, à toutes les exigences visant à assurer la protection de la santé et de la sécurité publiques. Le Règlement AC autorise les titulaires des brevets existants se rapportant à des produits pharmaceutiques à déposer une « liste de brevets » en ce qui concerne les produits pour lesquels ils ont obtenu un AC. Le Règlement AC désigne la personne qui dépose cette liste comme étant la « première personne ». Dans ce cas‑ci, les demanderesses sont la « première personne ».

 

[75]           Le régime du Règlement AC permet aux fabricants de génériques de se fonder sur une approbation antérieure de produits pharmaceutiques connexes lorsqu’ils cherchent à faire approuver, aux fins de la commercialisation, leur forme générique des produits. Les fabricants qui produisent le même médicament peuvent déposer une demande d’AC dans laquelle il est mentionné qu’une approbation antérieure a été accordée pour la version du médicament portant un nom de marque, la demande se fondant sur cette approbation. Ce fabricant est appelé la « seconde personne »; la défenderesse agit en cette qualité.

 

[76]           Le Règlement AC interdit au ministre de la Santé de délivrer un AC tant que tous les brevets pertinents se rapportant à un produit et à son utilisation, en ce qui concerne le médicament antérieurement approuvé, qui sont inscrits dans la liste de brevets, ne sont pas expirés. Par conséquent, une seconde personne doit attendre l’expiration des brevets pour obtenir un AC ou elle peut soumettre un AA au ministre avec sa présentation de drogue nouvelle.

 

[77]           Le Règlement AC exige la signification de l’AA à la première personne. L’article 5 énonce les motifs sur lesquels un AA doit être fondé. En résumé, l’AA doit renfermer une allégation selon laquelle la première personne n’est pas titulaire du brevet, que le brevet est expiré ou qu’il n’est pas valide, ou qu’il ne serait pas contrefait si un AC était délivré.

 

[78]           À la suite de la signification de l’AA, le ministre peut délivrer un AC à la seconde personne, à moins que la première personne ne fasse valoir, conformément au paragraphe 6(1) du Règlement AC, son droit de solliciter une ordonnance de la Cour fédérale interdisant au ministre de délivrer l’AC. Une telle mesure doit être prise par la première personne dans les 45 jours qui suivent la réception de l’AA et, une fois qu’une telle procédure est entamée, la délivrance d’un AC à la seconde personne est suspendue pour une période d’au plus vingt‑quatre mois.

 

B. La charge de la preuve

[79]           Avant de traiter des aspects particuliers de la présente affaire, j’aimerais examiner brièvement la jurisprudence applicable à la charge de la preuve et la question à laquelle il faut répondre dans une instance concernant un AC. Il est bien établi que la charge de prouver que les allégations de la seconde personne, c’est‑à‑dire Sandoz, ne sont pas justifiées incombe à la personne qui demande l’ordonnance d’interdiction, c’est‑à‑dire Abbott. Abbott doit établir, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations de Sandoz ne sont pas justifiées. Sandoz doit mettre ses allégations « en jeu » au moyen de son AA. Toutefois, une fois qu’elle l’a fait, il incombe à Abbott de prouver que ces allégations ne sont pas justifiées, selon la prépondérance de la preuve : voir Eli Lilly Co. c. Nu-Pharm Inc. (1996), 69 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.); Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.); SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc., [2001] 4 C.F. 518 (1re inst.), confirmé par (2002), 291 N.R. 168 (C.A.F.).

 

[80]           Deuxièmement, la Cour doit décider si les allégations d’invalidité de Sandoz sont justifiées. Dans l’arrêt Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.) (Pharmacia), la Cour d’appel fédérale a fait, à la page 216, des remarques au sujet de la norme à appliquer à ce type d’instance :

[...] ces procédures ne constituent pas des actions touchant la validité ou la contrefaçon d’un brevet: il s’agit plutôt de procédures visant à établir si le ministre peut délivrer un avis de conformité. Cette décision doit être axée sur la question de savoir si la société générique fait valoir des allégations suffisamment bien fondées pour appuyer la conclusion, tirée à des fins administratives (la délivrance d’un avis de conformité), que la mise en marché du produit générique ne violerait pas le brevet du requérant. [...]

 

 

[81]           Dans la décision Smith Kline, le juge Gibson a examiné la question de la charge de la présentation de la preuve dans une procédure engagée en vertu du Règlement AC, où l’invalidité d’un brevet était alléguée. Aux pages 533 et 534, il a dit ce qui suit :

Dans cette perspective, je conclus ceci: le « fardeau de présentation de la preuve » qui incombe à Apotex étant d'établir que chacune des questions que soulève son avis d'allégation est mise en jeu, si elle s'acquitte de cette charge, le « fardeau de persuasion » repose ensuite sur SmithKline. Dans l'hypothèse où Apotex parvient à établir que la validité du brevet 637 est mise en jeu, SmithKline a droit de s'appuyer sur la présomption de validité du brevet prévue au paragraphe 43(2) de la Loi.

Toutefois, le caractère de la procédure intentée devant la Cour a des répercussions sur le « fardeau de persuasion » incombant à SmithKline dans les circonstances évoquées au paragraphe précédent. Dans l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) [(1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.)], le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit aux pages 319 et 320:

Si je saisis bien l'économie du règlement, c'est la partie qui se pourvoit en justice en application de l'article 6, en l'espèce Merck, qui doit poursuivre la procédure et assumer la charge de la preuve initiale. Cette charge me paraît difficile puisqu'il s'agit de réfuter certaines ou l'ensemble des allégations de l'avis d'allégation, allégations qui, si elles n'étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l'avis de conformité [. . .]

    [. . .]

À ce sujet, il y a lieu de noter que si l'alinéa 7(2)b) [du Règlement] semble prévoir que la Cour rend un jugement déclarant que le brevet n'est pas valide ou qu'il n'est pas contrefait, il ne fait aucun doute que ce jugement déclaratoire ne peut être rendu dans le cadre de la procédure fondée sur l'article 6 elle-même. Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre; puisqu'elle revêt la forme d'un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu'elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l'intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L'invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n'est pas une question relevant d'une procédure de ce genre.

Par conséquent, la charge qui incombe à SmithKline consiste seulement à réfuter les allégations contenues dans l'avis d'allégation, et non pas à justifier des déclarations de validité et de contrefaçon, ou réciproquement à réfuter les prétentions formulées à l'égard des allégations d'invalidité et d'absence de contrefaçon.

 

 

 

[82]           Il incombe à Abbott, en sa qualité de demanderesse, de réfuter les allégations que Sandoz a énoncées dans son AA du 7 mai 2007. Par conséquent, la charge générale de la preuve, au point de vue juridique, incombe à Abbott, comme c’est le cas pour toute demanderesse. Sandoz, en sa qualité de défenderesse, est tenue de mettre en jeu les allégations énoncées dans son AA.

 

[83]           Il s’agit ici d’une procédure sommaire engagée conformément au Règlement AC et aux Règles des Cours fédérales (1998), DORS/98‑106 (les Règles), régissant les demandes de contrôle judiciaire. Une conclusion d’invalidité ou de contrefaçon dans le contexte de ce type de procédure n’est pas déterminante en ce qui concerne cette question dans une action subséquente : Pharmacia, page 216.

 

 

Première question : L’admission de la preuve supplémentaire de Sandoz

[84]           Avant l’audience, Abbott a présenté une requête visant la radiation des paragraphes 88 à 93 ainsi que 96 de l’affidavit de M. Thiessen pour le motif que ces paragraphes portent sur des questions qui excèdent la portée de l’AA. La défenderesse a défendu l’inclusion de ces paragraphes en affirmant que la preuve constituait une réponse appropriée à la preuve soumise par les demanderesses. Le protonotaire Aalto a conclu que le juge de première instance serait mieux placé pour examiner la situation quant aux paragraphes contestés.

 

[85]           Les paragraphes 88 à 93 ainsi que 96 portent sur le contenu des monographies de produit d’Abbott pour la BIAXIN, la BIAXIN BIDS et la BIAXIN XL figurant dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques de 2006 et se rapportent aux allégations de Sandoz concernant l’absence apparente d’amélioration du profil de goût du comprimé à LP d’Abbott comparativement au comprimé équivalent à LI. La preuve soumise par M. Thiessen vise à miner les conclusions ressortant de la preuve des demanderesses. Sur ce point, je suis convaincue que la preuve soumise par M. Thiessen est recevable à titre de contre‑preuve.

 

[86]           Les pièces jointes à l’affidavit de M. Thiessen, en ce qui concerne les paragraphes contestés, sont composées de monographies et d’étiquettes de produit, et sont également recevables étant donné qu’elles servent de fondement à la contre‑preuve que celui‑ci a fournie. En outre, les documents ont été produits par Abbott dans le cadre de l’exploitation de son entreprise et ils étaient connus des demanderesses. Les demanderesses soutiennent que les documents ne devraient pas être admis en preuve parce qu’il a été établi, au cours du contre‑interrogatoire de M. Thiessen, que la défenderesse avait omis de divulguer à M. Thiessen certains éléments avant que celui‑ci exprime son opinion, mais il s’agit d’une question qui influe sur le poids à accorder à la preuve en question plutôt que sur sa recevabilité.

