Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20090320

Dossier : IMM-3919-08

Référence : 2009 CF 290

Ottawa (Ontario), ce 20e jour de mars 2009

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

Victima Rosilia BELTRAN LEON

 

Demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire logée à l’encontre d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le 30 juillet 2008, à l’effet que la demanderesse n’avait pas la qualité de « réfugiée au sens de la Convention » ni de celle de « personne à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi). Sa demande d’asile fut donc rejetée.

 

I.  Les faits

[2]          La demanderesse est citoyenne péruvienne, née le 23 juillet 1963.

 

[3]          Le 27 mai 1991, elle a eu un fils avec Gustavo Sedano Fabian, appelé Noe Gustavo Sedano Beltran.

 

[4]          La demanderesse a souligné qu’elle n’avait pas vécu avec le père de son enfant et élève son fils, seule. Elle rapporte que la famille du père de l’enfant l’a maltraitée et le frère de ce dernier, soit Anibal Sedano Fabian, s’est mal comporté envers elle. Il lui a fait des avances amoureuses ainsi qu’une offre en mariage, manœuvres qui furent refusées. Il a persisté et l’a harassée entre 2000 et 2006, tentant de la violer à deux reprises et l’a violée en août 2006.

 

[5]          Elle a formulé des plaintes à la police suite à ces événements, mais sans obtenir de résultats.

 

[6]          La demanderesse a confié la garde de son fils à son parrain et, le 1er novembre 2006, elle est arrivée seule au Canada demandant l’asile. Elle rapporte que ledit parrain de l’enfant lui a écrit dans une lettre du 5 mars 2008 qu’Anibal est venu harceler Noe, et tentait de localiser la demanderesse.

 

II.  La décision contestée

[7]          La SPR a analysé la preuve testimoniale et documentaire et a trouvé qu’elle ne pouvait faire droit à la demande d’asile de la demanderesse car, selon la SPR, elle n’est pas une personne crédible puisque son histoire était tout simplement inventée pour servir les fins de sa demande.

[8]          La SPR a fondé sa décision sur une contradiction dans la preuve de la demanderesse quant à l’identité de son agent persécuteur. Il fut établi que dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), la demanderesse indique craindre Anibal, le frère du père de son enfant, mais, à son arrivée au Canada, elle a plutôt déclaré à l’agent d’immigration craindre le père de son enfant, Gustavo.

 

III.  Les questions en litige

[9]          La décision de la SPR contient-elle des erreurs de droit ou est-elle déraisonnable eu égard aux faits?

 

IV.  La norme de contrôle judiciaire

[10]      Lorsqu’il s’agit d’une question factuelle ou d’une question mixte de droit et de faits, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Si une question de droit est soulevée, la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). La décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, nous rappelle qu’il faut accorder déférence aux décisions des tribunaux administratifs.

 

V.  Objection préliminaire

[11]      Le défendeur s’est opposé à la demande parce que présentée une journée en retard. La demanderesse a demandé une prolongation de délai parce que le délai a été causé par la réorganisation du bureau de son procureur. Le défendeur conteste cette requête en invoquant les arrêts suivants : Grewal c. ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.) ; Beilin c. ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1994] A.C.F. no 1863 (1re inst.) (QL) ; ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Singh, [1997] A.C.F. no 1726 (1re inst.) (QL).

 

VI.  Analyse

[12]      Le paragraphe 72(2) de la Loi exige que les demandes de contrôle judiciaire soient présentées dans les 15 jours de la décision à moins que pour des « motifs valables », le tribunal proroge le délai.

 

[13]      Il s’agit d’une discrétion fondée sur l’équité. J’estime que dans les circonstances décrites précédemment, le retard d’une journée, non imputable à la demanderesse, justifie l’extension de délai sollicitée.

 

    A.  La décision au fond est-elle raisonnable ?

[14]      La demanderesse plaide que la décision négative de crédibilité est mal fondée et que le rejet de la preuve documentaire qui appuyait sa version est aussi mal fondé en droit.

