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Date : 20090210

Dossier : T-891-07

Référence : 2009 CF 137

Toronto (Ontario), le 10 février 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. et

BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

demanderesses

et

 

APOTEX INC. et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par les demanderesses, Bristol-Myers Squibb Canada Co. et al., en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), D.O.R.S./93-133, modifié (Règlement sur les AC) visant à empêcher la défenderesse Apotex Inc. d’obtenir du défendeur le ministre de la Santé un avis de conformité pour la vente de la version générique d’un médicament contenant du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime (les parties y référant comme au MDC) avant l’expiration du brevet canadien n1,298,288 (le brevet 288). Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande est rejetée, avec dépens en faveur d’Apotex Inc. 

LES PARTIES

[2]                Ainsi que l’ont reconnu les avocats des parties à l’audience, l’une des demanderesses, Bristol-Myers Squibb Canada Co. (BMS Canada), est la société détenant un avis de conformité délivré par le ministre à l’égard du médicament en cause. Dans le cadre du Règlement sur les AC, BMS Canada est désignée comme la « première personne ». La seconde demanderesse, Bristol-Myers Squibb Company (BMS US), est propriétaire du brevet 288 en cause et est probablement une société liée à BMS Canada. Les demanderesses seront collectivement désignées comme BMS ou les demanderesses.

 

[3]               Apotex Inc., codéfenderesse, est une société fabriquant des médicaments génériques; elle est la « seconde personne » aux termes du Règlement sur les AC et sera désignée comme Apotex. Le ministre de la Santé, codéfendeur, à qui il incombe de délivrer des avis de conformité pour autoriser la vente et la distribution de certains médicaments au Canada et qui doit s’acquitter de certaines obligations en vertu du Règlement sur les AC, sera désigné aux présentes comme le ministre. Celui-ci n’a pas été représenté en l’instance, bien que la documentation appropriée lui ait été dûment signifiée.

 

LE MÉDICAMENT

[4]               Le médicament en cause est un antibiotique connu sous le nom de monohydrate de dichlorhydrate de céfépime (MDC). Il s’agit d’un sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate.

 

[5]               Le MDC fait partie d’une catégorie de bêta-lactamines connues sous le nom de céphalosporines. Sa molécule est complexe et se caractérise par la présence d’une charge électrique + ou – à certains endroits précis. La charge totale qui les entoure étant nulle, les molécules de cette nature sont considérées comme étant neutres; on les qualifie, conformément au libellé du brevet, de zwitterions ou de molécules zwitterioniques. BMS reconnaît que la forme zwitterionique de la molécule de céfépime constitue une antériorité opposable au brevet en cause en ce qu’elle a été divulguée notamment dans un brevet antérieur, à savoir le brevet canadien no 1,213,882 (brevet 882).

 

[6]               BMS Canada a reçu du ministre un avis de conformité pour la commercialisation de ce médicament au Canada qu’elle réalise sous l’appellation commerciale de MAXIPIME.

 

L’INSTANCE

[7]               Apotex souhaite recevoir du ministre un avis de conformité pour la commercialisation d’une version générique de ce médicament au Canada. Apotex s’est prévalue de procédures pour abréger ses présentations au ministre en renvoyant à l’avis de conformité de BMS. Apotex doit alors se conformer aux dispositions du Règlement sur les AC. À cet égard, le 2 avril 2007, Apotex a signifié un avis d’allégation à BMS Canada, soutenant que chacune des revendications du brevet 288 est invalide. En réponse, les demanderesses ont déposé la présente demande visant à interdire au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l’expiration du brevet 288.

 

LE BREVET 288

[8]               Le brevet canadien 1,298,288 (le brevet 288) a été délivré et accordé à BMS US le 31 mars 1992. La demande de brevet a été déposée au bureau des brevets du Canada le 18 janvier 1989.  Comme cette date précède celle des modifications importantes apportées le 1er octobre 1989 à la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, l’examen du brevet 288 et la validité de ses revendications doivent être tranchés en vertu de la version antérieure au 1er octobre 1989 ou « ancienne » version de la Loi sur les brevets.

 

[9]               La demande pour le brevet 288 revendique la priorité sur la base d’une demande déposée le 19 janvier 1988 au United States Patent Office sous le numéro 144,899.  Le brevet 288 a une durée de 17 ans à compter de sa délivrance, soit jusqu’au 31 mars 2009. Les demanderesses ont introduit la présente demande par un avis de demande le 23 mai 2007, donc en vertu des dispositions du Règlement sur les AC, cette demande doit faire l’objet d’une décision avant le 23 mai 2009. Je me suis informé auprès des parties pour savoir si elles se contenteraient d’attendre l’expiration du brevet 288 étant donné que la date d’expiration ne précède que de deux mois celle fixée par Règlement sur les AC pour rendre une décision concernant la présente demande. Apotex ne voulait pas se contenter d’attendre, invoquant un certain nombre de raisons dans sa correspondance avec notre Cour, dont le droit de réclamer des dommages-intérêts et la possibilité de devancer son entrée sur le marché. La présente demande a été instruite et a fait l’objet de la présente décision.

 

[10]            Le 22 mai 2008, la veille du dépôt de l’avis de demande en la présente instance, BMS US en sa qualité de titulaire d’un brevet a déposé au Bureau des brevets du Canada un document appelé une renonciation. Celle-ci concernait les revendications 1 et 2 du brevet 288 et on y lisait notamment ce qui suit :

[traduction]

4. Le breveté renonce à l’intégralité de la revendication 1, à l’exception de ce qui suit :

 

1. Sel d’addition acide cristallin hydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable essentiellement pur se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 7,0 % en poids.

 

5. Le breveté renonce à l’intégralité de la revendication 2, à l’exception de ce qui suit :

 

2. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable essentiellement pur se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 4,1 % en poids.

 

[11]           Antérieurement au 22 mai 2008, date du dépôt de la renonciation, les revendications 1 et 2 étaient ainsi conçues :

[traduction]

1. Sel d’addition acide cristallin hydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 7,0 % en poids.

 

2. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 4,1 % en poids.

 

[12]           En réalité, la renonciation n’ajoute que les mots « essentiellement pur » au libellé de chacune de ces revendications. Aucun changement n’a été apporté au libellé des autres revendications.

 

[13]           Le libellé de la revendication 3 du brevet 288, qui n’était pas visée par la renonciation, n’a pas été modifié et voici comment il a toujours été conçu :

[traduction]

3. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable présentant les caractéristiques de diffraction de rayons X sur poudre suivantes :

 

DIFFRACTION DE RAYONS X SUR POUDRE

Monohydrate de dichlorhydrate

         d                                I/Io (%)

                      10,21                          100

8,62                             13

6,78                             23

                       6,28                              9

                                   5.84                              9

          5,12                               4

                                   5,01                              9

4.95                              5

           4,74                             38

                       4,62                              4

4,50                              4

           4,44                              4

4,26                             32

4,10                             4

3,95                             33

3,90                             28

3,78                             39

           3,64                              5

3,59                             13

3,48                             10

3,39                             15

3,32                             10

3,21                             10

3,11                             10

          3,04                               5

          2,99                             13

2,93                             15

2,76                             5

2,63                             10

2,51                             10

          2,43                               5

2,38                             7

 

 

[14]           L’objet de la revendication 4 est un mélange physique semblable à celui de la revendication 3, auquel il a été ajouté la composante L (+) lysine. L’objet de la dernière revendication, la revendication 5, est semblable à celui de la revendication 3, auquel il a été ajouté la composante L (+) arginine.

 

[15]           Dans une instance comme en l’espèce, les demanderesses ne sont pas tenues de contester, à l’égard de toutes les revendications, chaque contestation de validité faite par une seconde personne comme Apotex. En l’espèce, les demanderesses se sont limitées, dans leur argumentaire, aux contestations soulevées à l’égard des revendications 2 et 3. En conséquence, la Cour n’a pas à se préoccuper des contestations de validité à l’égard de l’une ou l’autre des revendications 1, 4 ou 5. Dans son avis d’allégation, Apotex n’a soulevé aucune question de contrefaçon.

 

TÉMOINS

[16]           En l’instance, les éléments de preuve déposés l’ont été sous la forme habituelle d’affidavits et de pièces jointes aux affidavits, de transcriptions de contre-interrogatoire et de pièces désignées lors de contre-interrogatoire. 

 

[17]           Les demanderesses ont déposé en preuve principale les affidavits des témoins suivants :

·        M. Stephen R. Byrn, professeur de chimie, Université de Purdue, West Lafayette, Indiana. Son témoignage a porté sur la chimie liée à la présente instance.

·        M. Paul A. Bartlett, professeur émérite de chimie, Université de Californie, Berkley, Californie.  Son témoignage a porté sur la chimie liée à la présente instance.

·        M. Kevin Murphy, agent enregistré de brevet au Canada et aux États-Unis, associé du cabinet Ogilvy Renault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, Québec. Son témoignage a porté sur l’historique du dossier du brevet 288 et sur les pratiques du Bureau des brevets.

 

[18]           Conformément à une ordonnance de la protonotaire Tabib, les demanderesses ont déposé en réponse les affidavits suivants :

·        l’affidavit en réponse de M. Stephen R. Byrn;

·        l’affidavit en réponse de M. Paul A. Bartlett;

·        M. Scott Brown, avocat spécialisé en litige en matière de brevets d’invention pour la demanderesse BMS US.  Son témoignage a porté sur la renonciation en cause à l’égard du brevet 288.

[19]           MM. Byrn, Bartlett et Murphy ont été présentés comme témoins experts et la revendication de leur qualité d’expert n’a pas été contestée. M. Brown a été présenté comme un témoin des faits. MM. Byrn, Bartlett, Murphy et Brown ont été contre-interrogés par l’avocat d’Apotex.

 

[20]           Apotex a déposé les affidavits des témoins suivants :

·        Antigone Dialinou, traductrice agréée en langues grecque et anglaise. Elle a traduit du grec à l’anglais le brevet no 862055 (le brevet 055) et la demande y afférente. Elle n’a pas été contre-interrogée et la justesse de ses traductions n’a pas été mise en doute.

·        Jenny L. Gerster, chimiste dont les services ont été retenus par une société liée à Apotex ayant réalisée des expériences censées reproduire certains exemples d’antériorité.

·        Nadia K. Corelli-Rennie, chimiste dont les services ont été retenus par une société liée à Apotex ayant réalisée des expériences censées reproduire certains exemples d’antériorité.

·        M. Robert A. McClelland, professeur émérite de chimie, Université de Toronto.  Son témoignage a porté sur la chimie liée à la présente instance.

·        M. Robert S. Langer, professeur de chimie, Massachusetts Institute of Technology, Boston, Massachusetts.  Son témoignage a porté sur la chimie liée à la présente instance.

·        M. Douglas N. Deeth, avocat et agent de brevet canadien. Son témoignage a porté sur les procédures en matière de brevet et sur la demande afférente au brevet 288 et la renonciation.

·        M. Michael J. Cima, professeur au Massachusetts Institute of Technology, science des matériaux en matière de produits pharmaceutiques. Son témoignage a porté sur les expériences menées par Mmes Gerster et Corelli-Rennie.

·        Mme Kimberly Kreider, au service du cabinet du codéfenseur d’Apotex. Elle a joint à son affidavit un certain nombre de documents mentionnés dans l’avis d’allégation d’Apotex. L’authenticité de ces documents n’a pas été mise en doute.

 

[21]           MM. McClelland, Langer, Deeth et Cima ont été présentés comme témoins experts et la revendication de leur qualité d’expert n’a pas été contestée. Ils ont tous été contre-interrogés par l’avocat des demanderesses. Les autres témoins d’Apotex ont été présentés comme témoins des faits et ils n’ont pas été contre-interrogés.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[22]           Il n’y a qu’une seule question d’importance en l’espèce et elle consiste à déterminer si l’allégation d’Apotex, selon laquelle les revendications du brevet 288 sont invalides, est justifiée compte tenu des dispositions du Règlement sur les AC, plus particulièrement celles du sous‑al. 5(1)b)(iii) et du par. 6(2). Si elle ne l’est pas, la Cour rendra alors une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un AC à Apotex avant l’expiration du brevet 288.

 

[23]           Les arguments spécifiquement soulevés à l’égard de l’invalidité ont été simplifiés en raison du fait que les demanderesses se sont appuyées uniquement sur les revendications 2 et 3 du brevet 288; par ailleurs, ceux-ci ont été complexifiés par le dépôt d’une renonciation au Bureau des brevets par l’une des demanderesses la veille de l’introduction par ces dernières de la présente instance. Cette renonciation touche directement la revendication 2, mais non la revendication 3.

 

[24]           Apotex a soulevé un certain nombre de motifs au soutien de ses arguments concernant l’invalidité des revendications 2 et 3 et, lors de l’audience, elle en a abandonné deux. Premièrement, elle n’a pas donné suite à la thèse selon laquelle la titulaire du brevet, BMS US, avait violé les dispositions de l’art. 53 de la Loi sur les brevets traitant des déclarations qui ne sont pas conformes à la réalité ou qui induisent en erreur. Deuxièmement, elle a laissé tomber l’argumentaire relatif à l’inutilité. De plus, l’un des arguments relatifs au caractère ambigu des cristaux a été abandonné par Apotex qui a toutefois maintenu son argumentaire concernant le caractère ambigu des mots « essentiellement pur ».

 

[25]           Compte tenu des observations écrites et verbales, voici les arguments concernant l’invalidité des revendications 2 et 3 du brevet 288:

1.      l’effet de la renonciation;

2.      l’antériorité;

3.      l’évidence;

4.      la double protection;

5.      les brevets dits de sélection;

6.      l’ambiguïté – essentiellement pur.

 

[26]           Avant de se pencher sur ces questions, la Cour doit interpréter les revendications 2 et 3. De plus, la Cour doit décider sur qui repose le fardeau de la preuve en la matière. Enfin, la Cour doit décider qui est la personne versée dans l’art à laquelle le brevet s’adresse.

 

[27]           La Cour a soulevé la question préliminaire du caractère théorique de la demande et elle sera examinée en premier lieu.

 

CARACTÈRE THÉORIQUE

[28]           Les demanderesses ont demandé à la Cour de rendre une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à Apotex avant l’expiration du brevet 288. Celui-ci expire le 31 mars 2009, deux mois à peine après l’instruction de la présente affaire. En vertu de l’al. 7(1)e) du Règlement sur les AC, la procédure doit faire l’objet d’une décision dans les 24 mois suivant la présentation de la demande, c’est-à-dire avant le 23 mai 2009. Le brevet 288 expire donc à une date antérieure à celle la plus tardive à laquelle la présente Cour est tenue de rendre sa décision en l’espèce et, dans un tel cas, aucune ordonnance d’interdiction ne pourrait être prononcée étant donné que le brevet aurait expiré.

 

[29]           La Cour suprême du Canada a examiné la question du caractère théorique dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, où elle a statué que, suivant le principe ou la pratique général, un tribunal peut refuser de juger une affaire lorsqu’elle ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite, ou lorsque la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Voici comment le juge Sopinka de la Cour s’est exprimé au paragraphe 15 de la décision :

15    La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer. J’examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

 

[30]           En l’espèce, Apotex soutient que, même si le brevet expire, la conclusion selon laquelle ses allégations relatives à l’invalidité étaient justifiées lui donnerait droit de présenter une demande de redressement en vertu de l’article 8 du Règlement sur les AC. De plus, elle fait valoir qu’une décision pourrait être rendue avant l’expiration du brevet, laquelle, si elle lui était favorable, pourrait lui permettre de devancer son entrée sur le marché ne serait-ce que de quelques jours. Toutefois, aucune preuve au dossier n’indique qu’Apotex est vraiment préparée à entrer sur le marché avant que le brevet n’expire ou qu’elle est dans une position pour faire valoir avec succès une réclamation en vertu de l’art. 8 du Règlement sur les AC.

 

[31]           J’ai tenu compte de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Apotex Inc. c. Bayer AG (2004), 32 C.P.R. (4th) 449, où une requête en rejet d’appel pour cause de caractère théorique avait été présentée dans le cadre d’une instance relative à un AC au motif que le brevet en cause était expiré et que le fabricant de médicaments génériques avait obtenu la délivrance de son AC. Au paragraphe 5, la Cour a conclu que l’appel était sans objet car il n’existait plus de litige actuel entre les parties. La Cour a cependant statué qu’il subsistait ce qu’elle a appelé des « conséquences accessoires », comme la possibilité pour le fabricant d’intenter le recours en redressement prévu par l’art. 8 du Règlement sur les AC. Le juge Rothstein (alors juge de la Cour fédérale), s’exprimant au nom de la Cour, a tenu les propos suivants au par. 14 de la décision :

14     L’article 8 ne mentionne aucunement que l’annulation en appel doit survenir avant l’expiration du brevet en question ou à la délivrance d’un avis de conformité au fabricant de produits génériques. De plus, il n’y a aucune justification à cette exigence. Si un fabricant de produits génériques a été indûment exclu du marché pendant la durée d’un brevet, le fait qu’un appel soit jugé après l’expiration du brevet ne devrait avoir aucune incidence sur le droit du fabricant de produits génériques à réclamer des dommages-intérêts. À mon humble avis, ce serait contraire à l’objet du Règlement actuel de priver un fabricant de produits génériques de la possibilité de se prévaloir de l’article 8 du Règlement simplement parce qu’un brevet a expiré ou qu’un avis de conformité a été délivré. La responsabilité mentionnée à l’article 8 se rapporte à la période précédant l’expiration du brevet ou découle de la délivrance de l’avis de conformité au fabricant de produits génériques, et le simple fait que l’appel soit jugé après cette date n’a aucune incidence sur l’application de l’article 8.

 

[32]           Dans les circonstances, et malgré mes réserves quant au caractère théorique, je vais me prononcer sur les questions en litige. J’agis de la sorte parce que la question du caractère théorique a été soulevée par la Cour, et non par une partie, privant ainsi les parties de l’occasion de produire des éléments de preuve étayant ou non l’existence d’un litige actuel. Il est possible qu’à l’occasion d’une affaire future où un brevet serait expiré ou sur le point de l’être en cours d’instance comme en l’espèce, il y ait alors au dossier des éléments propices à l’examen de la question du caractère théorique.

 

FARDEAU DE LA PREUVE

[33]           Le litige porte sur la validité de deux revendications du brevet 288. Aucune question de contrefaçon n’a été soulevée.

 

[34]           L’avocat des demanderesses a reconnu à l’audience que, dans le cadre d’instances relatives à un AC, le fardeau de preuve est celui que j’ai ainsi formulé aux par. 57 et 58 de Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359 :

57     La présente instance est engagée en vertu des dispositions de l’article 6 du Règlement sur les AC dans le but de faire trancher plusieurs questions en litige, dont celle de savoir si les allégations de Sandoz selon lesquelles la revendication 5 du brevet 527 [traduction] « n’est pas valide », sont [traduction] « justifiées ». Les mots « n’est pas valide » figurent au sous-alinéa 5b)(iii) du Règlement sur les AC et, comme l’a écrit la Cour suprême du Canada (sous la plume du juge Rothstein) dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 (Sanofi), au paragraphe 17, l’enquête doit être mise en parallèle avec ce qui constitue par ailleurs un moyen de défense dans une action en contrefaçon suivant l’article 59 de la Loi sur les brevets.

 

58     La Loi sur les brevets – le paragraphe 43(2), dans le cas d’un brevet datant d’après le 1er octobre 1996, comme le brevet 527 dont il est question en l’espèce – prévoit qu’un brevet, sauf preuve contraire, est valide. Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, j’ai passé en revue les décisions récentes, dont deux arrêts de la Cour d’appel fédérale, portant sur la question de savoir qui supportait le fardeau de la preuve quant à la validité d’un brevet, notamment dans une action relative à un AC comme celle dont il est question en l’espèce, et j’ai conclu qu’un titulaire de brevet comme Abbott peut toutefois se fonder sur la présomption de validité; cependant, si la partie qui conteste cette validité, Sandoz en l’occurrence, a présenté une preuve digne de foi, la Cour doit alors apprécier la totalité de la preuve selon la norme de preuve civile habituelle; s’il est alors considéré que la preuve de l’une et l’autre partie est équivalente, l’attaque relative à la validité échoue. Au paragraphe 33 de cette décision, j’ai écrit ce qui suit :

 

33 S’il s’agissait d’une action ordinaire, par exemple une action en contrefaçon de brevet où est soulevée la question de la validité, c’est à la personne contestant la validité qu’incomberait le fardeau et elle devrait alors présenter une preuve pour étayer l’allégation d’invalidité. Le breveté peut s’appuyer sur la présomption, mais uniquement dans la mesure où la partie qui conteste n’a pas présenté une preuve digne de foi pour étayer son allégation. La Cour, en fin de compte, doit apprécier la preuve selon la norme de preuve civile habituelle (Tye Sil Corp. Ltd. c. Diversified Products Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350, pages 357 à 359 (C.A.F.)). Ainsi, c’est seulement dans le (rare) cas où la Cour conclut à l’équivalence de la preuve de l’une et l’autre partie que la question de la présomption se poserait dans une affaire ordinaire, et la personne qui conteste la validité, comme c’est à elle qu’incombe le fardeau de la preuve, serait déboutée.

 

L’avocat d’Apotex a convenu qu’il s’agissait d’un énoncé représentant l’état du droit.

 

PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[35]           Un brevet, tout comme les antériorités, doit être examiné du point de vue de la personne versée dans l’art. En l’espèce, l’identité de cette personne n’est nullement contestée, car l’avocat des demanderesses a reconnu qu’Apotex avait correctement décrit cette personne au moyen de la déposition de son témoin expert, M. McClelland, qui déclare au par. 9 de son affidavit :

[traduction]

9. Le brevet 288 s’adresse donc à des chimistes, à des chimistes médicaux, à des ingénieurs chimistes, à des formulateurs ou à des chimistes en produits pharmaceutiques, c’est-à-dire à des personnes ou groupes de personnes qui possèdent un grade universitaire dans une de ces disciplines. Ces personnes ou groupes doivent également avoir acquis une vaste expérience dans l’industrie pharmaceutique ou dans un domaine connexe. Les personnes ou groupes de personnes qui ne possèdent qu’un grade de premier cycle dans une de ces disciplines devraient vraisemblablement avoir acquis une plus vaste expérience dans cette industrie ou dans le domaine connexe en question, expérience découlant de travaux de synthèse chimique, de travaux de préparation par cristallisation/recristallisation de solides cristallins, comme des sels, de travaux de préparation de solvats, y compris les hydrates, de travaux de caractérisation de ces solides cristallins, sels et hydrates par différentes techniques, comme la spectroscopie infrarouge, la diffraction de rayons X sur poudre, et de l’étude de la stabilité des composés destinés à entrer dans la composition des produits pharmaceutiques.

 

 

[36]           En l’espèce, cette description de la personne versée dans l’art n’est nullement contestée.

