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Date :  20090706

Dossier :  T-655-08

Référence :  2009 CF 698

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2009

En présence de l'honorable Max M. Teitelbaum 

 

ENTRE :

SERGE CÔTÉ FAMILY TRUST

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La demanderesse a demandé l’annulation d’une pénalité imposée par l’Agence du revenu du Canada pour sanctionner la production tardive d’un formulaire T2062.  Sa demande a été refusée par le directeur-adjoint de la vérification du bureau des services fiscaux de l’est du Québec. Elle sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

 

LES FAITS

[2]               La demanderesse est une fiducie étrangère constituée le 23 mai 2000 en Floride par monsieur Serge Côté, son unique fiduciaire. Par transaction effectuée le 31 janvier 2005, elle a disposé par voie de roulement des actifs en faveur de la société 6287182 Canada Inc., une société canadienne incorporée par M. Côté en septembre 2004 et imposable au sens de la Loi de l’impôt sur le revenu.  La transaction portait sur une créance de $625 000 ainsi que 710 actions de catégorie « A » d’une tierce compagnie.

 

[3]               Le 6 mars 2006, en connexion avec cette transaction, la demanderesse dépose auprès de l’ARC un formulaire T2057, intitulé « Choix relatif à la disposition de biens par un contribuable en faveur d’une société canadienne imposable », accompagné du contrat de roulement conclu entre elle et la compagnie à numéro.  Par contre, elle omet de produire un formulaire T2062 intitulé « Demande pour un non-résident du Canada d’un certificat de conformité relatif à la disposition d’un bien canadien imposable ».  De là les complications maintenant en instance.

 

[4]               Aux termes du paragraphe 116(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu, toute personne non résidente qui cède un bien canadien imposable doit envoyer au Ministre un avis contenant certains renseignements prescrits dans les 10 jours suivant la disposition du bien, dont le formulaire T2062 . L’imposition de pénalités en cas de défaut de produire les renseignements prescrits par la Loi est prévue au paragraphe 162(7) de la Loi. Ces dispositions sont libellées de la façon suivante :

 

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c.1 (5e suppl.)

 

 

116. ( 3) La personne non-résidente qui dispose de son bien canadien imposable […] au cours d’une année d’imposition est tenue d’envoyer au ministre, dans les dix jours suivant la disposition, sous pli recommandé, un avis contenant les renseignements suivants :

 

a) les nom et adresse de la personne en faveur de qui elle a disposé du bien (appelée l’« acheteur » au présent article);

 

b) une description du bien permettant de le reconnaître;

 

c) un état indiquant le produit de disposition du bien ainsi que le montant du prix de base rajusté du bien, pour elle, immédiatement avant la disposition,

sauf si la personne non-résidente a envoyé au ministre, à un moment donné avant la disposition, et conformément au paragraphe (1), un avis concernant toute disposition éventuelle de ce bien, et si, à la fois :

 

d) l’acheteur est l’acheteur éventuel mentionné dans cet avis;

 

e) le montant estimatif mentionné dans cet avis conformément à l’alinéa (1)c) est égal ou supérieur au produit de disposition du bien;

 

 

f) le montant mentionné dans cet avis conformément à l’alinéa (1)d) ne dépasse pas le prix de base rajusté du bien, pour la personne non-résidente, immédiatement avant la disposition

 

 

 

162. (7) Toute personne (sauf un organisme de bienfaisance enregistré) ou société de personnes qui ne remplit pas une déclaration de renseignements selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi ou le Règlement de l’impôt sur le revenu ou qui ne se conforme pas à une obligation imposée par la présente loi ou ce règlement est passible, pour chaque défaut, sauf si une autre disposition de la présente loi (sauf les paragraphes (10) et (10.1) et 163(2.22)) prévoit une pénalité pour le défaut — d’une pénalité égale, sans être inférieure à 100 $, au produit de la multiplication de 25 $ par le nombre de jours, jusqu’à concurrence de 100, où le défaut persiste.

116. (3) Every non-resident person who in a taxation year disposes of any taxable Canadian property of that person […] shall, not later than 10 days after the disposition, send to the Minister, by registered mail, a notice setting out

 

 

(a) the name and address of the person to whom the non-resident person disposed of the property (in this section referred to as the “purchaser”),

 

(b) a description of the property sufficient to identify it, and

 

(c) a statement of the proceeds of disposition of the property and the amount of its adjusted cost base to the non-resident person immediately before the disposition,

unless the non-resident person has, at any time before the disposition, sent to the Minister a notice under subsection 116(1) in respect of any proposed disposition of that property and

 

 

(d) the purchaser was the proposed purchaser referred to in that notice,

 

(e) the estimated amount set out in that notice in accordance with paragraph 116(1)(c) is equal to or greater than the proceeds of disposition of the property, and

 

(f) the amount set out in that notice in accordance with paragraph 116(1)(d) does not exceed the adjusted cost base to the non-resident person of the property immediately before the disposition.