 

        (1)  La question de crédibilité

[15]      La SPR a fondé essentiellement sa décision sur l’absence de crédibilité de la demanderesse parce que l’agent d’immigration à l’entrée au Canada a écrit que la demanderesse avait déclaré craindre d’être battue par le père de son enfant, si elle retournait au Pérou. La demanderesse a expliqué qu’il s’agit d’une erreur ; elle a répété plusieurs fois que c’était le frère du père de l’enfant, Anibal, qui était l’agresseur. Pour appuyer son témoignage, elle a tenté de produire des copies de plaintes qu’elle avait faites à la police péruvienne en 2000 et 2006 contre Anibal. Mais la SPR a refusé expliquant qu’il aurait fallu produire les originaux. La SPR a aussi déclaré qu’il était facile d’obtenir de faux documents au Pérou.

 

[16]      Il n’y a aucun doute que la SPR peut, selon la jurisprudence, fonder sa décision sur les divergences entre les déclarations au point d’entrée et le témoignage d’un demandeur pour supporter une conclusion de non-crédibilité (Chen c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 767 ; Moscol c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 657).

 

[17]      Toutefois, il y a des distinctions à appliquer à cette règle générale dans la détermination factuelle des éléments de preuve.

 

[18]      Dans ce dossier, la demanderesse s’est adressée en espagnol au point d’entrée et ses réponses furent transmises par un interprète. Y-a-t’il eu confusion dans le nom des personnes ou la demanderesse s’est-elle mal exprimée à l’époque ?

 

[19]      La SPR n’a pas poussé son interrogation plus loin et a simplement conclu à la non-crédibilité refusant de considérer la preuve corroborative de la demanderesse. Or, le dossier contenait copies de deux plaintes d’agression ou de harcèlement logées par la demanderesse contre Anibal en 2000 et 2006 à la police péruvienne. La SPR a tout simplement exclu cette preuve pour le motif qu’il était facile d’obtenir de faux documents au Pérou.

 

[20]      Or, il n’y a eu aucune preuve de la fausseté des pièces produites par la demanderesse.

[21]      Notre Cour a déjà décidé que la preuve d’une pratique de fabrication de faux dans un pays ne signifie pas qu’un document est faux sans une preuve concrète à ce sujet (Halili c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2002 CFPI 999, aux paragraphes 4 et 5 ; Cheema c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 224).

 

[22]      De plus, la SPR n’est pas liée par les règles strictes de la preuve comme les tribunaux de droit commun, donc la règle de la meilleure preuve n’est pas obligatoire devant la SPR.

 

[23]      À mon avis, cette erreur de la SPR justifie une intervention de notre Cour.

 

[24]      La demanderesse se plaint que la SPR n’a pas maintenu ou suivi les Directives no 4 – Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe. Elle soumet que la SPR l’a confrontée trois fois sur un seul aspect de son histoire (i.e. le nom d’Anibal – Gustavo), et a exclu sa version et toute preuve qui la supportait. Elle soumet que la SPR n’a pas respecté les Directives no 4 quant aux refugiées victimes de violence et n’a pas pris une « attitude extrêmement compréhensive ». Le défendeur répond que le fait que le tribunal n’a pas mentionné les directives ne signifie pas qu’il ne les a pas suivies (Munoz c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1273 ; Gutierrez c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 1192).

 

[25]      La jurisprudence de notre Cour reconnaît que les lignes directrices ne font pas partie de la Loi mais elles sont utiles dans l’interprétation de la preuve. Ces lignes directrices devraient être consultées dans des cas où il s’agit d’une réfugiée qui allègue persécution fondée sur le sexe, comme en l’espèce (Begum c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 59 ; Muradova c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2003 CFPI 274).

 

[26]      La SPR doit aussi tenir compte de la preuve documentaire et testimoniale quant à l’état de prestation des victimes de violence et d’agressions sexuelles dans le pays spécifique impliqué dans le litige (Lubana c. ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le 3 février 2003), IMM-2936-02, au paragraphe 14). Cette exigence n’a pas été respectée dans le présent dossier.

 

[27]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

          LA COUR ORDONNE :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 30 juillet 2008 refusant le statut de réfugiée à la demanderesse, est annulée.

3.      La tenue d’une nouvelle audition de la demande devant un nouveau tribunal composé différemment.

4.      Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3919-08

 

INTITULÉ :                                       Victima Rosilia BELTRAN LEON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              L’honorable Orville Frenette, Juge suppléant

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stewart Istvanffy et                        POUR LA DEMANDERESSE

Mme Katherine Marsden (stagiaire)

 

Me Sherry Rafai Far                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.