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Date : 20090630

Dossier : IMM‑4927‑08

Référence : 2009 CF 683

Ottawa (Ontario), le 30 juin 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

AUGUSTUS CHARLES NOHA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Comme la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission ou la CISR) l’a judicieusement fait observer, la question de savoir si le demandeur a entièrement purgé sa peine n’est pas décisive en ce qui a trait à la validité juridique de son exclusion en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention), puisque la Cour d’appel fédérale a clairement énoncé, au paragraphe 57 de l’arrêt Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, 324 F.T.R. 62, que l’exclusion reste possible même si l’intéressé a déjà purgé sa peine.

 

 

[2]               Le paragraphe 57 des motifs de la Cour d’appel fédérale est rédigé de la façon suivante :

La Cour répond par la négative à la première question, formulée comme suit :

Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de l’article 1Fb) de la Convention?

 

II.  Introduction

[3]               Le demandeur demande le contrôle judiciaire de la décision, rendue le 8 octobre 2008, par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la CISR, qui a rejeté sa demande d’asile.

 

[4]               La Commission a conclu que le demandeur était exclu des statuts de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention.

 

[5]               En outre, la Commission a conclu que, quoi qu’il en soit, le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).

 

III.  Résumé des faits

[6]               Le demandeur, M. Augustus Charles Noha, est un Nigérian âgé de quarante‑huit ans.

 

[7]               Il est entré aux États‑Unis le 24 avril 1991, il s’est installé à Miami, en Floride et, par la suite, il est devenu un résident permanent des États‑Unis.

[8]               Le 20 septembre 1996, la Cour de district du District Sud de la Floride, aux Etats-Unis, a déclaré M. Noha coupable de fraudes par cartes de crédit. Par conséquent, il a été condamné à la peine suivante : quatre mois d’emprisonnement, la libération surveillée pour une durée de trois ans, et la restitution complète du montant obtenu frauduleusement, soit la somme de 41 088,07 $.

 

[9]               M. Noha a purgé sa peine d’emprisonnement et les trois années de libération surveillée; cependant, les parties ne sont pas d’accord sur la question de savoir s’il a complètement restitué le montant qu’il devait.

 

[10]           En octobre 2007, M. Noha a dit à un agent d’immigration au Canada qu’il devait encore environ 5 000 $ relativement à sa déclaration de culpabilité.

 

[11]           Le 9 septembre 2008, dix‑sept jours avant l’audience de M. Noha devant la SPR, le Département de la Justice des États‑Unis (le bureau du procureur des États‑Unis, District Sud de la Floride) a écrit une lettre au gouvernement du Canada; il y déclarait que M. Noha avait seulement restitué 7 700 $, et que le dernier paiement avait été fait le 24 juillet 2004.

 

[12]           Lors de son témoignage devant la Commission, M. Noha a allégué qu’il avait complètement restitué le montant qu’il devait.

 

[13]           En 1997, les autorités de l’immigration des États‑Unis ont pris une mesure d’expulsion contre M. Noha et, en 1999, un appel interjeté contre cette mesure fut rejeté.

 

[14]           En juillet 2005, les autorités de l’immigration des États‑Unis ont détenu M. Noha pendant environ deux mois; ensuite, le 31 août 2005, il a été expulsé des États‑Unis vers le Nigeria.

 

[15]           M. Noha allègue qu’il a été détenu en prison au Nigeria de septembre 2005 jusqu’en juillet 2006.

 

[16]           Il allègue qu’il est arrivé au Canada le 6 septembre 2006. Devant la Commission, M. Noha a dit que, à son arrivée ici, il avait déclaré aux autorités de l’immigration qu’il venait au Canada en tant que visiteur seulement; mais plus tard, au cours du même témoignage, il a déclaré qu’il avait dit aux mêmes autorités qu’il venait au Canada pour affaires.

 

[17]           Le 18 septembre 2006, soit douze jours après son arrivée, M. Noha a présenté une demande d’asile au Canada.

 

[18]           M. Noha allègue qu’il craint d’être tué par les autorités nigérianes, parce qu’en 2003, il a envoyé une lettre à M. Obasanjo, le président du Nigeria à l’époque, concernant une émeute pour motifs religieux qui avait lieu au Nord, émeute au cours de laquelle beaucoup de chrétiens furent tués. M. Noha allègue aussi que son grand‑père, un pasteur, a été battu à mort et que son église fut incendiée (dossier du tribunal (DT), aux pages 650 et 651).

 

[19]           Le 15 mai 2008, la Section de l’immigration de la CISR a pris une mesure d’expulsion contre M. Noha, au motif qu’il avait admis qu’il correspondait à la description donnée à l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, c’est‑à‑dire, l’étranger interdit de territoire pour grande criminalité parce qu’il a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

IV.  La norme de contrôle

 

[20]           Les conclusions purement factuelles de la SPR, qui ont conduit à la décision contestée sont susceptibles de contrôle par la Cour au regard de la raisonnabilité (Arizaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 774, 168 A.C.W.S. (3d) 830, au paragraphe 18; Alonso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 683, 170 A.C.W.S. (3d) 162, au paragraphe 5).

 

[21]           La décision, en dernier ressort, de la Commission selon laquelle M. Noha est la personne décrite à l’alinéa 1Fb) de la Convention comprend des questions mixtes de fait et de droit et, ainsi, elle peut seulement être annulée si elle n’est pas raisonnable (le paragraphe 10 de la décision Jayasekara, 2008 CF 238, confirmée pour d’autres motifs par l’arrêt précité : 2008 CAF 404, 384 N.R. 293; le paragraphe 15 de Ryivuze c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 134; le paragraphe 14 de Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, 238 F.T.R. 194; le paragraphe 22 de Murillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 966, 333 F.T.R. 22).

