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Date : 20090416

Dossier : IMM-2692-08

Référence : 2009 CF 377

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

STEPAN LYLAK

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision d’une agente d’immigration datée du 3 juin 2008 et concernant une demande fondée sur des considérations humanitaires (la demande CH).

 

[2]               Le demandeur soutient que l’agente d’immigration a commis une erreur susceptible de  contrôle dans son évaluation de la demande CH qu’il a présentée au Canada.

 

[3]               On devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par l’article 25 de la Loi (Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 62). Leurs décisions ne devraient pas être modifiées à moins qu’elles ne soient déraisonnables (Rai c. Canada (M.C.I.), [2007] A.C.F. no 12 (1re inst.) (QL), 2007  CF 12, 305 F.T.R. 135, 154 A.C.W.S. (3d) 932, aux paragraphes 32 et 33).

 

[4]               À l’audience, le demandeur a fait valoir quatre arguments à l’appui de sa thèse. Premièrement, le demandeur a soutenu que l’agente n’avait pas tenu compte des difficultés   psychologiques que lui causerait la nécessité d’avoir à quitter son poste à l’église catholique ukrainienne, qui était maintenant [traduction] « au cœur de son identité religieuse et personnelle ».

 

[5]               Deuxièmement, le demandeur a avancé que l’agente avait commis une erreur dans son évaluation de la relation qu’il avait avec sa tante, en ne prenant pas dûment en considération les affidavits dans lesquels celle-ci attestait des détails de cette relation.

 

[6]               Troisièmement, le demandeur a affirmé qu’il y avait déni de justice naturelle parce que l’agente n’avait pas émis de réserves relativement à une note « illisible » d’un médecin avant de rendre sa décision, privant ainsi le demandeur de la possibilité de produire un élément de preuve plus satisfaisant.

 

[7]               Finalement, le demandeur a avancé que l’agente n’avait pas pris en considération les difficultés financières auxquelles il se heurterait comme homme de 55 ans ayant vécu à l’extérieur de son pays d’origine pendant 10 ans. De plus, il a prétendu que c’était à tort et injustement que l’agente n’avait pas tenu compte de son établissement financier au Canada, tout simplement parce qu’il était sous le coup d’une mesure de renvoi pendant la période où il avait occupé son emploi.

 

[8]               Après avoir examiné le dossier, je crains que l’agente d’immigration n’ait pas traité comme il se doit de la question de l’établissement du demandeur au Canada, en particulier de sa participation apparemment importante dans la collectivité. L’agente a reconnu que le demandeur avait des liens étroits avec la communauté ukrainienne de Toronto et, particulièrement, avec la communauté ukrainienne catholique, en écrivant à la page 3 de sa décision :

[traduction] Le demandeur est un diacre et sert la communauté par l’entremise de son église, la Holy Protection of the Mother of God Ukrainian Catholic Church. Je remarque qu’il y a des lettres de l’église et de ses paroissiens témoignant de leur appui en faveur du demandeur et de leurs préoccupations quant à la viabilité de leur église si le demandeur devait quitter le Canada.

 

 

 

[9]               Ces déclarations ne sont pas suivies d’une analyse, mais plutôt de suppositions selon lesquelles le demandeur est maintenant [traduction] « autorisé à déposer une demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada dans la catégorie de l’immigration économique ». Que cela soit vrai ou non, on ne tient pas compte de la question de l’établissement du demandeur au Canada et des difficultés qui surviendraient s’il devait déposer sa demande à l’étranger. Je remarque, par exemple, qu’il y a une lettre au dossier de Nina Chyz, administratrice de l’église The Church of the Assumption of the Blessed Virgin Mary, datée du 4 septembre 2003, dans laquelle elle écrit :

[traduction] Le travail fait par STEPAN LYLAK est indispensable pour la paroisse et la communauté. STEPAN a accompli toutes ses fonctions avec un grand professionnalisme, faisant preuve d’un bon jugement, de fiabilité et d’une volonté de travailler avec les autres.

 

L’église The Church of Assumption of the Blessed Virgin Mary a besoin d’un diacre et d’un chantre qui connaît bien les rites byzantins, qui parle couramment la langue ukrainienne et l’écrit parfaitement et qui a une connaissance approfondie de la musique d’église.