 

[87]           Quoi qu’il en soit, dans le cadre de son plaidoyer oral, la défenderesse n’a pas activement continué à invoquer des arguments au sujet de la question des étiquettes du produit.

 

Deuxième question : L’interprétation des revendications

[88]           La première étape, lorsqu’il s’agit de décider si les allégations d’invalidité de Sandoz sont justifiées, consiste à interpréter les revendications contestées des brevets 266 et 395. Comme la Cour suprême du Canada l’a conclu dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067 (Whirlpool), et Free World Trust c. Électro Santé Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 168 (Free World Trust), la revendication d’un brevet doit être interprétée d’une façon « téléologique » et la cour doit examiner l’ensemble du mémoire descriptif afin de comprendre les termes employés dans une revendication contestée, à condition que la chose n’élargisse pas ou ne restreigne pas la portée des revendications du brevet elles‑mêmes.

 

[89]           L’interprétation de revendications est une question de droit sur laquelle il appartient à la cour de statuer : Whirlpool, page 1111. L’interprétation téléologique repose sur une interprétation réaliste du libellé des revendications au moyen d’une lecture éclairée par la personne versée dans l’art. : Whirlpool, pages 1090 et 1091. La cour doit relever les expressions ou mots particuliers qui sont utilisés dans les revendications du brevet pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les « éléments essentiels de son invention » : Whirlpool, page 1091.

 

[90]           Dans l’arrêt Free World Trust, paragraphe 31, le juge Binnie a énuméré les principes de l’approche téléologique à adopter aux fins de l’interprétation d’une revendication :

a)  La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

 

b)  Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

 

c)  La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

 

d)  Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole.  On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

 

e)  Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas.  Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

 

(i)  en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

 

(ii)  à la date à laquelle le brevet est publié;

 

(iii)  selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

 

(iv)  conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

 

 

(v)  mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

 

f)  Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis.  Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

 

 

 

[91]           Les décisions rendues dans les affaires Free World Trust et Whirlpool mettent l’accent sur l’interprétation des revendications à la lumière du mémoire descriptif d’un brevet. En appliquant l’approche téléologique à l’interprétation des expressions ou mots figurant dans une revendication, la cour doit respecter sur tous les points le mémoire descriptif, en se limitant aux mots employés dans la revendication, interprétés dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif. La cour doit éviter d’utiliser une preuve d’intention extrinsèque : Whirlpool, page 1095. La preuve d’expert est admissible, mais son utilisation doit être limitée à aider la cour à interpréter les revendications de façon éclairée : Whirlpool, page 1102.

 

[92]           Les revendications du brevet 266 qui sont pertinentes en l’espèce sont les revendications 11 et 12, qui sont libellées comme suit :

[traduction]

11. La composition pharmaceutique à libération prolongée selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 10, dans laquelle le dérivé d’érythromycine est la clarithromycine.

 

12. La composition pharmaceutique à libération prolongée selon la revendication 11, qui contient 50 p. 100 en poids de clarithromycine.

 

 

[93]           La revendication du brevet 395 qui est pertinente en l’espèce est la revendication 22, qui est libellée comme suit :

[traduction]

22. La composition pharmaceutique à libération prolongée selon l’une ou l’autre des revendications 12 à 21, qui présente un profil de goût amélioré comparativement à la composition de clarithromycine à libération immédiate.

 

 

[94]           Les demanderesses affirment qu’une personne versée dans l’art interpréterait les revendications 11 et 12 comme s’appliquant aux compositions de clarithromycine à LP qui contiennent de la clarithromycine dans une proportion de 45 à 60 p. 100 (revendication 11) ou dans une proportion de 50 p. 100 (revendication 12), qui contiennent du HPMC (revendication 10) dans une proportion de 10 à 30 p. 100 (revendication 10) et dont la viscosité est de 50 à 200 cP (revendication 5), et qui présentent des p‑cinétiques favorables précises (revendications 1, 2 et 3).

 

[95]           En outre, Abbott soutient que la personne versée dans l’art interpréterait la revendication 22 du brevet 395 comme ayant la même signification que celle qui a été donnée ci‑dessus à la revendication 12 du brevet 266, avec la restriction supplémentaire selon laquelle la composition présente un profil de goût amélioré comparativement à la composition à LI.

 

[96]           La défenderesse soutient que les deux revendications doivent être interprétées comme s’appliquant à un comprimé de clarithromycine à LP avec des facteurs p‑cinétiques décrits de trois façons différentes (revendications 1 à 3), contenant du HPMC (revendication 4) avec une faible viscosité de 50 à 200 cP (revendication 5), dans lesquels la quantité de HPMC ou de clarithromycine est définie d’une de quatre façons : (i) le HMPC représente de 5 à 45 p. 100 du poids du comprimé (revendication 7) ou (ii) de 10 à 30 p. 100 du poids du comprimé (revendication 10), ou (iii) la clarithromycine représente de 45 à 60 p. 100 du poids du comprimé (revendication 8) ou 50 p. 100 du poids du comprimé (revendication 9 ou revendication 12). La défenderesse affirme que la revendication 22 du brevet 395 doit être interprétée comme incluant le même comprimé à LP que celui qui est revendiqué dans le brevet 266, avec la restriction supplémentaire selon laquelle une telle formulation doit présenter un profil de goût amélioré comparativement la formulation équivalente à LI.

 

[97]           Dans le cadre de ses observations orales, la défenderesse a soutenu que les revendications 11 et 12 doivent être interprétées comme des revendications dépendantes multiples se rapportant à la revendication 1. Les demanderesses se sont opposées à cet argument, et ce, pour deux motifs.

 

[98]           En premier lieu, les demanderesses ont soutenu que cet argument n’a pas été invoqué dans l’AA et qu’il ne doit pas être examiné à ce stade tardif de l’instance. En second lieu, les demanderesses ont fait valoir que, conformément au paragraphe 27(5) de la Loi sur les brevets, elles peuvent choisir la revendication, parmi les revendications 1 à 10, qu’elles invoquent aux fins de l’interprétation des revendications 11 et 12. À l’appui de cet argument, les demanderesses se fondent sur la décision rendue par le juge Hughes dans l’affaire G.D. Searle & Co. c. Novopharm Ltd., (2007), 56 C.P.R. (4th) 1. Sur ce point, elles affirment qu’elles ont décidé d’invoquer la revendication 10, en ce sens que la formulation doit contenir de 10 à 30 p. 100 en poids de HPMC.

 

[99]           Comme il en a déjà été fait mention, le brevet 266 est intitulé : [traduction] « Formulations à libération prolongée de dérivés d’érythromycine ». La date de dépôt est le 6 mars 1998 et la date de publication est le 22 octobre 1998. La priorité est revendiquée par rapport au brevet américain 08/838,900, la date de priorité étant le 11 avril 1997. Le brevet 266 contient douze revendications. Sur ces revendications, les revendications 11 et 12 sont ici en cause.

 

[100]       À mon avis, les revendications du brevet 266 ici en cause seraient interprétées par la personne versée dans l’art comme se rapportant à une composition comprenant de la clarithromycine à LP et une matrice polymère qui comporte des améliorations par rapport à l’équivalent à LI. L’abrégé du brevet 266 est libellé comme suit :

[traduction]

La composition contient un dérivé d’érythromycine et un polymère pharmaceutiquement acceptable, de sorte que lorsqu’elle est ingérée par voie orale, la composition entraîne dans le plasma, d’une façon statistiquement significative, une C‑max plus faible qu’une composition à libération immédiate [...] tout en maintenant la biodisponibilité et une concentration minimale à peu près équivalentes à celles de la composition à libération immédiate [...]

 

 

[101]       Il faut interpréter les revendications 11 et 12 compte tenu des connaissances usuelles de la personne versée dans l’art à la date de publication du brevet, soit le 22 octobre 1988.

 

[102]       Les revendications 11 et 12 viennent s’ajouter aux revendications antérieures du brevet 266, permettant à la personne versée dans l’art de choisir parmi une gamme de possibilités en créant la composition revendiquée. Comme je l’ai ci‑dessus fait remarquer, la revendication 11 renferme toutefois une restriction, à savoir que le dérivé d’érythromycine qui est choisi doit être de la clarithromycine. La revendication 12 ajoute la restriction supplémentaire selon laquelle toute formulation créée en vertu de la revendication 11 doit contenir 50 p. 100 en poids de clarithromycine.

