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Date : 20090630

Dossier : IMM‑4908‑08

Référence : 2009 CF 689

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2009

En présence de monsieur le juge Lemieux

 

 

ENTRE :

FAYE RUDDER

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction et historique

[1]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, Faye Rudder (la demanderesse), citoyenne guyanienne âgée de 53 ans, conteste la décision prise le 19 septembre 2008 par un agent des visas (l’agent) à l’ambassade du Canada située à Port of Spain, Trinité‑et‑Tobago, par laquelle était refusée la demande de visa de résident temporaire (le VRT), catégorie des visiteurs, devant permettre à la demanderesse de venir au Canada pour rendre visite à des membres de sa famille et pour voir les tombes de sa mère et de sa sœur, qui sont respectivement décédées en 2003 et en 2004.

 

[2]               Il s’agit de la seconde tentative que fait la demanderesse pour obtenir un VRT. La première tentative a échoué lorsque la demande a été refusée le 15 mai 2008. Le dossier montre qu’au lieu de contester la première décision, la demanderesse, dont la visite était en particulier parrainée par son frère Stan Shepherd, a déposé une nouvelle demande, en réponse à certaines préoccupations ayant donné lieu au premier refus.

 

[3]               Les motifs de refus, pour les deux demandes de VRT, sont ci‑après énoncés, tels qu’ils sont consignés dans le dossier certifié du tribunal (le DCT). Ils font partie des notes du STIDI.

 

[4]               Le refus du 15 mai 2008 était fondé sur les motifs suivants :

 

Aucun voyage.

Visiter ses sœurs, Wendy Rudder, à Toronto, et Bernadette Klass, à Mississauga.

L’intéressée a cinq frères et sœurs, qui résident tous au Canada.

L’état matrimonial n’est pas indiqué. Cinq enfants en Guyana.

Une lettre d’un de ses frères disait que les frères et sœurs, au Canada, subviendraient aux besoins de l’intéressée.

L’intéressée n’a pas d’emploi.

L’intéressée n’a pas d’argent.

Refusé – il ne s’agit pas d’un véritable visiteur. Aucuns antécédents de voyage, aucun emploi, aucuns fonds propres. Les enfants sont tous des adultes. Je ne suis pas convaincu que l’intéressée soit suffisamment établie en ce moment. Aucune attache convaincante justifiant le retour dans son pays.

 

[5]               Les motifs de refus, lors de la seconde demande, étaient les suivants :

 

Situation de famille :

-         Conjointe de fait

-         Cinq enfants

-         Ils vivent tous en Guyana

-         La famille n’accompagne pas l’intéressée

-         Quatre des cinq frères et sœurs sont au Canada; le père et la mère sont décédés.

 

Antécédents de voyage :

-         Anciens passeports – le gouvernement du Guyana déclare que ces passeports sont uniquement valides jusqu’au 31 décembre 2009

-         Refus antérieur de VRT

-         Aucun voyage antérieur

 

Fonds et emploi :

-         Femme au foyer – aucun revenu

-         Ses frères et sœurs au Canada paient toutes les dépenses et une lettre dit qu’ils subviendront à ses besoins

 

Motifs du voyage au Canada :

-         Visiter ses frères et sœurs et la tombe de sa mère

 

Aucune raison convaincante justifiant le voyage, et encore moins le retour

La source des fonds est contestable

 

Aucune preuve crédible de revenu d’emploi

Absence d’antécédents de voyage

Je ne suis pas convaincu que la demanderesse soit suffisamment bien établie pour que son retour soit assuré.

Demande refusée.

 

Cadre législatif et réglementaire

[6]               La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le RIPR) régissent le statut et les obligations des résidents temporaires qui cherchent à entrer au Canada à des fins temporaires.

 

[7]               En ce qui concerne la LIPR, les dispositions suivantes s’appliquent aux résidents temporaires :

 

·      Le paragraphe 22(1) prévoit ce qui suit : « Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b) et n’est pas interdit de territoire. »

 

·      L’alinéa 20(1)b) prévoit que l’étranger qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver, pour devenir un résident temporaire, qu’il détient « les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée ».