 

 

162. (7) Every person (other than a registered charity) or partnership who fails

(a) to file an information return as and when required by this Act or the regulations, or

(b) to comply with a duty or obligation imposed by this Act or the regulations

is liable in respect of each such failure, except where another provision of this Act (other than subsection 162(10) or 162(10.1) or 163(2.22)) sets out a penalty for the failure, to a penalty equal to the greater of $100 and the product obtained when $25 is multiplied by the number of days, not exceeding 100, during which the failure continues.

 

 

[5]               En octobre 2006, une vérificatrice auprès de l’ARC constate que la demanderesse n’a jamais produit le formulaire T2062 relativement à la transaction du 31 janvier 2005 et demande que ledit formulaire soit produit. La demanderesse donne suite et soumet à l’ARC un T2062 dûment rempli le 2 novembre 2006.

 

[6]               Le 30 août 2007, soit presqu’une année plus tard, la demanderesse reçoit de l’ARC un avis de cotisation demandant paiement d’une pénalité au montant de 2 500,00$ et intérêts, suite au défaut de produire le formulaire T2062 dans les délais prescrits et en application du paragraphe 162(7) de la Loi.

 

[7]               La demanderesse dépose alors une demande d’annulation de la pénalité, alléguant une confusion par rapport à l’obligation de produire le formulaire en question. Dans sa lettre du 30 août 2007 adressée à l’ARC, le procureur de la demanderesse fait valoir qu’ « à la lecture du bulletin d’interprétation 72-17R4, nous avions compris que le dépôt [du formulaire] n’était pas obligatoire et que la seule conséquence du non dépôt était que l’acheteur devenait responsable de l’impôt résultant de la transaction. Puisqu’il n’y avait pas d’impôt relié à la transaction de roulement du 31 janvier 2005, cette conséquence n’avait aucune incidence pour nous de sorte que nous n’avons pas déposé le formulaire T2062 ». Il ajoute que ce n’est qu’en mars 2005, soit après la transaction en question, que l’ARC ait modifié son bulletin d’interprétation pour faire référence aux pénalités prévues au paragraphe 162(7) de la Loi en cas de défaut de produire un formulaire T2062 à l’échéance.

 

[8]               L’ARC répond à la demande d’annulation dans un premier temps par lettre datée le 13 février 2008, dans les termes suivants :

 

Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu confère au Ministre le pouvoir discrétionnaire d’annuler la totalité ou une partie du montant des intérêts  et de pénalités imputées à un compte, dans le cas où un contribuable n’a pu se conformer à une exigence de la Loi de l’impôt sur le revenu en raison de circonstances extraordinaires indépendantes de sa volonté (inondation, incendie, grève des postes, maladie grave ou accident grave, souffrance morale grave comme un décès dans la famille immédiate).

 

 

[9]               Insatisfaite de cette réponse, la demanderesse sollicite le réexamen de sa demande. M. Pierre Boutin, Directeur adjoint de la vérification, procède alors à un nouvel examen des circonstances évoquées par la demanderesse et de ses prétentions. Dans une lettre du 27 mars 2008, il confirme le refus d’annuler la pénalité, et affirme de nouveau que l’ARC n’a pu relever « de circonstance exceptionnelle indépendante de la volonté de votre représentant ou des actions de l’Agence du revenu du Canada qui vous auraient empêché de vous acquitter de cette obligation ou de respecter une exigence de la loi ». C’est le caractère raisonnable de cette décision qui est maintenant en cause.

 