 

[103]       À mon avis, la revendication 11 doit être interprétée comme suit :

a)      une formulation de clarithromycine à LP (revendications 1, 2, 3 et 11);

b)      qui présente un DFL qui est d’une façon significative inférieur à celui de la formulation à LI équivalente (revendication 1);

c)      qui présente une C-max plus faible que celle qui est produite par la formulation à LI équivalente (revendication 2);

d)      qui maintient une biodisponibilité à peu près semblable à celle  de la formulation à LI équivalente (revendication 1);

e)      qui maintient une C‑min à peu près semblable à celle de la formulation à LI équivalente (revendication 2);

f)        qui maintient une SCC à peu près semblable à celle de la formulation à LI équivalente (revendications 2 et 3);

g)      qui contient de 5 à 50 p. 100 de clarithromycine en poids (revendications 1, 2 et 3);

h)      qui est également composée du polymère pharmaceutiquement acceptable HPMC (revendication 4);

i)        dont le pourcentage de HPMC en poids est de 10 à 30 p. 100 (revendication 10);

j)        dont le HPMC est également de faible viscosité, variant de 50 à 200 cP (revendication 5).

 

[104]       La revendication 12 doit être interprétée de la même façon, avec la restriction supplémentaire selon laquelle le pourcentage en poids de clarithromycine dans la composition devrait être de 50 p. 100.

 

[105]       Comme il en a ci‑dessus été fait mention, le brevet 395 est lui aussi intitulé : [traduction] « Formulations à libération prolongée de dérivés d’érythromycine ». La date de dépôt est le 6 mars 1998 et la date de publication est le 22 octobre 1998. La priorité est revendiquée par rapport au brevet américain 08/838,900, la date de priorité étant le 11 avril 1997. Le brevet 395 renferme 139 revendications. Sur ces 139 revendications, seule la revendication 22 est en litige.

 

[106]       La revendication 22 doit également être interprétée compte tenu des connaissances usuelles de la personne versée dans l’art au 22 octobre 1998. À mon avis, la personne versée dans l’art interpréterait le brevet 395 comme révélant qu’il s’agit essentiellement de la même invention que celle qui est revendiquée dans le brevet 266, avec la restriction supplémentaire mentionnée dans la revendication 22, à savoir que la composition doit présenter un profil de goût amélioré comparativement à la composition à LI équivalente.

 

Troisième question : L’invalidité

A. L’évidence

[107]       L’évidence est la seule allégation d’invalidité que la défenderesse a soulevée contre le brevet 266. Elle a également été soulevée à l’égard du brevet 395. Étant donné les similarités qui existent entre ce qui est revendiqué dans les brevets 266 et 395, j’examinerai ensemble les allégations d’évidence se rapportant aux deux brevets. L’article 28.3 de la Loi sur les brevets exige qu’une invention qui est divulguée dans un brevet ne soit pas évidente; cette disposition prévoit ce qui suit :

L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

 

The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

 

 

[108]       Dans l’arrêt Apotex c. Sanofi, [2008] 3 R.C.S. 265 (Sanofi), la Cour suprême du Canada énonce le critère prédominant qui s’applique à la question de l’évidence au Canada. La cour doit examiner les éléments suivants :

a)      identifier la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse et l’état de la technique connu de cette personne;

b)      définir l’idée originale des revendications, compte tenu de la divulgation, si les revendications ne précisent pas cette idée;

c)      recenser les différences entre ce qui était antérieurement connu et l’idée originale sous‑tendant les revendications;

d)      décider si ces différences sont évidentes sans les connaissances apprises après coup.

 

[109]       Dans l'arrêt Sanofi, le juge Rothstein a énuméré quatre éléments supplémentaires non exhaustifs à prendre en compte à la quatrième étape, lorsque l'application du critère d'« essai allant de soi » est justifiée :

 

a)      Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

b)      Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue, de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

c)      L’antériorité fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

d)      Quelles sont les mesures concrètes ayant mené à l’invention?

 

i.)         La personne versée dans l’art et les connaissances générales usuellles

[110]       Le témoin des demanderesses, M. Banker, déclare que la personne versée dans l’art serait titulaire d’un baccalauréat en sciences, avec spécialité en chimie, en physique ou dans un domaine similaire, et posséderait au moins deux années d’expérience dans l’industrie pharmaceutique, notamment de l’expérience dans la conception et dans l’évaluation des formulations. 

 

[111]       D’autre part, le témoin de la défenderesse, M. Chambliss, déclare que la personne versée dans l’art serait titulaire d’un doctorat en science pharmaceutique ou dans un domaine connexe et posséderait au moins deux années d’expérience dans le domaine des formulations ou dans un domaine connexe. Ou encore, M. Chambliss accepterait que la personne versée dans l’art soit titulaire d’un baccalauréat ou d’une maîtrise dans le même domaine, mais possédant beaucoup plus d’expérience dans la formulation de produits pharmaceutiques.

 

[112]       Je ne suis pas convaincue que la personne versée dans l’art ait besoin des hautes qualifications universitaires mentionnées par M. Chambliss et je conclus que, pour les besoins de la présente instance, la personne versée dans l’art satisferait aux exigences mentionnées par M. Banker. Cela voudrait dire que la personne versée dans l’art serait titulaire d’un baccalauréat en chimie ou en physique et posséderait au moins deux années d’expérience dans l’industrie pharmaceutique, à accomplir notamment du travail dans le domaine de la conception et de l’évaluation de formulations pharmaceutiques.

 

[113]       L’érythromycine et ses dérivés appartiennent à une catégorie de médicaments appelés macrolides. Cela faisait partie des faits connus dont la personne versée dans l’art aurait eu connaissance. De plus, il était bien connu qu’il existait une composition de clarithromycine à LI. Le HPMC était un agent de suspension bien connu, et je suis convaincue que la personne versée dans l’art aurait su que ce polymère faisait partie des polymères disponibles qui pouvaient être utilisés dans la formulation d’une composition à LP. On savait également que le degré de viscosité et de solubilité dans l’eau d’un médicament influait sur le taux de libération d’un médicament contenu dans une formulation à matrice. En outre, on savait que la clarithromycine était un médicament peu soluble.

 

[114]       Les parties ne contestent pas que les p‑cinétiques divulguées dans les brevets 266 et 395 sont bénéfiques. Je suis convaincue que la personne versée dans l’art aurait reconnu l’importance de ces p‑cinétiques. Ceci dit, les p‑cinétiques divulguées dans les brevets 266 et 395 ne sont pas, selon moi, inhérentes aux formulations à LP et il n’était pas par ailleurs évident en soi que la formulation des compositions revendiquées aurait entraîné ces p‑cinétiques. Je reviendrai ci‑dessous sur la question d’une façon plus détaillée.

 

[115]       Quant aux connaissances générales usuelles se rapportant expressément au brevet 395, on savait que la clarithromycine présentait un goût métallique amer, qui était communément appelé perversion du goût. La question est exposée dans l’article de Harold Neu et de Thomas Chick étiqueté document 64 de Sandoz et elle est divulguée dans le mémoire descriptif du brevet 395. La personne versée dans l’art saurait également que les patients qui prennent une formulation à LI éprouvent une perversion du goût.

 

[116]       Les parties ne s’entendaient pas sur la définition correcte de « perversion du goût ». M. Banker, pour le compte des demanderesses, a soutenu que la perversion du goût se manifeste à la suite de l’ingestion de la formulation, mais la défenderesse affirme que cela comprend le goût du produit sur la langue ainsi que l’effet produit à la suite de l’ingestion. Je retiens l’interprétation de la défenderesse. Il n’y a rien dans le brevet ou dans les antériorités qui étaye la définition stricte de perversion du goût proposée par M. Banker. Le brevet 395 même dit plutôt qu’une méthode permettant de remédier à la perversion du goût dans les antériorités consistait à mettre au point une forme liquide du médicament agréable au goût, administrée par voie orale. À mon avis, les mots « agréable au goût » donnent à entendre une substance dont le goût dans la bouche est acceptable et semble étayer l’interprétation plus large de « perversion du goût ». Je conclus que l’on comprendrait en tant que connaissance générale usuelle que la perversion du goût se rapporte au goût dans la bouche ainsi qu’au goût après ingestion.

 

ii)         L’idée originale

[117]       Les demanderesses soutiennent que l’idée originale des revendications 11 et 12 du brevet 266 est une composition distincte à LP avec une matrice clarithromycine‑HPMC qui fournit des p‑cinétiques favorables telles qu’elle se prête à une seule dose par jour. Les compositions distinctes contiennent de la clarithromycine dans une proportion de 45 à 60 p. 100, ou de 50 p. 100, et contiennent dans une proportion de 10 à 30 p. 100 du HPMC à faible viscosité, de 50 à 200 cP. À cet égard, Abbott se fonde sur la preuve soumise par M. Banker.

 

[118]       Sandoz affirme que l’idée originale de la revendication en question est uniquement l’adaptation d’une technologie connue en vue de produire une formulation à LP d’un médicament connu, à savoir la clarithromycine, et que les p‑cinétiques favorables ne sont pas elles‑mêmes revendiquées.