 

[22]           La même norme de contrôle s’applique à la conclusion de la Commission selon laquelle, quoi qu’il en soit, M. Noha n’est ni un réfugié au sens de la Convention selon la description qui en est donnée à l’article 96 de la LIPR ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la même loi.

 

[23]           Les questions purement juridiques de portée générale réglées par la SPR sont susceptibles de contrôle au regard de la décision correcte (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 R.C.S. 84, au paragraphe 20; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 50 à 60; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 385 N.R. 206, au paragraphe 44).

 

[24]           En ce qui concerne la question de savoir si M. Noha a complètement purgé sa peine, il s’agit essentiellement d’une question de fait pour laquelle la raisonnabilité devrait s’appliquer. Quoi qu’il en soit, comme la Commission l’a fait observer, même si M. Noha avait complètement purgé sa peine, cela n’empêche pas de tirer une conclusion d’exclusion en application de l’alinéa 1Fb). La question de savoir si M. Noha a complètement purgé sa peine n’est donc pas une question décisive dans la présente affaire.

 

V.  Analyse

 

L’exclusion du demandeur en application de la section 1F est juridiquement valide

 

[25]           L’article 98 de la LIPR est libellé de la façon suivante :

98.      La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98.      A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

 

[26]           Selon le paragraphe 2(1) de la LIPR, l’expression « Convention sur les réfugiés » renvoie à la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951.

 

[27]           L’alinéa 1Fb) de la Convention, qui a été appliquée par la Commission en l’espèce, est libellé de la façon suivante :

F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

[...]

 

b) Qu’elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d’accueil avant d’y être admises comme réfugiés;

 

[Non souligné dans l’original.]

 

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that:

 

 

(b) He has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

(Emphasis added).

 

La SPR a raisonnablement conclu que les crimes commis par le demandeur aux États‑Unis étaient des crimes graves au sens de l’alinéa 1Fb).

 

[28]           La Commission a conclu que, au Canada, l’infraction commise par M. Noha aux États‑Unis correspond à l’infraction décrite à « l’alinéa 342.1c) et/ou d) du Code criminel du Canada ». (Motifs de la Commission, au paragraphe 8)

 

[29]           Il ressort bien du dossier que la Commission avait l’intention de faire référence aux alinéas 342(1)c) et/ou 342(1)d) du Code criminel du Canada ». La note de bas de page no 4 des motifs de la SPR fait référence, à la page 29 de la pièce M‑12. À la page 29, qui est reproduite à la page 431 du dossier du Tribunal, il y a une copie de l’article 342 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46. À cet égard, les observations des avocats du ministre devant la SPR (DT, à la page 758), et la décision de la Section de l’immigration de la CISR ont conduit à la mesure d’expulsion contre M. Noha (DT, à la page 436).

 

[30]           La référence faite aux « alinéas 342.1c) et/ou d) du Code criminel », dans les motifs de la Commission, peut se comprendre vu le contexte dans lequel elle est faite.

 

[31]           Les parties pertinentes de l’article 342 du Code criminel sont libellées de la façon suivante :

342.      (1) Quiconque, selon le cas :

 

[...]

 

c) a en sa possession ou utilise une carte de crédit — authentique, fausse ou falsifiée, — ou en fait le trafic, alors qu’il sait qu’elle a été obtenue, fabriquée ou falsifiée :

 

(i) soit par suite de la commission d’une infraction au Canada,

 

(ii) soit par suite de la commission ou de l’omission, en n’importe quel endroit, d’un acte qui, au Canada, aurait constitué une infraction;

 

d) utilise une carte de crédit qu’il sait annulée,

 

 

est coupable :

 

e) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

 

f) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire.

 

Définition de « trafic »

(4) Pour l’application du présent article, « trafic » s’entend, relativement à une carte de crédit ou aux données afférentes, de la vente, de l’exportation du Canada, de l’importation au Canada ou de la distribution, ou de tout autre mode de disposition.

 

L.R. (1985), ch. C-46, art. 342; L.R. (1985), ch. 27 (1er suppl.), art. 44 et 185(F); 1997, ch. 18, art. 16.

342.     (1) Every person who

 

 

 

(c) possesses, uses or traffics in a credit card or a forged or falsified credit card, knowing that it was obtained, made or altered

 

 

 

(i) by the commission in Canada of an offence, or

 

(ii) by an act or omission anywhere that, if it had occurred in Canada, would have constituted an offence, or

 

 

(d) uses a credit card knowing that it has been revoked or cancelled,

 

is guilty of

 

(e) an indictable offence and is liable to imprisonment for a term not exceeding ten years, or

 

(f) an offence punishable on summary conviction.

 

 

Definition of “traffic”

(4) In this section, "traffic" means, in relation to a credit card or credit card data, to sell, export from or import into Canada, distribute or deal with in any other way.

 

 

 

 

R.S., 1985, c. C-46, s. 342; R.S., 1985, c. 27 (1st Supp.), ss. 44, 185(F); 1997, c. 18, s. 16.

 

[32]           Il faut noter qu’une mise en accusation pour cette infraction peut conduire à un emprisonnement d’une durée de dix ans.