 

INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS 2 ET 3

[37]           La Cour suprême du Canada a donné pour directive au tribunal d’interpréter en premier lieu les revendications en cause avant de se pencher sur l’examen des questions relatives à la validité ou à la contrefaçon de ces revendications, l’objectif étant de déterminer les éléments qui, selon l’inventeur, sont essentiels dans les revendications. Selon le juge Binnie s’exprimant au nom de la Cour dans l’arrêt Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, aux par. 42 à 50, les principes d’interprétation téléologique doivent s’appliquer par souci d’équité envers le titulaire du brevet et le public. Je reproduis en partie les par. 43 et 45 de l’arrêt :

 

43     Dans des poursuites en matière de brevet, la première étape consiste donc à interpréter les revendications. L’interprétation des revendications précède l’examen des questions de validité et de contrefaçon. Les appelantes font valoir que ces deux examens -- celui de la validité et celui de la contrefaçon -- sont distincts, et que si les principes d’« interprétation téléologique » découlant de l’arrêt Catnic doivent être adoptés, leur application doit être limitée aux questions de contrefaçon. Les appelantes affirment que les principes d’« interprétation téléologique » n’ont aucun rôle à jouer dans la détermination de la validité et que leur application erronée est fatale au jugement qui fait l’objet du présent pourvoi.

                       

[...]

 

45     L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention.

 

[38]           Le brevet 288 est régi par les dispositions de l’ancienne Loi sur les brevets, et doit donc être interprété par la Cour en date de sa délivrance, soit le 31 mars 1992, du point de vue d’une personne versée dans l’art, assistée en cela, le cas échéant, par le témoignage des experts quant à la signification de certains termes et aux connaissances que la personne versée dans l’art est censée posséder à la date du procès. Comme l’a dit la juge Sharlow, au nom de la Cour d’appel fédérale, au par. 4 de Novopharm Limited c. Janssen-Ortho Inc., (2007), 59 C.P.R. (4th) 116, 2007 CAF 217, relativement à l’ancienne Loi sur les brevets :

4    Chaque fois que la validité ou la contrefaçon d’un brevet est en question, il y a nécessité d’interpréter la revendication : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 43. La date pertinente pour l’interprétation du brevet 080 est la date de sa délivrance, soit le 23 juin 1992. Il faut comprendre le brevet comme destiné à une personne versée dans l’art dont il relève et en tenant compte des connaissances qu’une telle personne est censée posséder à la date pertinente. L’interprétation du brevet appartient à la Cour; elle doit se fonder sur l’ensemble de l’exposé de l’invention et de la revendication, lus à la lumière de témoignages d’experts concernant la signification de certains termes et les connaissances que la personne versée dans l’art est censée posséder à la date pertinente. 

 

 

[39]           Les revendications 2 et 3 doivent être interprétées. Étant donné que la revendication 2 a fait l’objet d’une renonciation, l’examen de son libellé antérieur et postérieur à la renonciation s’impose. Je reprends la revendication 2 :

Avant la renonciation :

 

[traduction]

2. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 4,1 % en poids.

 

                        Après la renonciation :

[traduction]

2. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable essentiellement pur se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 4,1 % en poids.

 

[40]           Je reproduis de nouveau la revendication 3 dont l’objet n’est pas touché par la renonciation :

[traduction]

3. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de      7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable présentant les caractéristiques de diffraction de rayons X sur poudre suivantes :

 

DIFFRACTION DE RAYONS X SUR POUDRE

Monohydrate de dichlorhydrate

         d                                I/Io (%)

                      10,21                          100

8,62                             13

6,78                             23

                       6,28                              9

                                   5.84                              9

          5,12                               4

                                   5,01                              9

4.95                              5

           4,74                             38

                       4,62                              4

4,50                              4

           4,44                              4

4,26                             32

4,10                             4

3,95                             33

3,90                             28

3,78                             39

           3,64                              5

3,59                             13

3,48                             10

3,39                             15

3,32                             10

3,21                             10

3,11                             10

          3,04                               5

          2,99                             13

2,93                             15

2,76                             5

2,63                             10

2,51                             10

          2,43                               5

                                                              2,38                           7

 

EFFET DE LA RENONCIATION

[41]           J’interromps ici l’examen de l’interprétation pour me pencher sur l’effet de la renonciation déposée par les demanderesses, la veille de l’introduction de la présente instance. L’article 48 de l’ancienne Loi sur les brevets (une disposition dont le libellé a été retenu dans les versions ultérieures de la Loi) prévoit à l’al. (1)a) que si jamais le titulaire du brevet juge que, par erreur, accident ou inadvertance, et sans intention de frauder ou de tromper le public, il a donné trop d’étendue à son mémoire descriptif, revendiquant plus que la chose dont il est lui-même l’inventeur, il peut renoncer à tel élément qu’il ne prétend pas retenir au titre du brevet. Le paragraphe 48(4) prévoit que la renonciation n’a aucun effet sur une action pendante sauf à l’égard d’un retard inexcusable ou d’une négligence. Le paragraphe 48(6) prévoit qu’après la renonciation, le brevet est considéré comme valide tel qu’il était alors censé être considéré.

 

[42]           Le brevet qui revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué peut être jugé invalide en raison de sa portée excessive. Comme le juge Nadon l’a déclaré, au nom de la Cour d’appel fédérale, au par. 115 de l’affaire Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), (2007), 60 C.P.R.  (4th) 81, 2007 CAF 209 :

115    Il est maintenant établi en droit qu’un brevet qui revendique plus que ce qui a été inventé ou divulgué peut être jugé invalide en raison de sa portée [...] excessive. Comme il est expliqué dans la décision Lovell Manufacturing Co. et Maxwell Ltd. c. Beatty Brothers Ltd. (1962), 41 C.P.R. 18 (C. de l’É.), à la page 66 :

 

L’autre attaque était que les revendications étaient trop larges parce qu’elles réclamaient plus que ce qui avait été inventé. Cela reprend le thème central que j’ai mentionné, à savoir la prétention que l’invention se limitait aux constructions particulières d’essoreuse décrites dans le mémoire descriptif et que, à moins que les revendications ne soient limitées dans leur application aux inventions de ces constructions particulières, elles étaient trop larges et partant invalides. La réponse à cette prétention est simple. Si les revendications se lisent bien en fonction de ce qui a été divulgué et illustré dans le mémoire descriptif et les dessins, comme c’est le cas, elles ne sont pas plus larges que l’invention. Les constructions particulières d’essoreuse décrites dans le mémoire descriptif sont simplement des spécimens ou des illustrations de l’invention. Les revendications les embrassent et peuvent embrasser d’autres spécimens ou illustrations similaires. On ne trouve rien dans le mémoire descriptif qui limiterait les revendications à l’une des constructions particulières d’essoreuse ou à toutes celles-ci.

 

[43]           Ainsi la revendication de portée excessive dans un brevet qui n’a pas encore été jugé invalide peut échapper à une déclaration d’invalidité du tribunal si une renonciation est déposée, mais seulement dans la mesure où celle-ci l’a été en temps opportun. 

 

[44]           En l’espèce, la renonciation a été déposée par l’une des demanderesses, BMS US, étant donné qu’elle est titulaire du brevet. Voici la teneur du document tel qu’il fut soumis au Bureau des brevets, le 22 mai 2007 :

[traduction]

1. Le titulaire du brevet no 1,298,288 délivré le 31 mars 1992 pour une invention intitulée « Sels et formulations injectables de céphalosporine » a par erreur, par accident ou par inadvertance et sans vouloir délibérément induire en erreur ou frauder le public donné trop d’étendue au contenu de son mémoire descriptif en revendiquant lui-même ou par l’entremise d’un intermédiaire plus que la matière dont il est lui-même l’inventeur.

 

2. Le nom et l’adresse complète du titulaire du brevet sont les suivants : Bristol-Myers Squibb Company, 345 Park Avenue, New York, NY 10154, États-Unis d’Amérique.

 

3. Dans sa demande, le déposant a par inadvertance, par accident ou par erreur donné trop d’étendue au contenu de ses revendications. En conséquence, les revendications 1 et 2 feront l’objet d’une renonciation partielle pour réduire la portée des revendications comprises dans la demande.

 

4. Le breveté renonce à l’intégralité de la revendication 1, à l’exception de ce qui suit :

 

1. Sel d’addition acide cristallin hydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable essentiellement pur se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 7,0 % en poids.

 

5. Le breveté renonce à l’intégralité de la revendication 2, à l’exception de ce qui suit :

 

2. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable essentiellement pur se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 4,1 % en poids.

 

[45]           Il s’agit d’un document appartenant au domaine public, déposé au Bureau des brevets; il concerne les revendications 1 et 2 du brevet 288 et contient une déclaration formulée en des termes non équivoques selon laquelle le titulaire du brevet  « a donné trop d’étendue au contenu de son mémoire descriptif en revendiquant plus que la matière [..] dont il est lui-même l’inventeur » et dont les revendications ont « trop d’étendue » par rapport à l’intention véritable. Le document constitue une admission non équivoque par le titulaire du brevet que les revendications initiales avaient une portée trop large. En conséquence, si seules les revendications initiales avaient été soumises à l’examen de la Cour avant le dépôt de la renonciation, elles auraient pu être jugées invalides en raison de leur portée excessive.

 

[46]           Les demanderesses ont déposé en l’instance, sans le faire au Bureau des brevets, l’affidavit de M. Brown, qui n’est ni l’un des inventeurs ni l’avocat ayant rédigé la demande initiale ou s’en étant chargé, mais qui est l’avocat interne en poste chez BMS US. En contre-interrogatoire, il a déclaré que la renonciation n’était en fait qu’une précaution. Dans son témoignage, il a affirmé que lorsque les demanderesses ont reçu l’avis d’allégation d’Apotex, il a été jugé prudent d’éliminer tout doute à l’égard de la portée des revendications 1 et 2. Même s’il était d’avis que les revendications initiales se limitaient à des produits essentiellement purs, les demanderesses ont jugé prudent de dissiper tout doute en déposant une renonciation.   

 

[47]           Je ne peux retenir cet argument. Les demanderesses ont déposé un document au Bureau des brevets, avec l’intention que le Bureau y réagisse, en sachant que ce document serait consulté par le public qui pourrait s’y fier. Ce document établit de façon non équivoque que le titulaire du brevet a donné trop d’étendue aux revendications initiales. Les demanderesses ne peuvent revenir sur de telles déclarations publiques en invoquant les réserves exprimées en privé par leur avocat interne ou en recourant à des tactiques.

[48]           Compte tenu de ces déclarations, quel est l’effet de la renonciation? La présente instance ne constitue pas une « action » au sens du par. 48(4) de la Loi sur les brevets, précitée. La présente espèce n’est pas de nature à permettre à la Cour de radier un brevet ou des revendications au motif de leur invalidité. Dans le cadre de procédures instituées sous le régime du Règlement sur les AC, la Cour ne peut statuer que sur la question de savoir si les allégations faites, en l’occurrence par Apotex dans son avis d’allégation, sont justifiées. 

 

[49]           Le commissaire aux brevets ne dispose d’aucun pouvoir qu’il pourrait exercer à l’égard d’une renonciation déposée, laquelle doit être acceptée telle quelle. Le breveté doit cependant accepter la possibilité que l’effet d’une telle renonciation donne lieu à un litige. C’est ce qu’a décidé la Cour d’appel fédérale dans Distrimedic Inc. c. Richards Packaging Inc. (2008), 66 C.P.R. (4th) 1 (CAF), sous la plume du juge Letourneau, aux par. 9 et 12 :

9     De fait, non seulement n’y a-t-il aucune mention de ce pouvoir dans la disposition en cause, mais il ne se trouve pas non plus dans la Loi — en particulier à l’article 48 —, ou dans les Règles, de cadre administratif ou procédural permettant de proprement et efficacement examiner au fond la teneur d’une renonciation, alors que dans de nombreuses autres situations une structure administrative est établie et un pouvoir est conféré au commissaire ou à l’un de ses délégués (voir, notamment, l’article 35 (requête d’examen), la règle 30 (garanties procédurales), l’article 65 et ss. (abus des droits de brevets)).

 

[...]

 

12     Enfin, l’appelante reconnaît que, si le commissaire ne dispose pas du pouvoir de refuser d’inscrire une renonciation, comme c’est actuellement le cas, elle n’est privée d’aucun droit et ne subit aucun préjudice autre que d’avoir à saisir les tribunaux de la question de l’effet de la renonciation et d’en supporter le coût. Le fait d’accorder à un titulaire de brevet la faculté de déposer une renonciation emporte nécessairement la possibilité que la portée de la renonciation déposée donne lieu à un litige.

 

[50]           Le Conseil privé en appel d’une décision de la Cour suprême du Canada dans Canadian Celanese Ltd. c. B.V.D. Co. Ltd., [1939] 2 D.L.R. 289, a traité d’une situation dans laquelle la Cour suprême avait statué dans ses motifs prononcés avant que le jugement formel ne soit rendu que les revendications d’un brevet étaient trop larges et qu’elles étaient donc invalides. Avant que le jugement ne soit rendu, le titulaire du brevet a déposé une renonciation restreignant la portée des revendications, et a demandé une nouvelle audience devant la Cour suprême au motif que les revendications reformulées annulaient les objections soulevées par la Cour, sauvegardant ainsi leur validité. La Cour suprême a refusé de réentendre l’affaire. Le breveté a interjeté appel au Conseil privé, lequel a rejeté le pourvoi. Le Conseil privé dans son avis à Sa Majesté a déclaré qu’en apportant des modifications au moyen d’une renonciation, le titulaire du brevet avait reconnu que les conclusions de la Cour suprême étaient valides, de sorte qu’elles ne pouvaient pas faire l’objet d’un pourvoi. Voici comment s’est exprimé le Conseil privé, à la p. 294 de son avis :

[traduction] La renonciation est inconditionnelle et doit nécessairement l’être. La Loi n’envisage ni n’autorise une [renonciation] conditionnelle. Dès son dépôt et son enregistrement au bureau du commissaire, la renonciation était intégrée au brevet; seules subsistent les revendications telles que modifiées par la renonciation, et la seule invention protégée par les lettres patentes est celle décrite dans le mémoire descriptif ainsi modifiée. Dans ces circonstances, les appelants ayant déposé une renonciation dans le but de modifier l’interprétation que la Cour suprême avait déclarée être la véritable interprétation des revendications initiales doivent être considérés comme ayant finalement accepté cette interprétation comme étant l’interprétation véritable de ces revendications; il ne leur est pas loisible d’interjeter appel avec succès à l’encontre de la décision de la Cour relativement à cette interprétation.

 

[51]           En l’espèce, Apotex a signifié son avis d’allégation le 2 avril 2007; les demanderesses ont déposé leur renonciation le 22 mai 2007 et ont institué la présente instance le jour suivant, soit le 23 mai 2007. Le paragraphe 6(2) du Règlement sur les AC exige que notre Cour détermine si les allégations d’Apotex quant à l’invalidité sont fondées.

 

[52]           Le juge Stone de la Cour d’appel fédérale a statué que l’avis d’allégation est un document qui échappe à la compétence de la Cour. Comme ce n’est pas un document qui a été déposé auprès de la Cour, celle-ci ne peut pas radier un tel document. Il a écrit ceci au par. 6 de l’affaire Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 207 (CAF) :

6     Il nous semble que même si l’avis d’allégation joue un rôle important dans l’issue finale d’un litige de cette nature, ce n’est pas un document au moyen duquel la demande de contrôle judiciaire peut être introduite conformément à l’article 6 du règlement. Ce document a été présenté en guise de preuve par les appelantes; il a pour point de départ la demande déposée auprès du ministre. Parce que ce n’est pas un document qui a été déposé auprès de la Cour, mais auprès du ministre, à notre sens l’avis d’allégation échappe à la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire. Cela étant, la Cour, selon nous, n’a pas la compétence nécessaire pour radier l’avis d’allégation.

 

[53]           Dans AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (CAF), le juge Stone a statué que l’avis d’allégation « avait une influence néanmoins prédominante » dans les instances en matière d’avis de conformité, car il sert à définir les questions. Voici comment il s’est exprimé au par. 20 de la décision :

20     Bien que l’énoncé détaillé ne soit pas déposé dans l’instance relative à la demande visée à l’article 6, son influence est néanmoins prédominante dans cette procédure. En effet, c’est par rapport au contenu de cet énoncé que le titulaire du brevet doit décider s’il introduit une telle instance et évaluer ses chances de succès. Pour ce faire, l’allégation et l’énoncé détaillé sont une aide importante pour définir les questions et les faits qu’il faut établir dans une instance relative à la demande visée à l’article 6 car pour obtenir l’interdiction, le titulaire du brevet doit démontrer que, contrairement à ce qui est indiqué dans l’énoncé détaillé, le droit attaché à son brevet sera enfreint si un AC est délivré pour la drogue avant l’expiration du brevet inscrit sur la liste.

 

[54]            En conséquence, étant donné que la Cour ne peut modifier un avis d’allégation, elle doit prendre en compte les diverses possibilités. Si le breveté a renoncé à certaines revendications sans introduire d’instance devant la Cour, l’avis de conformité du fabricant de médicaments génériques sera délivré dès l’expiration de la période de 45 jours prévue à l’al. 7(1)d) du Règlement sur les AC. Si le breveté initie des procédures sans que le fabricant ne se défende, il obtiendra un jugement interdisant la délivrance d’un avis de conformité au fabricant avant l’expiration du brevet. Si un fabricant de médicaments génériques souhaite contester la validité des revendications telles que reformulées par la renonciation, il ne peut revoir son avis de conformité car les procédures, comme en l’espèce, ont déjà été introduites. Apotex ne peut soulever de nouveaux motifs d’invalidité ni invoquer la contrefaçon étant donné que les procédures dont notre Cour est saisie ont été introduites immédiatement après le dépôt de la renonciation, entraînant le gel de l’avis d’allégation.

 

[55]           La seule façon convenable d’aborder la question consiste à faire comme le Conseil privé l’a fait dans BVD, c’est-à-dire se placer à une date antérieure à la renonciation pour interpréter les revendications. Le Conseil privé a choisi la date de la décision de la Cour suprême, même si le dispositif du jugement n’était pas encore enregistré. En l’espèce, cette date doit être le 2 avril 2007, soit la date de signification de l’avis d’allégation. J’ajoute cependant que cette date aux fins d’interprétation ne concerne que la revendication 2 et ne s’applique qu’à la présente instance relative à un avis de conformité.

 

[56]             Si les demanderesses devaient faire valoir le brevet à une date postérieure à la renonciation dans le cadre d’une action ou d’une autre instance, la revendication 2 pourrait alors bien être prise en compte dans la teneur modifiée par la renonciation. 

 

[57]           S’il ne s’agissait pas d’une procédure engagée en vertu du Règlement sur les AC mais d’une action ordinaire en contrefaçon de brevet, alors une renonciation, même déposée en cours d’instance, aurait pour effet de modifier le brevet et donc de possiblement changer les questions relatives à la validité et à la contrefaçon. Dans une action, les parties peuvent modifier leurs actes de procédure et procéder à de nouveaux interrogatoires. C’était le cas, par exemple, dans Cooper & Beatty c. Alpha Graphics Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 145 (CF), le juge Mahoney, aux p. 162-164. Rien de tout cela n’est possible dans le cadre de procédures engagées en vertu du Règlement sur les AC.

 

[58]           Apotex soutient que la renonciation est invalide et, comme elle est invalide et que les revendications 1 et 2 ont fait l’objet de la renonciation, il ne reste rien des revendications 1 et 2, elles ont disparues. L’argument d’Apotex selon lequel la renonciation est invalide est fondé sur le témoignage de M. Brown, l’avocat interne de BMS US, démontrant sans équivoque que la seule motivation pour déposer la renonciation était de tenter d’éviter une interprétation de ces revendications qui, en raison de leur portée étendue, chevaucheraient les antériorités. M. Brown n’était ni l’inventeur ni le rédacteur du mémoire descriptif original du brevet. S’appuyant sur les motifs du juge Mosley dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2007), 61 C.P.R. (4th) 305 (CF), aux par. 37 et 38, Apotex fait valoir que la validité d’une renonciation ne dépend uniquement que de l’état d’esprit du breveté au moment où il rédige son mémoire descriptif. Voici comment le juge Mosley s’est exprimé à cet égard :

37     Comme la Cour l’a noté récemment dans la décision Richards Packaging Inc. c. Canada (Procureur général), 2007 CF 11, [2007] A.C.F. no 21, au paragraphe 28, la Loi et le Règlement ne confèrent pas au commissaire et aux examinateurs le pouvoir de rendre une décision sur la validité d’une renonciation déposée par un breveté; ce pouvoir appartient aux tribunaux. L’acceptation d’une renonciation par le Bureau des brevets n’est donc pas déterminante pour décider si les conditions prévues au paragraphe 48(1) ont été remplies : arrêt ICN Pharm., précité, au paragraphe 70

 

38     Je suis d’accord avec les conclusions de la Haute Cour de justice de l’Ontario dans l’arrêt Trubenizing Process Corp.c. John Forsyth, Ltd., [1942] O.R. 271-300, 2 C.P.R. 89, arrêt infirmé pour d’autres motifs, [1943] R.C.S. 422, [1943] A.C.S. no 35, où le juge Chevrier a statué que la validité de la renonciation dépend seulement de l’état d’esprit du breveté au moment où il rédige son mémoire descriptif. Le juge Chevrier a établi clairement qu’il incombe à la partie qui dépose la renonciation d’en établir la nécessité en rais[o]n d’une erreur, d’un accident ou d’une inadvertance, sans qu’il y ait eu intention de frauder ou de tromper le public. Lorsque la partie qui dépose la renonciation ne s’acquitte pas de ce fardeau, la renonciation est jugée invalide et le brevet conserve sa forme originale.

 

[59]           Je ne suis pas d’accord avec ces arguments d’Apotex pour deux motifs. Le premier est que cet argument d’Apotex fait fi des deux dernières lignes du par. 38 des motifs du juge Mosley. Une revendication ayant fait l’objet d’une renonciation ne disparait pas si cette dernière est invalide. On revient à la revendication initiale. En espèce, nous traitons de la revendication initiale telle qu’elle était à la date de signification de l’avis d’allégation.

 

[60]           Deuxièmement, la phrase du par. 30 des motifs du juge Chevrier citée et approuvée par le juge Mosley parle de l’état d’esprit du breveté. L’article 2 de la Loi sur les brevets définit le breveté comme le titulaire ayant droit à l’avantage du brevet, ce qui inclut l’inventeur, ses héritiers et ayants droit. En l’espèce, le brevet et la demande de brevet au Canada appartenaient à BMS US, le breveté. M. Brown peut parler de l’état d’esprit de BMS US en tant que breveté. La motivation de BMS US au moment de la renonciation ne semble pas différente de celle animant le breveté dans Cooper & Beatty, précitée, soit de réduire la portée des revendications pour tenter d’en préserver la validité. La preuve que j’ai devant moi ne me permet pas de conclure à l’invalidité de la renonciation.

 

BREF SURVOL DU BREVET ET DE LA TECHNOLOGIE

[61]           Pour en revenir à l’interprétation des revendications, la Cour doit adopter la position d’une personne versée dans l’art à la date de délivrance du brevet, soit le 31 mars 1992, en prendre connaissance et interpréter les revendications dans le contexte de la divulgation du brevet. Quant à ce qu’une telle personne pourrait comprendre, la Cour peut admettre des témoignages d’experts pour expliquer certains termes et pour camper le contexte, au besoin.