 

[8]               En ce qui concerne le RIPR, l’article 179 prévoit la délivrance d’un VRT comme suit :

 

179. L’agent délivre un visa de résident temporaire à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

 

 

179. An officer shall issue a temporary resident visa to a foreign national if, following an examination, it is established that the foreign national

 

a) l’étranger en a fait, conformément au présent règlement, la demande au titre de la catégorie des visiteurs, des travailleurs ou des étudiants;

 

 

(a) has applied in accordance with these Regulations for a temporary resident visa as a member of the visitor, worker or student class;

 

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour autorisée qui lui est applicable au titre de la section 2;

 

 

(b) will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2;

 

c) il est titulaire d’un passeport ou autre document qui lui permet d’entrer dans le pays qui l’a délivré ou dans un autre pays;

 

 

(c) holds a passport or other document that they may use to enter the country that issued it or another country;

 

d) il se conforme aux exigences applicables à cette catégorie;

 

 

(d) meets the requirements applicable to that class;

 

e) il n’est pas interdit de territoire;

 

 

(e) is not inadmissible; and

 

f) il satisfait aux exigences prévues à l’article 30.

 

(f) meets the requirements of section 30.

 

[9]               Il faut également mentionner le Guide OP‑11 portant sur les résidents temporaires, lequel a été publié par Citoyenneté et Immigration Canada. Il explique comment l’agent évalue les demandes de VRT présentées par les visiteurs, par les travailleurs et par les étudiants éventuels et il précise les critères auxquels les résidents temporaires éventuels doivent répondre.

 

[10]           Le Guide OP‑11 dit clairement qu’un agent « ne doit pas délivrer un visa de résident temporaire à un étranger à moins d’être convaincu que le demandeur aura quitté le Canada à la fin de la période autorisée ». L’agent doit être convaincu que le demandeur a la capacité et la volonté de quitter le Canada à la fin de la période autorisée.

 

[11]           La section 9 du Guide OP‑11 est intitulée « Procédure : Évaluation de la demande ». Les questions dont les agents doivent discuter avec les demandeurs sont énumérées; elles visent à permettre de déterminer (1) si le demandeur a l’intention de rester au Canada de façon illégale et de demander le statut de réfugié ou de chercher à rester au Canada à la fin de la période autorisée de son séjour temporaire; et (2) si les attaches existant avec le pays d’origine sont suffisamment solides pour que le demandeur soit motivé à rentrer au pays après la visite au Canada.

 

[12]           Il faut notamment examiner les questions suivantes :

 

·      L’objet du voyage : Que fera le demandeur au Canada? Quels sont les plans du demandeur en ce qui a trait à la visite au Canada? Les plans sont‑ils bien conçus?

 

·      La durée du voyage : Quelle est la durée? La durée est‑elle déterminée? La durée est‑elle raisonnable?

 

·      Qui a invité le demandeur au Canada? A‑t‑il produit la preuve d’une invitation? Quels membres de la famille le demandeur a‑t‑il au Canada? Quel est leur statut au Canada?

 

·      Quelles attaches le demandeur a‑t‑il avec son pays de résidence? Le demandeur a‑t‑il un emploi? Quels membres de la famille le demandeur a‑t‑il dans le pays d’origine? Où étaient‑ils au moment de la demande? Quelles obligations financières le demandeur laisse‑t‑il derrière lui? Le demandeur a‑t‑il des biens dans son pays? Quelle en est la valeur? Quelles autres responsabilités et obligations le demandeur laisse‑t‑il derrière lui? Comment s’en acquittera‑t‑il?

 

·      Comment le demandeur subviendra‑t‑il à ses besoins au Canada? Le demandeur loge‑t‑il dans des hôtels ou chez des parents?

 

·      Le demandeur pourra‑t‑il quitter le Canada? A‑t‑il la capacité financière de retourner dans son pays de résidence, par exemple un billet d’avion?

 

·      Existe‑t‑il un obstacle a l’entrée au Canada, comme un casier judiciaire ou une maladie grave?

 

·      Une demande de VRT pour voyager au Canada a‑t‑elle déjà été refusée?

 

Faits

[13]           Dans sa seconde demande de VRT, datée du 3 septembre 2008, la demanderesse a donné les renseignements suivants :

 

1)    Elle est depuis 30 ans la conjointe de fait de Philip Douglas.