 

[33]           En l’espèce, la Commission a examiné les faits sous‑jacents à la déclaration de culpabilité de M. Noha aux États‑Unis. Pour l’essentiel, M. Noha et une de ses amies avaient élaboré un stratagème selon lequel cette amie a obtenu des cartes de crédit à son nom; ensuite, pendant environ un mois, M. Noha a utilisé dix cartes ainsi obtenues pour l’achat de marchandises. La complice de M. Noha a contacté ensuite les institutions de crédit pour signaler la perte des cartes. M. Noha et sa complice se sont partagé ensuite leurs profits mal acquis (DT, aux pages 571 à 574; motifs de la Commission, au paragraphe 7).

 

[34]           Pour déterminer si une demande d’asile est irrecevable devant la SPR, pour cause de « grande criminalité », l’alinéa 101(2)b) de la LIPR exige que l’intéressé ait fait l’objet d’une déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada, pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. En tant que pays d’accueil, le Canada considère les actes criminels entraînant ce type de sanction comme des crimes graves (voir l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 40).

 

[35]           Bien qu’il faille tenir compte des normes internationales, on ne doit pas écarter le point de vue de l’État ou du pays d’accueil lorsqu’il s’agit de déterminer la gravité de l’acte criminel. C’est à l’État ou au pays d’accueil qu’est conféré le pouvoir d’assurer la protection prévue à l’alinéa 1Fb) de la Convention (voir l’arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 43).

 

[36]           En outre, comme je l’ai déclaré ci‑dessus, la SPR disposait de preuves (DT, aux pages 425 et 436), selon lesquelles M. Noha avait admis, le 15 mai 2008, qu’il correspondait à la description donnée à l’alinéa 36(1)b) de la LIPR, c’est‑à‑dire, l’étranger interdit de territoire pour grande criminalité parce qu’il a été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. (DT, aux pages 422, 425 et 426, 436)

 

[37]           La Cour évalue en l’occurrence :

                     i.                                                la gravité de l’acte criminel (les fraudes par cartes de crédit qui, même pour une première infraction, ont entraîné un emprisonnement de quatre mois, ainsi qu’une période de libération surveillée de trois ans, et l’exigence de la restitution complète du montant des dix fraudes, c’est‑à‑dire 41 088,07 $);

                   ii.                                                la peine infligée par la cour de la Floride;

                  iii.                                                les faits à la base de la déclaration de culpabilité, à savoir, le nombre des cartes de crédit utilisées frauduleusement (dix en tout), et la valeur monétaire totale des marchandises obtenues grâce à ces cartes;

                 iv.                                                la jurisprudence bien établie de la Cour d’appel fédérale selon laquelle un acte criminel est un crime grave de droit commun si une peine maximale de dix ans ou plus aurait pu être infligée si l’acte criminel avait été commis au Canada;

                   v.                                                la gravité objective de l’acte criminel de fraude par carte de crédit au Canada qui est punissable d’une peine de dix ans d’emprisonnement.

 

La Commission avait raisonnablement des raisons sérieuses de croire que M. Noha avait commis un crime grave de droit commun à l’extérieur du pays et que, par conséquent, il correspondait à la description donnée à l’alinéa 1Fb) de la Convention (arrêt Jayasekara, précité, au paragraphe 55).

 

[38]           En outre, la Cour fait observer que la SPR a pris en compte les circonstances entourant les infractions, et qu’elle a rejeté le point de vue de M. Noha selon lequel il existait des circonstances atténuantes (motifs de la Commission, au paragraphe 11).

 

La SPR n’avait ni le droit ni l’obligation de pondérer la nature et la sévérité des actes criminels commis par le demandeur par la possibilité alléguée par lui qu’il soit exposé à la persécution s’il était renvoyé au Nigeria

 

 

[39]           Comme elle l’a fait ressortir, aux paragraphes 9 et 10 de ses motifs, lorsqu’elle applique l’alinéa 1Fb), la SPR n’a ni le droit ni l’obligation de pondérer les crimes commis par M. Noha par le risque de persécution qu’il allègue courir en cas de retour dans son pays d’origine (le paragraphe 44 de l’arrêt Jayasekara, précité; les paragraphes 34 à 40 de Xie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 250, [2005] 1 R.C.F. 304).

 

L’allégation selon laquelle la peine infligée par la cour de district des États‑Unis a été purgée

 

a) Le demandeur n’a pas établi qu’il avait purgé sa peine

 

[40]           Lors de son témoignage devant la SPR, M. Noha a répété qu’il avait complètement restitué ledit montant de 41 088,07 $, mais la Commission a estimé qu’il n’était pas crédible lorsqu’il a fait cette allégation (motifs de la Commission, aux paragraphes 13 et suivants).

 

[41]           La SPR a mentionné un document du Département de la Justice des États-Unis, daté du 9 septembre 2008, c’est-à-dire dix‑sept jours avant l’audience de M. Noha à la SPR; ce document révèle que M. Noha devait encore plus de 33 000 $ pour que la restitution soit complète (DT, à la page 442; motifs de la Commission, aux paragraphes 13 et 20).

 

[42]           La Commission a aussi fait observer qu’en novembre 2007, M. Noha avait de lui‑même, spontanément, déclaré à un agent de l’immigration au Canada qu’il devait encore 5 000 $ à cet égard (DT, à la page 406; motifs de la Commission, au paragraphe 14).

 

[43]           Étant donné la situation, il n’était pas déraisonnable que la Commission accorde plus de poids audit document des autorités des États‑Unis plutôt qu’au témoignage de M. Noha lors de son audience.