 

[62]           Si on se penche sur le libellé du brevet, le domaine technique est décrit de façon concise à la p. 3 :  

[traduction]

Domaine technique

 

La présente invention porte sur des sels de céphalosporine semi-synthétiques thermostables dont la formulation n’a pas été décrite dans la documentation, sur leur préparation et sur les mélanges les contenant.

 

 

[63]           À la même page, le libellé du brevet décrit le contexte, reconnaissant les antériorités établies par un autre brevet appelé Aburaki et al. Les avocats des parties ont reconnu que le brevet américain no 4,406,899 d’Aburaki (le brevet 899) était identique, à tous égards importants en l’espèce, au brevet canadien no 1,213,882 (le brevet 882). Apotex renvoie indistinctement à ces brevets comme à des antériorités dans son argumentaire concernant l’antériorité de l’évidence. 

 

[64]           À la page 3, il est reconnu dans le libellé du brevet en cause que le brevet Aburaki divulgue ce qui suit :

[traduction]

Contexte de l’invention

 

Le brevet américain no 4,406,899 (Aburaki et al.) revendique le 7-[α-(2-aminothiazol-4-yl)-α-(Z)-méthoxyiminaocétamido]-3-[(1-méthyl-1-pyrrolidinio) méthyl]-3-céphème-4-carboxylate dans sa forme zwitterionique comme élément nouveau, mentionne les sels d’addition acides correspondants (présents dans la forme zwitterionique dans les formulations injectables) et montre que la forme zwitterionioque a un spectre d’activité plus large que la ceftazidime et le céfotaxime.

 

Toutefois, les céphalosporines dont il est question dans Aburaki et al. ne sont stables que durant quelques heures sous forme de formulations injectables et leur forme zwitterionique est instable à la température de la pièce; elles perdent, même sous forme de poudre sèche, 30 % ou plus de leur activité lorsqu’entreposées même pour une période d’une semaine à des températures élevées (c.-à-d. à 45°C et plus). Il faut donc les protéger par un emballage spécial ou les réfrigérer, ce qui n’est pas nécessaire pour la ceftazidime et le céfotaxime.

 

Malgré la mention des sels d’addition acides dans le brevet Aburaki et al., rien n’est dit sur la façon de rendre ces sels stables et rien n’indique lesquels parmi ceux-ci affichent, le cas échéant, une bonne stabilité sous forme de poudre sèche. Dans « Comparison of a New Cephalosporin, BMY 28142, with Other Broad-Sprectrum β-Lactam Antibiotics », Antimicrobial Agents and Chemotherapy, Vol. 27, No. 2, pp. 207-216, février 1985, Kessler et al. traitent du sel de sulfate, mais n’indiquent pas comment le préparer; rien n’est indiqué au sujet de la stabilité de ce sel à la température de la pièce et de sa stabilité à haute température sous forme de poudre sèche.

 

 

[65]           Ce qui est dit en termes de pratique dans le cadre de la présente instance, c’est que la molécule de céfépime connue, que l’on peut appeler simplement « forme zwiterrionique », est mentionnée comme antériorité et est utilisée comme ingrédient d’une formulation injectable. Elle souffre d’un problème de stabilité. Le brevet reconnaît qu’Aburaki et une autre antériorité, un article de Kessler et al., mentionnent des formes zwiterrioniques de sels d’addition acides, mais n’indiquent pas comment les préparer et ne précisent pas lesquels affichent, le cas échéant, une bonne stabilité.

 

[66]           Le « Sommaire de l’invention » est présenté à la page 4 et suiv. On peut lire ce qui suit à la page 4 :

[traduction]

Sommaire de l’invention

 

On a constaté que certains sels d’addition acides cristallins de 7-[α-(2-aminothiazol-4-yl)-α-(Z)-méthoxyiminaocétamido]-3-[(1-méthyl-1-pyrrolidinio) méthyl]-3-céphème-4-carboxylate affichaient sous forme de poudre sèche une excellente stabilité à la température de la pièce et une stabilité supérieure à celle de la forme zwitterionique à haute température. Par « poudre sèche », on entend ici une poudre dont la teneur en humidité est inférieure à 5 % en poids lorsque mesurée par la méthode de la perte de poids provoquée par un séchage à la pression atmosphérique et à une température inférieure à 70 °C.

 

Ces sels d’addition acides sont les sels cristallins de 7-[α-(2-aminothiazol-4-yl)-α-(Z)-méthoxyiminaocétamido]-3-[(1-méthyl-1-pyrrolidinio) méthyl]-3-céphème-4-carboxylate sélectionnés du groupe composé de sels d’addition des acides sulfurique, dinitrique, monochlorhydrique et dichlorhydrique, et de sels d’addition de l’acide orthophosphorique (de 1,5 à 2 moles d’acide orthophosphorique par mole de sel, c.-à-d. une gamme de sels s’étendant de ceux des acides sesquiorthophosphoriques à ceux des acides diorthophosphoriques), ou des solvats de ceux-ci. Par « cristallin », on entend ici un minimum de disposition ordonnée caractéristique des molécules. Bien que les sels d’addition des acides sulphurique, dinitrique, dichlorhydrique et orthophosphorique aient été produits sous une forme nettement cristalline (on est en mesure de constater que les molécules de ces sels se caractérisent par une disposition ordonnée précise à la lumière de la biréfringence qu’ils affichent lorsqu’on les examine au microscope polarisant), les sels d’addition de l’acide monochlorhydrique n’ont été produits qu’avec une certaine disposition ordonnée de leurs molécules (comme en témoigne la faible biréfringence affichée au microscope polarisant), c’est-à-dire sans disposition ordonnée précise prévisible de celles-ci. On ne peut donc qualifier ces sels que de « faiblement » cristallins. Ainsi, le qualificatif « cristallin » s’applique ici aussi bien aux sels d’addition « faiblement » cristallins de l’acide monochlorhydrique qu’aux sels nettement cristallins qui ont été produits.

 

 

[67]           Ce qui est dit en réalité, c’est que certains sels d’addition acides cristallins de la forme zwitterionique affichent une stabilité accrue supérieure à celle de la forme zwitterionique seule. Il s’agit des sels d’addition des acides sulphurique, dinitrique, monochlorhydrique, dichlorhydrique et orthophosphorique. Le qualificatif « cristallin » s’applique aussi bien aux sels d’addition « faiblement » cristallins de l’acide monochlorhydrique qu’aux sels nettement cristallins.

 

[68]           À la page 5, l’antériorité Aburaki est invoquée pour démontrer l’efficacité des sels comme moyens de lutte contre différents organismes :

[traduction] Le large spectre d’efficacité contre différents organismes de la forme zwitterionique, et par conséquent des formulations aqueuses des sels en question, est démontré par les données présentées dans le brevet américain no 4,406,899 (Aburaki et al.).

 

 

[69]           Ainsi donc, il est reconnu que les sels de cette forme offrent la même efficacité que ceux de la forme zwitterionique de cette antériorité.

 

[70]           Il est indiqué à la page 5 du brevet que le sel d’addition de l’acide sulfurique est celui qui est privilégié :

[traduction]
Il convient d’utiliser le sel d’addition cristallin de l’acide sulfurique comme intermédiaire de production. Si ce sel a été sélectionné, c’est en raison de sa faible solubilité dans l’eau (25 mg/ml), laquelle se traduit par un taux de récupération élevé de sel cristallisé de bonne pureté du milieu aqueux.

 

 

[71]           Ainsi donc, le sel de l’acide sulfurique est privilégié par rapport à celui de l’acide dichlorhydrique visé par les revendications en cause, voire visé par l’une ou l’autre des différentes revendications. À la lecture du brevet 288, rien ne permet de savoir pourquoi les revendications portent sur le sel de l’acide dichlorhydrique plutôt que sur celui de l’acide sulfurique.

 

[72]           Le procédé utilisé pour « produire facilement » le sel d’acide sulfurique de la forme voulue est exposé comme suit à la page 6 du brevet 288.

[traduction] Le sel d’addition cristallin de l’acide sulfurique est facile à produire. Il suffit de suivre les étapes suivantes : a) production d’un mélange constitué i) d’au moins 1 équivalent molaire d’acide sulfurique et ii) de la quantité de zwitterion nécessaire pour que sa concentration dans le mélange soit supérieure à 25mg/ml, b) mise en place des conditions nécessaires à la cristallisation du sel d’addition de l’acide sulfurique, et c) séparation du sel d’addition cristallin.

 

 

[73]           Il est précisé à la rubrique « Description détaillée » de la page 6 du brevet 288 que le mot « sels » s’entend dans le brevet de tous les sels désignés, que tous ont une excellente stabilité et que le sel de l’acide sulfurique est celui que l’on privilégie. Il est également indiqué qu’il est préférable de faire cristalliser dans des solvants organiques les sels d’acides chlorhydriques si on compte les utiliser.

[traduction]

Description détaillée

 

Les sels cristallins dont il est question ici (ci-après appelés simplement « sels ») affichent une excellente stabilité à la température de la pièce et leur efficacité (comme en témoignent des mesures de CLHP) ne diminue tout au plus que de 1 % après une période d’entreposage d’un mois à cette température. Ils affichent également une excellente stabilité à haute température et une perte d’efficacité (comme en témoignent des mesures de CLHP) inférieure à 15 % après une période d’entreposage d’un mois à une température se situant entre 45 et 56 °C.

 

Parmi tous ces sels, c’est le sel d’addition de l’acide sulfurique qui est privilégié. Sa perte d’efficacité est inférieure à 10 % après une période d’entreposage d’un mois à une température se situant entre 45 et 56 °C. Il est important de souligner qu’en raison de sa faible solubilité dans l’eau, laquelle est de l’ordre de 25 mg/ml, sa cristallisation dans ce milieu se traduit par un minimum de pertes résiduelles.

 

Le sel d’addition de l’acide dinitrique affichant aussi une faible solubilité dans l’eau (solubilité de l’ordre de 60 mg/ml), sa cristallisation dans ce milieu se traduit également par de faibles pertes résiduelles.

 

Les sels d’addition des acides monochlorhydrique, dichlorhydrique et sesquiorthochlorique ou diorthochlorique affichant des hydrosolubilités supérieures à 200 mg/ml, il faut les faire cristalliser dans des solvants organiques plutôt que dans l’eau pour obtenir un bon rendement.

 

 

 

[74]           De la page 7 à la ligne 5 de la page 10 du brevet 288, des procédés servant à produire les différentes formulations sont décrits. Le brevet en cause ne contenant aucune revendication portant sur un procédé, cette description n’est pas pertinente aux questions soulevées en l’instance.

 

[75]           Il faut lire ce qui est écrit à compter de la ligne 6 de la page 10 du brevet en ayant à l’esprit ce qui a été précisé au début de la « Description détaillée » de la page 6, à savoir que l’expression « sels » s’entend de tous les sels dont il est question dans le brevet :

[traduction] « On produit les formulations injectables en diluant les sels dont il est question ici dans de l’eau stérilisée [...] »

 

 

 

[76]           Aux lignes 30 à 32 de la page 10 du brevet, il est indiqué que la « pureté » de ces sels varie d’un lot à l’autre :

[traduction] La pureté des sels variant d’un lot à l’autre, les proportions exactes d’ingrédients dans les mélanges varient selon le lot de sel utilisé.

 

 

 

[77]           Aux pages 12 et suivantes jusqu’à la fin de la partie descriptive du brevet 288 à la page 29, treize exemples sont présentés.

 

[78]           L’exemple VII présenté aux pages 16 et 17 porte sur les données relatives à la stabilité. Il convient de remarquer que malgré le fait que l’on précise dans la description précédant le tableau, dont une reproduction fidèle à l’original suit, que la présence du signe + indique un accroissement plutôt qu’une perte d’efficacité, on utilise « Pourcentage de perte » comme intitulé des colonnes de droite.

[traduction]

Exemple VII

 

Stabilité à haute température

 

La stabilité à haute température des formulations, c’est-à-dire leur perte ou leur accroissement d’efficacité, a été établie par CLHP après les avoir entreposées sans interruption dans des contenants étanches à l’humidité aux températures et pendant les périodes indiquées ci-dessous. La présence d’un signe + devant la valeur percentile indique un accroissement d’efficacité. Une perte d’efficacité inférieure à 10 % sur une période de 2 à 4 semaines à une température se situant entre 45 et 56 °C se situe habituellement en deçà de la perte d’efficacité du lot sur une période de 2 à 3 ans à la température de la pièce.

 

 

[79]           Il convient de remarquer que le sel de l’acide sulfurique (« H2SO4 salt » dans le tableau) affiche à l’occasion une augmentation (p. ex. +6) plutôt qu’une perte d’efficacité, tandis qu’un chlorhydrate (« (HCl)2 salt » dans le tableau), que l’on dit être de forme anhydrate et qui n’est pas le monohydrate visé par la revendication, affiche une perte nulle (0), puis par la suite des pertes de 7,2 % et de 12,4 %. Autrement dit, tel qu’il a déjà été indiqué dans le brevet, le sel de l’acide sulfurique est le meilleur des sels, tandis que le dichlorhydrate (probablement de forme anhydrate), exception faite du zwitterion sans sel, est le pire de tous ceux-ci. On ne présente pas de données sur le monohydrate de dichlorhydrate, sel qui est l’objet des revendications 2 et 3.

 

[80]           L’exemple XI traite de ce qu’il décrit comme étant la préparation du sel monohydrate de dichlorhydrate du zwitterion. C’est la première mention spécifique de la version

monohydrate du sel dichlorhydrate. À la page 25, une détermination analytique du contenu de celle-ci est présentée, ainsi que son contenu « tel qu’observé » (c’est-à-dire déterminé suivant l’inspection de l’échantillon). Il convient de remarquer que la teneur théorique en eau (H2O) est de 3,15 % et que la teneur observée est de 3,34 %.

[81]           Aux pages 25 et 26, un diagramme de diffraction de rayons X de l’échantillon est présenté. Je ne reproduirai pas ces données, celles-ci étant les mêmes que celles invoquées pour la revendication 3 du brevet 288 précédemment décrites dans les présents motifs.

 

[82]           En ce q ui concerne la diffraction de rayons X sur poudre, j’accepte ce que dit M. McClelland au paragraphe 18 de son affidavit (ultérieurement reproduit dans les présents motifs), à savoir que la diffraction de rayons X sur poudre est une méthode analytique qui permet de faire la distinction entre deux formes cristallines différentes. J’accepte également ce qu’affirme M. Bartlett à cet effet au paragraphe 7 de son affidavit en réponse, où il qualifie la diffraction de rayons X sur poudre de méthode « d’analyse de signature » :

[traduction] 7. La diffraction de rayons X sur poudre permet de caractériser le degré de cristallinité d’un échantillon cristallin et permet également d’obtenir pour un tel échantillon une « signature » de la disposition des molécules caractéristique de la forme cristalline.

 

 

Il convient de remarquer que la revendication 3 et le mémoire descriptif du brevet renferment les deux colonnes de résultats de diffraction de rayons X sur poudre. Les espacements (d) sont présentés à gauche et les intensités relatives (I/I o) à droite – voir les pages 25 et 26 du brevet 288. J’accepte ce que M. Byrn a dit au cours de son contre-interrogatoire en réponse aux questions 368 à 372, à savoir qu’il faut observer une très bonne concordance entre les valeurs des espacements (d) d’un étalon et celles d’un échantillon pour conclure que le dernier a la même forme cristalline hydrate que le premier; il convient de remarquer ici que les écarts d’intensité peuvent atteindre 20 % entre les échantillons.

 

[83]           Ainsi donc, toute forme cristalline particulière possède un profil ou une signature de diffraction de rayons X sur poudre qui lui est propre. Ces données permettent de déterminer la composition du produit examiné. Elles ne permettent pas d’identifier de nouveaux produits. L’intensité relative des crêtes peut varier d’un échantillon à l’autre, mais on devrait observer une  très bonne concordance entre leurs positions. Par conséquent, en déterminant le profil de diffraction de rayons X sur poudre d’un produit, on identifie en fait le produit. En présentant un profil comme on l’a fait dans la revendication 3, on ne fait qu’identifier la forme du produit, en l’espèce celle du monohydrate de chlorhydrate, et on ne démontre pas qu’on a créé ou identifié un produit de forme différente.

 

[84]            L’exemple XII du brevet 288 fournit une description du mode de préparation de la version monohydrate de dichlorhydrate du sel et contient un énoncé qui, selon les demanderesses, démontre l’utilité de cette version. Toutefois, on ne compare celle-ci qu’à la version anhydrate du dichlorhydrate et à aucune autre forme de ce sel ou de tout autre sel. On indique que la teneur en eau de la version monohydrate qui a été produite varie de 2,46 à 3,70 %, sa moyenne se situant à 3,31 %. Voici ce qui est dit de la ligne 22 de la page 27 à la ligne 1 de la page 28 :

[traduction] Les procédures précédentes décrites aux exemples XI et XII mènent invariablement à la production d’un monohydrate dont la teneur en eau varie de 2,46 à 3,70 %, sa moyenne se situant à 3,31 %. La teneur en eau calculée à partir de la formule stœchiométrique est de 3,15 %. Le séchage du monohydrate dans un dessiccateur à lit de P205 à une pression réduite de 0,001 mm Hg et à 57 °C durant 5 jours ou à une pression réduite de 10 mm Hg et à 45 0C durant 2 jours n’entraîne aucune perte de poids. Entreposé à 56 0C durant 3 semaines, il ne perd que 0,6 % de son efficacité, ce qui constitue une nette amélioration par rapport à la perte d’efficacité (7,2 % à la suite d’un entreposage de 4 semaines à 56 °C) indiquée à l’exemple V pour la version anhydrate (teneur en eau de 1,25 %).

 

[85]           L’exemple XIII de la page 29 porte sur la stabilité de la forme monohydrate de teneur en eau déclarée de 2,5 à 4,1 % :

[traduction] Les mesures d’efficacité chimique et biologique effectuées sur les échantillons nous ont permis de conclure que la stabilité était sensiblement la même pour le monohydrate et le dihydrate entreposés à haute température, mais on a observé la présence de quantités en traces de particules insolubles dans le dihydrate. En conséquence, on a choisi de privilégier la forme monohydrate caractérisée par une teneur en eau adventive pouvant atteindre environ 1 % en poids (teneur totale en eau de l’ordre de 2,5 à 4,1 %). Cette substance conserve au moins 96 % de son efficacité après avoir été entreposée durant 3 semaines à 56 °C.

 

[86]           Ne figurant pas dans le tableau de l’exemple VII ni ailleurs dans le brevet, ce sel, dont la stabilité peut être assimilée à une perte de 4 % en 3 semaines, ne peut servir à des comparaisons utiles.

 

[87]           J’accepte le témoignage de M. Byrn concernant la teneur en eau d’une structure cristalline, à savoir qu’un cristal qui contient une quantité proportionnelle d’eau, c’est-à-dire un monohydrate, se caractérise par une teneur en eau précise. D’autres cristaux, le dihydrate (double quantité proportionnelle) et le hémihydrate (demi-quantité proportionnelle) par exemple, contiennent respectivement deux fois plus et deux fois moins d’eau que le monohydrate. On parle d’eau libre ou adventive pour désigner l’eau d’un échantillon qui n’est pas incorporée au cristal. La teneur théorique en eau du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime est de 3,15 %. Voici ce qu’il dit aux paragraphes 25 à 30 de son premier affidavit :

[traduction]

25. De plus, il se peut que bon nombre de composés utiles sur le plan thérapeutique existent sous d’autres formes, chacune d’elles ayant des propriétés physiques et chimiques qui lui sont propres.

 

26. Il existe de nombreuses substances de qualité pharmaceutique à l’état solide. À l’état solide, ces substances peuvent être utilisées sous un certain nombre de formes différentes. On utilise, par exemple, les termes amorphe, hydrate, anhydrate, polymorphe et solvat pour décrire ces formes de composé différentes. Un composé chimique particulier pouvant exister sous l’une ou l’autre de ces formes, il est important d’utiliser l’un ou l’autre des termes suivants pour ne laisser subsister aucun doute quant à la forme ou la nature du composé :

 

a) Le qualificatif « amorphe » désigne un solide non cristallin.

 

b) On utilise le qualificatif « polymorphe » lorsque deux formes ont la même composition chimique, mais des structures cristallines différentes.

 

c) On désigne par « hydrate » toute forme qui, en plus de comprendre des molécules d’une substance donnée, contient des molécules d’eau incorporées de façon ordonnée à sa structure cristalline.

 

d) On utilise le qualificatif « anhydrate » lorsqu’aucun solvant n’est incorporé à la structure. On utilise le qualificatif « polymorphe » lorsqu’on est en présence de deux formes anhydrates différentes. Toutefois, l’eau peut être présente en quantités différentes sous forme non liée dans ces formulations. Une substance anhydrate peut contenir une certaine quantité d’eau libre.

 

e) On désigne par « solvat » tout composé dans lequel un solvant, comme un alcool, par exemple l’éthanol ou l’isopropanol, ou un composé, par exemple l’acétonitrile ou l’acétone, est emprisonné dans la structure cristalline.

 

 

27. Tout hydrate dans lequel une quantité d’eau de l’ordre d’un équivalent stœchiométrique est incorporée de façon ordonnée à la structure cristalline est un monohydrate. Dans la même veine,  si cette quantité est de l’ordre de deux équivalents stœchiométriques, il s’agit d’un dihydrate; si elle est de l’ordre de la moitié d’un équivalent, l’hydrate est un hémihydrate. Quelle que soit la forme solide, il est possible de calculer l’équivalent stœchiométrique théorique à partir du poids moléculaire du solide.

 

 

28. De plus, tout solide peut renfermer une certaine quantité d’eau non emprisonnée dans la structure cristalline. On parle parfois d’eau libre ou adventive pour désigner cette eau. La méthode de Karl Fischer (KF), une méthode de titrage visant à doser les molécules d’eau, est couramment utilisée pour déterminer la quantité totale d’eau présente dans un solide. Elle ne permet pas d’établir de façon irréfutable si toute l’eau est emprisonnée dans le réseau cristallin, mais il suffit de l’accompagner d’une autre technique, comme la diffraction de rayons X sur poudre, l’analyse calorimétrique différentielle (ACD) et l’analyse thermogravimétrique (TGA), pour déterminer le niveau d’hydratation d’un produit.

 

29. La formule de structure du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime est la suivante :

 

 

 

30. La formule moléculaire du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime étant C17H24CIN6O5S2HC1 H20, son poids moléculaire est de 571,5. Par conséquent, la teneur théorique en eau de ce monohydrate est de 3,15 %.

 

[88]           En résumé, ce que conclurait une personne versée dans l’art après avoir lu la partie descriptive du brevet, c’est que la forme zwitterionique initiale était utile comme antibiotique, mais qu’elle souffrait de problèmes de stabilité. Sa transformation sous forme « sel » à l’aide d’un groupe choisi de cinq sels comprenant celui de l’acide sulfurique et le dichlorhydrate permet d’améliorer cette stabilité. De ce groupe sélectionné de sels, c’est celui de l’acide sulfurique qui a donné les meilleurs résultats. À l’exemple XII, la forme monohydrate du dichlorhydrate n’est mentionnée que pour indiquer qu’elle est supérieure à la forme anhydrate de celui-ci.  La teneur théorique en eau (H2O) de la forme monohydrate du dichlorhydrate est de 3,15 % et on indique dans les exemples que la teneur qui a été observée se situe entre 2,46 et 4,1 %. On indique également que la pureté du sel varie d’un lot à l’autre.