2)    Elle a quatre filles et un fils, dont trois vivent à la maison.

3)    Elle a trois sœurs et deux frères qui habitent dans la région de Toronto.

4)    Elle demande un visa d’un mois afin de venir au Canada pour des vacances et pour visiter les tombes de sa mère et d’une sœur.

5)    La demande de VRT a donné lieu à une décision défavorable, au mois de mai 2008, parce qu’elle ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 179 du Règlement.

6)    Elle n’a pas d’antécédents professionnels, mais elle a déclaré être une [traduction] « femme au foyer et [s’]occuper de [s]es petits‑enfants ».

 

[14]           La demande de VRT est étayée des documents suivants :

 

1)    Une lettre datée du 14 juillet 2008 du frère de la demanderesse Stan Shepherd, accompagnée de documents à l’appui de la demande de VRT. M. Shepherd indique que ses sœurs et lui‑même à Toronto ont invité Faye Rudder à venir leur rendre visite afin de lui permettre de faire connaissance avec ses nièces et ses neveux ainsi qu’avec d’autres membres de la famille et de visiter les tombes de sa mère et de sa sœur, qui sont respectivement décédées en 2003 et en 2004. Il déclare que sa sœur Faye resterait chez lui, et qu’il est propriétaire de la maison, et il ajoute : [traduction] « Je serai pleinement responsable de son bien‑être. Je m’occuperai également d’obtenir une assurance‑maladie pour elle. » M. Shepherd est citoyen canadien; il est agent du greffe au Service administratif des tribunaux judiciaires. Il s’est engagé [traduction] « à faire en sorte que Faye s’acquitte de son obligation de quitter le Canada à l’expiration de son VRT » et il est prêt à signer un cautionnement pour le compte de celle‑ci.

 

2)    Une preuve d’emploi et de salaire à l’égard de M. Shepherd.

 

3)    Une lettre du conjoint de fait de la demanderesse qui confirme qu’il est le conjoint de Faye Rudder, et ce, depuis 30 ans, qu’il appuie la demande de visa de visiteur de sa conjointe et qu’à son avis, un voyage au Canada [traduction] « lui permettra de trouver la paix à la suite du décès de sa mère et de sa sœur et lui permettra de voir des membres de la famille qu’elle n’a pas vus depuis bien des années ». [Non souligné dans l’original.]

 

4)    La preuve du décès de la sœur de la demanderesse.

 

[15]           Dans un affidavit supplémentaire établi le 30 mars 2009, après qu’il eut reçu une copie du DCT, Stan Shepherd déclare avoir remarqué que le DCT ne renfermait pas certains documents qui avaient été fournis au Haut‑commissariat du Canada en Guyana, à savoir :

 

1)    son affidavit, établi le 1er août 2008, à l’appui de la demande;

2)    une lettre datée du 4 septembre 2008, à laquelle étaient joints des documents financiers envoyés par télécopieur au Haut‑commissariat du Canada en Guyana, lesquels, confirme‑t‑il, ont été reçus à cet endroit;

3)    l’affidavit du 1er août 2008 avait été inclus dans la demande de VRT que sa sœur Faye a présentée au Haut‑commissariat du Canada en Guyana.

 

[16]           Dans son affidavit du 1er août 2008, M. Shepherd explique pourquoi sa sœur Faye soumettait une nouvelle demande de VRT après qu’un refus lui eut été opposé peu de temps auparavant. Il indique que sa sœur aurait un billet aller‑retour, qu’elle a des attaches familiales solides en Guyana, que ses cinq enfants résident dans ce pays, que la personne qui est son conjoint de fait depuis 30 ans est également dans ce pays, qu’elle possède sa propre maison, qu’elle est une femme au foyer, qu’elle assure le soin de ses petits‑enfants, et qu’elle élève des animaux rares. Elle reçoit également chaque mois de l’argent de ses frères et sœurs au Canada. Elle n’a jamais été déclarée coupable d’une infraction criminelle et elle est en bonne santé. M. Shepherd réitère qu’il sera responsable de sa sœur Faye et qu’il garantit personnellement qu’elle quittera le Canada à la fin de la période autorisée.