 

[44]           Il était donc raisonnable que la Commission conclue que M. Noha n’avait pas établi qu’il avait fait une restitution complète, et qu’il n’avait pas établi qu’il avait complètement purgé sa peine.

 

b)   La question de savoir si oui ou non le demandeur a purgé sa peine aux États‑Unis n’est pas pertinente pour l’application de l’alinéa 1Fb)

 

[45]           Comme la Commission l’a judicieusement fait observer (aux paragraphes 21 à 23 de ses motifs), la question de savoir si M. Noha avait entièrement purgé sa peine n’est pas décisive en ce qui a trait à la validité juridique de son exclusion en application de l’alinéa 1Fb), puisque la Cour d’appel fédérale a déclaré de façon claire, au paragraphe 57 de l’arrêt Jayasekara, précité, que l’exclusion reste une possibilité même si la peine a été entièrement purgée.

 

[46]           Le paragraphe 57 des motifs de la Cour d’appel fédérale est rédigé de la façon suivante :

La Cour répond par la négative à la première question, formulée comme suit :

Le fait d’avoir purgé une peine pour un crime grave avant d’arriver au Canada permet‑il à l’intéressé d’échapper à l’application de l’article 1Fb) de la Convention?

 

c)   La Cour est obligée de respecter l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Jayasekara

 

[47]           En ce qui a trait à la question de savoir si le fait d’avoir purgé la peine infligée pour les actes criminels visés à l’alinéa 1Fb) permet à quiconque d’éviter l’application de cette disposition, M. Noha invite la Cour à suivre l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 4 C.F. 390, [2000] A.C.F. no 1180 (QL), qui est un arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale il y a presque neuf ans dans le cadre de l’ancienne Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, modifiée, et de ne pas tenir compte de l’arrêt de la même cour daté de 2008 dans l’affaire Jayasekara, précitée, rendu sur la base des dispositions de l’actuelle LIPR, entrée en vigueur en 2002.

 

[48]           En ce concerne cette question, selon le principe de stare decisis, la Cour est tenue par le récent arrêt de la Cour d’appel fédérale Jayasekara, précité (voir également le paragraphe 21 de Karimian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 867, 150 A.C.W.S. (3d) 462).

 

[49]           Étant donné l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Jayasekara, précité, la SPR n’a commis aucune erreur lorsqu’elle a conclu que M. Noha pouvait être exclu peu importe le fait qu’il ait ou non, comme il est allégué, purgé sa peine.

 

L’allégation du demandeur selon laquelle l’article 98 de la LIPR est nul en raison de son imprécision

 

[50]           M. Noha allègue que l’article 98 de la LIPR, qui incorpore par renvoi l’alinéa 1Fb) de la Convention, est nul parce que l’expression « crime grave de droit commun » est vague. Selon M. Noha, l’article 98 est par conséquent inopérant sur le plan constitutionnel puisqu’il contrevient aux dispositions de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.‑U.), qui est libellé de la façon suivante :

 

7.  Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[Non souligné dans l’original.]

7.  Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice. (Emphasis added).

 

[51]           La Cour n’adopte pas un tel argument parce qu’il est prématuré.

 

[52]           Le but de l’article 98 de la LIPR n’est pas d’expulser une personne dans son pays d’origine, mais de refuser à la personne le droit à l’asile. De plus, l’exclusion n’a pas d’effet direct sur la mesure d’expulsion en soi, et elle ne vise pas à rendre l’expulsion exécutoire, encore moins à autoriser l’expulsion.

 

[53]           Par conséquent, l’argument de M. Noha sur l’inconstitutionnalité est prématuré, à moins que la mesure d’expulsion ne devienne exécutoire, ce qui en l’état actuel des choses à la Cour n’est pas le cas.

 

[54]           L’article 98 de la LIPR ne contrevient pas à l’article 7 de la Charte, parce que le simple fait que le demandeur se voit refuser le statut de « réfugié au sens de la Convention » ou de « personne à protéger » ne permet pas son expulsion. Ainsi, comment peut‑on alléguer que l’article en question contrevient au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité du demandeur?

 

[55]           Même si on suppose que l’article 98 porte atteinte au droit à la vie et à la sécurité de la personne, l’atteinte demeure néanmoins conforme au principe de justice fondamentale, étant donné l’économie de la LIPR, qui prévoit un examen des risques avant renvoi (ERAR) indépendant, ce qui rend inutile une analyse au regard de l’article 7 de la Charte.

 

[56]           Étant donné l’économie de la LIPR, les arguments quant à la constitutionnalité de l’article 98 de la LIPR sont prématurés lorsque invoqués, comme en l’espèce, avant qu’un demandeur ait atteint l’étape finale de la mesure d’expulsion (Shephard c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 379, 326 F.T.R. 162, au paragraphe 39; Arica c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 182 N.R. 392, 55 A.C.W.S. (3d) 1017 (C.A.F.), au paragraphe 14).

 

[57]           Lorsqu’il conteste l’article 98 de la LIPR, M. Noha suppose implicitement et erronément que l’exclusion du droit à l’asile équivaut à son expulsion du Canada. Un tel raisonnement va à l’encontre de l’économie de la LIPR puisque l’exclusion n’a pas pour objet d’expulser le demandeur du Canada. Il s’agit de l’empêcher de bénéficier du droit d’asile, mais il conserve son droit de revendiquer la protection prévue l’article 112 de la LIPR (décision Shephard, précitée, au paragraphe 40).

 

[58]           Par conséquent, il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer sur la constitutionnalité de l’article 98 vu la prématurité de cet argument (décision Shephard, précitée, au paragraphe 41).

