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Date : 20090630

Dossier : IMM-2111-08

Référence : 2009 CF 687

Toronto (Ontario), le 30 juin 2009

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

NADINE KUTA

demanderesse

 

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La présente demande concerne une décision par laquelle on a refusé l’asile à une citoyenne du Burundi qui s’était enfuie de ce pays en raison de sa crainte de persécution fondée sur son sexe et sur son origine ethnique tutsie. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile de Mme Kuta le 6 mars 2008 en raison d’une conclusion d’ensemble défavorable quant à sa crédibilité.

 

[2]               La conclusion défavorable quant à la crédibilité découle, en majeure partie, de l’incapacité apparente de la demanderesse à livrer un témoignage clair et cohérent au sujet de ses souffrances à titre de survivante à des agressions sexuelles commises par son ex-époux en 2003 et par la milice hutu en 2006. En ce qui a trait à cette conclusion, l’avocat de Mme Kuta se fonde sur la preuve au sujet de l’état psychologique de Mme Kuta à l’époque de l’audience pour soutenir que la SPR a commis une erreur fondamentale dans sa décision.

 

[3]                La preuve de l’état psychologique se trouve dans la lettre suivante, datée du 4 octobre 2007, écrite par le médecin de Mme Kuta et envoyée à l’avocat de celle-ci :

[traduction]

Monsieur Confente,

Objet : Nadine KUTA

Date de naissance : 25-05-1969

 

En réponse à votre lettre du 10 septembre 2007, Nadine Kuta est devenue patiente à notre clinique médicale en février 2007. Cependant, elle fréquente le Centre de Santé Communautaire pour obtenir de l’aide en intégration et des services de consultation depuis août 2006.

 

Comme vous le savez, Nadine est originaire du Burundi. Elle m’a expliqué qu’elle avait été victime de violence dans son pays d’origine. Elle a été témoin du meurtre de sa famille et elle est maintenant la seule survivante de cette famille. Par conséquent, elle souffre d’anxiété, de dépression, d’insomnie, de solitude et de maux de tête chroniques.

 

Les symptômes de la dépression comprennent des changements d’appétit, qui peuvent entraîner une perte ou une prise de poids, des troubles du sommeil tel que le fait de se réveiller très tôt le matin, la perte d’intérêt, une faible concentration, de la difficulté à prendre une décision, de la culpabilité et une faible estime de soi, une perte d’énergie et, dans les cas graves, des idées suicidaires.

 

Cependant, l’anxiété se caractérise par un sentiment de peur aigu et peut se manifester par des palpitations excessives, de la nausée, des essoufflements, des tremblements et des sueurs.

 

Il est très commun qu’un patient souffre des deux troubles simultanément, comme c’est le cas pour Nadine.

 

En effet, Nadine souffre du syndrome de stress post-traumatique. Ce syndrome est défini comme étant une exposition à un événement traumatique vécu ou observé par la personne, qui entraîne généralement des blessures au témoin ou à d’autres personnes, ou la mort d’autrui. La réponse habituelle chez une personne qui souffre de ce syndrome est de ressentir une peur intense, un sentiment d’horreur ou d’être sans espoir. La personne revit constamment l’événement traumatique dans des rêves ou des retours en arrière récurrents et stressants. Les symptômes persistent pendant plus d’un mois.

 

Nadine prend présentement du fluoxetine (Prozac) en dose de 20 mg pour ses symptômes de dépression, et de l’Ativan en dose de 0,05 mg pour l’aider avec l’anxiété et l’insomnie, lorsqu’elle en a besoin. Elle prend aussi de l’Advil à l’occasion pour ses maux de tête. De plus, elle consulte notre conseillère en santé mentale et notre travailleur social, Lubna Moric et Jocelyn Bond respectivement, au sujet de son syndrome de stress post-traumatique.

 

Il est possible que son état de santé affecte ses souvenirs. Certainement, le fait d’être préoccupé par des événements stressants peut affecter la capacité d’une personne de se souvenir de certaines choses. De plus, elle peut souffrir d’amnésie rétroactive, de confusion et de somnolence lorsqu’elle prend de l’Ativan. Cependant, cela est plus susceptible de se produire lors de la prise de doses beaucoup plus importantes. (Voir en annexe une copie des renseignements au sujet des médicaments qu’elle prend, tirés du Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques de 2005.)

 

J’espère que ces renseignements répondent à vos questions.

