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Date : 20090318

Dossier : IMM-3074-08

Référence : 2009 CF 276

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2009

En présence de monsieur le juge Orville Frenette

ENTRE :

MARWAN PHARAON

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi), vise une décision rendue le 7 mai 2008 par laquelle un agent d’immigration (l’agent) du Haut-commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, a rejeté la demande de visa de résident permanent du demandeur à titre de travailleur qualifié (Québec) appartenant à la catégorie de l’immigration économique.

 

Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Arabie saoudite âgé de 65 ans qui réside à Riyad avec son épouse et ses deux fils.

 

[3]               En 1971, il a terminé ses études à l’Université de Riyad et obtenu un baccalauréat en génie et en sciences politiques. Pendant plus de 30 ans il a été co-propriétaire exploitant d’une entreprise, la Saif International Corporation, en Arabie saoudite.

 

[4]               En 2002, le demandeur a fait une demande en vue d’être sélectionné à titre de membre dans la catégorie des entrepreneurs de la province du Québec. Sa demande a été acceptée et il a reçu un certificat de sélection du Québec (le CSQ).

 

[5]               En août 2005, il a présenté une demande de résidence permanente au Haut-commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, pour lui-même, son épouse et son fils cadet. Son fils aîné, Rafiq, a reçu son propre CSQ. Le demandeur a ensuite été représenté par un consultant en immigration dont l’adresse à Pierrefonds, au Québec, a été fournie comme étant l’adresse postale du demandeur.

 

[6]               Entre 2005 et le 14 mai 2008, toute une série d’échanges ont eu lieu entre le demandeur ou son représentant et les autorités de l’immigration canadienne.

 

[7]               Le 28 février 2007, le demandeur a écrit au Haut-commissariat du Canada pour l’informer qu’il avait un nouveau représentant et lui demander de changer son adresse postale pour celle indiquée dans la lettre.

 

[8]               Les 26 avril, 17 mai, 18 juin, 25 juillet, 10 août et 8 septembre 2007, le demandeur ou son représentant a envoyé des lettres au Haut-commissariat du Canada à Londres mais n’ont obtenu aucune réponse.

 

[9]               Le 10 octobre 2007, le demandeur a constaté que son adresse postale avait été mal inscrite dans l’état de la demande du client affiché sur le site Web. Il a écrit au Haut-commissariat du Canada pour l’informer de cette erreur et a demandé que toutes les lettres soient à l’avenir envoyées à l’adresse de son représentant à Pierrefonds, au Québec.

 

[10]           Le 24 octobre 2007, le représentant du demandeur a reçu les rapports médicaux devant être remplis par le demandeur et sa famille, ainsi que les instructions concernant les examens médicaux et le paiement des frais relatifs au droit de résidence permanente (les FDRP) de ses fils.

 

[11]           Le 21 février 2008, le Haut-commissariat du Canada a répondu au courriel du 14 février du demandeur qui s’informait sur l’état du dossier. Dans cette réponse, on demandait un certain nombre de pièces et de documents manquants requis pour compléter le dossier.

 

[12]           Le 11 mars 2008, le représentant du demandeur a reçu une lettre, datée du 3 mars, dans laquelle on sollicitait les mêmes documents que ceux demandés dans la lettre du 24 octobre 2007 et on accordait au demandeur un délai de 60 jours pour les produire. Une lettre a été jointe donnant l’autorisation d’engager la procédure en vue d’obtenir un certificat de la police saoudienne.

 

[13]           Le 12 mars 2008, le représentant du demandeur a envoyé un courriel au Haut-commissariat du Canada pour l’aviser qu’un délai de 60 jours était insuffisant pour obtenir un certificat de police et lui demandant une prolongation du délai.

 

[14]           Le 22 avril 2008, la prolongation de délai a été refusée et le demandeur a été informé que son dossier serait examiné le 6 mai 2008.

 

[15]           Le 3 mai 2008, le demandeur a produit quelques pièces, mais cela ne comprenait pas le certificat de police. Une note écrite à la main par le demandeur indiquait que le certificat serait envoyé par messagerie dans un délai de dix jours.

 

[16]           Dans une lettre datée du 7 mai 2008, l’agent a informé le demandeur qu’il ne satisfaisait pas aux exigences pour immigrer au Canada.

 

[17]           Le 14 mai 2008, le demandeur a reçu un courriel de l’agent l’avisant que le Haut‑commissariat avait reçu ses documents supplémentaires le 7 mai 2008 et que, même si sa demande avait déjà été rejetée et qu’une lettre avait été envoyée pour l’informer de la décision, l’agent avait examiné les nouveaux documents. Cependant, les renseignements fournis étaient encore incomplets et insuffisants pour justifier la réouverture du dossier.