 

La conclusion relative à l’exclusion du demandeur

 

[59]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la Cour conclut que M. Noha n’a pas établi quelque erreur que ce soit commise par la SPR dans sa décision en ce qui concerne l’exclusion, en application de l’article 98 de la LIPR, erreur qui justifierait l’intervention de la Cour et l’annulation cette décision.

 

La question de savoir si le demandeur correspond à la description faite aux articles 96 ou 97 de la LIPR n’est pas pertinente

 

 

[60]           Il vaut la peine de répéter que l’article 98 de la LIPR est libellé de la façon suivante :

98.  La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

98.  A person referred to in section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention refugee or a person in need of protection.

 

[61]           Étant donné que l’exclusion de M. Noha par la SPR, en application de l’alinéa 1Fb) de la Convention, est raisonnable et qu’elle n’est pas viciée par une erreur de fait ou de droit susceptible de contrôle, la Cour n’a pas besoin d’examiner l’argument de M. Noha relativement à la validité des conclusions de la SPR selon lesquelles il ne correspond pas à la description faite aux articles 96 ou 97 de la LIPR (décision Murillo, précitée).

 

[62]           Néanmoins, la Cour continue son analyse.

 

La conclusion de la Commission quant à la non‑inclusion du demandeur doit être maintenue

 

 

[63]           M. Noha allègue qu’il craint de retourner au Nigeria en raison de ses opinions politiques. Il déclare avoir envoyé une lettre de protestation de trois pages au président du Nigeria en 2003, pendant qu’il était encore aux États‑Unis. Dans cette lettre, M. Noha aurait traité le président du Nigeria de meurtrier parce qu’il aurait fait tuer un de ses amis et parce qu’il aurait permis des assassinats lors des émeutes au Nigeria (DT, aux pages 617, 655 et 656, 703).

 

[64]           M. Noha soutient qu’à la suite de la lettre qu’il allègue avoir écrite et dont il n’a pas déposé de copie à la SPR, son nom a été mis sur une liste de personnes recherchées pour trahison, parce que de l’avis des autorités nigérianes, il préparait une révolution (DT, aux pages 27, 567, 658 et 659, 677, 702, 704).

 

[65]           De plus, M. Noha déclare que, à son arrivée au Nigeria en 2005, il a été interrogé par le service de sécurité de l’État, détenu et torturé pendant environ un an (DT, aux pages 27, 662 à 664, 667 à 672, 674, 702, 709, 730, 732).

 

[66]           Le 5 août 2006, M. Noha allègue qu’il s’est échappé de détention avec l’aide d’un ami officier militaire, le colonel Abiodun. M. Noha a déclaré qu’il a vécu caché pendant quelques jours et qu’ensuite il s’en est venu au Canada, où il serait arrivé le 6 septembre 2006. M. Noha a présenté une demande d’asile ici le 18 septembre 2006 (DT, aux pages 24, 28, 670 et 671).

 

[67]           Pour les motifs non exhaustifs qui suivent, la Commission a déclaré que le récit de M. Noha était dépourvu de crédibilité (motifs de la Commission, au paragraphe 26).

 

Le caractère pertinent du nom de la tribu et de la langue maternelle du demandeur

 

[68]           Lors de son audience devant la SPR, M. Noha a témoigné qu’il venait de la tribu Haoussa, que sa langue maternelle est le haoussa et qu’il parle aussi les langues edo et yorouba (DT, aux pages 646 à 648).

 

[69]           Dans le formulaire de demande d’asile qu’il a rempli, M. Noha a écrit qu’il était [traduction] « un Ibo du Bendel » et que sa langue maternelle était l’edo (DT, à la page 487). La Commission a conclu que ses déclarations n’étaient pas logiques. Comment un autochtone Ibo pouvait‑il avoir l’edo comme langue maternelle? (motifs de la Commission, au paragraphe 28). Lorsqu’on lui a fait part de ces incohérences, M. Noha n’a fourni aucune explication.

 

[70]           La Commission a conclu que M. Noha n’était pas logique dans ses réponses à cet égard et que son comportement relativement à cette question révélait un manque de crédibilité, comme c’était le cas pour d’autres aspects de sa demande d’asile (motifs de la Commission, au paragraphe 28).

 

[71]           M. Noha déclare que la Commission a ainsi commis une erreur lorsqu’elle a accordé trop d’importance aux contradictions sur son groupe ethnique. Il soutient qu’il s’agit d’un aspect secondaire de sa demande.

 

[72]           Non seulement il ne s’agit pas d’un aspect secondaire, mais il s’agit en fait d’un point qui est au cœur de la demande de M. Noha, puisqu’il allègue être exposé à un risque qui trouve son origine en partie dans la lettre qu’il a envoyée au président du Nigeria pour la dénonciation des violences commises par certains groupes musulmans contre des chrétiens. Selon ses allégations, son propre grand‑père a été tué pendant les émeutes et ses parents ont été déplacés.

 

[73]           M. Noha a présenté une abondante preuve documentaire sur la question des [traduction] « conflits religieux au Nigeria » et des [traduction] « questions religieuses ». Une référence est faite aux pages 173 à 361 du dossier du Tribunal (188 pages au total). Selon M. Noha, ces documents l’ont amené à écrire des lettres au gouvernement de son pays d’origine lorsqu’il vivait aux États‑Unis (DT, à la page 59).

 

[74]           Par conséquent, cet aspect était clairement au cœur de sa demande, selon son propre point de vue.