 

[89]           Examinons maintenant les témoignages concernant l’état des connaissances en mars 1992 d’une personne versée dans l’art ou la science des questions qui nous occupent en l’espèce. J’accepte ce que dit M. McClelland à ce sujet aux paragraphes 16 à 19 de son affidavit :

[traduction]

16. On sait depuis un certain temps qu’on a intérêt à transformer les substances médicamenteuses de base en sels d’addition acides,   ceux-ci étant plus solubles dans l’eau en raison de leur nature ionique. Cette transformation peut aussi accroître la stabilité du produit à l’état solide, voire mener à la production d’un solide plus cristallin offrant des avantages sur le plan de la manutention, de l’entreposage et de la production d’unités de dosage.

 

17. On fait habituellement la distinction entre les solides, et par le fait même les sels solides, amorphes et cristallins. Les solides cristallins se caractérisent par la disposition ordonnée de leurs atomes et molécules pour former ce que l’on appelle une maille cristalline bien définie qui se répète sur de grandes distances dans les trois directions. Cette disposition ordonnée ne s’étend pas sur de grandes distances chez les solides amorphes.

 

18. Les molécules ou les sels qui cristallisent dans deux ou plus de deux systèmes différents sont appelés polymorphes, ce qui signifie que l’empilement et l’orientation des molécules et des atomes dans la maille cristalline varient. Les molécules ou les sels peuvent également cristalliser et former un solvat, une forme cristalline dans laquelle des molécules de solvant sont emprisonnées dans le réseau. Lorsque la molécule de solvant est la molécule d’eau, on utilise plutôt le terme hydrate pour désigner le solide. On dispose de plusieurs méthodes d’analyse pour reconnaître les différentes formes cristallines d’un solide, plus précisément les polymorphes et les solvats, la diffraction de rayons X sur poudre, la spectroscopie infrarouge, l’analyse calorimétrique différentielle et l’analyse thermogravimétrique étant quatre de ces méthodes.

 

19. Le « chlorhydrate de céfépime » est le monohydrate du sel d’addition acide dichlorhydrate de céfépime, c.-à-d. qu’il s’agit d’un solvat ou hydrate dans lequel le rapport eau/céfépime est de 1:1. Sa formule moléculaire est donc C19H26Cl2N6O5S2.H2O.

 

[90]           J’accepte également ce que dit M. Bartlett aux paragraphes 25 à 28 de son premier affidavit : 

                        [traduction]

25. C’est la disposition tridimensionnelle ordonnée précise des molécules ou maille d’un cristal qui détermine les propriétés physiques, comme le point de fusion, la stabilité, la forme des cristaux individuels, etc., des solides cristallins. La relation que les cations et les anions individuels adoptent lorsque le cristal se forme et, par conséquent, la structure du réseau et les propriétés physiques des cristaux dépendent de nombreux facteurs. Dû au fait que les différentes combinaisons de cations et d’anions adoptent habituellement des relations différentes lorsqu’ils s’associent pour former la maille, le plus important des facteurs susmentionnés est l’identité des constituants individuels du cristal. Il arrive même que des différences de structure très subtiles chez un des constituants entraînent la formation de cristaux qui se caractérisent par des dispositions de cations et d’anions différentes et, de ce fait, par des propriétés physiques différentes. Par conséquent, il est impossible de prévoir les propriétés physiques des cristaux que forment les sels.

 

26. Lorsqu’un sel cristallise, le cristal qui est formé est électriquement neutre, c’est-à-dire que le nombre de charges positives des cations est égal au nombre de charges négatives des anions. L’obligation de satisfaire à ce critère, selon lequel les deux espèces doivent être disposées de façon à obtenir un cristal neutre, affecte également la maille cristalline d’un sel et, par conséquent, ses propriétés physiques.

 

27. Il peut aussi y avoir dans la maille cristalline des molécules autres que celles du composé même ou de son sel. Si tel est le cas, ces molécules étrangères sont d’ordinaire celles du solvant qui est utilisé pour assurer la cristallisation du composé. On appelle solvat toute forme solide ou cristalline dans laquelle de telles molécules sont emprisonnées dans la maille. Lorsque la molécule de solvant est la molécule d’eau, on utilise plutôt le terme hydrate pour désigner la substance. On utilise des termes comme monohydrate ou dihydrate, par exemple, pour exprimer le rapport normal du nombre de molécules de solvant ou d’eau emprisonnées dans la maille au nombre de molécules de composé propres à celle-ci. Le terme anhydrate sert à désigner le cristal du même composé, s’il ne renferme aucune molécule d’eau.

 

28. Le mode de cristallisation d’une molécule étant étroitement lié à la nature de toutes les espèces présentes dans la maille cristalline, il va de soi que la forme cristalline d’un hydrate ou d’un sel diffère de celle de l’anhydrate ou de la forme neutre d’une molécule.

 

[91]           J’accepte également le glossaire présenté par M. Langer au paragraphe 10 de son affidavit :

[traduction]

Glossaire

 

10. C’est à la demande d’un des avocats d’Apotex que j’ai préparé les définitions de base suivantes de différents termes chimiques associés au présent litige; ces définitions sont des paraphrases de définitions présentées dans des manuels reconnus utilisés dans le domaine des sciences pharmaceutiques, dont i) Remington: The Science and Practice of Pharmacy, 20th Edition, ii) Martin’s Physical Pharmacy and Pharmaceutical Sciences, Fifth Edition) et iii) Byrn et al : Solid-State Chemistry of Drugs.

 

Solvat – Forme cristalline qui renferme des quantités stœchiométriques ou non stœchiométriques de solvant. Les solvats peuvent se composer de plusieurs molécules de composé pour une molécule de solvant : le demi-solvat se composant de 2 molécules de composé pour chaque molécule de solvant, le monosolvat d’une molécule de composé pour chaque molécule de solvant. Certains solvats se composent même de deux molécules ou plus de solvant par molécule de composé. Les molécules de solvant que renferment les solvats sont d’ordinaire des molécules de solvant de cristallisation, comme des molécules d’eau (on parle alors d’hydrate (voir ci-après)), des molécules d’éthanol, des molécules d’acétone ou des molécules d’autres solvants organiques.

 

Hydrate – Hydrate s’entend en général de la forme cristalline d’une substance constituée d’un composé et de molécules d’eau présentes selon des proportions précises. Parmi les hydrates, on compte les hémihydrates (une molécule d’eau pour deux molécules de composé), les monohydrates (une molécule d’eau par molécule de composé), les dihydrates (deux molécules d’eau par molécule de composé) et ainsi de suite. On appelle eau liée l’eau qui est présente en quantités stœchiométriques dans les hydrates et eau libre ou adventive celle qui dont la quantité dans le solide dépend de l’hygroscopicité de celui-ci et de l’humidité relative à laquelle il est exposé.

           

Zwitterion – Un zwitterion est un composé qui est électriquement neutre, mais dont certaines régions se caractérisent par une charge positive nette et d’autres par une charge négative nette. L’acide aminée glycine dans une solution à pH neutre est un exemple de composé zwitterionique : dans ces conditions, la glycine possède un groupe carboxyle à charge négative et un groupe amine à charge positive.

 

Polymorphe – Polymorphe s’entend en général de la forme cristalline solide d’un composé ou de composés caractérisée par une disposition en réseau particulière du composé ou des composés. Les polymorphes sont souvent identifiés par leur figure de diffraction de rayons X sur poudre caractéristique.

 

 

 

LES REVENDICATIONS 2 ET 3 EN SOI

[92]           Voici le libellé de la revendication 2, antérieur au dépôt de la renonciation, sur lequel j’ai décidé que l’examen porterait en l’espèce :

[traduction]

2. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de 7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 % à 4,1 % en poids.

 

 

[93]           À la lumière de la description du brevet et des connaissances générales que nous ont communiquées les experts, mon interprétation de la revendication 2 m’amène à conclure ce qui suit :

·        La revendication porte sur un produit, à savoir un monohydrate de dichlorhydrate cristallin d’une forme zwitterionique de céfépime déjà connue, le sel devant être la version monohydrate du dichlorhydrate de celle-ci.

·        Le sel en question est « thermostable ».

·        La teneur théorique en eau de ce sel étant, selon les témoignages d’experts et le libellé du brevet, de 3,15 ou 3,16 %, et sa « pureté », selon le libellé du brevet, pouvant « varier », il peut contenir de 2,5 à 4,1 % d’eau. Je conclus qu’une interprétation appropriée de la présente revendication ferait appel non seulement au sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate « essentiellement pur » du zwitterion, mais aussi à un éventail d’autres sels de dichlorhydrate hydratés et anhydres.

 

[94]           L’existence d’une formulation qu’on dit thermostable comprenant le sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de céfépime est au cœur de chacune des revendications 2 et 3. La question de pureté de la formulation est accessoire. La plage de valeurs de la teneur en eau indiquée dans la revendication 2 est également accessoire, mais elle sert à démontrer que la pureté de la formulation varie. Les résultats de diffraction de rayons X sur poudre présentés dans la revendication 3 ne sont pas non plus nécessaires et ne font que contribuer à confirmer que le monohydrate de dichlorhydrate est bel et bien la substance utilisée dans la formulation.

 

[95]           Si j’avais à interpréter la version de la revendication 2 qui a fait l’objet de la renonciation, je reconnaîtrais qu’on a tenté de limiter la portée du mot sel en qualifiant celui-ci de sel « essentiellement pur », mais qu’en conservant l’affirmation selon laquelle la teneur en eau du sel se situe entre 2,5 et 4,1 %, la confusion et l’ambiguïté s’installent puisque d’une part il est dit que la formulation est pure et que d’autre part il existe bon nombre d’impuretés liées provenant d’autres formes hydratées et non hydratées dont la teneur en eau se situe entre 2,5 et 4,1 %.

 

[96]           La revendication 3 n’est pas touchée par la renonciation et je la reproduis sans les résultats de diffraction de rayons X :

[traduction]

3. Sel d’addition acide cristallin monohydrate de dichlorhydrate de      7-[α-(2-aminothiazole-4-yl)-α-(Z)-méthoximinoacétamido]-3-[(1-méthyl-pyrrolidinio)méthyl]-3-céphème-4-carboxylate thermostable présentant les caractéristiques de diffraction de rayons X sur poudre suivantes :

 

[97]           Par conséquent, exception faite de l’absence de la plage de valeurs de teneur en eau dans la revendication 3 et de la présence dans cette même revendication d’une définition sous forme d’une empreinte obtenue par diffraction de rayons X sur poudre, cette revendication est semblable à la revendication 2. Cette empreinte, qui ne rend d’aucune façon le monohydrate de dichlorhydrate différent, ne sert qu’à l’identifier par une des caractéristiques qui lui sont inhérentes. La revendication 3 ne fait état d’aucune restriction relativement à un quelconque degré de pureté.

VALIDITÉ – PRINCIPES GÉNÉRAUX

[98]           L’article 2 de la Loi sur les brevets définit l’invention comme toute chose présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité. L’exercice d’une activité inventive pour réaliser l’objet de la revendication constitue un élément inhérent de cette définition. Dans l’arrêt  Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a écrit ce qui suit au par. 51 :

51     La définition du mot « invention » figurant à l’art. 2 de la Loi est pertinente, car dans la version antérieure au 1er octobre 1989, aucune disposition n’écartait expressément la brevetabilité d’une invention évidente. Comme l’explique le professeur D. Vaver dans Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-Marks (1997), à la p. 136 :

 

[traduction] Jusqu’à tout récemment, la Loi sur les brevets n’écartait pas expressément la brevetabilité d’une invention évidente. Les tribunaux ont déduit le critère de la notion d’« invention ». Une invention était le fruit de l’ingéniosité, et sans celle-ci, une découverte constituait une évidence. Et nul brevet n’est délivré pour ce qui est évident.

 

Voici la définition du mot « invention » qui figurait à l’art. 2 de la Loi :

 

[« invention »] Toute réalisation, tout[e] [..] composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l’un d’eux, présentant le caractère de la nouveauté et de l’utilité.

 

 

ANTÉRIORITÉS

[99]           En l’espèce, la plupart des arguments concernant la validité des revendications 2 (antérieure à la renonciation) et 3 du brevet peuvent être examinés dans le contexte de deux antériorités. La première est désignée dans le brevet 288 lui-même sous le nom d’Aburaki – ou encore brevet américain no 4,406,899 (le brevet 899) ou brevet canadien no 1,213,882 (le brevet 882), qui sont tous identiques à cet égard. La deuxième est le brevet grec 862 055 (le brevet 055) publié le 31 décembre 1986. Le demandeur du brevet grec était un prédécesseur de BMS US et les trois inventeurs dont le nom apparaît dans le brevet grec se retrouvent également parmi les cinq inventeurs identifiés dans le brevet 288 en cause en l’espèce. Personne ne conteste que la date de publication des deux antériorités précède de façon suffisante les dates pertinentes au brevet 288; en conséquence, du point de vue des dates, les antériorités sont pertinentes.  

 

[100]       Aburaki est décrit dans le mémoire descriptif du brevet 288 en cause. Comme nous l’avons vu, il est reconnu à la page 3 du brevet 288 que le brevet Aburaki traite de la forme zwitterionique de céfépime et qu’il y est fait mention des sels d’addition acides correspondants. À la même page du brevet 288, il est dit que même si ces sels sont mentionnés dans le brevet Aburaki, rien n’indique comment les préparer ni ne précise lesquels affichent, le cas échéant, une bonne stabilité sous forme de préparation médicamenteuse en poudre. Voilà donc tout ce qui est reconnu comme « antériorité » par le brevet 288 lui-même.

 

[101]       S’agissant du brevet grec 055, il apparaît immédiatement que la divulgation est  presque identique mot pour mot à celle du brevet 288 en cause, jusqu’à l’exemple IX inclusivement (c.‑à-d. jusqu’à la fin de la page 22). Les différences sont sans importance avant la fin de la page 22 : dans le brevet 288, une référence a été ajoutée à la figure 4, aux lignes 17 à 21 de la page 2, une définition de « poudre sèche » aux lignes 9 et 10 de la page 4 et les mots « bonne pureté » à la ligne 25 de la page 5 à l’égard du sel d’addition de l’acide sulfurique. Les revendications du brevet grec 055 sont de plus grande portée que celles du brevet 288 en cause; on peut affirmer que la revendication 1, par exemple, englobe de façon générale mais non de façon spécifique l’objet des revendications 2 et 3 en l’instance.

 

[102]       Il convient de remarquer que dans le brevet grec 055, on fait référence, comme dans le brevet 288, à un sel de dichlorhydrate de la forme zwitterionique de céfépime. En utilisant le brevet 288 comme référence, ses lignes étant numérotées et son libellé étant identique dans les deux brevets, il est fait référence au sel de dichlorhydrate de la forme zwitterionique de céfépime dans le brevet grec à la ligne 15 ainsi qu’aux lignes 20 et 21 de la page 4, à la ligne 24 de la page 6, et on trouve une description du mode de préparation du sel de dichlorhydrate de la ligne 24 à la ligne 28 de la page 9. À la fois dans le mémoire descriptif du brevet grec 055 et dans celui du brevet 288, de façon générale l’expression « sels » s’entend de la définition qui englobe l’ensemble des cinq sels. L’exemple IV du brevet grec 055, intitulé « Préparation du sel d’addition acide monochlorhydrate », est identique à l’exemple IV du brevet 088. L’exemple V du brevet grec 055 et du brevet 288 s’intitule « Préparation du dichlorhydrate du sel d’addition acide de monochlorhydrate afférent ». On présente le même tableau à la fin de l’exemple VII du

brevet grec 055 et du brevet 288; ce tableau contient des données sur la perte (l’accroissement) d’efficacité d’un certain nombre de sels dont un sel dichlorhydrate, à savoir (HCl)2.

 

[103]       Toutefois, nulle part dans le brevet grec 055 n’est-il fait référence à l’hydratation des cristaux de dichlorhydrate, ni, si ceux-ci sont hydratés, s’il s’agit d’hémihydrates, de monohydrates, de dihydrates ou de quelqu’autres cristaux. Aux exemples IV et V du brevet grec 055 et du brevet 288, des données relatives au pourcentage d’éléments constituants et à la quantité d’eau sont présentées. Dans les mêmes exemples, la teneur calculée en eau n’est pas précisée, mais celle observée l’est. Elle est de 4,5 % dans l’exemple IV et de 1,25 % dans l’exemple V.

 

[104]       Le brevet canadien ’288 en cause se prolonge là où le brevet grec 055 s’arrête, par l’adjonction des exemples X à XIII, aux pages 23 à 28.  L’exemple X, qui porte sur la préparation d’un sel de phosphate, ne concerne aucune des questions soulevées dans la présente instance, ce qui n’est pas le cas des exemples XI et XII qui portent sur la préparation du sel monohydrate de dichlorhydrate. Quant à l’exemple XIII, il présente un certain intérêt, puisqu’il porte sur la préparation d’un sel dihydrate de dichlorhydrate, plutôt que sur la préparation du sel monohydrate. Ce n’est qu’aux exemples XI et XII que l’on utilise les mots monohydrate de dichlorhydrate dans le brevet 288.

 

[105]       Compte tenu de leur évolution et de l’abandon de certains arguments qui les sous-tendent, les questions en litige se résument essentiellement à se demander si le brevet grec 055 antériorise les revendications 2 et 3 du brevet 288 et s’il divulgue le monohydrate de dichlorhydrate et la façon de le produire. S’il n’y a pas une telle divulgation et la description des moyens en permettant la réalisation, le brevet grec 055 ne fournit-il pas néanmoins à une personne versée dans l’art ou la science des renseignements suffisants qui rendent évident l’objet des revendications 2 et 3 du brevet 288?

 

ANTÉRIORITÉ ET ÉVIDENCE – PRINCIPES JURIDIQUES

[106]       Les principes juridiques applicables en droit canadien en matière d’antériorité et d’évidence ont récemment fait l’objet d’un examen par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Apotex Inc. c. Sanofi-Synthelabo Canada Inc., précité. Après la publication de cet arrêt, j’ai passé en revue le droit applicable, particulièrement en matière d’antériorité dans Laboratoires Abbott c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359. Dans les dernières semaines, la Cour d’appel fédérale a rendu publique sa décision dans Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2009 CAF 8, où elle a analysé l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans le contexte de l’évidence.  

 

[107]       Dans Sanofi, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a dit qu’en ce qui concerne le critère de l’antériorité, il doit y avoir dans l’antériorité considérée à la fois une divulgation de l’objet visé par les revendications en cause et des renseignements suffisants pour permettre la réalisation de l’objet divulgué. Voici comment il s’exprime à cet égard au par. 30 :

30     Deux questions se posent dès lors en ce qui concerne le critère de l’antériorité : 1) en quoi consiste la divulgation antérieure et 2) dans quelle mesure le caractère réalisable admet-il les essais successifs?

 

[108]       Dans les circonstances particulières de l’affaire Sanofi, la Cour suprême devait examiner ce qu’on appelle parfois un brevet de sélection, c'est-à-dire un brevet ayant pour objet des composés choisis à partir de ceux divulgués dans le brevet d’origine en raison des avantages particuliers qu’ils présentent. Dans ce contexte, on peut mieux saisir le sens des commentaires que le juge Rothstein formule au par. 32 de cet arrêt au sujet de la divulgation :

32     Pour ce qui est de la divulgation au sens de l’arrêt Synthon, [traduction] « l’absence de découverte des avantages particuliers » dont fait mention lord Wilberforce dans l’arrêt Witsiepe’s s’entend de la non-divulgation dans le brevet de genre des avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection. Dès lors, les avantages particuliers de l’objet du brevet de sélection par rapport à l’objet du brevet de genre n’ont pas été découverts, de sorte qu’il n’y a pas d’antériorité. À cette étape, la personne versée dans l’art lit le mémoire descriptif du brevet antérieur pour déterminer s’il divulgue les avantages particuliers de l’invention subséquente. Les essais successifs ne sont pas admis. Lorsque la lecture du brevet de genre ne permet pas de connaître les avantages particuliers de l’invention visée par le brevet de sélection, celui-ci n’est pas antériorisé par le brevet de genre.

 

[109]       Le juge Rothstein s’est ensuite penché sur la question du caractère réalisable et a dressé une liste non exhaustive de quatre facteurs qu’il est possible d’appliquer lorsqu’il s’agit de déterminer si ce qui a été divulgué permet également la réalisation, c’est-à-dire si les renseignements ont été fournis en quantité suffisante pour permettre à une personne versée dans l’art de réaliser l’objet de la divulgation. Voici les propos du juge Rothstein exprimés au par. 37 :

37     Au vu de cette jurisprudence, j’estime que les facteurs suivants - dont l’énumération n’est pas exhaustive et l’applicabilité dépend de la preuve - doivent normalement être considérés.

 

1.  Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’antériorité est constituée de la totalité du brevet antérieur.

 

2.  La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

 

3.  Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés. Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle-ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable. Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives. L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

 

4.  Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

 

[110]       J’ai examiné l’arrêt Sanofi ainsi que d’autres décisions récentes dans Abbott, précité, où j’ai dressé une liste de considérations en matière d’antériorité à laquelle ont souscrit les avocats des demanderesses et de la défenderesse Apotex en l’espèce. Voici le résumé que j’en ai fait au par. 75 :

75     Pour résumer les exigences juridiques en matière d’antériorité, dans le contexte des circonstances de l’espèce :

 

1.  Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

 

2.  Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

 

3.  Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement. 

 

4.  La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

 

5.  Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

 

6.  La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi criminelle

 

7.  Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

 

[111]       En ce qui concerne la question de l’évidence, la Cour suprême a passé en revue un certain nombre de décisions et a conclu que les questions reformulées de Windsurfing constituaient une démarche utile. Voici comment s’est exprimé le juge Rothstein, au par. 67 de l’arrêt Sanofi :

67    Lors de l’examen relatif à l’évidence, il y a lieu de suivre la démarche à quatre volets d’abord énoncée par le lord juge Oliver dans l’arrêt Windsurfing International Inc. c. Tabur Marine (Great Britain) Ltd., [1985] R.P.C. 59 (C.A.). La démarche devrait assurer davantage de rationalité, d’objectivité et de clarté. Le lord juge Jacob l’a récemment reformulée dans l’arrêt Pozzoli SPA c. BDMO SA, [2007] F.S.R. 37, [2007] EWCA Civ 588 (par. 23)

 

[traduction] Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

(1)  a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b)  Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation; 

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité? [Je souligne.]