POINTS EN LITIGE ET ARGUMENTS DES PARTIES

[10]           À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse soumet que « pour des motifs qu’on ignore, le ministre du Revenu national a basé sa décision sur des circonstances exceptionnelles, exerçant ainsi erronément et déraisonnablement son pouvoir discrétionnaire », et que d’autre part, « le ministre a commis une erreur en concluant que la demande d’allègement n’était pas recevable dans le cas de la demanderesse. » Se rapportant à la circulaire d’information IC 07-1, qui énonce que l’allègement d’une pénalité peut être accordé entre autres lorsque des actions de l’ARC ont amené un contribuable à ne pas soumettre un formulaire qui contient une déclaration obligatoire, la demanderesse fait valoir que l’ARC n’aurait pas dû analyser sa demande sous l’angle des « circonstances exceptionnelles » mais plutôt sous l’angle des « actions de l’ARC » et la mise à la disposition du public de renseignements administratifs inexacts.  La demanderesse soumet qu’en effet, elle a été induite en erreur par des informations contenues dans la circulaire d’information 72-17R4. Selon elle, la circulaire laissait croire qu’il était acceptable de fournir de la documentation équivalente au formulaire T2062, ce qu’elle aurait effectivement fait le 6 mars 2006 en produisant copie du contrat de cession du 31 janvier 2005 en annexe à son formulaire T2057 et qu’au surplus ladite circulaire donnait à croire que l’obligation de produire le formulaire T2062 incombait seulement lorsque la transaction sous-jacente générait des revenus imposables, ce qui n’était pas le cas en l’espèce puisque la transaction des actifs de la demanderesse s’est fait par voie de roulement sous l’égide du paragraphe 85(1) de la Loi.  Dans ces circonstances, la demanderesse soumet que sa demande d’annulation de la pénalité en cause était recevable et réitère qu’elle aurait dû être analysée sous l’angle des « actions de l’ARC » et non sous l’angle de « circonstances exceptionnelles ».

 

[11]           La demanderesse, dans sa plaidoirie, a également soumis que pour décider si une pénalité devrait lui être infligée, le défendeur doit considérer s’il a subi un préjudice quel qu’il soit.

 

[12]           Après avoir entendu les soumissions des parties au litige, je suis convaincu que le défendeur n'a subi aucun préjudice, que le formulaire T2062 a été déposé et il est clair que la demanderesse ne devait aucun impôt suite au dépôt dudit formulaire.

 

[13]           Le défendeur soumet que le document intitulé « analyse de la demande », reproduit aux pages 45-47 de son dossier, démontre que le délégué du Ministre a considéré tous les faits pertinents à la demande, dont la clarté des exigences des paragraphes 116(3) et 162(7) de la Loi ainsi que le fait que la circulaire d’information 72-17R4 mentionne explicitement l’obligation de présenter un avis au Ministre dans les 10 jours suivant la disposition d’un bien canadien imposable par un non-résident.  Selon le défendeur, il s’ensuit que la décision du directeur adjoint est raisonnable au sens du droit administratif et ne devrait pas être renversée.

 

CONSIDÉRATIONS

[14]           Face à des situations telles que celle qui nous occupe présentement, il convient de se rappeler que ce n’est pas le rôle de la Cour siégeant en contrôle judiciaire de procéder à une nouvelle pondération de la preuve. En l’espèce, il est clair à la lecture du rapport préparé par l’ARC suite à la deuxième demande d’allègement de la demanderesse (pages 39-42 du dossier du défendeur) que tous les arguments avancés devant la Cour aujourd’hui, sauf pour le fait que le défendeur n’a pas subi de préjudice, ont été dûment analysés et considérés par l’ARC lors de la deuxième demande d’allègement. Or, la prétention de la demanderesse selon laquelle sa demande n’a pas été analysée sous l’angle des « actions de l’ARC »  est dénuée de fondement. Dans les faits, c’est précisément parce que les explications de la demanderesse selon laquelle elle aurait été induite en erreur par la circulaire 72-17R4 ont été jugées insatisfaisantes que l’auteur du rapport a recommandé que la pénalité soit maintenue.

 

[15]           Or, ayant révisé la circulaire 72-17R4, je conviens avec l’auteur du rapport que rien dans ce document pourrait raisonnablement amener un contribuable dans la situation de la demanderesse à conclure qu’il n’était pas nécessaire de se conformer à l’exigence prévu au paragraphe 116(3) de la Loi. Le fait que la conséquence de non-conformité à cette disposition n’est pas explicitement mentionnée dans la circulaire ne justifie en rien les actions de la demanderesse alors que la Loi de l’impôt sur le revenu elle-même a toujours été très claire à cet égard. La position de la demanderesse reviendrait à assimiler le passage sous silence des conséquences d’un défaut de se conformer à une disposition explicite de la Loi, dans une circulaire d’information, à une directive fautive. Je ne peux me rallier à cette position.

 

[16]           Pour ces motifs, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

 

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-655-08

 

INTITULÉ :                                       SERGE CÔTÉ FAMILY TRUST c.

                                                            PROCUREUR GÉNÉRAL DE CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               TEITELBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Serge Racine

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Andrew Miller

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Séguin Racine, avocats

Laval (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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