 

[17]           La lettre du 4 septembre 2008 que M. Shepherd a adressée au Haut‑commissariat du Canada à Georgetown, Guyana, renferme : (1) un état de compte de prêt hypothécaire indiquant un solde élevé pour ce qui est de la valeur nette de sa maison; (2) le montant disponible sur sa ligne de crédit à la BMO; (3) sa déclaration de revenus; (4) une lettre d’appui de sa sœur Wendy et le relevé bancaire de celle‑ci à la RBC; (5) son talon de chèque de paye hebdomadaire.

 

Analyse

a) Norme de contrôle

[18]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a réformé l’analyse relative à la norme de contrôle en fondant en une seule les normes du manifestement déraisonnable et de la raisonnabilité. Comme le montre l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale Boni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 68, selon les circonstances d’une affaire particulière et plus précisément la nature de la question en litige, la norme à appliquer au contrôle de la décision d’un agent des visas de refuser un VRT est la décision manifestement déraisonnable si le refus était fondé sur une question de fait – un examen de la preuve; lorsque d’autres questions sont en litige, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique.

 

[19]           La décision d’un agent portant sur une demande de VRT est une décision discrétionnaire et, selon l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 51, « en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l’application de la norme de la décision correcte, mais certaines d’entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité. »

 

[20]           Plus récemment, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (Khosa), la Cour suprême du Canada s’est demandé si les dispositions de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, régissant le contrôle judiciaire des décisions des offices fédéraux, avaient une incidence sur l’analyse relative à la norme de contrôle. Cette disposition de la Loi sur les Cours fédérales prévoit que la Cour fédérale peut accorder une réparation si l’office fédéral « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ». [Non souligné dans l’original.]

 

[21]           Dans l’arrêt Khosa, le juge Binnie, au nom de la majorité, a fait les remarques suivantes au sujet de la norme de contrôle :

 

1)   L’alinéa 18.1(1)d) de la Loi sur les Cours fédérales n’établit pas une norme de contrôle, mais énonce uniquement les motifs de réparation;

 

2)   Le juge ajoute ensuite, au paragraphe 3 de ses motifs, que l’alinéa 18.1(4)d) « fourni[t] [...] une indication législative du “degré de déférence” [dont il faut faire preuve à l’égard] de la [Section d’appel de l’immigration] ». Au paragraphe 46, le juge donne les explications suivantes : « De façon plus générale, il ressort clairement de l’al. 18.1(4)d) que le législateur voulait qu’une conclusion de fait tirée par un organisme administratif appelle un degré élevé de déférence. Ce qui est tout a fait compatible avec l’arrêt Dunsmuir. Cette disposition législative précise la norme de contrôle de la raisonnabilité applicable aux questions de fait dans les affaires régies par la Loi sur les Cours fédérales. » [Non souligné dans l’original.]

 

[22]           Dans l’arrêt Khosa, nous voyons la façon dont la Cour suprême du Canada a appliqué à un office fédéral l’arrêt Dunsmuir, qui se rapportait au contrôle judiciaire d’une décision rendue par un arbitre désigné en vertu d’une loi provinciale.

 

[23]           Je tire de l’arrêt Khosa les enseignements suivants :

 

1)  Au paragraphe 59, le juge Binnie a écrit :

 

59   La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable. [Non souligné dans l’original.]

 

2)  Au paragraphe 62, le juge a ajouté ce qui suit :

 

62   Le juge Fish et moi n’avons pas la même vision des issues que pouvait raisonnablement choisir la SAI dans les circonstances. Mon opinion est fondée sur ce que j’ai déjà dit au sujet du rôle et de la fonction de la SAI et sur le fait que M. Khosa ne conteste pas la validité de la mesure de renvoi prise contre lui. Il demande la prise de mesures exceptionnelles et discrétionnaires dont il ne peut bénéficier qu’en convaincant la SAI même de l’existence de « motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales ». Or, il n’a pas réussi à convaincre la majorité des membres de la SAI. Il ne s’agit pas de savoir si nous souscrivons ou non à une décision de la SAI. C’est à la SAI et non aux juges que le législateur a confié la tâche de rendre une décision. [Non souligné dans l’original.]