 

[112]       En ce qui a trait à la quatrième question – ou question de l’ « essai allant de soi » – , le juge Rothstein a fait siens les propos du lord juge Jacob dans Saint-Gobain PAM SA. c. Fusion Provida Ltd., [2005] EWCA Civ 177, au par. 35, c’est-à-dire en se demandant s’il était « plus ou moins évident » que l’essai serait fructueux. Voici les propos du juge Rothstein à cet égard, aux par. 65, 66, 69 et 70 :

65     Dans l’arrêt Saint-Gobain PAM SA c. Fusion Provida Ltd., [2005] EWCA Civ 177, le lord juge Jacob a dit ce qui suit au par. 35 :

 

[traduction] La seule inclusion possible de quelque chose dans un programme de recherche dans l’optique d’en apprendre davantage et de faire une découverte ne suffit pas. S’il en allait autrement, peu d’inventions seraient brevetables. L’éventualité d’une protection ne justifierait la recherche que dans des domaines n’offrant aucune chance de découverte. La notion d’« essai allant de soi » ne s’applique vraiment que lorsqu’il est plus ou moins évident que l’essai sera fructueux.

 

Dans l’arrêt General Tire, le lord juge Sachs dit à la p. 497 :

 

            [traduction] Après tout, la locution « aller de soi » est très usitée et il ne nous paraît pas nécessaire d’étoffer la principale définition du dictionnaire, à savoir quelque chose de « très clair ».

 

Dans Intellectual Property Law, le professeur Vaver convient de ce sens (p. 136). J’estime que la notion d’« essai allant de soi » n’est applicable que lorsqu’il est très clair ou, pour reprendre les termes employés par le lord juge Jacob, qu’il est plus ou moins évident, que l’essai sera fructueux.

 

66     Pour conclure qu’une invention résulte d’un « essai allant de soi », le tribunal doit être convaincu selon la prépondérance des probabilités qu’il allait plus ou moins de soi de tenter d’arriver à l’invention. La seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas.

[..]

69     Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci-après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

 

(1)  Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art ?

 

(2)  Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

(3)  L’antériorité fournit-elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous-tend le brevet?

 

70     Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important. Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’antériorité. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

 

[113]       Dans Pfizer, la Cour d’appel fédérale était saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision que notre Cour avait rendue avant que la Cour suprême ne fasse connaître sa propre décision dans Sanofi. La question en litige était de savoir si le juge de notre Cour avait appliqué le critère approprié, ce que la Cour d’appel fédérale a confirmé. Voici les propos du juge Noël s’exprimant au nom de la Cour aux par. 36 et 37 :

[36]      Il ressort de l’examen qui précède que le juge de la Cour fédérale, dans son analyse, cherchait plus que de simples possibilités, comprenant que celles-ci ne suffisaient pas et que l’état antérieur de la technique devait enseigner davantage. Son jugement sur la question est résumé et réitéré dans ses observations en guise de conclusion (motifs, paragraphe 125) :

 

Malgré les indications importantes suggérant d’explorer l’utilité des inhibiteurs de la PDE du GMP dans le traitement de la DE dans les mois qui ont précédé la découverte de Pfizer, la preuve n’établit pas, à mon avis, que la solution décrite dans le brevet allait de soi à l’époque. Au mieux peut-on parler d’une hypothèse, que le temps a confirmée par la suite, sur l’utilité possible des inhibiteurs de la PDE5 dans le traitement de l’impuissance. Les expériences avec le zaprinast, un inhibiteur de la PDE du GMPc, avaient été faites, certes, mais dans l’objectif de comprendre le mécanisme de l’érection, et non pour savoir comment traiter la DE.

 

 

[37]      Par cette conclusion, le juge de la Cour fédérale a tracé la ligne là où la Cour suprême l’avait tracée dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, en disant que (paragraphe 66) « [l]a seule possibilité d’obtenir quelque chose ne suffit pas ».

 

[114]       Gardant à l’esprit ces principes, j’examinerai les antériorités, plus particulièrement, comme l’ont fait les avocats lors de l’audience, le brevet grec 055.

ANTÉRIORITÉ – BREVET GREC 055

[115]       Comme nous l’avons vu, la divulgation du brevet grec 055 a pour objet la forme sel de dichlorhydrate du zwitterion, sans toutefois couvrir textuellement une forme monohydrate de dichlorhydrate.

 

[116]       Apotex fait valoir qu’il s’agit d’une divulgation suffisante de la forme monohydrate de dichlorhydrate. Elle fonde son argumentaire sur les témoignages d’expert de MM. McClelland et Langer, qui affirment qu’il suffit à une personne versée dans l’art de lire les exemples IV et V du brevet grec 055 pour se rendre compte, nonobstant le titre de ces exemples, que ceux-ci traitent bel et bien de monohydrate de dichlorhydrate ou du moins d’un mélange contenant une certaine proportion de la forme monohydrate, et sur les témoignages de mesdames Gerster et Corelli‑Rennie, qui ont effectué des expériences visant à répéter la démarche décrite aux exemples IV et V, lesquelles ont été analysées par les experts de la société Apotex, qui ont conclu que la répétition de la démarche décrite à l’exemple IV menait bel et bien à la production d’une substance contenant au moins une certaine proportion de monohydrate de dichlorhydrate. À cet égard, Apotex a axé son argumentataire à l’audience sur une expérience (désignée LSU-I-007) menée par Mme Corelli-Rennie qui visait à répéter la première partie de la démarche décrite à l’exemple V du brevet grec 055.

 

[117]       Les demanderesses réfutent cette preuve en affirmant que les exemples IV et V du brevet grec 055 ne constituent pas une divulgation du monohydrate de dichlorhydrate et de son mode de préparation, et que les expériences menées par Apotex sont viciées et inadmissibles.

 

[118]       Les demanderesses n’ont déposé en preuve aucun de leurs propres essais.

 

[119]       En premier lieu, j’examinerai les témoignages des experts d’Apotex, MM. McClelland et Langer, portant sur la divulgation et le caractère réalisable qu’ils prêtent au brevet grec 055.

 

[120]       Voici ce que M. McClelland dit aux paragraphes 37 à 46 de son affidavit au sujet de l’exemple IV (j’ai omis les tableaux et certaines observations par souci de brièveté) :

 

[traduction]

Exemples IV du brevet 055 et du brevet 288

 

37. L’exemple IV du brevet 055 et l’exemple IV du brevet 288 sont identiques. Les deux sont intitulés « Préparation du sel d’addition acide monochlorhydrate ». Le mode de préparation précisé dans chaque exemple consiste à faire dissoudre 1 gramme de céfépime zwitterionique dans 2,08 mL de HCl 1 N, puis à ajouter 30 mL d’acétone sur une période de 15 minutes et à remuer ensuite pendant une heure. On récupère les cristaux par filtration sous vide, après quoi ceux-ci sont lavés avec 10 mL d’acétone et séchés sous vide à 50 °C pendant 2 heures.

 

38. Les données d’analyse élémentaire présentées à l’exemple IV des deux brevets sont identiques (voir, par exemple, les données présentées aux lignes 9 à 13 de la page 14 du brevet 288). On indique que le produit est un monochlorhydrate, mais les données d’analyse élémentaire montrent qu’il s’agit plutôt d’un dichlorhydrate. Ainsi, les pourcentages qu’on dit *calculés* à l’exemple IV pour C19H24N6O5S2 HCl, à savoir « 41,37 pour C, 4,75 pour H, 15,2 pour N, 11,63 pour S et 12,86 pour Cl », correspondent aux pourcentages calculés présentés à l’exemple V pour C19H24N6O5S2 HCl, c.-à-d. les pourcentages afférents au dichlorhydrate.

 

39. J’illustre dans le tableau ci-dessous les différences entre les pourcentages « calculés » pour le monochlorhydrate (C19H24N6O5S2 HCl) et le dichlorhydrate (C19H24N6O5S2 2HCl). Comme on peut le constater, les pourcentages calculés présentés aux exemples IV et V sont bel et bien identiques, mais ils sont nettement différents des pourcentages calculés pour un monochlorhydrate. La différence entre le monochlorhydrate et le dichlorhydrate ressort des pourcentages calculés pour tous les éléments, notamment ceux calculés pour le chlore.

 

Tableau omis par souci de brièveté

 

40. Les valeurs « observées » (déterminées expérimentalement) présentées à l’exemple IV des brevets 055 et 288 tendent aussi à démonter que le sel en question est le dichlorhydrate. On compare dans le tableau ci-dessous les valeurs observées aux valeurs calculées pour les sels dichlorhydrate et le monochlorhydrate, le calcul de ces valeurs étant fondé sur une teneur en eau de composé de 4,5 %. Il y a une concordance acceptable* entre les valeurs observées et les valeurs calculées pour le dichlorhydrate, mais la concordance entre les valeurs observées et les valeurs calculées pour le monochlorhydrate est très mauvaise (notamment pour le chlore).   (*Concordance acceptable en matière d’analyse élémentaire s’entend d’un écart de ±0,4 % pour chaque élément.).

 

41. À l’exemple IV du brevet 055, on qualifie le produit de cristallin. Ainsi donc, on aurait produit du dichlorhydrate de céfépime cristallin. On mentionne également que la substance cristalline en question a une teneur en eau de 4,5 %, malgré le fait qu’on l’ait fait sécher sous vide à 50oC pendant 2 heures, ce qui m’indique que l’eau qu’elle contient est relativement fortement liée, c’est-à-dire qu’il s’agit d’un hydrate. Je fais remarquer que selon ce qu’on dit à l’exemple XIII du brevet 288, il est « facile de déshydrater par séchage sous vide le dichlorhydrate de céfépime » pour le transformer en monohydrate, tout comme on l’a fait pour la substance décrite à l’exemple IV. Par conséquent, le produit dont il est question à l’exemple IV n’est pas le dihydrate.

 

42. Je conclus que le produit cristallin dont il est question à l’exemple IV du brevet 055 est du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime. Le monohydrate pur ayant une teneur en eau de 3,16 %, le produit en question contient de l’eau libre ou adventive.

 

 

[121]       M. Langer a fait valoir aux paragraphes 15, 16 et 55 de son affidavit que l’objet de l’exemple IV, malgré son titre, divulgue le monohydrate de dichlorhydrate :

[traduction]

15. Il convient de remarquer en premier lieu que bien que l’exemple IV du brevet 288 soit intitulé « Préparation du sel d’addition acide monochlorhydrate », il présente plutôt à mon avis des résultats analytiques qui s’appliquent au sel hydrate de dichlorhydrate de céfépime. Cette conclusion est fondée sur les résultats de l’analyse élémentaire des valeurs calculées et mesurées présentées à l’exemple IV, desquels on obtient un pourcentage calculé de 12,86 pour le chlore. En se fondant sur le poids moléculaire de la céfépime, on se rend compte que ce pourcentage correspond à la teneur en chlore du sel d’addition acide dichlorhydrate plutôt qu’à celle du sel d’addition acide monochlorhydrate. Le pourcentage de 13,03 % mesuré pour le chlore indique également que le produit décrit à l’exemple IV est bel et bien un sel d’addition acide dichlorhydrate (il est également possible de confirmer cette conclusion par la similarité entre les pourcentages calculés pour les différents éléments présentés aux exemples IV et V et ceux de l’exemple V du brevet 288 décrivant un sel d’addition acide dichlorhydrate de céfépime).

 

16. On indique également que la teneur en eau mesurée du sel d’addition acide dichlorhydrate de céfépime de l’exemple IV est de 4,5 %. Vu le poids moléculaire (553,5) du dichlorhydrate de céfépime anhydre, la teneur théorique en eau du monohydrate devrait être de l’ordre de 3,15 % et celle du dihydrate de l’ordre de 6,11 %. En outre, tel que je l’ai indiqué au paragraphe 10 ci-dessus,  les hydrates cristallins stœchiométriques (c.-à-d. les hydrates dans lesquels les molécules d’eau sont incorporées de façon périodique dans la maille) et les anhydrates de sels peuvent également contenir de l’eau libre ou « adventive » présente en quantités qui varient selon l’hygroscopicité de la substance, le degré de séchage dont elle a fait l’objet et les conditions dans lesquelles elle a été entreposée par la suite, etc. À la lumière de tout ceci, à mon avis, le produit dont il est question à l’exemple IV du brevet 288 est du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime, présentant une teneur en eau liée d’environ 3,15 % et une teneur en eau libre ou adventive d’environ 1,35 %.

[...]

 

55. Les autres parties du mémoire descriptif du brevet 055, dont plusieurs des exemples, comme l’exemple IV (préparation de l’hydrate monochlorhydrate de céfépime) et l’exemple V (préparation de l’hydrate dichlorhydrate de céfépime), ressemblent beaucoup à celles du mémoire descriptif du brevet 288. De façon analogue à ce que j’ai décrit plus haut pour le brevet 288, l’exemple IV du brevet 055, même s’il est intitulé « Préparation du sel d’addition acide monochlorhydrate », présente les résultats d’une analyse élémentaire des valeurs calculées et mesurées qui s’appliquent à un sel d’addition acide dichlorhydrate de céfépime hydraté (présentant une teneur en eau de 4,5 %). Ainsi donc, pour des raisons semblables à celles que j’ai exposées aux paragraphes 15 et 16 précédents, je conclus qu’il suffit à une personne versée dans l’art de lire l’exemple IV du brevet 055 pour se rendre compte que celui-ci traite bel et bien de monohydrate de dichlorhydrate de céfépime. De plus, je crois que le fait que la teneur en eau (4,5 %) du sel hydrate de monochlorhydrate de céfépime indiquée à l’exemple IV du brevet 055 dépasse de 0,4 % la limite supérieure de la plage des valeurs de la teneur en eau (2,5 à 4,1 %) censément indiquée dans le brevet 288 pour le monohydrate (p. ex., censément indiquée dans la revendication 2 de ce brevet) est sans importance, compte tenu notamment des admissions des inventeurs à l’origine du brevet 729 dont il a été question aux paragraphes 33 et 34 ci-dessus.

 

 

[122]       Ces conclusions sont contestées par les experts des demanderesses, MM. Bartlett et Byrn. M. Bartlett fait des commentaires d’ordre général à ce sujet aux paragraphes 61 à 69 de son premier affidavit, dont je ne reproduis que les paragraphes 61 et 69 ci-dessous :

[traduction]

Brevet 055

 

61. Apotex soutient que toutes les revendications du brevet 288 sont antériorisées par le brevet grec 055. Pour établir son allégation d’antériorité, elle a décortiqué le mémoire descriptif du brevet grec 055 à la recherche d’éléments des revendications du brevet 288. Apotex fait valoir que « la connaissance du contenu du brevet 055 et la répétition des exemples IV et V produisent [sic] des sels d’addition acides hydrates dichlorhydrate (y compris le monohydrate) cristallins de céfépime thermostables, incluant toutes les limites inhérentes aux revendications du brevet 288 » [page 25 de l’avis d’allégation d’Apotex]. Toutefois, le libellé du brevet grec 055 ne contient aucune divulgation précise d’une forme monohydrate cristalline thermostable essentiellement pure de dichlorhydrate de céfépime et encore moins d’une procédure quelconque enseignant la méthode pour produire « à chaque fois et à coup sûr » un tel composé.

 

[...]

 

69. Par ailleurs, l’unique divulgation ayant pour objet un sel d’addition dichlorhydrate de céfépime (exemple V) du brevet 055 porte sur une substance dont la teneur en eau n’est que de 1,25 %. Par surcroît, aucune analyse présentée dans ce brevet ne porte sur une forme quelconque de sel de céfépime se caractérisant par une teneur en eau de 2,5 à 4,1 % en poids. En dernier lieu, le libellé du brevet grec 055 ne contient aucune divulgation dont l’objet porte sur une figure de diffraction de rayons X sur poudre caractéristique d’un chlorhydrate ou d’un dichlorhydrate.

 

[123]       C’est au paragraphe 29 de son affidavit en réponse que M. Bartlett réplique expressément aux commentaires de MM. McClelland et Langer :

                        [traduction]

29. MM. McClelland et Langer concluent en se fondant sur le libellé du brevet grec 055 que la substance produite, tel qu’il est indiqué à l’exemple IV, est le monohydrate de dichlorthydrate de céfépime. Ils arrivent à cette conclusion en se fondant sur les résultats de l’analyse élémentaire présentés dans le brevet, présumément pour cette substance. Ils soulignent, en se fondant sur la teneur en chlore indiquée, que les résultats de l’analyse en question sont en harmonie avec ceux d’une analyse élémentaire du dichlorhydrate, plutôt qu’avec les résultats d’une analyse élémentaire du monochlorhydrate, à savoir le produit que l’on dit visé par la démarche. Toutefois, ce que MM. McClelland et Langer n’ont pas pris en compte, c’est que ce produit ne peut être du dichlorhydrate de céfépime. On affirme dans le brevet que la procédure décrite à l’exemple IV permet de produire 900 mg d’un sel de céfépime à partir de 1 g de zwitterion et de son équivalent en acide chlorhydrique. Selon ce qu’il est décrit, la procédure, qui se résume à la combinaison de 1,0 g (2,08 mmoles) de céfépime et de 2,08 mL (1 équivalent ou 2,08 mmoles) de HCl 1,0 N, permet d’obtenir d’ordinaire 900 mg de produit. Si ce produit est le monochlorhydrate (poids moléculaire de 517), il correspond à 1,74 mmole de substance et contient 1,74 mmole d’ions chlorure. S’il s’agit plutôt de dichlorhydrate (poids moléculaire de 553,5), il contient 3,25 mmoles d’ions chlorure, quantité qui est plus de 1,5 fois supérieure à la quantité de chlorure utilisée dans le mélange réactif. Bref, en ajoutant 2,08 mmoles d’acide chlorhydrique au mélange réactif, on ne dispose pas de la quantité d’ions chlorure nécessaire pour obtenir un produit qui contient 3,25 mmoles de tels ions. Ainsi, la conclusion qui saute aux yeux est que l’analyse élémentaire décrite à l’exemple IV des brevets grec 055 et canadien ’288 ne peut avoir porté sur la substance produite en suivant la procédure en question. Par conséquent, les résultats de cette analyse ne permettent pas d’inférer quoi que ce soit en ce qui concerne la composition de la substance produite en suivant la procédure décrite à l’exemple IV.

 

 

[124]       La démarche de M. Byrn est quelque peu différente de celle de M. Bartlett. Il a en effet exprimé l’avis que la procédure décrite aux exemples IV et V du brevet grec 055 peut permettre en théorie de produire une certaine forme de monohydrate, mais non un monohydrate essentiellement pur; il indique également que le brevet et les revendications en cause visaient à produire une substance essentiellement pure et que, par conséquent, le brevet grec 055 ne divulgue pas ce qu’il croit lui-même être la substance visée par le brevet. Voici l’avis exprimé par M. Byrn aux paragraphes 76 à 81 de son premier affidavit :

[traduction]

76. De plus, le brevet 055 ne divulgue pas comment produire le monohydrate de dichlorhydrate de céfépime et ne contient pas d’instructions et à plus forte raison d’indications claires et sans équivoque permettant de produire à coup sûr le monohydrate en question.

 

77. Le brevet 055 ne fait qu’indiquer en termes généraux qu’il est possible de produire différents sels, dont le dichlorhydrate, et les solvats connexes. Il ne contient aucune information s’appliquant directement au dichlorhydrate et ne fait aucunement état de formes hydratées de ce sel offrant des propriétés uniques recherchées.

 

78. L’avis d’allégation d’Apotex s’articule autour des exemples IV et V du brevet 055, mais ceux-ci ne portent aucunement sur une forme hydratée du dichlorhydrate. L’exemple IV porte sur un sel différent, à savoir le monochlorhydrate.

 

79. L’exemple V du brevet 055 décrit le mode de préparation d’un dichlorhydrate non hydraté, à savoir un anhydrate ou un hémihydrate. Le mode de préparation porte notamment sur un solide qui se caractérise par une teneur en eau de 1,25 % en poids. Cette teneur étant inférieure à la moitié de la teneur théorique en eau (3,15 %) caractéristique du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime, la forme cristalline en question ne peut être celle d’un monohydrate, mais pourrait être celle d’un anhydrate duquel on n’a pas complètement éliminé l’eau adventive ou libre par séchage ou d’un hémihydrate.

 

80. Bien que la teneur en eau de 1,25 % en poids puisse s’expliquer théoriquement par la production d’une substance constituée d’une partie monohydratée et d’une partie complètement anhydre, mais en aucun cas ne serait-il possible alors d’affirmer, comme à la revendication 2, que l’on a produit un monohydrate de dichlorhydrate de céfépime cristallin essentiellement pur thermostable. Cela serait impossible.

 

81. Par surcroît, en se fondant sur la teneur en eau précisée, il est tout simplement impossible d’obtenir les données de diffraction de rayons X sur poudre indiquées à la revendication 3. En se fondant sur le mode de préparation décrit à l’exemple V, on ne peut tout simplement pas produire directement à coup sûr un monohydrate de dichlorhydrate de céfépime cristallin essentiellement pur thermostable.

 

[125]       Dans son affidavit en réponse, M. Byrn se concentre sur l’opinion de MM. McClelland et Langer dans le contexte de la renonciation et du sens à donner aux mots « essentiellement pur ». Voici ce qu’il dit aux paragraphes 59 à 61 de son affidavit en réponse :

                        [traduction]

RENONCIATION

 

59. Les experts d’Apotex affirment qu’ils ne savent pas quel sens donner aux mots « essentiellement pur » utilisés dans les revendications 1 et 2. Par exemple, M. McClelland déclare qu’à son avis, ces mots ne font pas référence à la pureté de la forme cristalline, mais servent plutôt à qualifier l’efficacité. Par surcroît, il ne semble pas connaître l’importance du niveau de pureté à atteindre, mais je signale qu’il utilise facilement ces mots tout au long de son affidavit dans d’autres contextes. La personne versée dans l’art saisirait bien que ce qui est décrit et revendiqué ici est la forme monohydrate du dichlorhydrate de céfépime, la raison étant que celle-ci est plus stable que la forme anhydrate. Par conséquent, pour bénéficier d’une telle stabilité, il est important de produire un monohydrate qui est essentiellement pur.

 

60. La personne versée dans l’art saurait pertinemment que le contenu et la description des exemples XI et XII réfèrent à un monohydrate essentiellement pur. D’ailleurs, celle-ci indique clairement que le monohydrate est supérieur sur le plan de la stabilité à haute température à l’anhydrate qui avait fait l’objet d’une divulgation antérieure. Un tel avantage ne peut se matérialiser s’il suffit d’un seul cristal de monohydrate pour être conforme aux revendications.

 

61. En conséquence, malgré le fait qu’une personne versée dans l’art soit en mesure de comprendre que l’invention revendiquée est du monohydrate essentiellement pur, dans la mesure où un tribunal exclurait autrement un argument selon lequel les revendications s’appliquent aux mélanges, la renonciation couvre tout à l’exception du monohydrate essentiellement pur.

 

 

[126]       Je n’ai trouvé et les avocats ne m’ont indiqué aucune partie de la transcription des contre-interrogatoires de MM. Langer, Bartlett et Byrn qui pourrait constituer un ajout significatif, une rétractation ou des précisions additionnelles à ce qu’ils ont déclaré dans leurs affidavits précités, mis à part le fait que M. McClelland a donné une opinion sur l’exemple V du brevet grec 055 (exemple dont le contenu est identique à celui de l’exemple V du brevet 288 en cause) en réponse aux questions 77 et 78 de son contre-interrogatoire, où il est déclaré :

[traduction]

77.       Q. L’exemple V du brevet 055 ne décrit-il pas – – éliminons la forme négative. L’exemple 5 du brevet 005 fournit le mode de préparation du dichlorhydrate de forme anhydrate et hémihydrate à partir de dichlorhydrate non hydraté. D’accord?