 

[75]           Au Nigeria, la religion ne peut pas simplement être envisagée en dehors du contexte ethnique et géographique. La preuve documentaire présentée par M. Noha établit ce qui suit aux pages 340 et 344 du dossier du Tribunal :

[traduction]

Il existe une corrélation importante entre les différences religieuses et la diversité ethnique et régionale. Le Nord, composé en majorité de grands groupes houssas et fulfuldes, est dominé par les musulmans; cependant, il y a un nombre important de chrétiens dans les centres urbains du Nord. Les musulmans et les chrétiens vivent en grand nombre dans le centre. Dans le Sud‑Ouest, où le grand groupe ethnique yorouba représente la majorité, il n’y a pas de religion dominante. La plupart des Yoroubas sont de pratique soit chrétienne, soit musulmane, tandis que les autres continuent à pratiquer la religion traditionnelle yorouba, qui comprend une croyance en une divinité suprême et l’adoration de divinités de moindre importance qui servent d’agents de la divinité suprême dans différents aspects de leur vie quotidienne. À l’Est, le grand groupe ethnique igbo est dominant, les catholiques et les méthodistes représentent la majorité, même si beaucoup d’Igbos continuent d’observer des rites et des cérémonies traditionnelles.

 

[]

 

Les différences religieuses reflètent souvent les différences régionales et ethniques. Par exemple, les personnes du Nord et de certaines parties du Centre sont en grande partie musulmanes et proviennent des grands groupes ethniques haussas et fulfuldes qui tendent à dominer ces régions. Beaucoup de groupes ethniques du Sud sont en majorité chrétiens. Dans plusieurs régions du Centre, les musulmans fulfuldes sont souvent des éleveurs, tandis que les musulmans haussas et la plupart des groupes ethniques chrétiens sont souvent des agriculteurs ou travaillent dans des centres urbains. Par conséquent, la concurrence ethnique, régionale, économique et l’utilisation de la terre coïncident souvent avec les différences religieuses entre les groupes concurrents. [Non souligné dans l’original.]

 

(Nigeria – International Religious Freedom Report 2004).

 

[76]           La Commission disposait aussi d’autres éléments de preuve à cet égard; par exemple, le passage suivant du rapport sur les questions des droits de la personne au Nigeria : Mission conjointe britanico­danoise de recherche des faits à Abuja et à Lagos, au Nigeria (du 19 octobre au 2 novembre 2004), Danemark, janvier 2005, Service d’immigration du Danemark, à l’onglet 206 du cartable national de documentation sur le Nigeria, le 19 mars 2008 :

[traduction]

2.17. La population du Nigeria est estimée à 124 millions de personnes réparties de façon presque égale entre musulmans et chrétiens et à environ de 5 à 10 p. 100 d’animistes. En général, les chrétiens sont majoritaires au Sud du pays, tandis que les musulmans sont majoritaires au Nord. Le Nigeria compte environ 250 groupes ethniques. Plus des deux tiers de tous les Nigérians appartiennent à l’un des trois grands groupes : haussa‑fulfulde, yorouba et ibo (ou igbo). Les Haussas‑Fulfuldes sont musulmans tandis qu’une grande partie des Yoroubas et la plupart des Ibos sont chrétiens. [Non souligné dans l’original.]

 

(DT, aux pages 464 à 470; ce rapport est annexé au mémoire du demandeur, compte tenu de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 151 N.R. 215, 38 A.C.W.S. (3d) 992 (C.A.F.)).

 

[77]           Comme il ressort de la preuve documentaire, la confusion de M. Noha quant à sa langue maternelle, les langues qu’il parle et les groupes ethniques (DT, aux pages 646 à 650) n’est ni de moindre importance ni secondaire. Elle est plus que pertinente en ce qui concerne la crédibilité générale de M. Noha et, par conséquent, elle est au cœur de ses allégations.

 

[78]           Le défaut de témoigner de façon crédible, sous serment, ou l’inclusion de renseignements inexacts dans les documents fournis à l’appui d’une demande d’asile est toujours un élément pertinent quant au bien‑fondé de la demande. La Commission n’a commis aucune erreur dans sa conclusion à cet égard.

 

La délivrance du passeport du demandeur

 

[79]           La Commission a examiné la question de la délivrance du passeport de M. Noha. Le passeport de M. Noha lui a été délivré le 8 octobre 2003; il allègue qu’à cette date, il était aux États‑Unis (DT, aux pages 451, 557, 739).

 

[80]           Au début, M. Noha a déclaré qu’il avait besoin de son passeport pour retourner au Nigeria parce qu’il venait juste d’apprendre que son grand­père avait été tué lors d’une émeute pour motifs religieux, et que l’église de son grand‑père avait été incendiée. Beaucoup d’églises avaient été incendiées. M. Noha a allégué qu’il voulait retourner au Nigeria pour constater comment ces incidents avaient touché sa famille. Le colonel Abiodun du service de renseignements militaires, un ami M. Noha, a offert de lui procurer un passeport au Nigeria. Le colonel aurait dit à M. Noha que tout ce qu’on exigeait de lui était qu’il envoie une photographie. Aux dires de M. Noha, c’est ce qu’il fit et il n’a jamais eu besoin d’être présent au Nigeria pour obtenir le renouvellement de son passeport (DT, aux pages 558 à 562, 565).