 

[119]       Les arguments soumis par la défenderesse sur ce point ne me convainquent pas. Le libellé des revendications 11 et 12 est clair. L’objet de la revendication 11 est [traduction] « La composition pharmaceutique à libération prolongée selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 10 [...] ». L’objet de la revendication 12 est [traduction] « La composition pharmaceutique à libération prolongée selon la revendication 11, qui contient 50 p. 100 en poids de clarithromycine. » Les revendications 11 et 12 se rapportent donc à des compositions à LP qui possèdent les p‑cinétiques favorables présentées dans les revendications 1, 2 et 3, à savoir un DFL inférieur, une C‑max plus faible et une C‑min, une SSC et une biodisponibilité à peu près comparables comparativement à une formulation équivalente de clarithromycine à LI.

 

[120]       À mon avis, l’idée originale du brevet 395 est essentiellement la même que celle qui est revendiquée dans le brevet 266, avec la restriction supplémentaire, dans la revendication 22, selon laquelle la composition doit présenter un profil de goût amélioré comparativement à son équivalent à LI.

 

iii) Les différences entre l’« état de la technique » et l’idée originale de la revendication

[121]       La présente analyse se rapporte aux différences entre ce qui est mentionné comme faisant partie des antériorités et l’idée originale des revendications. En ce qui concerne le brevet 266, ces différences peuvent être énumérées comme suit :

a)      la sélection du HPCM pour une formulation de clarithromycine à LP;

b)      la sélection du HPCM dont la viscosité varie de 50 à 200 cP pour une formulation de clarithromycine à LP;

c)      la sélection du HPCM représentant de 10 à 30 p. 100 en poids dans la formulation de clarithromycine à LP;

d)      la sélection de la clarithromycine dans une proportion de 45 à 60 p. 100 (revendication 11) ou de 50 p. 100 (revendication 12) en poids dans la formulation de clarithromycine à LP;

e)      la création d’une formulation particulière de clarithromycine à LP qui démontre les p‑cinétiques particulières revendiquées dans le brevet 266.

 

[122]       Quant au brevet 395, la différence en question est la création d’une formulation particulière de clarithromycine à LP qui présente un profil de goût amélioré comparativement à une formulation équivalente à LI.

 

iv) Ces étapes sont-elles évidentes pour la personne versée dans l’art ou exigent‑elles une certaine inventivité?

 

                 a) Est-il évident que l'essai sera fructueux?

 

Le HPMC

[123]       Il existe certains éléments de preuve dans le document 27 de Sandoz, dans les diverses brochures de Dow Chemical étiquetées documents 23, 39 et 81 de Sandoz et dans le brevet 143 qui révèlent que le HPMC est un polymère communément utilisé pour la création de compositions à libération prolongée, mais M. Celik, lorsqu’il a été contre‑interrogé, n’a pas pu nommer un seul médicament peu soluble, comme la clarithromycine, dans lequel le HPMC est utilisé.

 

[124]       De plus, le brevet américain 4,871,548 (le brevet 548), le document 40 de Sandoz, enseigne que, dans le cas de médicaments presque insolubles (dont la clarithromycine constitue un exemple), les matrices hydrophiles ne constituent pas le système le plus approprié pour un apport continu du médicament, et ce, à cause des difficultés associées au processus d’érosion. À mon avis, cela donne à penser que la personne versée dans l’art ne favoriserait pas la sélection du HPMC en tentant de formuler la composition revendiquée. De plus, M. Banker explique les difficultés que comporte l’utilisation du HPMC isolément, plutôt qu’avec un autre polymère, comme le divulgue la publication européenne ER 0 280 571 (le brevet 571), document 32 de Sandoz.

 

[125]       Le brevet américain 4,369,172 (le brevet 172), le document 11 de Sandoz, enseigne l’utilisation du HPMC isolément, mais il n’y a rien dans les antériorités qui donne à entendre que cette formulation conviendrait pour les formulations à LP contenant de la clarithromycine.

 

[126]       En outre, M. Banker déclare dans son affidavit que, lorsque le HPMC a été utilisé de la façon décrite dans les antériorités en vue de contrôler la libération du médicament, cela a souvent été accompli lorsque le médicament en question au complet, ou presque tout le médicament, était libéré en moins de huit heures. À mon avis, cela n’amènerait pas la personne versée dans l’art à créer une composition de médicament devant être libérée sur une période de 24 heures, comme l’exige le brevet 266.

 

[127]       Enfin, les demanderesses ont créé une composition d’alginate 714 sans utiliser le HPMC. À la suite des décisions rendues dans les affaires Sanofi et Windsurfing Int’l Inc. c. Bic Sports Inc. (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.) (Windsurfing), le fait qu’un utilisateur antérieur n’a pas réussi à réaliser l’invention en question peut servir de preuve d’invention.

 

[128]       En somme, je conclus qu'il ne ressort pas des antériorités que l’utilisation du HPMC, aux fins de l’obtention de la composition revendiquée, était évidente en soi.

 

La viscosité du HPMC

[129]       Ensuite, il y a la sélection de la viscosité du HPMC. Malgré les arguments de la défenderesse, le brevet américain 5,393,765 (le brevet 765), document 88 de Sandoz, n’enseigne pas l’utilisation d’un polymère à faible viscosité pour des médicaments peu solubles, mais il enseigne plutôt l’utilisation d’un polymère à faible viscosité pour des médicaments fort solubles.  À mon avis, cela s’éloigne de l’utilisation du HPMC à faible viscosité dans une formulation contenant un médicament peu soluble comme la clarithromycine. Par conséquent, il ne serait pas évident en soi pour la personne versée dans l’art d’appliquer ces enseignements afin d’arriver à la formulation contenue dans le brevet 266.

 

[130]       Le brevet 172 enseigne l’utilisation de polymères à faible viscosité pour les formulations à LP de médicaments solubles dans l’eau et de médicaments peu solubles et ce brevet est donc trop général pour être utile. Le brevet ne montre pas que le choix du HPMC à faible viscosité est évident en soi.

 

[131]       Le brevet 548 enseigne qu’un HPMC à haute viscosité fonctionne avec un HPMC à faible viscosité. Ce brevet ne montre pas clairement qu’une personne versée dans l’art pourrait enlever le HPMC à haute viscosité afin d’arriver à la composition revendiquée dans le brevet 266.

 

[132]       Je conclus que les antériorités ne mèneraient pas la personne versée dans l’art à utiliser un HPMC à faible viscosité avec un médicament peu soluble dans l’eau comme la clarithromycine.

 

Le pourcentage en poids de HPMC

[133]       La défenderesse se fonde sur la preuve par affidavit de M. Celik à l’appui de l’argument selon lequel la personne versée dans l’art pourrait avoir appliqué l’« équation Higuchi », un calcul mathématique complexe, afin de déterminer la quantité appropriée de HPMC à utiliser pour arriver à la composition revendiquée.

 

[134]       Toutefois, lors du contre‑interrogatoire, M. Celik a admis que cette équation ne peut pas être utilisée pour déterminer d’avance la quantité de polymère nécessaire dans la formulation à matrice. Il va sans dire que l’application de cette équation n’indiquerait pas d’une façon évidente en soi le pourcentage requis de HPMC.

 

[135]       Le brevet 172 enseigne l’utilisation du HPMC avec un nombre presque illimité de médicaments dans une fourchette peu utile allant de 0,5 à 99,9 p. 100 en poids du polymère. Encore une fois, cela n’aiderait pas la personne versée dans l’art.

 

[136]       Le brevet américain 4,571,333 (le brevet 333), le document 20 de Sandoz, donne des exemples de HPMC en poids allant de 4 à 6 p. 100 et de 4 à 9 p. 100 respectivement. Toutefois, la viscosité y afférente varie également de 80 000 à 130 000 cP. La viscosité du HPMC utilisé dans le brevet 266 va de 50 à 200 cP. Cette différence milite à l’encontre de l’évidence dans le choix de la quantité de HPMC pour la formulation de la composition.

 

[137]       Le brevet 143 enseigne l’utilisation d’au moins 1/3 en poids du polymère. Cela excède la quantité permise dans la composition revendiquée dans le brevet 266, selon l'interprétation que j'en fais.

 

[138]       Enfin, la défenderesse se fonde sur les enseignements de la publication internationale WO 95/30422 (le brevet 422), le document 92 de Sandoz, qui révèle l’utilisation de 10 à 30 p. 100 en poids du HPMC dans une composition. Pour les motifs ci‑dessous énoncés, étant donné les différences significatives importantes entre la clarithromycine et l’azithromycine, cette dernière étant le médicament utilisé dans le brevet 422, je ne suis pas convaincue que la personne versée dans l’art aurait été amenée à appliquer les enseignements de ce brevet pour arriver à la composition revendiquée.

 

[139]       Par conséquent, je conclus que les antériorités n’auraient pas amené la personne versée dans l’art à utiliser de 10 à 30 p. 100 en poids de HPMC en formulant la composition de la matrice. Toutefois, même si cette proportion est évidente, le fait que les autres éléments de la composition de la matrice ne sont pas évidents étaye la conclusion finale selon laquelle le brevet 266 n’est pas invalide pour cause d’évidence.