 

R. Il décrit le mode de préparation d’un sel d’addition acide dichlorhydrate qui se caractérise par une teneur en eau de 1,25 %. Il peut s’agir d’un mélange de – – il peut s’agir d’un hémihydrate ou d’un mélange des formes monohydrate et anhydrate. Il contient de l’eau. Sa teneur (1,25 %) en eau est légèrement supérieure au tiers de la teneur théorique en eau du monohydrate (3,1 %).

 

78.       Q. Ainsi donc, on aurait interprété cette forme cristalline comme étant celle d’un monohydrate, voire celle d’un anhydrate avec une certaine quantité d’eau adventive?

 

R. Ce n’est là qu’une façon de voir les choses. Il est également possible de conclure à la lumière des données précisées dans l’exemple qu’il s’agit d’un mélange d’anhydrate et de monohydrate.

 

 

ESSAIS EFFECTUÉS PAR APOTEX

[127]       Dans ses observations à l’audience, eu égard au crédit à accorder aux essais réalisés par des employés d’une société liée à Apotex, l’avocat de cette dernière s’est limité à invoquer les essais effectués par Mme Corelli-Rennie désignés sous le numérol LSU-I-007, lesquels  visaient à soi-disant répéter à une échelle 21 fois plus grande la première partie de la démarche décrite à l’exemple V du brevet grec 055 (affidavit de Mme Corelli-Rennie, paragraphe 9, onglet 2G). Selon ce qu’affirme M. McClelland au paragraphe 60 de son affidavit, l’essai a  permis d’obtenir deux échantillons. L’échantillon LSU-I-007-1 affichait une teneur en eau de 5,48 % avant le séchage, après avoir été filtré puis lavé à l’acétone. L’échantillon solide LSU-I-007-3 affichait une teneur en eau de 3,64 % après le séchage sous vide à 40 à 45oC durant 24 heures de l’échantillon LSU-I-007-1.

 

[128]       Je n’ai pas vraiment tenu compte de cet essai et de tout commentaire d’expert sur celui-ci. Si je n’ai pas retiré la preuve relative aux essais et les commentaires afférents du dossier, c’est tout simplement pour les tenir à la disposition d’une instance supérieure, si jamais l’une des parties interjette appel de la présente décision. Je n’ai pas reconnu de force probante à cette preuve pour deux raisons, l’une tenant à la procédure et l’autre tenant au fond.

 

[129]       Examinons en premier lieu la question de procédure. Comme le déclare Mme Corelli‑Rennie dans son affidavit (onglet 2G), l’essai en question a été effectué au cours de la période qui s’étend environ de septembre à novembre 2006. Apotex n’a pas signifié son avis d’allégation avant le 2 avril 2007 environ. Dans cet avis, Apotex indique qu’elle se réserve le droit de présenter les résultats de cet essai, sans donner plus de détails. Voici ce qu’on peut lire aux pages 27 et 29 de l’avis :

[traduction] Nous alléguons également qu’une personne versée dans l’art de reproduire la démarche décrite à l’exemple IV ou l’exemple V ou les deux peut fabriquer, en suivant les indications données dans le brevet 055, le produit qui fait l’objet des revendications 1 à 5 du brevet 288. L’obtention des résultats énoncés dans l’exemple IV ou l’exemple V ou les deux équivaut à la fabrication du produit qui fait l’objet des revendications 1 à 3 du brevet 288.

 

[..]

 

Au cas où la présente allégation serait rejetée, nous nous réservons le droit de présenter les résultats de l’essai qui visait à répéter la démarche décrite au brevet 055, y compris les exemples IV et V.

 

 

 

[130]       L’avis d’allégation est censé être suffisamment complet pour informer la première partie des allégations formulées ainsi que du droit et des faits sur lesquels elles se fondent. L’intention est de décrire de façon détaillée l’ensemble du contexte factuel sur lequel la seconde personne s’appuie. Si l’avis est incomplet, la seconde partie en assume le risque. Je renvoie aux extraits suivants des motifs du juge Stone de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), cité précédemment alors que je traitais de la question de la renonciation. Voici ses propos aux par. 21 et 23 :

21     À mon avis, tout ce qui précède donne à penser que la seconde personne doit satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(3)a), c’est-à-dire établir dans l’énoncé détaillé « le droit et les faits sur lesquels elle fonde » les allégations de l’alinéa 5(1)b) et le faire d’une manière suffisamment complète pour permettre au titulaire du brevet d’évaluer ses recours en réponse à l’allégation. Voir Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.), par le juge Strayer, J.C.A. à la page 216. Un examen de l’énoncé détaillé en question est ainsi requis afin de déterminer s’il est satisfait à cette exigence à l’égard de l’allégation voulant que les brevets 693 et 891 ne sont pas valides pour cause d’évidence.

 

[...]

 

23     L’intimée prétend que la liste des antériorités de l’énoncé détaillé ne se veut pas exhaustive, d’où la présence du mot « notamment», de telle sorte que subsistait la possibilité d’ajouter à cette liste dans le cadre de l’instance relative à la demande visée à l’article 6. Je suis toutefois d’opinion que l’alinéa 5(3)a) n’envisage pas cette possibilité. L’intention serait plutôt que tous les faits sur lesquels on se fonde devraient figurer dans l’énoncé et non pas être révélés pièce à pièce au moment où on en sent le besoin dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. La présente Cour a déjà prévenu des personnes dans la position de l’intimée qu’elles assument le risque qu’une allégation en particulier puisse ne pas être conforme au Règlement et que les lacunes ne puissent pas être comblées par le tribunal dans le cadre d’une instance relative à la demande visée à l’article 6. Dans l’arrêt Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.), le juge Strayer, J.C.A., en faisant référence à l’arrêt de la présente Cour Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 58 C.P.R. (3d) 207, a indiqué, aux pages 133 et 134 :

 

            L’ordonnance dont il est fait appel a été rendue avant que la Cour n’ait eu l’occasion de clarifier certaines des questions que soulève le Règlement. Précisons que dans l’affaire Pharmacia Inc. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [rapporté depuis à 58 C.P.R. (3d) 207], la Cour a déclaré que :

 

            Il nous semble que même si l’avis d’allégation joue un rôle important dans l’issue finale d’un litige de cette nature, ce n’est pas un document au moyen duquel la demande de contrôle judiciaire peut être introduite conformément à l’article 6 du règlement. Ce document a été présenté en guise de preuve par les appelantes; il a pour point de départ la demande déposée auprès du ministre. Parce que ce n’est pas un document qui a été déposé auprès de la Cour, mais auprès du ministre, à notre sens l’avis d’allégation échappe à la compétence de la Cour dans une procédure de contrôle judiciaire. Cela étant, la Cour, selon nous, n’a pas la compétence nécessaire pour radier l’avis d’allégation.

 

            Cela veut dire, à l’évidence, que la Cour n’a pas la compétence nécessaire pour rendre des ordonnances touchant le dépôt des avis d’allégation ou pour exiger que ces avis soient améliorés à tel ou tel égard. Le principe est que, selon les dispositions mêmes du Règlement, l’avis d’allégation précède le dépôt d’une demande de prohibition devant la Cour. L’avis d’allégation appartient au substrat d’une telle procédure, ce qu’on pourrait peut-être considérer comme une partie constitutive de la « cause d’action ». Une cour de justice ne peut pas ordonner la création d’une cause d’action, ou ordonner que celle-ci soit créée dans tel ou tel délai ou de telle ou telle manière. La Cour ne peut en connaître qu’une fois que celle-ci existe, ou à partir du moment où l’on prétend qu’elle existe. Ceux qui omettraient de déposer un avis d’allégation, ou qui déposeraient un avis incomplet, en supporteront les conséquences lorsque, dans le cadre d’une demande de prohibition déposée devant la Cour, quelqu’un invoque les lacunes de ces allégations.

 

[131]        La première partie dispose de 45 jours pour répondre à un avis d’allégation et, si une demande d’interdiction est instituée, une ordonnance à son égard doit être rendue dans les deux ans.  Le fabricant de médicaments génériques (la deuxième partie) dispose du temps qui lui convient pour signifier un avis d’allégation, période à l’intérieur de laquelle elle peut, par exemple, procéder à des essais. Dès que l’avis lui a été signifié, la première partie ne dispose que de peu de temps pour les essais et, si elle ignore ceux menés par la deuxième partie, elle ne pourra prévoir la nature des essais qu’il lui faudrait réaliser pour étayer sa thèse ou pour réfuter les essais réalisés par l’autre partie. Je suis conscient du fait que dans Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2004), 31 C.P.R. (4th) 214 (CF) confirmée par (2004), 38 C.P.R. (4th) 400 (CAF), ma collègue la juge Snider a autorisé Apotex à déposer en preuve des résultats d’essais auxquels elle renvoie aux par. 61 et suivants de ses motifs. Toutefois, ces essais ont été réalisés en réponse à ceux faits par les experts dont les services avaient été retenus par une première personne qui les a déposés en preuve après avoir elle-même introduit la demande. Cette situation est assez différente de celle en l’espèce où Apotex avait réalisé des essais des mois avant de signifier un avis d’allégation en n’y mentionnant que très sommairement les résultats.

 

[132]       Le second motif pour lequel j’accorde peu de poids aux résultats des essais est que, vu le témoignage de tous les experts, les résultats m’apparaissent controversés et non concluants. En conséquence, selon la prépondérance des probabilités, il ne convient pas de leur accorder une grande valeur probante.

 

[133]       J’examinerai en premier lieu les opinions des experts d’Apotex sur ces essais telles qu’elles ont été formulées par MM. McClelland, Langer et Cima.

 

[134]       Dans son affidavit, M. McClelland traite des résultats de ces essais, y compris des procédures LSU-I-007-1 et LSU-I-007-3.  Je reproduis les paragraphes 60, 61, 67 et 69 de cet affidavit :

[traduction]

60. La procédure LSU-I-007 consistait à répéter la démarche de l’exemple V du brevet 055 à une échelle 20 fois plus grande, c.‑à‑d. en multipliant toutes les quantités par 20. Cette multiplication d’échelle a également exigé d’augmenter les périodes durant lesquelles l’acétone a été ajoutée. Deux échantillons ont été produits, soit l’échantillon LSU-I-007-1, affichant une teneur en eau de 5,48 % avant le séchage, après avoir été filtré puis lavé à l’acétone, et l’échantillon solide LSU-I-007-3, affichant une teneur en eau de 3,64 % après le séchage sous vide à 40 à 45oC durant 24 heures de l’échantillon LSU-I-007-1, tel qu’il est précisé à l’exemple V du brevet 055.

 

61. Les figures de diffraction de rayons X sur poudre des deux échantillons se caractérisaient par des pics aigus indiquant qu’on avait produit des solides hautement cristallins. Je ne comparerai pas ces figures de diffraction à celle du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime qui fait l’objet des revendications 1 à 3 du brevet 288, laquelle est présentée sous forme de liste d’espacements « d » et d’intensités relatives à la revendication 3 (page 31) du brevet 288. Cette liste identique est également présentée à la page 26 du mémoire descriptif du brevet 288.

 

[...]

 

67. Je conclus que l’échantillon LSU-I-007-3 est du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime. Je conclus également, à la lumière de la figure de diffraction de rayons X sur poudre de l’échantillon, que celui-ci a essentiellement une forme monocristallin, et à la lumière des résultats de l’analyse élémentaire, qu’il est essentiellement chimiquement pur. Par conséquent, l’échantillon LSU-I-007-3 est un hydrate de dichlorhydrate de céfépime cristallin essentiellement pur, qui affiche une teneur en eau de 2,5 à 7,0 % en poids, tel qu’il est précisé à revendication 1 du brevet 288,  et une teneur en eau 2,5 à 4,1 %, tel qu’il est précisé à revendication 2 de ce même brevet. De plus, l’échantillon LSU-I-007-3 est du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime qui se caractérise par la figure de diffraction de rayons X sur poudre présentée à la revendication 3 du brevet 288.

 

[...]

 

69. En répétant la démarche de l’exemple V du brevet 055 à plus grande échelle, on produit du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime essentiellement pur, à savoir le produit qui est l’objet des exemples XI et XII du brevet 288. Il s’agit également du produit qui est l’objet des revendications 1 et 2 du brevet 288 en termes de substance, qui est l’objet de la revendication 3 du brevet 288 en termes de pics de diffraction de rayons X sur poudre et qui est l’objet  des revendications 4 et 5 en termes de mélanges avec la l - (+) - lysine et la l - (+) -  arginine. À mon avis, la substance qui est l’objet des revendications du brevet 288 n’est pas différente de celle qui est l’objet du brevet 055. Le chimiste à qui l’on demande de produire la substance qui est l’objet du brevet 288 produirait du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime essentiellement pur, tel que précisé aux revendications 1 et 2, qui affiche la figure de diffraction de rayons X sur poudre présentée à la revendication 3, en suivant la procédure décrite dans le brevet 055, notamment en répétant à plus grande échelle la procédure décrite à l’exemple V dans le contexte de travaux courants de mise au point. En réalité, tel que je l’ai illustré à l’aide du tableau du paragraphe 49 et que j’en ai traité aux paragraphes 49 à 54, les exemples XI et XII du brevet 288 ne font que reprendre à plus grande échelle ce qui est indiqué dans l’exemple V du brevet 055.

 

 

[135]       Dans son affidavit, M. Langer traite également des résultats de ces essais. J’ai reproduit les paragraphes 64 et 69 de cet affidavit :

[traduction]

64. En dernier lieu, il suffirait d’une augmentation d’échelle dans le déroulement des essais pour obtenir des résultats en général semblables à ceux qui ont été décrits ci-dessus, exception faite éventuellement de la présence d’une plus faible quantité d’eau libre ou adventive dans le produit séché. Par exemple, une augmentation d’échelle de 10 par rapport à celle qui a été utilisée pour produire l’échantillon LSU-I-001 n’a mené qu’à une très faible variation de la teneur en eau du produit séché (4,96 %), tel qu’on a été en mesure de le constater à l’aide de la méthode de Karl Fischer (page 10), et a permis d’obtenir une figure de diffraction de rayons X sur poudre (page 15) semblable à celle obtenue pour l’échantillon LSU-I-002, comme en témoignent les résultats présentés ci-dessus pour l’échantillon LSU-I-001. Toutefois, tel qu’on l’a indiqué pour l’échantillon LSU-I-007, une augmentation d’échelle de 20 a mené à une teneur en eau de 3,64 % (page 75), mesurée par la méthode de Karl Fischer, du produit séché, valeur qui a été corroborée par analyse thermogravimétrique (TGA) (page 94), laquelle donne une perte de poids du même ordre de grandeur. Les pics de la figure de diffraction de rayons X sur poudre de l’échantillon LSU-I-007-3 (pages 100 à 102 inclusivement) semblent plus prononcés (moins diffus) que ceux que nous avons décrits ci-dessus, ce qui pourrait indiquer une diminution du nombre de régions désordonnées présentes dans cet échantillon. La netteté des pics permet également de mieux comparer les principaux pics observés pour l’échantillon LSU-I-007-3 à ceux qui sont décrits à l’exemple XI et à la revendication 3 du brevet 288. Un examen plus poussé m’a permis de constater qu’il y avait une très bonne concordance entre ces ensembles de données sur la position et l’intensité relative des pics (je tiens également à souligner que les données de diffraction de rayons X sur poudre de l’échantillon LSU-I-007-3 indiquent l’existence d’un plus grand nombre de pics que ceux qui sont indiqués dans le brevet 288; toutefois, la plupart de ces pics supplémentaires étant de faible intensité, il se peut fort bien que les auteurs du brevet 288 aient décidé de ne pas les signaler). Par exemple, il existe une bonne concordance entre les sept pics de plus forte intensité (> 20 %) qui figurent dans le tableau de la revendication 3 du brevet 288 (d=10,21, 6,78, 4,74, 4,26, 3,95, 3.,90 et 3,78) et les pics de forte intensité correspondants de l’échantillon LSU-I-007-3 (d=10,28, 6,80, 4,75, 4,25, 3,95, 3,89 et 3,79).

                     

[...]

 

69. Par conséquent, les données communiquées dans le document « Résultats d’analyse de l’ingrédient pharmaceutique actif » indiquent à mon avis que la répétition de la démarche de l’exemple V a mené à la production de monohydrate de dichlorhydrate de céfépime cristallin caractérisé par la figure de diffraction de rayons X sur poudre décrite ci-dessus pour l’échantillon LSU-I-007-3. Tel qu’on l’a déjà indiqué, il semble y avoir une bonne concordance entre cette figure et celle qu’on a censément divulguée à l’exemple XI et à la revendication 3 du brevet 288. De plus, tel qu’on l’a déjà indiqué, les résultats obtenus par la méthode Karl Fischer et par analyse thermogravimétrique pour l’échantillon LSU-I-007-3 indiquent que la substance en question est un monohydrate. Par surcroît, les résultats de l’analyse élémentaire de l’échantillon LSU-I-007-3 indiqués à la page 89 du document « Résultats d’analyse de l’ingrédient pharmaceutique actif » (c.-à-d. 14,65 % en N, 40,0 % en C et 5,17 % en H) semble confirmer qu’il s’agit plus précisément de monohydrate de dichlorhydrate de céfépime. Je tiens également à souligner que ces résultats d’analyse élémentaire indiquent aussi que la substance dont se compose l’échantillon LSU-I-007-3 est relativement pure. À la lumière de cette constatation, il convient de qualifier la substance en question d’essentiellement pure tel qu’il est précisé dans le brevet 288 et que je l’ai décrit aux paragraphes 47 à 52 inclusivement ci-dessus. Je suis donc d’avis que le contenu de la revendication 3 du brevet 288 compte parmi les divulgations du brevet 055.

 

 

[136]       M. Cima, un autre des experts d’Apotex, traite également de ces résultats. Je reproduis les paragraphes 21 et 22 de son affidavit :

[traduction]

21. M. Marcelo Sarkis du cabinet Ivor M. Hughes, un des avocats d’Apotex, m’a remis l’affidavit de Mme Nadia Corelli-Rennie, lequel comprenait des notes de laboratoire sur la répétition de la démarche de l’exemple V du brevet 055. À mon avis, les variations mineures sur le plan de l’échelle et de l’équipement apportées par Mme Corelli-Rennie pour effectuer les différentes répétitions ne débordent pas le cadre de ce qui est indiqué dans le brevet 055. Tel que je l’ai indiqué ci-dessus, il est courant et n’est pas inusité d’apporter des variations mineures aux réactions de précipitation pour obtenir un produit cristallin. Plusieurs des variations apportées par Mme Corelli-Rennie ont mené à la production d’une substance faiblement cristalline (j’y reviendrai plus tard), mais celle-ci a rapidement réussi à trouver les paramètres nécessaires, paramètres qui sont bien connus et d’usage courant dans le domaine de la cristallisation, pour produire une substance vraiment cristalline que j’examinerai en premier lieu ci-dessous.

 

22. L’expérience LSU-1-007 a été effectuée à une échelle légèrement plus grande que la procédure décrite à l’exemple V, mais elle a respecté celle-ci à tous les autres égards. Ce qu’il convient de souligner, c’est qu’on n’a pas refroidi la solution de chlorure d’hydrogène zwitterionique avant ou durant l’addition d’acétone. Par conséquent, cette expérience permet de vérifier directement s’il faut vraiment refroidir la solution pour obtenir le produit décrit à l’exemple XI du brevet 288. La diffraction de rayons X sur poudre de l’échantillon LSU-I-007-3 séché sous vide a permis de montrer que celui-ci était cristallin. J’ai comparé ces données de diffraction  à celles du produit dont il est question à l’exemple XI du brevet 288 (et à celles présentées à la revendication 3 du même brevet) et les ai trouvées identiques. Les détails de cette comparaison sont présentés ci-dessous. J’ai commencé par calculer la position des pics de diffraction pour le monohydrate de dichlorhydrate décrit à l’exemple XI et à la revendication 3 du brevet 288. Ces positions et les positions et intensités de pics déterminées pour l’échantillon LSU-I-007-3 sont présentées ci-dessous. Il ne fait aucun doute que ces résultats sont identiques. La teneur en eau de l’échantillon LSU-I-007-3, déterminée par la méthode KF, est de 3,64 %, valeur qui se situe dans la plage précisée et revendiquée aux revendications 1 et 2 du brevet 288 (plage s’étendant de 2,46 à 3,70 %). Les résultats de la RMN sur solution de l’échantillon LSU-1-007-3 ne montrent aucun changement de structure de la céfépime. En conséquence, je conclus que la substance dont est constitué l’échantillon LSU-I-007-3 est le monohydrate de dichlorhydrate de céfépime qui est décrit à l’exemple XI du brevet 288 et que l’on revendique aux revendications 1 à 3 du même brevet.

 

 

[137]       Par ordonnance rendue le 21 avril 2008, le protonotaire Tabib a autorisé les demanderesses à déposer des contre-preuves à l’égard de ces essais, sans préjudice à leur faculté de contester lors de l’audience l’admissibilité de cette preuve (paragraphe 1 de l’ordonnance).

 

[138]       Dans son affidavit en réponse, M. Byrn critique ces expériences sur différents points et conclut que Mme Corelli-Rennie n’a pas réussi à produire le monohydrate de dichlorhydrate de céfépime en question. Son jugement d’ensemble est exposé aux paragraphes 7 à 10 de l’affidavit :

                        [traduction]

7. Mme Corelli-Rennie affirme qu’on lui a demandé de suivre les protocoles décrits aux exemples IV et V du brevet grec 055 et de produire du zwitterion, mais elle n’a pas respecté ces protocoles pour certaines expériences et elle n’explique nulle part pourquoi elle a décidé d’opter pour d’autres protocoles.

 

8. De façon générale, Mme Corelli-Rennie a produit dans la plupart des cas une substance qu’on ne peut identifier en se fondant sur les analyses effectuées. Dans de nombreux cas, la chimiste d’Apotex a omis de faire les essais nécessaires pour confirmer l’identité de la substance produite par Mme Corelli-Rennie. Je souscris à ce qu’affirme le témoin d’Apotex, M. Cima, lorsqu’il dit que rien ne vaut les données de diffraction de rayons X par les monocristaux pour bien identifier un produit, mais Apotex n’a pas effectué d’analyse de cette nature. Néanmoins, en se fondant sur les analyses moins probantes effectuées, on peut conclure que Mme Corelli-Rennie n’a pas réussi à produire le monohydrate de dichlorhydrate de céfépime recherché. De façon plus précise, il n’y a aucune des figures de diffraction de rayons X sur poudre obtenues pour les substances produites qui correspond à la figure qui caractérise la substance qui fait l’objet du brevet 288. De plus, la plupart des expériences effectuées par Mme Corelli-Rennie ont mené à la production d’une substance qu’on pourrait qualifier de non cristalline ou peut-être de mélange d’une ou de plusieurs substances non cristallines, tel un mélange de monochlorhydrate et de dichlorhydrate de céfépime. On a constaté, par exemple, la présence dans la figure de diffraction de rayons X sur poudre de pics larges qui ne sont certainement pas caractéristiques d’une substance cristalline. Des analyses plus poussées sont de toute évidence nécessaires pour déterminer l’identité de la substance qui a été produite.

