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Date : 20090521

Dossier : IMM-4148-08

Référence : 2009 CF 511

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2009

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

JOSE ALFREDO GONZALEZ MENESES,

MANYUSIN IVETTE VILLALOBOS ARELLANO,

JONATHAN IVAN GONZALEZ VILLALOBOS,

STEPHANIA ANDREA GONZALEZ VILLALOBOS

 

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, introduite conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), vise une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 21 août 2008, qui a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi.

 

I. Les faits

[2]               Le demandeur principal, Jose Alfredo Gonzalez Meneses, sa femme et ses deux enfants sont citoyens mexicains. Ils demeuraient dans la ville de Puebla, au Mexique. Ils ont demandé l’asile en vertu des articles 96 et 97 de la Loi, alléguant avoir reçu des menaces d’individus non identifiés qui exigeaient du demandeur principal qu’il leur verse 80 000 pesos d’ici la fin du mois d’août 2007, sans quoi ils enlèveraient la femme et les enfants de celui-ci.

 

[3]               Le demandeur principal a prétendu avoir commencé à recevoir des appels de menaces qu’il a signalé à la police de Puebla par téléphone, mais que celle-ci n’y a pas donné suite. Il prétend que, le 25 avril 2007, trois individus qu’il ne connaissait pas se sont approchés de son domicile et l’ont menacé d’enlever ses enfants s’il ne leur apportait pas l’argent d’ici la fin du mois. Le lendemain, il est allé au bureau du ministère public afin de signaler l’incident. Environ trois semaines plus tard, lorsqu’il répondait à un appel d’urgence du ministère public, il a vu le même homme qui lui avait adressé la parole le 25 avril 2007. Celui-ci portait une veste de sécurité noire et le demandeur principal l’a reconnu (ou presque) comme un agent de la police judiciaire. Il craignait la police. Il a discuté de ces événements avec sa femme, et ils ont décidé de quitter le Mexique.

 

[4]               Les demandeurs sont entrés au Canada le 21 août 2007 et ont demandé l’asile à l’aéroport le même jour.

 

II. La décision contestée

[5]               La Commission, dans sa décision de 14 pages, a exposé les faits et les motifs pour lesquels les craintes invoquées par les demandeurs n’étaient pas fondées sur une preuve convaincante que des membres de la police judiciaire étaient impliqués dans les menaces d’enlèvement et les exigences financières. La présomption de la protection de l’État n’a pas été réfutée.

 

[6]               La Commission a conclu que, si de telles menaces avaient été adressées, elles auraient fait des demandeurs des cibles ou des victimes d’actes criminels, qui ne peuvent être rattachés à aucun des motifs de la Convention. La Commission a tenu compte de la preuve documentaire produite, y compris celle faisant état de la corruption des fonctionnaires, des policiers et des forces de sécurité : toutefois, depuis l’an 2000, l’État mexicain a fait des efforts importants afin d’éradiquer la corruption et la criminalité. La Commission a conclu que le Mexique est un État démocratique, même si cette démocratie n’est pas parfaite, et qu’il pouvait offrir une protection efficace. Cependant, les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État, ni pris les mesures nécessaires afin de l’obtenir.

 

III. La question en litige

[7]               La décision de la Commission était-elle raisonnable?

 

IV. La Loi

[8]               Les articles 96 et 97 de la Loi énoncent ce qui suit :

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

  a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

  b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

  a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

  b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

  (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

  (a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

  (b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

  (a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

  (b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 

 

 

  (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

V. La norme de contrôle

[9]               La jurisprudence a établi que la norme de contrôle applicable aux questions de fait et aux questions mixtes de faits et de droit est celle de la raisonnabilité et que la norme de contrôle applicable aux questions de droit est celle de la décision correcte (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190). Il faut faire preuve de déférence envers les décisions fondées sur des conclusions de fait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12). Les manquements aux règles de justice naturelle ou d’équité procédurale sont aussi régis par la norme de contrôle de la décision correcte (Juste c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 670, aux paragraphes 23 et 24; Bielecki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 442, au paragraphe 28; Hasan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1069, au paragraphe 8).

 

VI. La présomption de protection de l’État

[10]           Dans l’arrêt Canada (M.C.I.) c. Flores Carrillo, [2008] 4 R.C.F. 636, portant sur la demande d’asile d’un citoyen du Mexique, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’une telle demande devait être rejetée parce que Carrillo n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État « avec une preuve claire et convaincante selon la prépondérance des probabilités ».

 

 

 

VII. Analyse

          A. Absence de lien

[11]           Comme la Commission l’a mentionné dans ses motifs, la Cour a clairement conclu que les victimes d’actes criminels, de corruption ou de vendettas échouent généralement dans leur tentative d’établir un lien entre leur crainte d’être persécutés et l’un des motifs prévus à la Convention dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[12]           Dans la présente affaire, les demandeurs affirment que leur vie et leur sécurité sont menacées par trois individus anonymes, qui, à leurs dires, sont des agents de la police judiciaire. La Commission a donc conclu qu’ils étaient des victimes d’actes criminels et que, par conséquent, ils ne répondaient pas à la définition de réfugié au sens de la Convention. 