 

La décision contestée

[18]           Dans sa lettre du 7 mai 2008 informant le demandeur qu’il ne satisfaisait pas aux exigences pour immigrer au Canada, l’agent d’immigration a souligné qu’une lettre avait été envoyée au demandeur le 22 octobre 2007 lui demandant de produire les éléments de preuve suivants dans un délai de 60 jours, ou sinon, que sa demande serait évaluée en fonction des renseignements dont était déjà saisi l’agent :      

[traduction]

 

-     IMM0008 mis à jour et toutes les annexes pertinentes

-         Les formulaires de sommaire de l’immigrant

-         Les FDRP de Rafiq

-         La preuve que Fahad satisfait toujours à la définition d’une personne à charge

-         Les certificats à jour de la police saoudienne

 

 

 

[19]           L’agent a en outre noté que, bien qu’une deuxième lettre ait été envoyée au demandeur le 3 mars 2008 pour lui rappeler de fournir dans le délai imparti les renseignements demandés, ceux-ci n’ont jamais été reçus.

 

[20]           Dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration, l’agent a inscrit en date du 7 mai les renseignements suivants :

[traduction]

 

EXAMEN.

CSQ MAINTENANT EXPIRÉS.

MALGRÉ DE NOMBREUSES DEMANDES DE RENSEIGNEMENTS PENDANT UN AN, INFO À JOUR TOUJOURS PAS FOURNIE.

DEMANDE REFUSÉE.

 

 

 

Les dispositions législatives pertinentes

 

[21]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes dans le cadre du présent contrôle :

   11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. 

 

 

[…]

  11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act. 

[…]

 

16. (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

  (2) S’agissant de l’étranger, les éléments de preuve pertinents visent notamment la photographie et la dactyloscopie et il est tenu de se soumettre, sur demande, à une visite médicale.

 

 

[…]  

  16. (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

 

 (2) In the case of a foreign national,

(a) the relevant evidence referred to in subsection (1) includes photographic and fingerprint evidence; and

(b) the foreign national must submit to a medical examination on request.

[…]

 

 

 

 

[22]           La disposition suivante des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232, est également pertinente :

 22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donnent pas lieu à des dépens. 

  22. No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

 

 

Les questions en litige

 

[23]           Le demandeur soulève les questions en litige qui suivent :

1.      L’agent a-t-il tiré des conclusions de fait erronées quant à la demande qui étaient manifestement déraisonnables? Plus précisément, l’agent a‑t‑il à tort conclu que, depuis avril 2007, le Haut-commissariat du Canada avait envoyé au demandeur de nombreuses demandes afin d’obtenir les renseignements et les documents requis?

 

2.      L’agent a-t-il manqué aux principes de justice naturelle en accordant au demandeur un délai de moins de 60 jours pour obtenir les certificats de la police saoudienne alors qu’il savait ou aurait dû savoir que ce délai était insuffisant?

 

3.      Y a-t-il des raisons spéciales donnant lieu à l’adjudication de dépens en faveur du demandeur?

 

 

 

La norme de contrôle

 

[24]           Depuis l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle à appliquer à une question de fait ou à une question de fait et de droit est celle de la décision raisonnable simpliciter. Pour les questions de droit, la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision correcte.

 

[25]           Les manquement aux principes de justice naturelle ou d’équité procédurale sont également assujettis à la norme de contrôle de la décision correcte (Juste c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 670, aux paragraphes 23 et 24; Bielecki c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 442, au paragraphe 28; Hasan c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1069, au paragraphe 8).

 

[26]           Les décisions d’un agent des visas sont examinées selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Oladipo c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 366, au paragraphe 23).

 

Analyse

1.         L’agent a-t-il tiré des conclusions de fait erronées quant à la demande qui étaient manifestement déraisonnables? Plus précisément, l’agent a‑t‑il à tort conclu que, depuis avril 2007, le Haut-commissariat du Canada avait envoyé au demandeur de nombreuses demandes afin d’obtenir les renseignements et les documents requis?

 

[27]           Le demandeur soutient que le Haut-commissariat du Canada s’est trompé quant à son adresse postale, ce qui lui a empêché de communiquer efficacement avec lui jusqu’au 14 février 2008, date à laquelle il s’est renseigné sur l’état de son dossier.

 

[28]           Dans sa réponse, le Haut-commissariat du Canada a signalé les documents manquants, notamment le certificat de la police saoudienne.

 

[29]           Il n’y a aucun débat sur ce point. C’est seulement lorsque le représentant du demandeur a reçu le 11 mars 2008 du Haut-commissariat du Canada une lettre datée du 3 mars 2008 lui accordant un délai de 60 jours pour fournir les documents qu’un problème s’est posé.

 

[30]           Le représentant du demandeur a avisé le Haut-commissariat du Canada qu’un délai de 60 jours était insuffisant pour obtenir des certificats de police, ainsi que les traductions, et il a sollicité une prolongation du délai.