 

9. Par surcroît, on ne s’est servi d’aucun étalon de référence pour confirmer la présence de monohydrate ou de dihydrate. On n’a pas élaboré non plus de méthode analytique pour examiner les mélanges, au cas où ceux-ci seraient présents, comme semblent le suggérer à l’occasion des témoins d’Apotex. Dans un article de M. Bugay, produit par M. Cima, on indique comment s’y prendre pour bien analyser un mélange. Sans une telle méthode, il est impossible de déterminer d’une façon fiable les ingrédients d’un mélange.

 

10. En outre, on semble avoir effectué les essais à différentes périodes une fois les différentes expériences terminées. On n’a appliqué aucun protocole normalisé entre les expériences. Par conséquent, les analyses qui ont été effectuées doivent être examinées avec circonspection.

 

[139]       Voici ce que dit M. Byrn, en particulier au sujet de l’expérience LSU-I-007, aux paragraphes 24 à 28 du présent affidavit en réponse :

[traduction]

LSU-I-007

 

24. Cette expérience est certes différente de celle qui est détaillée dans la première partie de l’exemple V. Elle a été effectuée à une échelle environ 21 fois plus grande et, contrairement à ce que ferait une personne versée dans l’art qui prend connaissance du contenu de l’exemple V, plutôt que de sécher l’échantillon immédiatement l’avoir filtré, il s’est écoulé presque 4 jours entre la filtration et le séchage. Dans l’intervalle, on a gardé l’échantillon non séché dans un flacon. De plus, contrairement à ce qui est indiqué à l’exemple V, l’acétone a été ajoutée sur des périodes nettement plus longues de 50 et 60 minutes, plutôt que sur la période indiquée de 5 minutes.

 

25. On a obtenu les figures de diffraction de rayons X sur poudre de la substance humide et de la même substance après l’avoir séchée. La figure de diffraction de la première est nettement différente de celle qui est décrite à la revendication 3 du brevet. La figure de diffraction de la seconde ressemble plus à celle qui est décrite à la revendication 3, mais deux pics en sont absents, à savoir ceux qui se caractérisent par les valeurs d = 4,95 et d = 3,65. En outre, la figure de diffraction de la substance produite par Mme Corelli-Rennie compte deux pics qui sont absents de la figure de l’exemple; ces pics se caractérisent par les valeurs d =16,35 et d = 8,16. De plus, l’intensité de bon nombre de pics est très différente de celle qui est précisée dans le brevet. Pour savoir ce que signifient ces données, il faut absolument effectuer d’autres expériences.

 

26. On a obtenu une teneur en eau 3,64 % mesurée par la méthode KF. Bien que cette teneur soit sensiblement la même que celle qui est précisée aux revendications 1 et 2, on ne peut conclure à l’existence d’une antériorité uniquement sur la base de cette concordance. Il faut montrer également que la substance produite est du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime essentiellement pur, ce qui n’a pas été fait. Par conséquent, la substance produite ne peut antérioriser les revendications 1 et 2.

 

27. En dernier lieu, les résultats de l’ACD ne semblent pas concorder. L’ACD permet d’observer des exothermes, mais on ne parle que d’un seul exotherme dans le brevet.

 

28. Cette expérience ne constitue pas une répétition de ce qu’enseigne le brevet 055. De plus, bien que la figure de diffraction de rayons X sur poudre de l’échantillon ressemble plus étroitement à la figure de diffraction du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime qu’à celle de toute autre substance, elle n’y est pas identique. Compte tenu des écarts affichés par les autres données de caractérisation, il m’est impossible de préciser vraiment ce qui a été produit. Tel que je l’ai mentionné, M. Cima a déjà indiqué que rien ne vaut les données de diffraction de rayons X par un monocristal pour bien identifier une forme cristalline, mais on n’a effectué aucune analyse de cette nature. Quoiqu’il en soit, je suis d’avis que n’ayant pu être produite à partir de ce qui a déjà été enseigné par l’état de la technique, cette substance ne constitue pas une antériorité.

 

[140]       M. Bartlett critique également dans son affidavit en réponse l’expérience LSU-I-007 effectuée par Mme Corelli-Rennie. Il fait ressortir un certain nombre d’écarts par rapport à la procédure décrite à l’exemple V du brevet grec 055; ces écarts et les modifications qui ont été apportées l’amènent à conclure qu’il est impossible que Mme Corelli-Rennie ait produit chaque fois et à coup sûr du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime. Il dit ce qui suit aux paragraphes 23 à 27 de son affidavit en réponse :

[traduction]

23. La procédure utilisée par MmeCorelli-Rennie pour l’expérience LSU-I-007 diffère à plusieurs égards de celle qui est décrite à l’exemple V du brevet grec 055. Premièrement, Mme Corelli‑Rennie a effectué cette expérience à une échelle environ 20 fois plus grande que celle qui est indiquée à l’exemple V. Deuxièmement, elle a ajouté les première et deuxième quantités d’acétone à la solution d’acide chlorhydrique de céfépime sur des périodes de 50 et de 60 minutes, plutôt que sur les périodes de 5 minutes précisées à l’exemple V. En troisième et dernier lieu, après avoir filtré et séché la substance, elle a gardé le gâteau de filtration humide durant 4 jours dans un flacon à échantillon fermé avant de placer la substance dans le four sous vide pour la débarrasser du résidu de solvant. Aucun intervalle du genre n’est décrit ou indiqué de façon implicite dans le brevet grec 055. La substance finale a de nouveau fait l’objet d’analyses par RMN, par diffraction de rayons X sur poudre et par la méthode de KF, et d’une analyse élémentaire. Les pics bien définis de la figure de diffraction de rayons X sur poudre indiquent que la substance produite est cristalline.

 

24. La figure de diffraction de rayons X sur poudre de la substance produite selon le protocole de l’expérience LSU-I-007 est semblable mais non identi    que à celle de la substance qui est divulguée et revendiquée dans le brevet 288. Bien l’analyse par la méthode de KF et l’analyse élémentaire effectuées sur cette substance donnent des résultats qui s’apparentent à ceux d’un monohydrate, on n’a effectué aucune analyse aux rayons X visant à déterminer la forme monocristalline de la substance. Je tiens à souligner que l’expert d’Apotex, le M. Cima, aurait certainement pensé à utiliser ce type d’analyse pour caractériser de façon définitive la forme cristalline de la substance et pour déterminer si on avait réussi à produire le monohydrate en question.

 

25. À mon avis, si Mme Corelli-Rennie a produit une substance différente de celle qu’elle voulait produire, c’est parce qu’elle a effectué ses expériences à une plus grande échelle que celle qui est précisée à l’exemple V du brevet grec 055. Les expériences

LSU-I -002 et LSU-I-005, qu’elle a effectuées respectivement à une échelle 10 fois et 5,4 fois plus grande, ont donné les mêmes résultats que les expériences effectuées à l’échelle. Si cette dernière expérience a donné un résultat différent, c’est en raison, à mon avis, d’autres différences procédurales. En ajoutant lentement les quantités d’acétone, elle a séparé le dichlorhydrate de céfépime de la solution beaucoup plus lentement que dans le cadre des expériences effectuées selon une procédure qui correspondait plus à celle de l’exemple V. Il est bien connu qu’une lente diminution de la solubilité d’un composé est plus propice à la formation d’une substance cristalline qu’à la formation d’une substance amorphe ou peu cristalline. De plus, même si on avait produit une forme amorphe ou peu cristalline de dichlorhydrate de céfépime de teneur en eau mal définie, il aurait été possible de la transformer en substance cristalline après l’avoir mis de côté, humide, durant les 4 jours suivant sa filtration et son lavage à l’acétone, sans évaporation, ou en utilisant un autre moyen pour la débarrasser du solvant excédentaire. Le fait que le séchage de la substance ait donné lieu à une réduction de 5,21 à 5,05 g de la masse indique que la substance humide contenait une importante quantité de solvant excédentaire.

 

26. Que l’une ou l’autre de ces modifications de procédure ait donné lieu au résultat différent obtenu par Mme Corell‑-Rennie pour l’expérience LSU-I-007, le fait demeure que celles-ci ne faisaient pas partie de la procédure décrite à l’exemple V du brevet 055. Il était bien indiqué que les quantités d’acétone devaient être ajoutées sur une période de 5 minutes, non pas sur des périodes de 50 et de 60 minutes. Aucun intervalle n’était prévu entre le moment où la substance est filtrée et lavée à l’acétone et celui où on la place dans un four sous vide pour la sécher, mais la personne versée dans l’art aurait compris que la phrase « Les cristaux sont séparés par filtration sous vide, lavés avec deux quantités de 5 ml d’acétone et séchés sous vide à 40-45 °C pendant 24 heures » signifiait qu’il ne devait pas y avoir de période intercalaire entre ces opérations. À ne pas en douter, la procédure habituelle suivie par Mme Corelli-Rennie était faire sécher les substances produites immédiatement après les avoir filtrées et lavées.

 

Résumé des expériences concernant l’exemple V

 

27. À la lumière des résultats des différentes expériences effectuées par Mme Corelli-Rennie concernant l’exemple V, il est impossible de conclure qu’elle a réussi à produire chaque fois et à coup sûr du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime.

 

[141]       Rien dans les transcriptions des contre-interrogatoires de l’un quelconque de ces experts ne diminue ou n’ajoute à ce qui a déjà été dit dans ces extraits cités de leurs affidavits.

 

[142]       Après avoir pris en compte tous ces éléments de preuve quant aux essais et les avoir soupesés selon la balance des probabilités, j’ai conclu, comme je l’ai déjà dit, que la preuve est controversée et non concluante. En conséquence, il ne convient pas d’accorder une grande valeur à la preuve relative aux essais.

 

CONCLUSION RELATIVE À L’ANTÉRIORITÉ

[143]       En guise de conclusion sur l’antériorité, je déclare que les témoignages des experts, sauf ceux portant sur les essais, sont contradictoires et ne mènent à aucun résultat probant. En l’espèce, le fardeau de la preuve repose sur Apotex, des éléments de preuve ont été présentés par les deux parties et, selon la prépondérance des probabilités, la preuve qui m’a été présentée ne me permet pas de conclure que les revendications 2 et 3 du brevet 288 ont été antériorisées.

 

[144]       Même si je prenais en compte les éléments de preuve relatifs aux essais, je les juge trop peu probants pour faire pencher la balance. Je conclus que ni la revendication 2 ni la 3 ne sont antériorisées.

 

ÉVIDENCE – REVENDICATION 2 ET REVENDICATION 3

[145]       On peut aborder l’analyse de l’évidence par le biais des questions reformulées de Windsurfing qui ont été approuvées par la Cour suprême du Canada, au par. 67 de l’arrêt Sanofi, cité précédemment dans les présents motifs. Voici ces questions :

(1)  a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

(b)  Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2) Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3) Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation;

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[146]       En ce qui concerne la question 1a), je rappelle que les parties ont déjà convenu de l’identité de la personne fictive versée dans l’art. En résumé, il s’agit d’un chimiste d’expérience spécialisé en produits pharmaceutiques possédant un diplôme universitaire.

 

[147]       Quant à la question 1b), les parties ont essentiellement axé leur argumentaire et leurs éléments de preuve sur Aburaki (le brevet 899), un brevet qui est analysé dans le brevet 288 en cause et dans le brevet grec 055. Je ferai de même.

 

[148]       La question 2 traite de « l’idée originale » de la revendication en cause. J’ai déjà interprété les revendications 2 (antérieure à la renonciation) et 3 comme étant des revendications qui visent essentiellement le monohydrate de dichlorhydrate cristallin (MDC) de céfépime thermostable de pureté variable. Les parties non essentielles des revendications sont les suivantes : en ce qui concerne la revendication 2,  la plage de teneurs en eau indiquant la présence d’autres formes, et en ce qui concerne la revendication 3, les paramètres de diffraction de rayons X sur poudre qui ne font que confirmer l’identité qui est propre au MDC. Il ne faut pas oublier qu’il s’agit de « l’idée originale » telle que définie par les revendications qui font l’objet de l’enquête.

 

[149]       La question 3 exige que la Cour établisse les différences, le cas échéant, entre « l’idée originale » sous-tendant les revendications et les références à l’« état de la technique », en l’occurrence Aburaki et le brevet grec 055.

 

[150]       Pour répondre à la question 4, il faut analyser les différences, le cas échéant, entre « l’idée originale » des revendications et l’« état de la technique », puis déterminer si ces différences, le cas échéant, seraient apparues évidentes à une personne versée dans l’art. J’ajouterai, à ce stade, que pour déterminer si les différences sont « évidentes »,  la Cour doit, conformément à ce qu’enseignent l’arrêt Sanofi et la Cour d’appel fédérale dans Pfizer, précité, se demander si les différences, le cas échéant, étaient « plus ou moins évidentes en soi ».

 

[151]       En ce qui concerne la question 3 exigeant une détermination de l’« état de la technique », il convient de commencer par examiner quelle définition en donne le brevet 288 en cause. À ce sujet, le brevet en cause reconnaît aux pages 3 et 5 ce qui suit concernant Aburaki (le brevet 899) :

[traduction] Le brevet américain no 4,406,899 (Aburaki et al.) revendique le 7-[α-(2-aminothiazol-4-yl)-α-(Z)-méthoxyiminao-cétamido]-3-[(1-méthyl-1-pyrrolidinio) méthyl]-3-céphème-4-carbo-xylate dans sa forme zwitterionique comme élément nouveau, mentionne les sels d’addition acides correspondants (présents dans la forme zwitterionique dans les formulations injectables) et  montre que la forme zwitterionioque a un spectre d’activité plus large que la ceftazidime et le céfotaxime.

 

Toutefois, les céphalosporines dont il est question dans Aburaki et al. ne sont stables que durant quelques heures sous forme de formulations injectables et leur forme zwitterionique est instable à la température de la pièce; elles perdent, même sous forme de poudre sèche, 30 % ou plus de leur activité lorsqu’on les entrepose durant une période d’au plus une semaine à des températures élevées (c.-à-d. à 45 °C et plus). Il faut donc les protéger par un emballage spécial ou les réfrigérer, ce qui n’est pas nécessaire pour la ceftazidime et le céfotaxime.

 

Bien que l’on mentionne les sels d’addition acides dans le brevet Aburaki et al., rien n’est dit sur la façon de rendre ces sels stables et on n’indique pas lesquels parmi ceux-ci affichent, le cas échéant, une bonne stabilité sous forme de poudre sèche. Dans « Comparison of a New Cephalosporin, BMY 28142, with Other Broad-Sprectrum β-Lactam Antibiotics », Antimicrobial Agents and Chemotherapy, Vol. 27, No. 2, pp. 207-216, février 1985, Kessler et al. traitent du sel de sulfate, mais n’indique pas comment le préparer; rien n’est indiqué au sujet de la stabilité de ce sel à la température de la pièce et de sa stabilité à haute température sous forme de poudre sèche.

 

[...]

 

Les sels d’addition acides en question forment le zwitterion en solution, une fois produits sous forme de formulations aqueuses injectables et leur pH ajusté à 6,0. La structure du zwitterion est illustrée ci-dessous.

 

 

Le large spectre d’efficacité contre différents organismes de la forme zwitterionique, et par conséquent des formulations aqueuses des sels en question, est démontré par les données présentées dans le brevet américain no 4,406,899 (Aburaki et al.).

 

 

[152]       Par conséquent, le brevet 288 en cause reconnaît que l’« état de la technique » comprend la forme zwitterionique de céfépime qu’on peut utiliser comme produit (antibiotique) injectable offrant une large spectre d’efficacité.  Dans le brevet 288, il est dit que l’« état de la technique » comprend des sels d’addition acides, mais rien n’indique comment les produire, ni lesquels se caractérisent par une bonne stabilité.

 

[153]       En raison de cette reconnaissance dans le brevet 288 en cause, il va de soi que l’on prenne en compte le brevet grec 055. Comme nous l’avons vu, celui-ci est à toute fin pratique en l’espèce identique au brevet 288, mis à part le fait qu’il comprend en plus les exemples X à XIII. Alors donc, qu’ajoute le brevet grec 055 à l’« état de la technique »? Il ajoute tout simplement ce qui, selon le brevet 288, n’est pas précisé dans Aburaki, à savoir la partie du brevet grec 055 qui identifie certains sels permettant d’obtenir une thermostabilité et indiquant comment les produire. Le dichlorhydrate fait partie de ces sels. On dit que tous ces sels se caractérisent par une excellente thermostabilité. Je reprends le libellé qui figure à la page 3 de la traduction du brevet grec qui est pratiquement identique à celui qui figure à la page 4 du brevet 288 en cause :

 

[traduction]

Sommaire de l’invention

 

On a constaté que certains sels d’addition acides cristallins de 7-[α-(2-aminothiazol-4-yl)-α-(Z)-méthoxyiminaocétamido]-3-[(1-méthyl-1-pyrrolidinio) méthyl]-3-céphème-4-carboxylate affichaient sous forme de poudre sèche une excellente stabilité à la température de la pièce et une stabilité supérieure à celle de la forme zwitterionique à haute température. Par « poudre sèche », on entend ici une poudre dont la teneur en humidité est inférieure à 5 % en poids.

 

Ces sels d’addition acides sont les sels cristallins de 7-[α-(2-aminothiazol-4-yl)-α-(Z)-méthoxyiminaocétamido]-3-[(1-méthyl-1-pyrrolidinio) méthyl]-3-céphème-4-carboxylate sélectionnés du groupe composé de sels d’addition des acides sulfurique, dinitrique, monochlorhydrique et dichlorhydrique, et de sels d’addition de l’acide orthophosphorique (de 1,5 à 2 moles d’acide orthophosphorique par mole de sel, c.-à-d. une gamme de sels s’étendant de ceux des acides sesquiorthophosphoriques à ceux des acides diorthophosphoriques), ou des solvats de ceux-ci.

 

 

[154]       À la page 5 de la traduction du brevet grec 055 (page 6 du brevet 288), on indique que tous les sels affichent une excellente stabilité et que le sel d’addition de l’acide sulfurique est préféré. On mentionne les sels d’addition de l’acide dichlorhydrique et on indique la méthode à utiliser pour assurer leur cristallation :

[traduction]

Description détaillée

 

Les sels cristallins dont il est question ici (ci-après appelés simplement « sels » du présent [document]) affichent une excellente stabilité à la température de la pièce et leur efficacité (comme en témoignent des mesures de CLHP) ne diminue tout au plus que de 1 % après une période d’entreposage d’un mois à cette température. Ils affichent également une excellente stabilité à haute température et une perte d’efficacité (comme en témoignent des mesures de CLHP) inférieure à 15 % après une période d’entreposage d’un mois à une température se situant entre 45 et 56 °C.

 

Parmi tous ces sels, c’est le sel d’addition de l’acide sulfurique qui est privilégié. Sa perte d’efficacité est inférieure à 10 % après une période d’entreposage d’un mois à une température se situant entre 45 et 56 °C. Il est important de souligner qu’en raison de sa faible solubilité dans l’eau, laquelle est de l’ordre de 25 mg/cc, sa cristallisation dans ce milieu se traduit par un minimum de pertes résiduelles.

 

Le sel d’addition de l’acide dinitrique du présent [document] affichant aussi une faible solubilité dans l’eau (solubilité de l’ordre de 60 mg/cc), sa cristallisation dans ce milieu se traduit également par de faibles pertes résiduelles.

 

Les sels d’addition des acides monochlorhydrique, dichlorhydrique et sesquiorthochlorique ou diorthochlorique affichant des hydrosolubilités supérieures à 200 mg/cc, il faut les faire cristalliser dans des solvants organiques plutôt que dans l’eau pour obtenir un bon rendement.

 

 

[155]       Suivent ensuite les descriptions détaillées des méthodes de préparation. On indique dans le titre de l’exemple V, dont nous avons déjà traité et qui compte parmi les différents exemples présentés, que celui-ci porte sur la production du sel d’addition de l’acide dichlorhydrique.

 

[156]       Ainsi, l’« état de la technique », tel qu’il est exposé dans le brevet grec 055, se résume à ce qui suit :

·        Cinq sels d’addition acides permettent de doter d’une excellente thermostabilité le  zwitterion de céfépime dont il est question dans Aburaki.

·        Le dichlorhydrate cristallin est un de ces sels et on indique comment le préparer.

 

[157]       Par conséquent, l’« état de la technique » fournit tous les éléments essentiels des revendications 2 et 3 du brevet 288, à l’exception du degré d’hydratation du dihydrate cristallin – il s’agit d’un monohydrate. Ceci constitue la réponse à la question 3 de la démarche préconisée dans Windsurfing.

 

[158]       Nous examinerons maintenant la question 4 : la différence, à savoir l’identification de la forme monohydrate du sel d’addition acide dichlorhydrate cristallin comme sel « thermostable », est-elle évidente? Il faut en premier lieu admettre que le brevet grec 055 ne fait aucune distinction entre les différentes formes hydratées des sels sélectionnés et se limite à indiquer que ceux-ci affichent tous une excellente stabilité. Que dit donc le brevet 288  en cause au sujet du monohydrate particulier? La réponse à cette question, si elle existe, doit se trouver dans les exemples X à XIII inclusivement, le reste du mémoire descriptif étant essentiellement identique au brevet grec 055. Ce n’est qu’à l’exemple XII de la page 27 du brevet 288 que se trouve la seule description d’un quelconque « avantage » :

[traduction] Les procédures précédentes décrites aux exemples XI et XII mènent invariablement à la production d’un monohydrate dont la teneur en eau varie de 2,46 à 3,70 %, sa moyenne se situant à 3,31 %. La teneur en eau calculée à partir de la formule stœchiométrique est de 3,15 %. Le séchage du monohydrate dans un dessicateur à lit de P205 à une pression réduite de 0,001 mm Hg et à 37 0C durant 5 jours ou à une pression réduite de 10 mm Hg et à 45 0C durant 2 jours n’entraîne aucune perte de poids. Entreposé à 56 0C durant 3 semaines, il ne perd que 0,6 % de son efficacité, ce qui constitue une nette amélioration par rapport à la perte d’efficacité (7,2 % à la suite d’un entreposage de 4 semaines à 56 °C) indiquée à l’exemple V pour la version anhydrate (teneur en eau de 1,25 %).

 

 

[159]       Ce qui est dit, c’est que le monohydrate a permis d’améliorer sensiblement, plus que tout autre anhydrate du même sel, la stabilité. Aucune comparaison n’est faite avec d’autres formes hydratées du même sel ou de sels différents. On ne précise qu’un seul point de données. Il ne faut pas oublier que le brevet grec 055 nous a déjà indiqué que les cinq sels affichaient tous une excellente stabilité.

 

[160]       Étant donné que toutes les matières de la catégorie offrent une excellente stabilité, serait-il surprenant qu’un des éléments de la catégorie, à la suite d’un essai unique, se montre supérieur par rapport à un autre? Bien que tous les membres d’une équipe de basketball soient des joueurs doués, il n’est pas surprenant qu’en une certaine journée un joueur donné performe mieux que l’un des autres joueurs. Ce qui ne signifie pas que ce joueur est de façon surprenante ou inattendue meilleur que tous les autres de l’équipe ou que la majorité d’entre eux.