 

[81]           Plus tard, lors de son témoignage (DT, aux pages 651 à 653), M. Noha a déclaré qu’il avait appris le décès de son grand‑père et l’incendie de l’église vers la fin de 2003, vers le mois de novembre ou décembre 2003 (non pas avant le 8 octobre 2003), pendant une conversation téléphonique avec M. Pius, un membre de l’église de son grand‑père. Plus tard, M. Noha a déclaré à la SPR que l’émeute en question a commencé en novembre 2003 (DT, à la page 653). Ce témoignage contredit, sans l’ombre d’un doute, son affirmation précédente selon laquelle il avait besoin d’un passeport en octobre 2003 après qu’il eut appris que son grand‑père était mort.

 

[82]           La seule explication fournie relativement à ce témoignage est la confusion quant au déroulement des incidents. La Commission a conclu que l’explication n’était pas convaincante, et qu’il n’était pas établi que M. Noha avait besoin d’un passeport nigérian (le 8 octobre 2003), pendant qu’il était aux États‑Unis (motifs de la Commission, au paragraphe 31).

 

Éléments de preuve contradictoires relatifs à la possession par le demandeur de l’original de son passeport

 

 

[83]           M. Noha n’a pas produit l’original de son passeport devant la SPR parce que, selon ses dires, il ne l’a jamais obtenu du colonel Abiodun. Apparemment, il n’a jamais demandé au colonel Abiodun l’original de son passeport et il n’a jamais eu l’original en sa possession. Tout ce qu’il avait c’était les deux premières pages du passeport (DT, aux pages 549, 555 à 559, 567). Aucune explication raisonnable n’a été fournie quant à la raison pour laquelle il n’avait jamais obtenu l’original de son passeport. La Commission était mise dans une situation où elle n’était pas en mesure de vérifier si, en fait, M. Noha avait voyagé avec ce passeport.

 

Le demandeur a déposé un faux document à la SPR

 

[84]           M. Noha a produit un article de journal pour étayer sa demande (dossier du demandeur, à la page 108; DT, à la page 363).

 

[85]           Cet article de journal semblait être une fabrication conçue pour tromper la Commission.

 

[86]           La SPR a écrit ce qui suit à cet égard :

[38]      Le demandeur d’asile a présenté un article tiré du Nigerian Observer (pièce P‑12) qui parle de lui. Le ministre a mis en doute l’authenticité du document en raison d’irrégularités dans la mise en page de l’article : les lettres sont plus claires dans la section mentionnant le demandeur d’asile que dans d’autres, aucun nom de journaliste ne figure en haut de l’article, la photographie accompagnant l’article n’a rien à voir avec le sujet et la qualité de l’anglais écrit est médiocre.

 

[39]      Le tribunal prend note de ces irrégularités, […]

 

 

[87]           Au même paragraphe 39 de ses motifs, la Commission a aussi mentionné ce qu’elle a appelé « un défaut plus essentiel » de l’article. L’article est daté du 14 août 2006 et il déclarait que M. Noha était au Canada et qu’il y demandait l’asile. M. Noha a seulement quitté le Nigeria le 1er septembre 2006. Par conséquent, il était encore au Nigeria à l’époque – et non pas au Canada où il est réputé être arrivé le 6 septembre 2006 (DT, aux pages 24 et 28 : la Commission a souligné que M. Noha était en prison au Nigeria le 14 août 2006, soit à la date de publication du journal. M. Noha aurait été remis en liberté le 5 août 2006. Néanmoins, M. Noha était au Nigeria, et non pas au Canada, le 14 août 2006).

 

[88]           Dans la présente affaire, la crédibilité de M. Noha était au cœur de sa demande d’asile. Sa crédibilité a été grandement remise en cause par le fait qu’il avait essayé d’étayer ses allégations à l’aide d’un article de journal contrefait. Le dépôt d’un faux document visant à confirmer des allégations dans une demande d’asile permet raisonnablement à la SPR de remettre en cause la crédibilité du demandeur (Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1192, [2007] A.C.F. no 1537 (QL), au paragraphe 7).

 

[89]           Lorsque la SPR conclut qu’un demandeur a gravement nui à sa propre crédibilité dans un cas particulier par la production d’un faux document, cela a bien des répercussions sur d’autres conclusions relatives à sa crédibilité (Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1008, 160 A.C.W.S. (3d) 860, au paragraphe 15).

 

[90]           Par conséquent, il était raisonnable que la Commission conclue que la crédibilité de M. Noha était grandement atteinte par le fait qu’il avait produit un faux document (motifs de la Commission, au paragraphe 42).

 

[91]           Étant donné que M. Noha n’avait pas produit de preuve fiable sur des points importants de son exposé circonstancié, la Commission a conclu qu’il n’avait pas établi qu’il était recherché au Nigeria, qu’il avait été détenu à son arrivée dans son pays d’origine à son retour des États‑Unis en 2005, qu’il s’était échappé, qu’il avait quitté le Nigeria en 2006, comme il le prétendait (motifs de la Commission, au paragraphe 37).

 

[92]           Considéré comme un tout, il était raisonnable que la Commission conclue que l’exposé circonstancié de M. Noha n’était pas crédible.

 

[93]           En soi, ce fait était suffisamment concluant pour que la SPR refuse la demande d’asile de M. Noha sur son aspect de non‑inclusion.

 

            L’allégation de « réfugié sur place »

 

[94]           La Commission a souligné l’allégation de M. Noha selon laquelle les autorités nigérianes avaient été contactées par les autorités canadiennes pour vérifier son identité par l’utilisation de ses empreintes digitales (motifs de la Commission, au paragraphe 43; dossier du demandeur, à la page 90).