 

3)   Au paragraphe 63, le juge souligne l’importance qui est accordée aux motifs dans l’arrêt Dunsmuir, lesquels « constituent pour le décideur le principal moyen de rendre compte de sa décision devant le demandeur, le public et la cour de révision ». Il cite en l’approuvant l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, où un agent d’immigration avait rejeté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[24]           Je tiens également compte des remarques que le juge Décary a faites dans l’arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732, au paragraphe 4 :

 

4     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre intervention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n’a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité le caractère déraisonnable d’une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d’un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l’être. L’appelant, en l’espèce, ne s’est pas déchargé de ce fardeau.

 

 

Application à la présente affaire

[25]           Dans l’arrêt Khosa, la Cour suprême du Canada a souligné que la norme de la raisonnabilité exigeait de la déférence et elle a signalé que les cours de révision « ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Dans le contexte du contrôle judiciaire d’une mesure administrative, il est clair que « le droit » inclut les principes généraux du « droit administratif » (Khosa, au paragraphe 4).

 

[26]           Une demande de VRT présentée par un étranger entraîne sans aucun doute une décision discrétionnaire de la part de l’agent. Le droit administratif a établi les principes qui s’appliquent à l’examen des décisions discrétionnaires des agents portant sur les VRT.

 

[27]           La jurisprudence dans ce domaine indique que les principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada et al., [1982] 2 R.C.S. 2 (Maple Lodge Farms), s’appliquent généralement. (Voir l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans Jang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 312, ainsi que les décisions Salman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 877, Liu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 751, et Guo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1353.)

 

[28]           Dans l’arrêt Maple Lodge Farms, le juge McIntyre a écrit ce qui suit :

 

À mon avis, lorsqu’elles examinent des textes de ce genre, les cours devraient, si c’est possible, éviter les interprétations strictes et formalistes et essayer de donner effet à l’intention du législateur appliquée à l’arrangement administratif en cause. C’est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s’ingérer dans l’exercice qu’un organisme désigné par la loi fait d’un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s’est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l’objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

 

[29]           En l’espèce, deux circonstances me troublent.

 

[30]           En premier lieu, les parties ne s’entendaient pas sur le contenu du DCT, question qui aurait dû être réglée conformément aux dispositions des articles 317 et 318 des Règles des Cours fédérales. Le DCT a été reçu après que l’autorisation eut été accordée et il incombait à la Cour de régler la question à l’audition de la demande de contrôle judiciaire. En fin de compte, ce différend n’a pas influé sur ma décision, de sorte que je ne dirai rien de plus à ce sujet.

 

[31]           En second lieu, je note qu’en l’espèce, dans ce cas‑ci, il n’y avait pas d’affidavit de l’agent expliquant sa décision ou indiquant les éléments qu’il avait à sa disposition lorsqu’il a pris sa décision. Compte tenu des documents qui m’ont été soumis, il semble que tous les documents aient été déposés auprès du Haut‑commissariat du Canada à Georgetown, Guyana, alors que la décision elle‑même a été prise par un agent à Port of Spain, Trinité‑et‑Tobago.

 

[32]           À mon avis, la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour les motifs suivants :

 

1)   L’agent n’a tout simplement pas fourni de motifs adéquats à l’appui de sa décision. Il ne répond pas aux nouveaux éléments de preuve que la demanderesse et son frère lui ont soumis afin d’expliquer pourquoi la seconde demande est différente de la première, qui avait été refusée, mais qui n’avait pas été portée en appel. La présente affaire est semblable à celle dont était saisi mon collègue le juge O’Reilly dans Dhillon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1446;

 

2)   L’agent n’a pas tenu compte d’un grand nombre des facteurs énoncés dans le Guide OP‑11, qui renferme les lignes directrices administratives. Au paragraphe 72 de l’arrêt Baker, la juge L’Heureux‑Dubé a expliqué, pour le compte de ses collègues, la valeur des lignes directrices ministérielles lorsqu’il s’agit d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision. Dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 36, la Cour suprême du Canada a expliqué que le résultat, dans l’affaire Baker, était que le délégataire du ministre avait omis de se conformer à des lignes directrices établies par le ministère lui‑même. L’examen des facteurs à prendre en considération, énoncés dans le Guide OP‑11, ainsi que des facteurs mentionnés par l’agent montre clairement que celui‑ci n’a pas tenu compte d’un grand nombre des facteurs mentionnés dans les lignes directrices ministérielles en vue d’évaluer le seul critère, un critère crucial, énoncé en toutes lettres dans la LIPR aux fins de la délivrance d’un VRT, à savoir si, eu égard à la preuve, l’agent est convaincu que le demandeur retournera dans son pays de résidence.