 

[161]       Les experts des demanderesses, MM. Byrn et Bartlett, ont traité de la question. Voici ce que dit M. Byrn au paragraphe 120 de son premier affidavit :

[traduction]

120. Dans le même ordre d’idées, bien que le brevet 055 mentionne de façon générale « les sels cristallins thermostable de [céfépime] [...] ou leurs solvats », il ne dit pas ou ne laisse pas entendre que le monohydrate de dichlorhydrate de céfépime affiche une thermostabilité supérieure à celle des autres formes de céfépime et n’indique pas comment produire du monohydrate de dichlorhydrate de céfépime cristallin thermostable essentiellement pur. Il indique plutôt comment préparer l’anhydrate de dichlorhydrate de céfépime.

 

[162]        Voici ce que dit M. Bartlett au paragraphe 76 de son premier affidavit :

[traduction]

76. Le brevet grec 055 est la seule antériorité citée par Apotex traitant de la thermostabilité de la céfépime ou décrivant les modalités de synthèse ou d’essai d’un quelconque sel d’addition acide de ce composé. Les formes hydratées des sels d’addition acides de céfépime qui font partie de l’invention ne sont mentionnées que sous forme d’une description générale, à savoir « Les sels cristallins thermostables de [céfépime] [...], ou leurs solvats ». Tel qu’on l’a déjà mentionné, cette antériorité ne fait référence qu’à la préparation de l’anhydrate de dichlorhydrate de céfépime. On ne décrit aucunement le mode de préparation de la forme monohydrate de ce sel et on ne donne aucune indication sur la façon de le préparer. Par surcroît, on ne laisse aucunement entendre que la forme monohydrate pourrait avoir des propriétés plus avantageuses que la forme anhydrate ou les autres formes de céfépime.

 

[163]       Il convient de souligner que ce que disent en réalité MM. Byrn et Bartlett, c’est que le brevet 288 divulgue que le monohydrate de dichlorhydrate est plus stable que les « autres formes de céfépime ». Or ce n’est pas le cas. Il n’existe aucune comparaison avec d’autres formes de céfépime dans le brevet 288, exception faite de la mention dans un exemple d’une seule mesure sur une autre forme de ce composé.

 

[164]       Les experts d’Apotex, MM. McClelland et Langer, traitent également de cette question. Voici ce que dit M. McClelland au paragraphe 136 de son affidavit :

[traduction]

136. En réalité, il est très difficile d’évaluer l’avantage que pourrait avoir, le cas échéant, le monohydrate de dichlorhydrate sur les produits énumérés comme antériorités. On ne dispose que d’un seul point de données pour le composé monohydrate de dichlorhydrate des exemples XI et XII, à savoir que son entreposage à 56 oC pendant trois semaines ne donne lieu qu’à une perte d’efficacité de 0,6 %. Dans un énoncé général subséquent, on fournit des données différentes, à savoir que le sel conserve au moins 96 % de son efficacité après un entreposage de trois semaines à 56 oC. Le tableau du brevet 055 présente des données de stabilité après un entreposage d’une, de deux et de trois semaines à 56 oC du sel de H2SO4 et un entreposage d’une et de quatre semaines du sel de (HCl)2 à la même température. Dans le brevet 055, on ne présente pas de données afférentes à un entreposage de 3 semaines à 56 oC, et les exemples XI et XII ne contiennent pas de données afférentes à un entreposage d’une, de deux ou de trois semaines à 56 oC. Il est donc impossible de comparer directement les composés des exemples XI et XII aux sels cités comme antériorités et d’évaluer ainsi l’avantage marqué que pourraient avoir les premiers par rapport aux derniers.

 

[165]       Voici ce que dit M. Langer au paragraphe 153 de son affidavit :

[traduction]

153. Toutefois, à mon avis, MM. Bartlett et Byrn omettent tous deux de noter à la lumière de ces arguments que le cas présent est différent du cas d’un nouveau composé pharmaceutique pour lequel des formes de sels ou d’hydrates connexes n’ont pas encore été identifiées ou produites. Tel que je l’ai déjà indiqué, le brevet 055 divulgue des sels d’addition acides monochlorhydrate et dichlorhydrate de céfépime cristallins thermostables acceptables sur le plan pharmaceutique et des hydrates connexes, dont le monohydrate de dichlorhydrate. De plus, les brevets 882 et 899 divulguent des sels d’addition de céfépime acceptables sur le plan pharmaceutique des acides chlorhydrique, bromhydrique, formique, nitrique, sulfurique, méthanosulfionique, phosphorique, acétique et  trifluoroacétique. Par conséquent, on n’a pas à se préoccuper ici de choisir et de caractériser un sel de céfépime acceptable sur le plan pharmaceutique parmi tout un éventail de types de sels pouvant être utilisés. De toute évidence, les résultats censément divulgués dans le brevet 288, notamment aux exemples XI et XII, qui ont trait au monohydrate de dichlorhydrate de céfépime, sont tout simplement le fruit de travaux courants et usuels visant à confirmer les propriétés  d’un sel de céfépime déjà connu.

 

[166]       Revenons aux revendications 2 et 3. Elles ne font que revendiquer la thermostabilité de la forme monohydrate de dichlorhydrate. Dans le brevet grec 055, on dit en plus que la forme monohydrate de dichlorhydrate est excellente sur le plan de la thermostabilité. On ne laisse aucunement entendre dans ce brevet que des formes à degré d’hydratation différent auraient un comportement différent. Dans le brevet 288 en cause, il est tout simplement dit que la forme monohydrate, évaluée à une occasion après trois semaines, était supérieure à la forme anhydrate. Ce résultat n’est pas inattendu; il est plus ou moins évident de s’attendre à ce que le membre d’un groupe qui se caractérise par des propriétés « excellentes » soit supérieur à un autre lors d’un test unique.

 

[167]       L’avocat des demanderesses m’a demandé de considérer la présente affaire comme si elle était identique à celle jugée par la Cour suprême dans Sanofi, précitée. Voici comment le juge Rothstein y a considéré, aux paragraphes 40 et 41 de la décision, le brevet 875 dans le contexte de l’antériorité et de la divulgation déjà faite :

40     Aucun élément n’établissait qu’en prenant connaissance du brevet 875, une personne versée dans l’art aurait su que l’isomère dextrogyre plus actif serait moins toxique que le racémate, l’isomère lévogyre ou n’importe lequel des autres composés synthétisés et analysés. M. R. A. McClelland a en effet témoigné que même si on obtient « souvent » plus d’activité après séparation des isomères, on ne savait pas lequel de l’isomère lévogyre ou de l’isomère dextrogyre serait le plus actif (affidavit, par. 42; contre-interrogatoire, p. 928-930; question 322).

 

41     Puisque le brevet 875 ne divulgue pas les avantages particuliers de l’isomère dextrogyre et de son bisulfate par rapport à l’isomère lévogyre, au racémate et à ses sels, ou aux autres composés synthétisés et analysés ou par ailleurs mentionnés, l’invention correspondant au brevet 777 n’a pas été divulguée et, de ce fait, elle n’est pas antériorisée.

 

 

[168]        Voici ce que dit le juge Rothstein aux paragraphes 84 et 85 en ce qui concerne ce qui devrait apparaître plus ou moins évident :

84     Comme je le fais remarquer précédemment, le juge Shore conclut que la personne versée dans l’art n’aurait pu savoir que l’isomère dextrogyre présentait des avantages différents de ceux du racémate et de l’isomère lévogyre avant d’isoler les isomères du racémate et d’analyser chacun d’eux (par. 81).  Il ajoute que la personne versée dans l’art n’aurait pu connaître les avantages du bisulfate avant de combiner les différents sels avec l’isomère dextrogyre (par. 82).

 

85     La seule existence de procédés connus permettant d’isoler les isomères d’un racémate ne signifie pas qu’une personne versée dans l’art y recourerait nécessairement.  Il n’est d’ailleurs pas tenu compte de l’existence de tels procédés lorsqu’aucun élément n’établit qu’il allait plus ou moins de soi d’y recourir. Il est vrai que, selon la preuve, à l’époque considérée, une personne versée dans l’art aurait su que les avantages d’un racémate pouvaient différer de ceux de ses isomères.  Toutefois, la possibilité de découvrir l’invention ne suffit pas.  Pour satisfaire au critère de  l’« essai allant de soi », l’invention doit être évidente au regard de l’antériorité et des connaissances générales courantes, ce que la preuve n’établit pas en l’espèce.

 

[169]       Le brevet canadien 1,336,777 en cause dans Sanofi (brevet 777) m’a été remis à l’audience par l’avocat des demanderesses avec l’assentiment de l’avocat d’Apotex. La différence entre le brevet 077 et le brevet 288 en cause en l’espèce illustre comment, dans Sanofi, la Cour a statué que le brevet était valide. Le brevet 777 portait sur une formulation pharmaceutique racémique dont l’objet avait déjà été divulgué, composée en parties égales de deux structures moléculaires identiques, sauf qu’elles étaient enroulées selon des configurations différentes lorsqu’elles étaient observées en trois dimensions (énantiomères).  L’une était appelée l’« énantiomère dextrogyre » et l’autre l’« énantiomère lévogyre ». L’invention était à la page 1 du brevet 777 :

 

[traduction] Contre toute attente, seul l’énantiomère dextrogyre Id présente une activité inhibitrice de l’agrégation des plaquettes, l’énantiomère lévogyre Il étant inactif à cet égard. De plus, l’énantiomère lévogyre Il inactif est celui des deux énantiomères qui est le moins bien toléré.

 

 

[170]       Suivent ensuite dans le brevet 777 de nombreuses pages sur la façon de séparer les énantiomères l’un de l’autre dans le mélange racémique. On présente aux pages 11 à 20 inclusivement des tableaux de données détaillées permettant de comparer le mélange racémique à chacun des énantiomères et de constater que l’énantiomère dextrogyre est supérieur à l’autre.

 

[171]       Aucune de ces considérations ne s’applique au brevet 288 en cause, dans lequel il est dit que tous les sels d’antériorité se caractérisent par une excellente thermostabilité. Il y a bien un élément de données portant sur une mesure effectuée en une occasion sur le monohydrate qui n’est comparé qu’à une autre forme, à savoir l’anhydrate. On ne mentionne aucunement que les résultats de cette comparaison étaient inattendus. Aucun expert de l’une ou l’autre des parties en l’espèce n’a déclaré dans son témoignage que ces résultats étaient surprenants ou inattendus.

 

[172]       Je conclus donc que les éléments essentiels de l’« invention » qui font l’objet des revendications 2 et 3 du brevet 288 (j’ai choisi de fonder mes conclusions sur la version de la revendication 2 antérieure à la renconciation, mais elles seraient les mêmes pour ce qui est de la version postérieure puisque les deux sont pratiquement identiques à cet égard) sont évidents en ce que l’élément essentiel, à savoir la thermostabilité du monohydrate, est plus ou moins évident eu égard à l’« état de la technique », en particulier le brevet grec 055. L’allégation d’invalidité d’Apotex pour cause d’évidence est justifiée.

 

DOUBLE PROTECTION

[173]       En termes simples, l’interdiction de la double protection se fonde sur l’idée que personne ne peut obtenir un deuxième brevet portant sur le même objet que celui d’un brevet antérieur. Le brevet est un monopole valable pour une période de temps limitée qui ne devrait pas être prolongée grâce à la délivrance d’un brevet ultérieur portant sur le même objet.

 

[174]        Il n’y a double protection que lorsque la même personne obtient deux brevets ou plus. Si une autre personne a déjà obtenu un brevet, le deuxième doit être pris en compte dans le contexte de l’antériorité ou de l’évidence, ou de l’identité de l’inventeur quant aux demandes de brevet antérieures au mois d’octobre 1989.   

 

[175]       Même dans le cas où la même personne a obtenu deux brevets, le critère pour différencier l’un de l’autre est semblable au critère applicable en matière d’antériorité ou d’évidence. Il faut se demander si le second brevet revendique le même objet que le premier (littéralement identique) ou s’il revendique un élément manifestement couvert par le premier. La Cour suprême du Canada a reconnu la validité des deux méthodes : voir Whirlpool Inc. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, aux par. 63 à 75.

 

[176]       En l’espèce, un brevet canadien no 1,284,994 (le brevet 994) a été délivré et accordé à BMS US, le 18 juin 1991. Apotex soutient que le brevet 288 délivré et accordé à BMS US le 31 mars 1992 constitue un « double brevet » par rapport au brevet 994.

 

[177]       L’objet de la divulgation du brevet 994 est identique à celui du brevet grec 055 et les revendications 1 et 2 du brevet 994  comprennent dans leur portée le monohydrate de dichlorhydrate cristallin thermostable et le sel d’addition des revendications 2 et 3 en cause. Il n’y a aucune différence non évidente.

 

[178]       Les avocats des parties ont heureusement convenu que si je conclus que les revendications 2 et 3 sont évidentes par rapport à celles du brevet grec 055, je pourrais simplement considérer qu’il y a aussi double protection. Je conclus donc ainsi que l’allégation de double protection d’Apotex est justifiée.

 

BREVETS DE SÉLECTION

[179]       Apotex soutient que les revendications en cause du brevet 288 sont invalides parce qu’elles ne répondent pas aux critères de ce qu’elle appelle un brevet de sélection et qu’au mieux elles confirment les propriétés inhérentes de substances antérieurement divulguées sans divulgation d’un avantage substantiel.

 

[180]       Il est périlleux d’accoler des appellations à certains brevets et, après les avoir ainsi nommés, de débattre de la question de savoir si le brevet répond aux critères applicables à ces appellations de la même façon qu’il aurait pu en avoir été débattu en jurisprudence. Les demanderesses ne considèrent pas le brevet 288 comme un brevet de « sélection », elles disent que c’est un brevet « d’amélioration ».

 

[181]       Au paragraphe 9 des motifs de l’arrêt Sanofi, la Cour suprême du Canada a fait sienne les propos du juge Maugham, de la Cour de la Chancellerie d’Angleterre, tenus dans l’arrêt Re I. G. Farbeneindustrie A.G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289, à la page 321, à savoir qu’un brevet de sélection [traduction] « ne diffère pas en soi de tout autre brevet ». Voici comment le juge Rothstein s’exprime au par. 9 :

9     La description classique du brevet de sélection figure dans l’arrêt In re I. G. Farbenindustrie A. G.’s Patents (1930), 47 R.P.C. 289 (Ch. D.), où le juge Maugham explique à la p. 321 que les brevets portant sur des produits chimiques (dont bien sûr les composés pharmaceutiques) se divisent souvent en deux [traduction] « catégories nettement distinctes ». La première, celle des brevets d’origine, formée des brevets protégeant une invention source, à savoir la découverte d’une nouvelle réaction ou d’un nouveau composé. La seconde catégorie, celle des brevets visant une sélection des composés décrits en termes généraux et revendiqués dans le brevet d’origine. Le juge Maugham précise que les composés sélectionnés ne doivent pas avoir été réalisés auparavant, sinon le brevet de sélection [traduction] « ne satisfait pas à l’exigence de nouveauté ». Cependant, le composé sélectionné qui est « nouveau » et qui « possède une propriété particulière imprévue » remplit l’exigence de l’étape inventive. Le juge Maugham ajoute à la p. 322 que le brevet de sélection [traduction] « ne diffère pas en soi de tout autre brevet ».

 

[182]       Au paragraphe 10, le juge Rothstein a dressé la liste des conditions établies par le juge Maugham qui sont nécessaires à la validité d’un brevet de sélection :

10     Le juge Maugham ne définit pas le brevet de sélection de manière exhaustive, mais il énonce trois conditions essentielles à sa validité (p. 322-323).

 

1.  L’utilisation des éléments sélectionnés permet d’obtenir un avantage important ou d’éviter un inconvénient important.

 

2. Tous les éléments sélectionnés (« à quelques exceptions près ») présentent cet avantage.

 

3.  La sélection vise une qualité particulière propre aux composés en cause. Une recherche plus poussée révélant qu’un petit nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage ne permettrait pas d’invalider le brevet de sélection. Toutefois, si la recherche démontrait qu’un grand nombre de composés non sélectionnés présentent le même avantage, la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne serait pas particulière.

 

[183]       C’était un bon point de départ pour le juge Rothstein, comme il l’a écrit au par. 11. Ce qu’il faut comprendre, c’est que si l’objet d’un brevet revendique la « sélection » d’un élément précis d’une catégorie plus étendue ayant fait l’objet d’une divulgation antérieure, alors pour être reconnu comme une sélection non évidente l’élément ou la catégorie sélectionné doit présenter des avantages qui n’ont pas été divulgués antérieurement (c.-à-d. non antériorisés) et qui sont imprévus (c.-à-d. non évidents) par rapport à ce qui a été divulgué antérieurement. 

 

[184]       Compte tenu de mes conclusions relatives à l’antériorité et à l’évidence en l’espèce, il n’est en quelque sorte pas nécessaire de poursuivre l’analyse sous l’angle de l’appellation de brevet de sélection apposée au brevet.

 

AMBIGUÏTÉ – ESSENTIELLEMENT PURE

[185]       J’ai précédemment interprété la revendication 2, antérieure à la renonciation, et la revendication 3. Ce faisant, je n’ai pas conclu à leur ambiguïté.

 

[186]       J’ai également interprété la version de la revendication 2 postérieure à la renonciation, à l’égard de laquelle j’ai conclu qu’elle était ambigüe. Si on me le demandait, ce qui n’est pas le cas, je conclurais que la version de la revendication postérieure à la renonciation est invalide pour cause d’ambiguïté.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

[187]       Je conclus donc :

1.      que la renonciation est valide, mais qu’elle n’a aucun effet sur l’interprétation de la revendication 2 dans son libellé antérieur au dépôt de la renonciation. En l’espèce, c’est cette version qu’il faut prendre en compte.

2.      que les revendications 2 (antérieure à la renonciation) et 3 du brevet 288 ne sont pas antériorisées.

3.      que les revendications 2 (antérieure à la renonciation) et 3 sont évidentes,  donc invalides compte tenu de l’état de la technique pertinent. S’il me l’était demandé, je conclurais également que la version de la revendication 2 postérieure à la renonciation est évidente, donc invalide. 

4.      que les allégations de double protection soient traitées de la même façon que celle relative à l’évidence. 

5.      qu’il n’est pas nécessaire d’accorder une attention particulière à un soi-disant « brevet de sélection ».

6.      que les revendications 2 (antérieure à la renonciation) et 3 du brevet 288 ne sont pas ambigües. S’il me l’était demandé, je concluerais que la revendication 2 (postérieure à la renonciation) est ambigüe, donc invalide.   

 

[188]       En ce qui concerne les dépens, je les accorderai à la partie qui a gain de cause, la défenderesse, Apotex Inc.  En défense, le ministre de la Santé n’a pas joué de rôle actif dans la présente instance et je n’accorderai pas de dépens en sa faveur ni à son encontre.   

 

[189]       L’évaluation des dépens accordés à Apotex se fera comme à l’accoutumée en de telles instances, au milieu de la fourchette prévue à la colonne IV. Parce qu’Apotex a évoqué, sans finalement y donner suite lors de l’audience, des allégations en relation avec l’art. 53 de la Loi sur les brevets que j’ai commentées au par. 110 de l’affaire Shire Biochem Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538, cela soulève une question de fraude. En conséquence, les dépens et débours accordés à Apotex seront réduits de vingt-cinq pour cent.  

 

[190]       Les dépens pour deux avocats lors de l’audience, un avocat principal et un avocat adjoint pour les deux premiers jours, et un avocat principal pour le troisième, peuvent être taxés. Ceux pour deux avocats, un principal et un adjoint, s’ils étaient présents, lors des contre-interrogatoires, peuvent être taxés. Un seul avocat, le principal, est admis en défense lors d’un contre-interrogatoire. Je n’accorde pas de dépens pour les autres avocats, internes ou externes, les étudiants, les parajuridiques ou les secrétaires.

 

 

[191]       Je demeure préoccupé par le fait que les honoraires accordés pour les experts puissent être excessifs. J’ai tenté de restreindre ces honoraires en introduisant des tarifs et en les plafonnant au tarif demandé par les avocats principaux. Les honoraires peuvent naturellement être calculés en multipliant le tarif par un nombre d’heures donné, ce qui pourrait permettre d’éviter le plafonnement des tarifs horaires en augmentant le nombre d’heures. Ce n’est pas le résultat que j’escompte. Selon ma proposition, les honoraires accordés à un expert donné ne seront pas proportionnellement plus importants que ceux demandés par tout autre expert de l’une ou l’autre partie. En l’espèce, aucun des experts ne m’est apparu, de façon notable, d’une plus grande utilité, ou autrement dit, d’une valeur supérieure. Apotex est libre de payer ses experts selon ce qui a été convenu, ce qui n’autorise cependant pas la taxation de ces honoraires selon un tel tarif. J’ai en conséquence laissé la question entre les mains des avocats pour qu’ils en tiennent compte en précisant que les honoraires ne seront pas accordés s’ils sont trop importants.

 

[192]       De plus, les honoraires pour les experts seront limités exclusivement à ceux relatifs aux services des experts ayant témoigné dans les affidavits déposés par Apotex en l’instance, soit notamment MM. McClelland, Langer et Cima. Je n’accorde pas d’honoraires pour les experts ou autres personnes dont Apotex aurait pu retenir les services ou dont les services ont été retenus par les experts susmentionnés pour les assister.    

 

[193]       Apotex n’a droit à aucune réparation en ce qui concerne les essais réalisés par Mmes Corelli-Rennie ou Gerster.

 

[194]       Les avocats m’ont informé qu’ils tenteraient de résoudre entre eux la question des dépens et que, le cas échéant, ils demanderont des instructions additionnelles à la Cour à cet égard. J’en resterai là. 

 

 

 

JUGEMENT

 

Pour les motifs exposés ci-dessus :

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande est rejetée;

2.                  La défenderesse Apotex Inc. a droit aux dépens en conformité avec les présents motifs.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-891-07

 

INTITULÉ :                                       BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO. et BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY c. APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Les 27, 28 et 29 janvier 2009  

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Hughes

 

DATE :                                               Le 10 février 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Creber

Jennifer Wilkie

Cristin Wagner

 

POUR LES DEMANDERESSES

BRISTOL-MYERS SQUIIB CANADA CO.

BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

 

H.B. Radomski

A.R. Brodkin

R. Naiberg

Belle Van

 

F.B. (Rick) Woyiwada

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson S.E.N.C.R.L.

160, rue Elgin

Bureau 2066

Ottawa (Ontario)   K1P 1C3

Téléc. : 613-563-9869

POUR LES DEMANDERESSES

BRISTOL-MYERS SQUIBB CANADA CO.

BRISTOL-MYERS SQUIBB COMPANY

 

 

 

 

Goodmans LLP

250 Yonge Street

Bureau 2400

Toronto (Ontario)   M5B 2M6

Téléc. : 416-979-1234

 

Ministère de la Justice du Canada

Édifice de la Banque du Canada

234, rue Wellington

Tour est, suite 1104

Ottawa (Ontario)   K1A 0H8

Téléc. : (613) 954-1920

POUR LA DÉFENDERESSE

APOTEX INC.

 

 

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

 

 

 

 

 

 

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