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Date : 20090324

Dossier : IMM-5373-06

Référence : 2009 CF 311

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2009

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

ROBERT GENE CLARK

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Au moment de la naissance de Robert Clark, ses parents géraient une ferme dans le Sud du Manitoba, près de la frontière canado-américaine. M. Clark est né le 5 juin 1947 à Westhope, dans le Dakota du Nord, endroit où se trouvait l’hôpital le plus près. Il a vécu au Canada toute sa vie croyant qu’il était un citoyen canadien. Les personnes se trouvant dans la situation de M. Clark sont parfois appelées « Canadiens dépossédés ».

 

[2]               En avril 2006, M. Clark a été déclaré coupable de diverses infractions liées à la drogue et à la contrebande. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement de 30 mois et a fait l’objet d’une interdiction de possession d’armes.

[3]               Après la déclaration de culpabilité de M. Clark, son dossier est parvenu à l’attention de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui a conclu qu’il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001, ch. 27 (paragraphes 36(1), 44(1) et (2); tous les renvois législatifs sont reproduits à l’annexe « A » ci-jointe). Le délégué du ministre a examiné le dossier du demandeur en septembre 2006. Le délégué a confirmé la conclusion de l’ASFC et prononcé une mesure d’expulsion contre M. Clark pendant qu’il était en prison. L’ordonnance a eu pour effet de rendre M. Clark inadmissible à la semi-liberté, aux sorties sans surveillance et au transfert vers un établissement à sécurité minimale.

 

[4]               M. Clark a demandé que l’on sursoie à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion. En décembre 2006, le juge Michael Kelen a accordé le sursis en attendant la décision définitive relative à la demande de contrôle judiciaire sous-jacente (Clark c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1512). M. Clark a obtenu une semi-liberté peu de temps après.

 

[5]               M. Clark allègue que le délégué du ministre l’a traité injustement. En outre, il soutient que les droits que lui confère la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que la Déclaration canadienne des droits, ont été violés. Je suis d’accord pour dire que M. Clark a été traité injustement. Il n’est donc pas nécessaire que je me prononce sur les autres questions qu’il a soulevées.

 

I.               Le cadre législatif

 

[6]               Sous le régime de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29, à l’alinéa 3(1)e), a qualité de citoyen canadien toute personne « habile » à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi, adoptée en 1946 : Loi sur la citoyenneté canadienne, ch.15. L’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi énonce qu’une personne qui naît hors Canada est « citoyen canadien de naissance » si

 

i.                     L’un de ses parents était citoyen canadien;

ii.                   la naissance a été inscrite dans les deux années qui ont suivi (ou au cours de la prorogation autorisée par le ministre).

 

[7]               M. Clark allègue que ces deux critères prévoient d’abord une condition d’admissibilité à la citoyenneté canadienne (la citoyenneté canadienne des parents) et, ensuite, une procédure pour réclamer cette citoyenneté (l’inscription). Conséquemment, il soutient qu’il était « habile » à devenir citoyen aux termes de l’ancienne loi et qu’il devrait donc être reconnu comme citoyen canadien en vertu de la loi actuelle même si sa naissance n’a jamais fait l’objet d’une inscription. L’interprétation que fait M. Clark de la législation a été adoptée dans Bell c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 76 F.T.R. 193. Cependant, cette décision a été infirmée en appel, quoique pour d’autres motifs : 33 Imm. L.R. (2d) 305 (C.A.F.).

 

[8]               Le ministre allègue que les deux critères prévus dans l’ancienne loi doivent être remplis avant que la personne puisse être considérée comme citoyen canadien aux termes de la loi actuelle. Ainsi, la demande de citoyenneté de M. Clark est sans fondement.