 

[13]           La Cour a jugé que la situation des victimes d'actes criminels n’est pas rattachée à l'un des motifs visés par la Convention (Bacchus c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 821; voir aussi Rawji c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 87 F.T.R. 166; Mousavi-Samani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 74 A.C.W.S. (3d) 655).

 

[14]           Dans la décision rendue récemment par le juge Michel Beaudry, Castro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1282, celui-ci mentionne :

[25]     Il est admis en droit que, pour qu’une demande d’asile soit admise en vertu de l’article 96 de la Loi, le demandeur d’asile ne peut pas se limiter à montrer qu’il a subi ou qu’il subira une persécution dans son pays d’origine. Cette persécution doit également être rattachée à l’un des motifs visés par la Convention indiqués dans la définition de « réfugié », en application du paragraphe 2(1) de la Loi. Comme l’expliquait la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 61 :

 

[…] les rédacteurs de la Convention ont limité les motifs énumérés de crainte justifiée de persécution à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un groupe social ou aux opinions politiques. Même si les délégués ont inclus la catégorie du groupe social afin de combler toute lacune possible laissée par les quatre autres groupes, cela n’amène pas nécessairement à conclure que toute association ayant certains points en commun est incluse. Si c’était le cas, il aurait été inutile d’énumérer ces motifs; la définition du mot « réfugié » aurait pu être limitée sans plus aux personnes qui craignent avec raison d’être persécutées. Les rédacteurs ont décidé d’énumérer ces motifs afin de fixer une autre limite intrinsèque aux obligations des États signataires. […]

 

[26]     Le demandeur prétend qu’il a de bonnes raisons de craindre un groupe d’individus impliqués dans le blanchiment d’argent, et cela parce qu’il est victime d’actes criminels. Ce motif n’entre pas dans l’une des catégories énumérées de la définition de « réfugié au sens de la Convention », et la décision de la Commission sur ce point est donc raisonnable.

 

 

 

[15]           Compte tenu de ce qui précède, la décision de la Commission sur l’absence de lien entre les demandeurs et les motifs de la Convention était raisonnable.

 

          B. Protection de l’État

[16]           Le demandeur principal fonde la plupart de ses observations attaquant la décision de la Commission sur la protection de l’État. Il prétend que la preuve documentaire démontre que 70 pour 100 des enlèvements qui surviennent au Mexique impliquent des agents de police ou d’anciens agents de police. Il fait observer que la majorité de la population n’a pas confiance dans les institutions d’application de loi (police et tribunaux) de l’État.

 

[17]           Le demandeur principal prétend que la Commission n’a pas motivé sa décision sur ce point. Il ajoute que la Commission a négligé certains de ses éléments de preuve.

 

[18]           Le défendeur répond à cela que les demandeurs n’ont tenté qu’une seule fois d’obtenir la protection de la police par un appel téléphonique, sans en assurer le suivi. Le demandeur principal a en fait effectué une vérification une semaine plus tard, mais il s’est fait dire que l’enquête était en cours. Le défendeur prétend que la Commission a tenu compte de tous les éléments de preuve.

 

[19]           La preuve démontre que le demandeur principal a décidé de venir au Canada, plutôt que de s’assurer du suivi afin d’établir l’identité des individus, de solliciter davantage la protection de l’État ou de déménager dans une autre région du Mexique. Il incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État, et plus les institutions d’un État sont démocratiques, plus le demandeur doit en faire afin de démontrer qu’il a épuisé tous les recours dont il pouvait disposer. (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, aux paragraphes 56 et 57; Nava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 706, aux paragraphes 19 et 20; Granados c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 210, au paragraphe 19).

 

[20]           Une analyse de la décision de la Commission fondée sur une interprétation raisonnable des faits démontre que les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption de protection adéquate de l’État, ni celle de la possibilité de refuge intérieur, ce qui satisfait aux exigences de Dunsmuir, précité, et de la jurisprudence (voir Carrillo, précité, et Suarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 227).

 

[21]           Les demandeurs se fondent sur la décision Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 98; cependant, la lecture de ce jugement révèle que les demandeurs dans cette affaire avaient sérieusement tenté, à trois reprises, de trouver une possibilité de refuge intérieur. Ils ont aussi sollicité sans succès l’assistance de la police dans le passé concernant trois vols et des enlèvements s’étant produits. Par conséquent, les faits de cette affaire sont fort différents de ceux en l’espèce et appelaient une conclusion différente.

 

VIII. Conclusion

[22]           Pour tous les motifs précédemment mentionnés, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la Commission a commis une erreur déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

 

 

 


 

JUGEMENT

 

 

            La Cour ordonne :

 

 

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 21 août 2008 est rejetée.

 

            Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4148-08

 

INTITULÉ :                                       JOSE ALFREDO GONZALEZ MENESES et al. c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge suppléant Orville Frenette

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

B. J. Maierovits                                                POUR LES DEMANDEURS

 

N. Muhammed-Ally                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joel Etienne Law Firm                                      POUR LES DEMANDEURS

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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