 

Veuillez agréer, Monsieur Confente, mes salutations distinguées,

Dr Nasima Mottiar, MD CCFP

 

(Dossier du tribunal, pages 108 et 109)

 

[4]               L’avocat de Mme Kuta souligne l’importance de cette preuve en mentionnant les « Directives no 4 de la CISR, Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration » suivantes :

D. PROBLÈMES SPÉCIAUX LORS DES AUDIENCES RELATIVES À LA DÉTERMINATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ

 

Les femmes qui revendiquent le statut de réfugié font face à des problèmes particuliers lorsque vient le moment de démontrer que leur revendication est crédible et digne de foi. Certaines difficultés peuvent survenir à cause des différences culturelles. Ainsi,

[…]

 

3.      Les revendicatrices du statut de réfugié victimes de violence sexuelle peuvent présenter un ensemble de symptômes connus sous le nom de syndrome consécutif au traumatisme provoqué par le viol et peuvent avoir besoin qu’on leur témoigne une attitude extrêmement compréhensive. […]

 

 

L’avocat de Mme Kuta soutient que le défaut de la SPR de tenir compte des Directives no 4 et même de tenir compte du témoignage de la demanderesse de la façon prévue dans les Directives constitue une erreur susceptible de révision. Je suis d’accord avec lui.

 

[5]               La démarche que la SPR a adoptée, comme le démontre la décision, a été de relever les occasions où Mme Kuta a été [traduction] « complètement confuse », a déclaré qu’il y avait [traduction] « une erreur dans son FRP », a donné un témoignage qui comportait [traduction] « des incohérences internes », a [traduction] « confondu les faits », a omis [traduction] « d’apporter à l’audience des documents importants qui auraient permis de corroborer son récit », a eu [traduction] « de grandes difficultés à se souvenir » et [traduction] « de grandes difficultés » à expliquer les détails (décision pages 3 et 4) à titre de preuve que Mme Kuta mentait lorsqu’elle a livré son témoignage, puis la SPR a rejeté la preuve au sujet du fait qu’elle souffre du syndrome de stress post-traumatique. Les passages suivants de la décision de la SPR sont des preuves de cette démarche :

[traduction]

Le tribunal reconnaît que la mémoire d’une personne peut être affectée par le stress. Cependant, en l’espèce, le tribunal n’est pas convaincu que le stress, ou la possibilité que la demanderesse puisse souffrir du syndrome de stress post-traumatique (SSPT), peut raisonnablement expliquer les nombreuses incohérences dans son témoignage. En particulier, lorsqu’on parle des enfants de cette personne, il est difficile d’imaginer qu’une mère ne se souvienne pas de la dernière fois où elle a tenu son fils ou sa fille dans ses bras. (Décision page 6) [Non souligné dans l’original.]

 

[…]

 

La docteure Mottiar a tiré ses conclusions médicales en fonction du récit que la demanderesse lui a divulgué. Ces conclusions ne sont pas fondées sur des preuves vérifiables, indépendantes et objectives. Même si la demanderesse souffre possiblement du SSPT, le tribunal n’est saisi d’aucune preuve crédible que ce syndrome est la conséquence des actes de persécution dont la demanderesse soutient avoir été victime, parce que le tribunal est persuadé que ces actes n’ont jamais eu lieu. (Décision, page 7) [Non souligné dans l’original.]

 

 

[6]               La preuve incontestée présentée à la SPR était que Mme Kuta souffrait du syndrome de stress post-traumatique à l’époque où elle a témoigné. Je conclus qu’il était erroné de la part de la SPR de rejeter catégoriquement ce fait. Il est clair que l’objectif des Directives no 4 est d’alerter les membres de la SPR au fait qu’ils doivent utiliser les preuves d’un tel état de santé à titre de guide pour l’examen du témoignage du demandeur et du fait qu’ils doivent prendre garde non seulement de recueillir le témoignage en faisant preuve de compassion, mais aussi en faisant attention lorsqu’ils tirent des conclusions au sujet de la crédibilité, quand la preuve témoigne d’un type de problème de santé comme celui en l’espèce.

 

[7]               Au cours de l’audition de la demande de Mme Kuta, l’avocat de cette dernière a clairement soulevé la question de son état psychologique devant la SPR en déclarant, à un moment où un ajournement était nécessaire pour donner la chance à Mme Kuta de se calmer alors qu’elle était bouleversée :

[traduction]

Je crois que nous abordons le sujet de l’agression sexuelle, de la violence sexuelle. Nous avons la lettre de la Dr Motilla (phonétique) et il semble que cet événement a eu des répercussions sur Mme Kuta. J’aimerais suggérer qu’on prenne une pause de cinq ou dix minutes, pour lui donner la chance de se calmer. Je crois qu’il s’agit d’un sujet qui a une grande influence sur sa capacité à se souvenir des incidents.

 

(Transcription de l’audience, page 56)

 

 

À mon avis, le défaut de la SPR d’appliquer correctement les Directives no 4 dans son évaluation du témoignage de Mme Kuta affecte la qualité de la décision faisant l’objet du présent contrôle. Je conclus donc que la décision de la SPR est déraisonnable.


ORDONNANCE

 

En conséquence, j’annule la décision faisant l’objet du contrôle et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

                                                                                                            « Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-2111-08

 

INTITULÉ :                                       NADINE KUTA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 juin 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Campbell

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 30 JUIN 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Omar Shabbir Khan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jamie Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Omar Shabbir Khan

Khan Professional Offices

Hamilton (Ontario)

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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