 

[9]               Pour les besoins de la présente affaire, il n’est pas nécessaire que je règle le litige entre les parties à cet égard. Il est clair selon moi que M. Clark a soulevé au moins une question sérieuse concernant sa citoyenneté. En outre, toute ambiguïté dans la loi a été éliminée par une modification à la Loi sur la citoyenneté. Le projet de loi C-37, qui doit entrer en vigueur le 19 avril 2009 ou avant cette date, prévoit qu’une personne devient citoyen canadien si elle est née à l’étranger avant le 15 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen (l’alinéa 3(1)g)).

 

[10]           Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (paragraphes 36(1), 44(1) et (2)) s’appliquent seulement aux résidents permanents ou aux étrangers. Une conclusion d’interdiction de territoire au Canada ne peut être tirée qu’à l’égard d’une personne qui n’est pas citoyen canadien. La question qui résulte de ces circonstances est donc celle de savoir comment le délégué du ministre devrait procéder lorsqu’une question sérieuse se pose au sujet de la citoyenneté d’une personne dont l’interdiction de territoire au Canada fait l’objet d’un contrôle.

 

II.            M. Clark a-t-il été traité injustement?

 

[11]           Étant donné qu’il a déclaré que M. Clark était interdit de territoire, le délégué devait donc être convaincu que M. Clark n’était pas citoyen canadien. Cependant, il n’a pas donné la possibilité à M. Clark d’établir sa citoyenneté avant de rendre sa décision, ni n’a fourni de motifs.

 

[12]           Les décideurs ont clairement l’obligation de motiver suffisamment leurs décisions. Comme l’a indiqué la juge L’Heureux-Dubé, lorsqu’un décideur tranche une question qui est essentielle pour l’avenir d’une personne, il serait injuste de ne pas expliquer à cette personne pourquoi une décision particulière a été prise : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 43. À mon avis, la question dont était saisi le délégué du ministre dans le dossier de M. Clark entrait indéniablement dans cette catégorie de décision. Elle touchait à l’admissibilité de M. Clark à la libération conditionnelle, aux circonstances de son incarcération et à son droit de demeurer au Canada. L’agent avait l’obligation de motiver sa conclusion selon laquelle M. Clark était un étranger interdit de territoire au Canada.

[13]           En outre, comme l’a conclu le juge John Richard (maintenant juge en chef de la Cour d’appel fédérale), lorsqu’une instance en immigration soulève une question sérieuse quant à la citoyenneté canadienne d’une personne, le décideur devrait ajourner l’instance pour permettre à la personne visée de demander que la question soit tranchée : McLean c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n1741, au paragraphe 37. En l’espèce, étant donné que le délégué pouvait seulement prononcer une ordonnance d’expulsion à l’égard d’un non‑citoyen, il aurait dû attendre jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur la citoyenneté de M. Clark avant de le déclarer interdit de territoire.

 

III.          Conclusion et décision

 

[14]           Le délégué du ministre a traité M. Clark injustement en ne motivant pas sa conclusion selon laquelle il était interdit de territoire au Canada, et en tirant une telle conclusion avant que la décision quant à la demande de citoyenneté de M. Clark ne soit rendue. Je dois donc infirmer cette décision. Puisqu’aucune décision n’a encore été rendue quant à la demande de citoyenneté de M. Clark et que la question a été réglée par voie législative, il n’y a pas lieu d’ordonner qu’un autre agent réexamine la question de l’interdiction de territoire au Canada.

 

[15]           M. Clark a sollicité des dépens. En matière d’immigration, il est inhabituel d’adjuger des dépens. Il doit exister des circonstances spéciales. M. Clark allègue qu’il en existe dans son cas, à savoir :

                         

•           Le délégué du ministre a tenu compte de son admissibilité à la semi‑liberté, un facteur qui était extrinsèque à la question qu’il devait trancher;

 

•           La décision du délégué a eu pour effet de proroger sa période d’incarcération;

 

•           Les documents produits par le ministre dans le cadre de la requête en sursis s’appuyaient faussement sur une déclaration de culpabilité pour appartenance à une organisation criminelle;

 

•           Aucune décision n’a jamais été rendue à l’égard de sa demande de citoyenneté, déposée en septembre 2006.