 

[31]           Une deuxième demande de prolongation de délai a été envoyée le 9 avril, mais c’est seulement le 22 avril 2008 que la prolongation du délai a été refusée, et on indiquait que le dossier serait examiné le 6 mai 2008.

 

[32]           Le demandeur allègue qu’il est évident, d’après la lettre de refus du 7 mai 2008 et le courriel du 14 mai 2008, que l’agent, en rendant sa décision, croyait qu’il avait amplement le temps pour fournir les documents requis. Le défendeur soutient que le demandeur avait suffisamment de temps (60 jours) à compter du 3 mars 2008 pour fournir les documents.

 

[33]           De toute évidence, il s’agit d’une erreur de fait puisque le demandeur a seulement reçu la lettre le 11 mars 2008, ce qui lui aurait donné jusqu’au 11 mai 2008 (60 jours) pour produire les documents. Cependant, à ce moment la décision défavorable avait déjà été rendue en date du 7 mai 2008.

 

[34]           Cette erreur de fait a été commise par l’agent qui a cru à tort que le demandeur n’avait pas répondu aux nombreuses demandes et qui lui a donné moins de 60 jours pour leur donner suite avant de rendre sa décision. Cette erreur de fait était cruciale dans la décision de l’agent.

 

[35]           Cette erreur est à l’origine de la conclusion déraisonnable qui ne peut appartenir aux issues acceptables justifiables au regard des faits, comme l’arrêt Dunsmuir, précité, l’a précisé. Il s’agit manifestement d’une erreur susceptible de contrôle.

 

2.         L’agent a-t-il manqué aux principes de justice naturelle en accordant au demandeur un délai de moins de 60 jours pour obtenir les certificats de la police saoudienne alors qu’il savait ou aurait dû savoir que ce délai était insuffisant?

 

[36]           Le demandeur soutient que le délai de 60 jours pour obtenir, faire traduire et produire le certificat de police était non seulement insuffisant mais qu’en réalité il avait été de moins de 60 jours, comme il a été souligné précédemment.

 

[37]           Le défendeur répond qu’aucune preuve n’a été présentée pour établir le temps vraiment nécessaire au demandeur pour produire les documents requis.

 

[38]           La décision de prolonger un délai est discrétionnaire et les demandeurs doivent fournir des motifs justifiant le délai sollicité. Dans certaines décisions, la Cour a interprété cette condition de façon stricte : Tantash c. Canada (M.C.I.), [2008] A.C.F. n729 (QL). Dans d’autres décisions, la Cour a interprété de façon moins restrictive cette condition, en donnant comme explication qu’un agent des visas doit faire preuve de souplesse et de compréhension lorsqu’il s’agit de se prononcer sur une demande de prorogation de délai : Gakar c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no  661 (QL), 189 F.T.R. 306; Ching-Chu c. Canada (M.C.I.), [2007] A.C.F. no  1117 (QL).

 

[39]           Le demandeur allègue que l’agent a non seulement été trop rigide lorsqu’il a statué sur la demande mais également que le délai de seulement 60 jours qu’il lui avait accordé n’était pas encore expiré lorsqu’il a rendu sa décision le 7 mai. À mon avis, c’est là une erreur susceptible de contrôle.

 

3.         Y a-t-il des raisons spéciales donnant lieu à l’adjudication de dépens en faveur du demandeur?

 

[40]           Le demandeur veut que des dépens soient adjugés en l’espèce contre le défendeur, puisque ce dernier a été négligent et a mal inscrit son adresse postale, ce qui  lui a fait perdre inutilement temps et argent. Le défendeur conteste cette demande, faisant valoir, selon l’article 22 des Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens, sauf si la Cour est convaincue qu’il existe des raisons spéciales.

 

[41]           L’article 22 des Règles prévoit une disposition d’exception qui doit être interprétée de façon stricte sauf s’il est établi qu’il existe des raisons spéciales et que les dépens sont liés au litige en instance devant la Cour (Ratnasingam c. Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2007 CF 1096, au paragraphe 34).

 

[42]           Dans la présente affaire, le demandeur n’a pas réussi à établir qu’il y a des raisons spéciales donnant lieu à des dépens, étant donné que les renseignements inscrits erronément par l’agent et que son refus de prolonger le délai ne résultaient pas d’une intention malicieuse. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés.

 

Conclusion

[43]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

JUGEMENT

 

 

 

            LA COUR ORDONNE :

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

La décision rendue par l’agent d’immigration du Haut-commissariat du Canada à Londres, en Angleterre, datée du 7 mai 2008, rejetant la demande de visa de résident permanent du demandeur à titre de travailleur qualifié (Québec) appartenant à la catégorie de l’immigration économique est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

Aucuns dépens ne seront adjugés.

 

Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3074-08

 

INTITULÉ :                                       MARWAN PHARAON c. LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 18 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dan Miller                                                        POUR LE DEMANDEUR

 

Alexis Singer                                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan Miller                                                        POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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