Le pourcentage en poids de clarithromycine

[140]       Les exemples cités par la défenderesse à l’aide du brevet 172 ne montrent pas que la détermination du pourcentage de clarithromycine dans la composition est évidente. Sur ce point, la défenderesse renvoie la Cour aux exemples un à six et neuf du brevet 172. 

 

[141]       Ces exemples montrent uniquement l’utilisation, dans une proportion de 50 p. 100, d’un médicament. Rien n’indique que ces médicaments sont semblables à la clarithromycine ou que ces enseignements s’appliqueraient à la composition revendiquée. Aucun des exemples figurant dans le brevet 172 n’est suffisamment précis pour être utile et mener la personne versée dans l’art à formuler la composition revendiquée.

 

[142]       La défenderesse invoque encore une fois le brevet 422, qui démontre l'utilisation de 54 p. 100 en poids d'azithromycine dans une composition. Comme je l'ai dit, pour les motifs énoncés ci‑dessous, je ne suis pas convaincue que la personne versée dans l'art serait amenée à appliquer les enseignements de ce brevet afin de réaliser la formulation du brevet 266.

 

[143]       Je conclus qu'il ne ressort pas des antériorités que la détermination du pourcentage de clarithromycine mentionné dans le brevet 266 est évidente en soi.

 

Les p‑cinétiques favorables

[144]       Initialement, la défenderesse a soutenu que les p‑cinétiques favorables ne faisaient pas partie de ce qui est revendiqué dans le brevet 266. Toutefois, j’ai interprété le brevet comme incluant ces p‑cinétiques.

 

[145]       La défenderesse affirme ensuite que les p‑cinétiques favorables sont inhérentes à toute composition à LP. Toutefois, cette opinion n’est pas partagée par M. Banker, dont je retiens le témoignage sur ce point plutôt que ceux des témoins de la défenderesse. M. Banker a déclaré que les p‑cinétiques favorables divulguées dans le brevet 266 ne font pas intrinsèquement partie des formulations à LP.

 

[146]       M. Banker a également dit qu’il peut y avoir des différences dans l’ADME de diverses compositions et, par conséquent, qu’il faut procéder à un essai in vivo pour déterminer les p‑cinétiques comparatrices. Il a dit qu’en 2006, il n’y avait pas de corrélation in‑vivo/in‑vitro (la CIVIV) qui fût établie pour un produit contenant de la clarithromycine à LP permettant à la personne versée dans l’art de prédire avec exactitude, en l’absence d’un essai in‑vivo, les p‑cinétiques d’une dose à LP.

 

[147]       En outre, la composition d’alginate à LP revendiquée dans le brevet 714, qui contient de la clarithromycine comme ingrédient actif, ne démontrait pas les p‑cinétiques favorables du brevet 266. Cela donne donc à penser que ces paramètres ne sont pas « inhérents » à toute composition à LP.

 

[148]       M. Celik a déclaré que les lignes directrices applicables de Santé Canada portant sur les approbations de drogues exigent en fait que le médicament présente ces p‑cinétiques. Toutefois, lors du contre‑interrogatoire, il a admis s’être trompé au sujet des lignes directrices applicables, et que la ligne directrice à laquelle le médicament était en fait assujetti n’exige pas ces p‑cinétiques.

 

[149]       Je conclus donc qu’il n’existe aucune preuve démontrant que les p‑cinétiques revendiquées dans le brevet 266 sont inhérentes à toute formulation à LP. En outre, il n’est pas évident en soi, d’après les antériorités, que la formulation à matrice du brevet 266 devait mener aux p‑cinétiques favorables revendiquées.

 

La substitution de la clarithromycine à l’azithromycine

[150]       L’argument de la « substitution » avancé par la défenderesse était fondé sur la preuve soumise par M. Chambliss et par M. Celik. Ces témoins experts ont examiné les similarités entre l’azithromycine et la clarithromycine, à savoir qu’il s’agit dans les deux cas de macrolides, qu’elles possèdent des structures chimiques similaires et qu’elles peuvent présenter des paramètres p‑cinétiques similaires. Les témoins experts ont déclaré que, compte tenu de ces similarités, la personne versée dans l’art comprendrait qu’un médicament peut être substitué à l’autre.

 

[151]       Chaque témoin a ensuite signalé le brevet 422, en faisant remarquer qu’il revendiquait une composition d’azithromycine à LP contenant du HPMC. Étant donné que la personne versée dans l’art comprendrait que la clarithromycine peut être substituée à l’azithromycine, et compte tenu des similarités importantes dans la composition des formulations revendiquées dans les brevets 422 et 266, les deux témoins experts ont déclaré que la personne versée dans l’art aurait été amenée à appliquer les enseignements du brevet 422 pour arriver directement et sans difficulté à la composition contenue dans le brevet 266.

 

[152]       La défenderesse soutient que le brevet 714 d’Abbott donne à penser que la substitution peut fonctionner, mais cette thèse n’est pas étayée par la preuve. L’azithromycine comporte des propriétés fort particulières parmi les macrolides, ce qui donne à penser qu’elle ne serait pas interchangeable d’une façon évidente avec la clarithromycine. Le brevet 333 enseigne que de grandes variations dans les propriétés physiochimiques et p‑cinétiques de différents médicaments veulent dire que les formulations qui conviennent pour un médicament ne peuvent pas généralement être appliquées d’une façon prévisible à d’autres médicaments. Cet avis est étayé dans l’ouvrage intitulé Pharmaceutical Dosage Forms and Drug Delivery Systems, étiqueté en tant que document 126 de Sandoz.

 

[153]       Les dissimilitudes entre les deux médicaments comprennent leur distribution dans les tissus du corps, la demi‑vie et le métabolisme de l’effet de premier passage. Je retiens la preuve avancée par les demanderesses, à savoir que ces différences veulent dire que la performance de ces deux médicaments dans le corps est fondamentalement différente, de sorte qu’un médicament ne peut pas facilement être substitué à l’autre.

 

[154]       À mon avis, compte tenu des remarques qui précèdent, je conclus que la personne versée dans l’art n’aurait pas été amenée grâce aux enseignements contenus dans le brevet 422, à la composition revendiquée dans le brevet 266.

 

Le profil de goût amélioré

[155]       Les parties ne s’entendent pas non plus sur la question de savoir si l’on savait que la perversion du goût était fonction de la dose et s’il était évident en soi que la prolongation de la libération de la formulation annulerait cet effet indésirable. Les parties ont fourni une preuve à l’appui de deux conclusions diamétralement opposées.

 

[156]       La défenderesse a fourni à la Cour un certain nombre de références d’antériorités à l’appui de son argument, notamment le brevet états-unien 3,065,143 (le brevet 143), soit le document 1 de Sandoz, et l’article de Robert E. Notari, étiqueté document 24 de Sandoz, lesquels étayent chacun la conclusion selon laquelle les niveaux plus élevés de la C‑max peuvent entraîner une augmentation des effets indésirables, et que les effets secondaires sont fonction de la dose. En outre, l’article de J. K. Aronson (Ph.D.) et de C.J. Van Boxtel (Ph.D.) postule que la perversion du goût décrite par les patients qui prennent de la clarithromycine semble être fonction de la dose.

 

[157]       Les demanderesses ont signalé la preuve soumise par M. Banker, qui conteste la conclusion tirée par la défenderesse, en disant qu’à ce jour, on ne sait pas exactement ce qui cause le goût métallique amer associé à la clarithromycine après ingestion.

 

[158]       De plus, les demanderesses signalent les déclarations que M. Thiessen et M. Einarson ont faites dans leurs contre‑interrogatoires. M. Thiessen a déclaré croire que ce serait faire un acte de foi de conclure qu’un inventeur pourrait raisonnablement s’attendre à ce que les formulations à LP entraînent une diminution de l’effet indésirable. En outre, M. Einarson a déclaré qu’il n’est pas exact de dire qu’il existe une corrélation entre l’exposition accrue à un médicament et l’augmentation des effets indésirables associés à ce médicament, et qu’il ne croit pas que la perversion du goût soit nécessairement fonction de la dose.

 

[159]       Même si je reconnaissais que les effets indésirables sont fonction de la dose, que les niveaux plus élevés de C‑max pourraient entraîner une augmentation des effets indésirables et qu’il est évident en soi que la réduction de la C‑max d’un médicament peut servir de méthode permettant de réduire les effets indésirables, je ne crois pas qu’il était évident en soi que la C‑max pouvait être réduite simplement en prolongeant le temps de libération d’un médicament.

 

[160]       La réduction de la C‑max du médicament, lorsqu’elle est comparée à celle de la formulation à LI, faisait partie des p‑cinétiques favorables divulguées dans les compositions revendiquées. J’ai ci‑dessus conclu que les p‑cinétiques favorables divulguées dans les compositions n’étaient pas inhérentes à toute formulation à LP. Cela étant, la prolongation de la libération d’un médicament ne pouvait pas intrinsèquement entraîner une baisse de la C‑max du médicament.