 

[95]           Il ressort de la preuve que les autorités canadiennes ont contacté Interpol Nigeria (DT, aux pages 412 à 414, 455). Il n’y a aucune preuve établissant que le gouvernement nigérian a été contacté ou qu’il avait par ailleurs été informé de la demande d’asile présentée par M. Noha (page 455, idem).

 

[96]           La preuve documentaire établit qu’on a demandé à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de vérifier les empreintes digitales de M. Noha auprès d’Interpol pour confirmer son identité et savoir s’il avait un casier judiciaire. Le gouvernement du Canada n’a pas révélé aux autorités nigérianes que M. Noha avait demandé l’asile au Canada (page 455, idem). De plus, la lettre d’un inspecteur de police du Nigeria (dossier du demandeur, à la page 219) n’établit pas qu’il y a eu une telle divulgation (Moin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 473, 157 A.C.W.S. (3d) 603, au paragraphe 37).

 

[97]           Quoi qu’il en soit, la SPR ne disposait pas de cette lettre, puisqu’elle a été envoyée à la Commission après que la décision contestée dans la présente instance eut été rendue (DT, aux pages 4, 214 et 215).

 

[98]           La conclusion de la Commission sur la question de la demande de M. Noha de « réfugié sur place » est raisonnable, étant donné qu’une telle demande n’est pas basée sur la preuve.

 

Le témoignage de M. Oladurinwah Oki

 

[99]           Lors de l’audience, la Commission a entendu le témoignage de M. Oladurinwah Oki. La Commission a conclu qu’elle ne pouvait accorder aucune valeur probante à ce témoignage, puisque M. Noha lui‑même n’était pas crédible en ce qui concernait les éléments clés de sa demande (motifs de la Commission, au paragraphe 45).

 

[100]       Comme la Commission n’a pas cru à l’exposé circonstancié de M. Noha, le témoignage de M. Oki ne peut pas servir à établir les éléments clés de la demande.

 

[101]       La Commission a pris en compte le témoignage de M. Oki, mais ce témoignage ne pouvait pas servir à résoudre les nombreuses incohérences de l’exposé circonstancié de M. Noha ‑ incohérences que lui‑même n’avait pas été en mesure d’expliquer. Cette conclusion de fait ressortissait de la compétence de la Commission.

 

[102]       L’issue de la demande d’asile de M. Oki n’est pas pertinente quant à l’issue de la demande d’asile de M. Noha. Chaque demande doit être examinée sur le fond individuellement.

 

[103]       Un grand nombre d’affaires tranchées par la Cour ont établi que la CISR n’est pas liée par la décision qu’elle a rendue dans une autre demande, même lorsque la demande a trait à un parent. Le statut de réfugié est déterminé au cas par cas (Cortes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 254, 165 A.C.W.S. (3d) 509, au paragraphe 10; Aoutlev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 111, [2007] A.C.F. No. 183 (QL), au paragraphe 26).

 

La pertinence des témoignages produits dans une autre demande d’asile

 

[104]       M. Noha soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle n’a pas pris en compte le fait qu’un autre commissaire dans une affaire parallèle (celle de M. Oki) avait décidé que les témoignages de M. Noha et de M. Oki dans cette affaire‑là étaient crédibles.

 

[105]       Le fait qu’un autre commissaire, dans une autre affaire, a conclu que M. Oki était crédible n’est pas pertinent pour deux raisons : 1) dans la présente affaire, l’enjeu est relatif à la crédibilité de M. Noha et non pas à celle de M. Oki; 2) sur la base de l’abondante jurisprudence de la Cour, le fait que M. Oki ait obtenu le statut de réfugié parce que son témoignage avait été déclaré crédible dans son affaire, ne liait pas le commissaire chargé de trancher la demande d’asile de M. Noha.

 

[106]       Il est important de préciser que la preuve sur laquelle la conclusion relative à la crédibilité d’ensemble de M. Noha a été tirée n’était pas à la disposition du commissaire dans l’autre affaire.

 

Éléments de preuve présentés après que la Commission eut rendu sa décision

 

[107]       La Commission a rendu sa décision le 8 octobre 2008. Vers le 14 octobre 2008, le représentant du ministre a produit une preuve supplémentaire. Le 17 octobre 2008, M. Noha a déposé une réponse.

 

[108]       La CISR a renvoyé les deux documents aux avocats respectifs puisqu’une décision avait déjà été rendue dans l’affaire (dossier du demandeur, aux pages 224 et 225).

 

[109]       Par conséquent, puisque la Commission était dessaisie lorsque ces documents supplémentaires ont été produits, il était inapproprié de soulever de telles questions dans la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[110]       Il était loisible à M. Noha de présenter une demande de réouverture de sa demande, en application de l’article 55 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227.

 

[111]       Il est de droit constant que les éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au tribunal administratif lorsqu’il rendit sa décision ne sont pas admissibles dans le contrôle judiciaire de cette même décision, et aucune des quelques exceptions à ce principe général ne s’applique dans la présente affaire (Kainth c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 100, [2009] A.C.F. no 134 (QL), au paragraphe 26; Simuyu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 41, [2009] A.C.F. no 53 (QL), au paragraphe 16).

 

VI.  Conclusion

[112]       Pour tous les motifs exposés ci‑dessus, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM‑4927‑08

 

INTITULÉ :                                             AUGUSTUS CHARLES NOHA

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     le 9 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                            le 30 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Annick Legault

Jared Will

 

POUR LE DEMANDEUR

Normand Lemyre

Patricia Nobl

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annick Legault

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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