 

Comme STEPAN LYLAK remplit toutes les exigences de notre église, il est recommandé qu’il lui soit permis de rester et de continuer à accomplir toutes ses fonctions indispensables pour notre paroisse. Ses services sont instamment requis.

 

[10]           De même, une lettre de Stephen Chmilar de l’éparchie ukrainienne catholique de Toronto, Ukrainian Catholic Eparchy of Toronto, révèle ce qui suit :

[traduction] Notre église voit son nombre de fidèles décliner en raison du vieillissement de la population et du manque de conseils spirituels prodigués aux paroissiens dans les petites communautés.  Le diacre Stepan est un membre essentiel de cette paroisse et a contribué, au cours des dernières années, à son expansion. De plus, le diacre Stepan, à titre de bénévole, aide les personnes âgées de la paroisse. Son renvoi affecterait grandement la viabilité de notre paroisse à Guelph.

 

 

 

[11]           Ces lettres témoignent d’un niveau d’intégration qui méritait d’être pris en considération dans les motifs de l’agente d’immigration. À mon avis, l’omission de dûment tenir compte de cet aspect de l’établissement du demandeur au Canada constitue une erreur de la part de l’agente. 

 

[12]           De plus, je constate que les déclarations de l’agente selon lesquelles la preuve présentée concernant la relation entre le demandeur et sa tante était insuffisante ne prennent pas clairement en considération les affidavits déposés par la tante, Irena Jarish.  Dans un affidavit qu’elle a signé le 21 octobre 2004, Mme Jarish écrit qu’elle est [traduction] « veuve; mon mari est décédé en 1990. Je n’ai pas d’enfants et je n’ai pas d’autres membres de ma famille au Canada. » Plus loin, au paragraphe 10, elle ajoute :

[traduction] Aujourd’hui, Stepan est un fils pour moi. C’est la seule personne sur laquelle je puisse compter au Canada. Il m’amène chez le médecin quand j’ai besoin d’aide. J’ai des problèmes de peau qui me causent des éruptions et des démangeaisons, et il les masse et les soigne. Il me lave les cheveux, il repasse mes vêtements, il cuisine pour moi et, de façon générale, m’aide pour tout ce dont j’ai besoin.

 

 

 

[13]           Au paragraphe 13, elle continue : [traduction] « Le lundi 24 octobre 2004, je dois subir une chirurgie mineure et Stepan sera là pour moi. Aucune autre personne ne peut m’y amener et s’occuper de moi pendant toute cette procédure. »

 

[14]           Des déclarations semblables se retrouvent dans son affidavit daté du 30 mai 2007 dans lequel elle explique également qu’elle souffre d’« arthrite grave » qui l’empêche de faire ses courses, de marcher ou d’être debout pendant un certain temps. Elle écrit aussi que [traduction] « [s]ans Stepan, je serai obligée de déménager dans une maison de retraite car je ne serai pas capable de prendre soin de moi ». En lisant ces allégations, il est difficile de comprendre sur quoi l’agente s’est fondée pour conclure, sans plus d’explications, que la preuve était [traduction] « insuffisante » quant à leur relation, à l’état de santé de la tante et à sa dépendance.

 

[15]           Dans l’ensemble, je conclus que les motifs de l’agente fournissent un fondement insuffisant aux conclusions énoncées. Il ne s’agit pas là d’un commentaire sur le bien-fondé de la demande de M. Lylak, mais plutôt sur le devoir de l’agent de prendre en considération la preuve substantielle au dossier de manière à ce que la décision rendue ait les caractéristiques de la raisonnabilité, à savoir « la justification […], […]la transparence et […] l’intelligibilité » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[16]           Pour les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision, en gardant à l’esprit qu’un résultat rapide serait souhaitable compte tenu du fait que la première demande a été déposée il y a plus de cinq ans.


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision défavorable de l’agente d’immigration, datée du 3 juin 2008 et concernant une demande fondée sur des considérations humanitaires déposée par le demandeur, est rejetée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision, en gardant à l’esprit qu’un résultat rapide serait souhaitable compte tenu du fait que la première demande a été déposée il y a plus de cinq ans.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2692-08

 

INTITULÉ :                                       STEPAN LYLAK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 16 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joseph R. Young                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Neal Samson                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joseph R. Young                                              POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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