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Date : 20090320

Dossier : IMM-824-08

Référence : 2009 CF 283

Ottawa (Ontario), le 20 mars 2009

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

ENTRE :

BASHEER KABLAWI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               M. Basheer Kablawi a obtenu l’asile au Canada en 1998, mais sa demande de résidence permanente a été rejetée en raison de son appartenance passée à un groupe appelé le Parti social nationaliste syrien (le PSNS). M. Kablawi allègue que l’agent d’immigration qui l’a déclaré interdit de territoire au Canada a tiré des conclusions déraisonnables, et qu’il ne lui a pas donné une possibilité raisonnable de répondre aux renseignements sur lesquels il s’était fondé.

 

[2]               M. Kablawi me demande d’annuler la décision de l’agent et d’ordonner que sa demande soit réexaminée par un autre agent. Je conviens que l’agent a commis une erreur et j’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[3]               M. Kablawi a soulevé deux questions en litige :

1.      L’agent a-t-il traité M. Kablawi de façon inéquitable?

2.      L’agent a-t-il tiré des conclusions déraisonnables?

 

[4]               Puisque j’ai conclu que l’agent a traité M. Kablawi de façon inéquitable, je n’ai pas à me prononcer sur la deuxième question.

 

I.  Le contexte factuel

 

[5]               M. Kablawi a vécu en Syrie pendant 30 ans, de 1949 à 1979. Lui et son épouse se sont ensuite installés dans les Émirats arabes unis où il a travaillé en tant que professeur. En 1995, lui et sa famille sont arrivés à Toronto.

 

[6]               M. Kablawi, comme son père, a longtemps été membre du PSNS. Ce Parti politique vise à promouvoir l’unification de la Syrie, du Liban, de la Palestine, de l’Iraq et de la Jordanie. M. Kablawi est devenu membre du Parti lorsqu’il était étudiant en 1972. Il est demeuré actif au sein du Parti pendant environ 20 ans. Il soutient que son rôle était limité au recrutement de nouveaux membres et à la diffusion dans les médias de renseignements sur le Parti.

 

[7]               En 1991, lors d’un séjour au Liban, M. Kablawi dit avoir critiqué ouvertement la corruption dans son Parti. Le lendemain, une personne dans un véhicule a tiré sur lui. Il a quitté le Liban immédiatement. Un ami de la famille l’a informé qu’il était également recherché en Syrie.

 

[8]               Depuis son arrivée au Canada, les autorités de l’immigration ont interrogé M. Kablawi plusieurs fois au sujet de sa participation dans le PSNS. M. Kablawi a toujours dit qu’il n’était pas au courant des activités de violence et de terrorisme du PSNS. En 2002, un agent d’immigration l’a avisé qu’il y avait lieu de le déclarer interdit de territoire du fait qu’il y avait des motifs de croire qu’il appartenait à une organisation se livrant au terrorisme (la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), l’alinéa 34(1)f); voir annexe « A »). En réponse, M. Kablawi a sollicité une exception ministérielle au motif que sa présence au Canada « ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national » (la LIPR; paragraphe 34(2); voir annexe). Le ministre a refusé sa demande en 2007. La demande de contrôle judiciaire de M. Kablawi à l’égard de cette décision a été rejetée en 2008 par le juge Robert Barnes : Kablawi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et al., 2008 CF 1011.

 

[9]               En 2008, un agent d’immigration a officiellement rejeté la demande de résidence permanente de M. Kablawi qui sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision. L’agent a conclu que M. Kablawi était membre du PSNS et que, d’après son rôle en tant que recruteur et agent de liaison auprès des médias pour le Parti, il aurait dû avoir connaissance des activités terroristes.