 

[161]       S’il n’était pas évident en soi qu’il est possible de réduire la C‑max d’un médicament simplement en prolongeant la libération du médicament, il s’ensuit qu’il ne pouvait pas non plus être évident en soi qu’un avantage découlant de la réduction de la C‑max d’un médicament serait obtenu simplement au moyen de la prolongation de la libération du médicament.

 

[162]       En somme, je conclus qu’il n'était pas évident en soi pour la personne versée dans l’art que la prolongation de la libération du médicament entraînerait une réduction de l’incidence de la perversion du goût et une amélioration du profil de goût du médicament.

 

                 b) L’effort requis pour réaliser l’invention

 

[163]       Comme il en a ci‑dessus été fait mention, M. Banker a dit qu’en 2006, il n’y avait pas de CIVIV qui eût été établie pour un produit contenant de la clarithromycine à LP amenant la personne versée dans l’art à prédire d’une façon exacte, en l’absence d’un essai in‑vivo, les p‑cinétiques d’une dose à LP. Étant donné la rareté voire l'absence d’antériorités qui amèneraient par ailleurs la personne versée dans l’art à la composition revendiquée dans le brevet 266 et à ses p‑cinétiques favorables, je suis convaincue qu’il faudrait procéder à un essai in‑vivo. Il s’agit donc de savoir quels seraient les efforts requis pour effectuer ces essais afin de réaliser la composition revendiquée.

 

[164]       Au cours du contre‑interrogatoire de M. Chamblis, il a été question des diverses étapes nécessaires pour effectuer les essais in vivo. En somme, le processus exigerait que la personne versée dans l’art crée un certain nombre de formulations différentes et applique une approche par tâtonnement, en utilisant de nombreux sujets et en testant des milliers d’échantillons de sang jusqu’à ce que la formulation particulière révélant les p‑cinétiques voulues du brevet soit découverte. Je suis convaincue que les étapes que la personne versée dans l’art devrait franchir à cet égard sont extrêmement ardues et, à mon avis, elles excèdent de beaucoup ce que l’on appellerait un « essai courant ».

 

[165]       Quant au brevet 395, les parties n’ont pas fourni de preuves susceptibles d’aider la Cour à déterminer le degré d’effort à déployer pour réaliser l’invention.

 

                 c) Le motif fourni dans les antériorités de trouver la solution préconisée dans le brevet

 

[166]       Les antériorités révèlent que les formulations à LP réduisent la fréquence des doses, ce qui assure une meilleure observance de la part des patients. Avant la création des compositions revendiquées, il était également nécessaire de mettre au point un médicament qui présenterait un profil de goût amélioré, ce qui répond également à la question de l’observance. Je suis convaincue qu’il existait un motif de créer une formulation de clarithromycine à LP comportant les attributs divulgués dans les brevets 266 et 395.

                

                 d) Les étapes concrètes ayant mené à l’invention

 

[167]       Les demanderesses n’ont pas soumis de preuves révélant les étapes concrètes suivies pour arriver aux brevets 266 et 395. Ceci dit, on sait que les demanderesses ont initialement créé le brevet 714, qui utilisait une composition d’alginate, mais qui ne réglait pas le problème de la perversion du goût. Je reconnais qu’Abbott a été amenée à créer les brevets 266 et 395, qui visaient à poursuivre dans la voie du brevet 714, dans la mesure où cela permettrait l’administration d’une seule dose quotidienne de la composition de clarithromycine, tout en réglant la question de la perversion du goût. Comme il en a ci‑dessus été fait mention, le fait qu’un utilisateur antérieur n’a pas réussi à réaliser l’invention en question peut servir de preuve de l’invention.

 

v) La conclusion relative à l’évidence

 

[168]       Enfin, je conclus qu’il n’aurait pas été évident pour la personne versée dans l’art d’arriver aux compositions revendiquées dans les brevets 266 et 395 en se fondant sur les enseignements contenus dans les antériorités. Je suis donc convaincue que les demanderesses ont réussi à démontrer que les allégations d’évidence de la défenderesse ne sont pas justifiées.

 

B. L’absence de réelle utilité

[169]       La notion d’utilité a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Consolboard Inc. c. MacMillan Blodel (Saskatchewan) Ltd., [1981] 1 R.C.S. 504, pages 521 à 527. À la page 525, la Cour suprême a expliqué succinctement comme suit la notion d’utilité :

[...] Il y a un exposé utile dans Halsbury’s Laws of England, (3e éd.), vol. 29, à la p. 59 sur le sens de « inutile » en droit des brevets. Le terme signifie [traduction] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera ». On n’a pas prétendu que l’invention ne produirait pas les résultats promis. L’exposé dans Halsbury’s Laws of England (ibid.) poursuit :

 

[traduction] [...] ce n’est pas l’utilité pratique de l’invention ni son utilité commerciale qui importe à moins que le mémoire descriptif ne laisse prévoir une utilité commerciale, il n’importe pas plus que l’invention apporte un avantage réel au public ni qu’elle soit particulièrement adaptée au but visé. [...]

 

et il conclut :

 

[traduction] [...] Il y a suffisamment d’utilité pour justifier un brevet si l’invention donne soit un objet nouveau ou meilleur ou moins dispendieux ou si elle accorde au public un choix utile.

 

 

[170]       Les demanderesses soutiennent que le tableau VI du brevet 395 et les études M97‑667 et M‑97‑756 d’Abbott démontrent l’utilité du brevet 395 dans la mesure où la composition à LP présente un profil de goût amélioré comparativement à la composition à LI. De son côté, Sandoz allègue que le brevet 395 reprend simplement l’état de la technique, à savoir qu’une formulation à LP devrait atténuer le problème de la perversion du goût, et elle affirme que la somme des données disponibles montre que la composition à LP ne présente pas en fait de profil de goût amélioré par rapport à un équivalent à LP. Elle affirme que la preuve soumise par M. Weiner est défectueuse et que la Cour devrait plutôt retenir la preuve de son expert, M. Einarson.

 

[171]       M. Thiessen a examiné les monographies et étiquettes de produit figurant dans le Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques de 2006 pour la BIAXIN, la BIAXIN BID et la BIAXIN XL. Il a conclu que ces étiquettes indiquaient une incidence plus faible de la perversion du goût dans la formulation à LI comparativement à l’équivalent à LP. Toutefois, lorsqu’il a été contre‑interrogé, M. Thiessen a divulgué que les doses de la formulation à LI et de la formulation à LP étaient différentes et que les études ne pouvaient pas être considérées en parallèle.

 

[172]       À mon avis, le fait que la composition à LI était administrée dans une dose plus faible que la composition à LP met en question la fiabilité des résultats comparatifs se rapportant à la perversion du goût. Étant donné que M. Thiessen ne disposait pas de renseignements pertinents au sujet des doses, la valeur probante de son opinion est réduite en conséquence.

 

[173]       M. Thiessen a rejeté les résultats de l’étude M96‑454 d’Abbott pour le motif que, contrairement aux comprimés à LI, les comprimés à LP étaient censément enrobés de lactose, ce qui influait peut‑être sur le goût. Lors du contre‑interrogatoire, M. Thiessen a soutenu que le lactose utilisé dans les comprimés à LP pouvait être décelé par les papilles gustatives dans la voie gastrointestinale, de sorte que la perception au cerveau était modifiée et que l’effet de la perversion du goût était masqué.

 

[174]       Cette thèse nouvelle n’est pas étayée par quelque élément de preuve empirique susceptible d’être identifié par Sandoz. Sandoz n’a pas non plus pu déceler de preuve empirique montrant que le lactose peut influer sur la perversion du goût associée à la clarithromycine.

 

[175]       La preuve soumise par M. Einarson laisse également à désirer par rapport à celle qu’Abbott a présentée. M. Einarson a témoigné qu’avant qu’une recherche soit effectuée pour trouver les études qu'il convient d'inclure dans la méta‑analyse, les critères de sélection doivent être établis. Le choix des critères de sélection déterminera les études à choisir. Le témoin expert d’Abbott, M. Weiner, a suivi cette méthode, en établissant d’abord que les critères de sélection exigeaient des études en parallèle comparant les formulations de clarithromycine à LP et à LI.

 

[176]       M. Einarson a reconnu que ce critère de sélection d’études en parallèle était la norme privilégiée et il a confirmé que les études que M. Weiner avait trouvées étaient les seules études en parallèle de ce genre. Toutefois, lorsque M. Einarson a réexaminé la méta‑analyse de M. Weiner, il n’a pas adopté cette approche, une approche à laquelle il souscrivait.

 

[177]       Après avoir accepté les critères de sélection de M. Weiner, M. Einarson a conclu qu’il n’y avait que cinq études dans lesquelles les formulations à LP et les formulations à LI étaient comparées et que ces études ne révélaient pas un nombre suffisant de sujets. M. Einarson a ensuite inclus trente‑cinq autres études qui ne répondaient pas aux critères de sélection initiaux, même s’il a affirmé avec insistance qu’il était important de choisir les critères de sélection.