 

[16]           En réponse, le ministre signale que le délégué était conscient de l’effet de sa décision sur l’admissibilité de M. Clark à la semi-liberté, mais qu’il n’en a pas tenu compte dans sa décision. L’erreur contenue dans les documents du ministre a été rapidement corrigée, avant l’audition de la requête en sursis. Enfin, le ministre souligne que divers moyens de rendre cette procédure non nécessaire ont été proposés à M. Clark, mais qu’aucun n’a été pris.

 

[17]           Somme toute, je ne suis pas persuadé qu’il existe des circonstances spéciales justifiant l’adjudication de dépens. Les parties ne m’ont pas demandé de certifier une question de portée générale et je n’en énoncerai aucune.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                       La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                       Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 


Annexe « A »

 Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. Ch. 29

 

 

Citoyens

3. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, a qualité de citoyen toute personne :

[…]

e) habile, au 14 février 1977, à devenir citoyen aux termes de l’alinéa 5(1)b) de l’ancienne loi.

 

 

Loi sur la citoyenneté, L.C. 1946, Ch. 15 (abrogée)

 

5. (1) Une personne, née après l’entrée en vigueur de la présente loi, est citoyen canadien de naissance

[…]

 

b) si elle naît hors du Canada ailleurs que sur un navire canadien, et si

i) son père ou, dans le cas d’un enfant né hors du mariage, sa mère, à la naissance de ladite personne, est citoyen canadien en raison de sa naissance au Canada ou sur un navire canadien, ou parce qu’il lui a été accordé un certificat de citoyenneté ou du fait d’avoir été citoyen canadien lors de la mise en vigueur de la présente loi, et si

ii) le fait de sa naissance est inscrit à un consulat ou au bureau du Ministre, dans les deux années qui suivent cet événement ou au cours de la prorogation que le Ministre peut autoriser, dans des cas spéciaux, en conformité des règlements.

 

Projet de Loi C-37

 

3. (1)

 

g) qui, née à l’étranger avant le 15 février 1977 d’un père ou d’une mère ayant qualité de citoyen au moment de la naissance, n’est pas devenue citoyen avant l’entrée en vigueur du présent alinéa

 

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

Grande criminalité

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

 

Rapport d’interdiction de territoire

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

 

Suivi

  (2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

 

Citizenship Act, R.S.C. 1985, c. C-29

 

 

Persons who are citizens

3. (1) Subject to this Act, a person is a citizen if

 (e) the person was entitled, immediately before February 15, 1977, to become a citizen under paragraph 5(1)(b) of the former Act.

 

Citizenship Act, S.C. 1946, C. c-15 (repealed)

 

5. (1) A person, born after the commencement of this Act, is a natural-born Canadian citizen:

(b) if he is born outside of Canada elsewhere than on a Canadian ship and

(i) his father, or in the case of a child born out of wedlock, his mother, at the time of that person’s birth, is a Canadian citizen by reason of having been born in Canada or on a Canadian ship, or having been granted a certificate of citizenship or having been a Canadian citizen at the commencement of this Act, and

(ii) the fact of his birth is registered at a consulate or with the Minister, within two years after its occurrence or within such extended period as may be authorized in special cases by the Minister, in accordance with the regulations.

Bill C-37

3. (1)

(g) the person was born outside Canada before February 15, 1977 to a parent who was a citizen at the time of the birth and the person did not, before the coming into force of this paragraph, become a citizen

Immigration and Refugee Protection Act, 2001 c. 27

Serious criminality

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years; or

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

Preparation of report

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

 

Referral or removal order

  (2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5373-06

 

INTITULÉ :                                       CLARK c. MPSEP

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Christopher Veeman

 

POUR LE DEMANDEUR

Natasha Crooks

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MacPherson Leslie & Tyerman LLP

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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