 

1.  L’agent a-t-il traité M. Kablawi de façon inéquitable?

 

[10]           L’agent a fondé sa décision de refuser la résidence permanente à M. Kablawi sur une analyse de la nature du PSNS. Il a conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le PSNS était une organisation se livrant au terrorisme et que M. Kablawi était manifestement un membre de ce Parti. L’agent s’est fondé sur des sources accessibles sur Internet. En particulier, l’agent a cité des renseignements affichés sur le site Web de l’Anti-Defamation League et de la Library of Congress. L’agent a consulté ces sources après que M. Kablawi eut déposé ses observations écrites. M. Kablawi ne savait donc pas que l’agent consulterait ces sources et il n’a pas eu la possibilité d’y répondre.

 

[11]           Le ministre allègue que l’agent avait le droit de se fonder sur des renseignements rendus publics. C’est seulement lorsque les renseignements sont inédits et importants que l’agent a l’obligation de les communiquer au demandeur et de lui donner la possibilité d’y répondre : Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (C.A.).

 

[12]           L’obligation d’équité « oblige la communication d’un document, d’un rapport ou d’un avis si cette communication est nécessaire pour fournir à la personne une possibilité significative et équitable de présenter l’ensemble de sa preuve au décideur » (Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 266 [2002] A.C.F. 341, (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 35). L’accès public aux renseignements n’est qu’un des facteurs pertinents à examiner pour déterminer si un décideur a traité équitablement un demandeur. Il faut également déterminer si le demandeur était au courant de ces renseignements ou s’il pouvait raisonnablement s’attendre à ce que le décideur s’en serve. En outre, l’importance que l’agent accorde aux renseignements doit également être examinée. Les documents cités simplement au passage peuvent être distingués d’avec les documents auxquels l’agent accorde beaucoup d’importance. De toute évidence, la nature des documents est aussi un facteur, à savoir si on trouve des descriptions générales sur les conditions dans le pays ou sur des groupes ou des incidents particuliers.

 

[13]           En l’espèce, les renseignements cités par l’agent étaient évidemment accessibles au public, comme le sont pratiquement tous les documents affichés sur Internet. Cependant, il est peu probable que M. Kablawi était au courant de ces documents; et il ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que l’agent fasse des recherches sur le site Web de la Library of Congress ou qu’il recueille l’avis de l’Anti-Defamation League à propos du PSNS. Les renseignements faisaient état expressément des activités du PSNS et l’agent s’est fondé largement sur eux pour conclure qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le PSNS était une organisation terroriste.

 

[14]           À mon avis, étant donné qu’il n’a pas eu la possibilité de répondre à la preuve sur laquelle l’agent s’est fondé, M. Kablawi n’a pas eu la possibilité raisonnable de présenter sa défense.

 

II.  Décision et conclusion

 

[15]           En se fondant sur la preuve documentaire qu’il avait trouvée après que M. Kablawi eut déposé ses observations écrites, l’agent n’a pas traité le demandeur de façon équitable. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la demande de résidence permanente de M. Kablawi est renvoyée à un autre agent pour réexamen. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question de portée générale à des fins de certification, et aucune n’est énoncée.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

3.                  Aucune question de portée générale n’est énoncée.

 

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

Annexe « A »

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27

 

 

Sécurité

34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

a) être l’auteur d’actes d’espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s’entend au Canada;

b) être l’instigateur ou l’auteur d’actes visant au renversement d’un gouvernement par la force;

c) se livrer au terrorisme;

d) constituer un danger pour la sécurité du Canada;

e) être l’auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d’autrui au Canada;

f) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est, a été ou sera l’auteur d’un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

Exception

(2) Ces faits n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national.

 

Immigration and Refugee Protection Act, S.C. 2001, c. 27

 

 

Security

34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

(a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada;

(b) engaging in or instigating the subversion by force of any government;

                                                                   (c) engaging in terrorism;

(d) being a danger to the security of Canada;

(e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

Exception

(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-824-08

 

INTITULÉ :                                       BASHEER KABLAWI c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er octobre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz

                              POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

                               POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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