 

[178]       Il était toujours loisible à Sandoz de procéder à des études en parallèle supplémentaires qui répondaient aux critères de sélection et qui fournissaient un plus grand nombre de sujets, afin d’évaluer si la composition à LP ne démontrait pas une amélioration statistiquement significative par rapport à la composition à LI, mais Sandoz a décidé de ne pas le faire. Il semble que Sandoz ait peut‑être eu en sa possession certaines études en parallèle supplémentaires découlant de litiges aux États‑Unis. Elle tente maintenant de se fonder sur les résultats sélectifs obtenus par M. Einarson, lesquels sont basés sur trente‑cinq études qui ne répondent pas à ce qu’il a lui‑même décrit comme étant les critères de sélection privilégiés. M. Weiner a joint ses tests statistiques à son affidavit, mais M. Einarson ne l’a pas fait.

 

[179]       Individuellement, les études M96‑454, M97‑667 et M97‑756 d’Abbott sont trop faibles pour confirmer individuellement une amélioration statistiquement significative du profil de goût, comme l’a admis M. Weiner, mais les résultats que celui‑ci a obtenus lorsqu’il a rassemblé ces études démontraient d’une façon concluante une amélioration statistiquement significative du profil de goût dans la formulation à LP par rapport à la formulation à LI. M. Weiner a conclu que les résultats de sa méta‑analyse des cinq études en parallèle étaient statistiquement significatifs avec un degré de confiance de 0,05, ce qui veut dire qu’il y avait 5 p. 100 de chances, ou moins d’une chance sur vingt, qu’une différence de l’incidence entre les formulations soit attribuable au hasard. Par contre, les résultats obtenus par M. Einarson montraient qu’il y avait moins de 5,1 p. 100 de chances que le profil de goût amélioré soit attribuable au hasard.

 

[180]       Cette différence n’est pas suffisamment distincte des conclusions obtenues par M. Weiner pour me permettre de conclure qu’aucun profil de goût amélioré n’était démontré dans la composition à LP.

 

[181]       En outre, je remarque qu’indépendamment de la question de savoir si la formulation à LP produisait une réduction statistiquement significative de l’incidence de la perversion du goût, la revendication 22 exige uniquement une amélioration du profil de goût, et non une réduction statistiquement significative de la perversion du goût. À mon avis, même si la preuve ne permet pas de conclure que la composition à LP démontre une réduction statistiquement significative de l’incidence de la perversion du goût comparativement à la composition à LI, je suis convaincue que la preuve démontre une amélioration du profil de goût telle qu’elle est alléguée dans la revendication 22, de sorte que cela répond aux normes d’utilité.

 

[182]       En conclusion, en ce qui concerne l’analyse relative à l’allégation selon laquelle le brevet 395 n’est pas utile, je suis convaincue que l’examen de ce brevet montre clairement l’existence d’un motif justifiant la mise au point d’une formulation de clarithromycine à LP qui présente un profil de goût amélioré. Étant donné que pareille formulation était nécessaire et compte tenu des efforts que Sandoz a déployés afin de commercialiser une version générique de la formulation des demanderesses, il semble peu franc de la part de la défenderesse de soutenir maintenant que le produit d’Abbott ne présente pas en fait un profil de goût amélioré. Si le brevet 395 n’est vraiment pas utile, comme Sandoz l’allègue, pourquoi Sandoz elle-même veut‑elle commercialiser une version générique? Les prétentions de la défenderesse semblent miner l’un des principaux avantages qu’elle obtiendrait en commercialisant sa version générique.

 

C. L’absence d'une prédiction valable d’utilité

[183]       La doctrine de la prédiction valable a été examinée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153. Au paragraphe 46, le juge Binnie explique que, lorsque l’invention constitue une nouvelle utilisation d’un ancien produit, l’utilité requise aux fins de la brevabilité doit être démontrée ou cette utilité doit être une prédiction valable fondée sur les renseignements et sur l’expertise qui sont alors disponibles.

 

[184]       La règle de la prédiction valable comporte trois éléments : premièrement, la prédiction doit avoir un fondement factuel; deuxièmement, à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement « valable » permettant d’inférer le résultat souhaité à partir du fondement factuel; troisièmement, il doit y avoir divulgation suffisante. Ces trois éléments sont examinés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Wellcome, paragraphe 70. La date cruciale aux fins de l’examen de la doctrine de la prédiction valable est la date de dépôt de la demande de brevet; voir Aventis Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2005), 43 C.P.R. (4th) 161, confirmé par (2006) 46 C.P.R. (4th) 401 (C.A.).

 

[185]       Je n’ai pas à examiner plus à fond les arguments de la défenderesse sur ce point. Je suis convaincue que les demanderesses ont démontré que l’allégation d'absence d’utilité n’est pas justifiée et je n’ai pas à me demander s’il y avait absence d'une prédiction valable à l’égard de la revendication 22 du brevet 395.

 

D. Le double brevet

[186]       La défenderesse a également allégué que le brevet 395 n’était pas valide pour cause de double brevet. Les allégations de double brevet qui sont ici en litige se rapportent au double brevet du type « évidence ». Aux pages 1105 et 1106 de l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême du Canada a défini cette notion comme suit :

L’interdiction comporte toutefois un deuxième volet qui est parfois appelé le double brevet relatif à une « évidence ».  Il s’agit d’un critère plus souple et moins littéral qui interdit la délivrance d’un deuxième brevet dont les revendications ne visent pas un « élément brevetable distinct » de celui visé par les revendications du brevet antérieur.  Dans Commissioner of Patents c. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, la question était de savoir si Farbwerke Hoechst pouvait obtenir un brevet pour un médicament qui constituait une version diluée d’un autre médicament qu’elle avait déjà fait breveter.  Il n’y avait pas d’identité des revendications.  Le juge Judson a néanmoins conclu à l’invalidité du brevet ultérieur en expliquant, à la p. 53:

 

[traduction]  Une personne a droit à un brevet pour une substance médicinale nouvelle, utile et inventive; toutefois, le fait de diluer cette nouvelle substance une fois que ses usages médicaux sont déterminés ne crée pas une nouvelle invention.  La substance diluée et la substance non diluée ne sont que deux aspects de la même invention.  En l’espèce, l’addition d’un véhicule inerte, qui constitue un moyen courant d’augmenter le volume et de faciliter ainsi les mesures et l’administration, n’est rien d’autre que de la dilution et ne crée pas une nouvelle invention.

 

 

 

[187]       Dans l’arrêt Consolboard, le juge Dickson (plus tard juge en chef) a mentionné l'arrêt Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, page 536, comme étant « l’arrêt qui fait autorité en matière de double brevet » et établissant qu'un second brevet ne pouvait pas être justifié si les revendications ne comportaient pas « de nouveauté ou d’ingéniosité » par rapport au premier brevet.

 

[188]       Dans la présente instance, il s’agit donc de savoir si les revendications du brevet 395 sont distinctes des revendications des brevets 266 et 541, à la date de la publication du brevet, soit le 22 octobre 1998.

 

[189]       Abbott avance deux arguments en réponse aux allégations de Sandoz. En premier lieu, elle soutient qu’étant donné que le commissaire aux brevets lui avait demandé de faire une distinction par rapport au brevet 266 à l'égard de ses revendications concernant le profil de goût amélioré et de les incorporer dans une demande complémentaire distincte, c’est‑à‑dire le brevet 541 dont le brevet 395 est finalement issu, le brevet 395 ne devrait pas être considéré comme constituant un double brevet par rapport au brevet 266. Abbott devait suivre les instructions du commissaire aux brevets.

 

[190]       En second lieu, Abbott soutient qu’étant donné que les revendications du brevet 541 ont été cédées au domaine public, mesure dont l’effet juridique est que le brevet n’a jamais été délivré, le brevet 395 ne devrait pas être considéré comme constituant un double brevet par rapport au brevet 541.

 

[191]       Sandoz affirme que les revendications du brevet 395 présentent le même profil de goût amélioré que celles du brevet 541 et que le brevet 395 est donc invalide pour cause de double brevet. Elle affirme que la cession récente du brevet 541 au domaine public par Abbott n’est pas pertinente lorsqu’il s’agit de trancher la question du double brevet.

 

[192]       L’article 36 de la Loi sur les brevets traite du double brevet. Les paragraphes 36(1), (2.1) et (4) sont pertinents; ils prévoient ce qui suit :

Brevet pour une seule invention

 

36. (1) Un brevet ne peut être accordé que pour une seule invention, mais dans une instance ou autre procédure, un brevet ne peut être tenu pour invalide du seul fait qu’il a été accordé pour plus d’une invention.

 

Idem

 

(2.1) Si une demande décrit et revendique plus d’une invention, le demandeur doit, selon les instructions du commissaire, restreindre ses revendications à une seule invention, toute autre invention divulguée pouvant faire l’objet d’une demande complémentaire, si celle‑ci est déposée avant la délivrance d’un brevet sur la demande originale.

 

Demandes distinctes

 

(4) Une demande complémentaire est considérée comme une demande distincte à laquelle la présente loi s’applique aussi complètement que possible. Des taxes distinctes sont acquittées pour la demande complémentaire, et sa date de dépôt est celle de la demande originale.