 

[33]           Autrement dit, l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte de facteurs pertinents dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

 

[34]           Enfin, je conclus que la décision de l’agent va à l’encontre de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. L’agent est arrivé à sa décision en ne tenant aucun compte de la preuve mise à sa disposition ou en tirant de la preuve des inférences déraisonnables au point de vue des buts et des objectifs du Canada pour l’entrée dans le pays de personnes sollicitant un VRT à titre de membres de la catégorie des visiteurs.

 

[35]           La preuve dont disposait l’agent comprenait la demande de VRT de la demanderesse, indiquant l’objet de la visite, sa durée, ce qui motivait la demanderesse à retourner en Guyana – ses enfants et ses petits‑enfants, dont elle assure le soin, ainsi que la relation qu’elle entretient depuis 30 ans avec son conjoint de fait. L’agent disposait également de la lettre de M. Shepherd datée du 4 juillet 2008, qui avait été produite en preuve, ainsi que de la lettre de M. Douglas. La lettre de M. Shepherd indique les dispositions qui étaient prises aux fins de l’hébergement de sa sœur et pourquoi cette visite est importante pour elle. M. Shepherd garantit le retour de sa sœur et indique ses ressources financières. M. Douglas confirme qu’il entretient depuis 30 ans une relation avec Faye Rudder et il signale qu’il lui faut trouver la paix à la suite des décès de sa mère et de sa sœur ainsi que le fait qu’elle n’a pas vu sa famille depuis bien des années.

 

[36]           L’agent a conclu que Faye Rudder n’avait pas de raisons convaincantes d’effectuer le voyage et encore moins de retourner en Guyana parce qu’elle n’y était pas suffisamment établie. L’agent a mis en question la source des fonds mis à la disposition de Faye Rudder au Canada. À mon avis, l’agent pouvait uniquement arriver à ces conclusions en ne tenant aucun compte de la preuve ou en tirant de la preuve des inférences déraisonnables. Eu égard aux circonstances, l’intervention de la Cour est justifiée. Je cite le jugement que le juge Lagacé a récemment rendu dans l’affaire Ogunfowora c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 471.

 

[37]           Je conclus en dernier lieu qu’il s’agit ici d’un cas dans lequel il convient de donner des instructions selon lesquelles qu’un agent des visas différent doit délivrer sans délai un VRT à Faye Rudder pour une période d’un mois, lorsque la demanderesse sera prête à venir au Canada. Je conclus que, compte tenu de la preuve versée au dossier, il s’agit du seul résultat raisonnable auquel un agent des visas pourrait arriver dans le cadre d’un réexamen.

 

[38]           Dans l’affaire Pacific Pants Company Inc. et al. c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 1050, la Cour a eu la possibilité de traiter, aux paragraphes 48 et 49, de la portée de l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales, qui autorise la Cour, lorsqu’elle annule une décision, à le faire « conformément aux instructions qu’elle estime appropriées ». Je me suis référé à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale Rafuse c. Canada (Commission d’appel des pensions), 2002 CAF 31, en tant que décision faisant autorité à l’appui de la proposition selon laquelle les instructions données en vertu de l’alinéa 18.1(3)b) peuvent inclure des instructions de la nature d’un verdict imposé. À mon avis, il est impérieux d’imposer un verdict eu égard aux faits de la présente espèce.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision par laquelle l’agent a refusé de délivrer un VRT à la demanderesse est annulée et que l’affaire est renvoyée à un agent des visas différent avec des instructions selon lesquelles un VRT doit être délivré sans délai à la demanderesse pour une période d’un mois. Aucune question à certifier n’a été proposée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4908‑08

 

INTITULÉ :                                       FAYE RUDDER c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 30 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jocelyn Espejo Clarke

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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