 

[193]       Je suis convaincue que le brevet 395 ne devrait pas être considéré comme étant invalide pour cause de double brevet par rapport au brevet 266. Les demanderesses ont soumis des éléments de preuve montrant que les revendications concernant le profil de goût amélioré ont été distinguées du brevet 266 à la demande du commissaire aux brevets. Il s’agissait d’une mesure administrative relevant du mandat du commissaire aux brevets. À mon avis, il serait injuste et inéquitable de conclure que le brevet 395 doit être invalidé, uniquement parce que les demanderesses ont suivi les instructions du commissaire.

 

[194]       Il reste à trancher la question de savoir si le brevet 395 est invalide pour cause de double brevet par rapport au brevet 541. Cette question met en jeu l’effet de l’avis de cession qui a été soumis au Bureau canadien des brevets le 20 janvier 2009. Les dispositions de l’avis de cession sont libellées comme suit :

[traduction]

 

Sous réserve des dispositions du présent document, le titulaire du brevet cède par les présentes au domaine public tous les droits qu’il possède sur l’invention définie dans les revendications du brevet canadien 2,325,541.

 

La présente cession est effectuée sous réserve des droits du titulaire du brevet à l’égard de tout autre brevet ou de toute demande de brevet en instance, mis à part le présent brevet, et notamment le titulaire du brevet ne cède pas les droits qu’il possède en vertu des brevets canadiens 2,285,266 et 2,358,395 ou les inventions qui y sont revendiquées.

 

La présente cession s’applique à tous les titulaires subséquents du brevet et à toutes les personnes qui possèdent, à l’heure actuelle, ou qui posséderont dans l’avenir, des droits en vertu du présent brevet.

 

 

[195]       Dans la décision Bristol-Myers Squibb Canada Co. et al. c. Apotex Inc. et al., 2009 CF 137, paragraphes 51, 54 et 55, le juge Hughes a dit que la revendication de portée excessive dans un brevet qui n’a pas encore été jugé invalide peut échapper à pareille conclusion si une renonciation est déposée. Toutefois, le juge a fait remarquer qu’un tel dépôt doit être effectué en temps opportun. Dans cette affaire‑là, les demanderesses avaient déposé une renonciation après que la défenderesse eut déposé son AA et un jour après qu’elles eurent présenté une demande en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC.

 

[196]       Le juge Hughes a conclu que les revendications auxquelles il avait été renoncé devaient être interprétées telles qu’elles figuraient à la date de signification de l’AA, sinon, la défenderesse serait défavorisée en contestant la validité des revendications telles qu'elles étaient reformulées après la renonciation, étant donné qu’elle ne pouvait revoir l’AA après le début des procédures d’interdiction.

 

[197]       En l’espèce, Abbott a signé un avis de cession et, en se fondant sur la décision G.D. Searle & Co. c. Merck & Co. (2002), 20 C.P.R. (4th) 103 (C.F. 1re inst.), elle soutient qu’étant donné que l’effet d’une cession est assimilable au fait qu’un brevet n’a jamais été délivré, l’allégation d’invalidité de la défenderesse n’a aucun objet.

 

[198]       La défenderesse affirme qu’elle subirait un préjudice si l’avis de cession était maintenant reconnu. Elle se fonde sur la décision Bristol‑Myers à l’appui de cet argument.

 

[199]       En premier lieu, je reconnais que les arguments de la défenderesse, en ce qui concerne le préjudice, sont fondés sur une interprétation erronée de la décision Bristol‑Myers. La défenderesse a utilisé cette décision pour affirmer que la cession lui causerait un préjudice. Il s’agit d’une interprétation erronée de l’objet de la cession, qui est une renonciation de la part d’Abbott, le titulaire du brevet, aux droits au monopole conférés par le brevet et la mise à la disposition du grand public de l’invention revendiquée par le brevet.

 

[200]       Si l’avis de cession avait été signé avant la signification de l’AA, Sandoz n’aurait pas eu de motif d’alléguer que le brevet 395 fait double brevet. Tout argument concernant le préjudice aurait été dénué de fondement.

 

[201]       Quoi qu’il en soit, les arguments des demanderesses, en ce qui concerne l’effet de leur avis de cession dans le contexte de la présente instance, ne me convainquent pas. La question du préjudice causé à un défendeur n’est pas le point de départ de l’examen d’une allégation d’invalidité dans une procédure d’interdiction. Le point de départ est plutôt l’AA, le document qui énonce les motifs pour lesquels la seconde personne allègue l’invalidité ou l'absence de contrefaçon, selon le cas, contre un ou plusieurs brevets; AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien‑être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), paragraphe 20. C’est en se fondant sur le contenu de l’AA que les demanderesses ont décidé d’engager la présente instance, de sorte que la situation, quant au brevet 541, doit être examinée à la date de délivrance de l’AA. 

 

[202]       Dans la décision Bristol‑Myers, le juge Hughes a mis l’accent sur l’AA, en particulier sur la date de signification, afin de déterminer la date à laquelle la revendication du brevet devait être interprétée. Le juge Hughes s'est fondé sur l'arrêt Canadian Celanese Ltd. c. B.V.D. Co. Ltd., [1939] 2 D.L.R. 289 (C.P.).

 

[203]       Je ne vois pas pourquoi je devrais m’écarter, dans ce cas‑ci, de l’approche et du raisonnement adoptés par le juge Hughes. Il existe peut‑être bien une différence entre les effets d’une renonciation et ceux d'un avis de cession dans une action portant sur la validité d’un brevet, mais la présente instance n’est pas une action; il s’agit plutôt d’une procédure sommaire visant une fin restreinte, soit la délivrance d’un AC. Dans le contexte des procédures d’interdiction, l’AA est le document crucial. Selon le Règlement AC, la signification d’un AA place le titulaire d’un brevet dans la situation où il doit décider si des procédures d’interdiction doivent être engagées.

 

[204]       Comme le juge Hughes l’a fait remarquer au paragraphe 48 de la décision Bristol‑Myers : « Dans le cadre de procédures instituées sous le régime du Règlement sur les AC, la Cour ne peut statuer que sur la question de savoir si les allégations faites, [...] dans [l’]avis d’allégation, sont justifiées. »

 

[205]       L’argument des demanderesses, en ce qui concerne l’effet de l’avis de cession, est un nouvel argument, mais à mon avis, il n’est pas valable. Je ne suis pas convaincue que les demanderesses aient démontré que l’allégation de double brevet du brevet 395 par rapport au brevet 541 ne soit pas justifiée.

 

[206]       Le brevet 395 revendique le même « profil de goût amélioré » que celui qui a déjà été revendiqué dans le brevet 541. Il n’est pas distinct de ce qui est revendiqué dans le brevet 541. Cela étant, le brevet 395 est donc invalide, et ce, pour cause de double brevet.

 

Conclusion

[207]       En conclusion, je suis convaincue que les demanderesses ont démontré, selon la prépondérance de la preuve, que les allégations d’invalidité énoncées par la défenderesse dans son AA du 7 mai 2007 au sujet du brevet 266 ne sont pas justifiées. Par conséquent, les demanderesses ont droit à une ordonnance d’interdiction en ce qui concerne le brevet 266 et une ordonnance sera rendue à cet égard.

 

[208]       Je suis convaincue que les demanderesses ont réfuté les allégations d’invalidité de la défenderesse en ce qui concerne l’évidence et l’absence d’utilité du brevet 395, mais je conclus qu’elles n’ont pas réussi à réfuter les allégations d’invalidité de la défenderesse, en ce qui concerne la question du double brevet par rapport au brevet 541. Par conséquent, la demande que les demanderesses ont présentée en vue d’obtenir une ordonnance d’interdiction à l’égard du brevet 395 est rejetée.

 

[209]       La présente demande était fondée sur un dossier confidentiel. La Cour a demandé aux parties si elles voulaient que l’audience soit tenue à huis clos et elles ont répondu que cela n’était pas nécessaire. Toutefois, afin d’éviter que, par inadvertance, des renseignements confidentiels soient divulgués, les présents motifs seront rendus sous le sceau de la confidentialité. Les parties informeront la Cour dans les dix (10) jours qui suivront le dépôt des présents motifs de tout renseignement à expurger.

 

[210]       Les parties ont demandé à avoir la possibilité de soumettre des observations au sujet des dépens. À cet égard, les parties déposeront des observations, d’au plus cinq (5) pages, au plus tard le 8 juillet 2009.

 

« E. Heneghan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-1129-07

 

INTITULÉ :                                                   ABBOTT LABORATORIES et ABBOTT LABORATORIES LIMITED

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA SANTÉ et SANDOZ CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Du 30 mars au 2 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Motifs confidentiels du jugement déposés le 19 juin 2009 et motifs publics du jugement déposés le 7 juillet 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Reddon

Steven Mason

David Tait

POUR LES DEMANDERESSES

 

Edward Hore

Kevin Zive

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE SANDOZ CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

 

Hazzard & Hore

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE SANDOZ CANADA INC.

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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