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Date :  20090702

Dossier :  IMM-4136-08

Référence :  2009 CF 688

Ottawa (Ontario), le 2 juillet 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

VALDANO TOUSSAINT

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Au préalable

[1]               Selon la plume du juge Marshall Rothstein, dans l’arrêt Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 85, [2005] 3 R.C.F. 487, de la Cour d’appel fédérale, où le juge Rothstein a siégé avec les juges Marc Noël et Brian Malone :

[56]      La Section de l'immigration a estimé que M. Poshteh avait poursuivi ses activités au sein de la MEK jusqu'à l'âge de dix-sept ans et onze mois. Lorsqu'un mineur de cet âge a connaissance des activités violentes d'une organisation, qu'il accepte de son plein gré un rôle dans cette organisation, qu'il exerce ce rôle durant deux ans et qu'il ne quitte l'organisation qu'après avoir été arrêté, on ne saurait dire qu'il est déraisonnable pour la Section de l'immigration de ne pas avoir accepté ses arguments fondés sur son statut de mineur et de l'avoir considéré comme un membre de l'organisation terroriste.

 

[...]

 

[59]      Je ne crois pas que la Convention relative aux droits de l'enfant soit pertinente ici. Aux fins de la Convention, la décision rendue dans la présente affaire résulte d'une procédure engagée devant la Section de l'immigration. Cependant, lorsque l'affaire a été étudiée par la Section de l'immigration, M. Poshteh n'était plus un mineur. Il avait dix-huit ans lorsqu'il est arrivé au Canada. Après lecture de la Convention, je suis d'avis qu'elle concerne l'intérêt des enfants tant qu'ils sont des enfants. Elle ne prétend pas conférer des droits aux adultes.

 

[…]

 

[64]      Je répondrai de la manière suivante à la question certifiée :

 

[...]

 

b)         la Convention relative aux droits de l'enfant ne s'applique pas lorsque l'instance et la décision surviennent alors que l'intéressé n'est plus un mineur;

 

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission), daté du 29 août 2008, par laquelle le demandeur était interdit de territoire pour criminalité organisée au sens de l’article 37 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).

 

[3]               Plus précisément, la Commission a conclu que les gangs de rue connus sous les vocables « Bo-Gars , « Young Master Crew » et « Blood Mafia Family » étaient des organisations visées par l’article 37 de la LIPR. La Commission a aussi conclu qu’il y avait des motifs raisonnables de croire que le demandeur était membre de ces groupes.

III.  Faits

[4]               Il est bon de résumer, de manière non exhaustive, l’historique des procédures visant le demandeur. Il convient de noter toutefois que ces procédures ont peu de liens avec le présent litige qui traite de la décision d’interdiction de territoire pour criminalité organisée en vertu de l’article 37 de la LIPR.

 

[5]               Le demandeur, monsieur Valdano Toussaint, est né le 28 octobre 1986 en Haïti. Il demeure citoyen de ce pays. Le 16 juillet 1997, monsieur Toussaint est entré au Canada à titre de résident permanent sous le parrainage de son père.

 

[6]               Le 8 novembre 2007, la Section d’appel en immigration (SAI) concluait que monsieur Toussaint était interdit de territoire pour grande criminalité au sens du paragraphe 36(1) de la LIPR.

 

[7]               Tel qu’indiqué au paragraphe 17 des motifs de la SAI, les 8 novembre 2003 et 19 mars 2004, alors que monsieur Toussaint était mineur, celui-ci fut trouvé coupable d’une panoplie d’infractions, savoir complicité de vol qualifié (art. 463a) et 344b) du Code criminel (C.cr.), recel C.cr. art. 355b)(1)), présence illégale (C.cr. art. 349(1)), vol qualifié (C.cr. art. 344b)), possession d’une arme dans un dessein dangereux (C.cr. art. 88(2)), séquestration (C.cr. art. 279(2)a)), vol qualifié (C.cr. art. 344b)), 2 chefs de voies de fait armées (C.cr. art. 267a)), 2 chefs de voies de fait avec lésions corporelles (C.cr. art. 267b)) et vol qualifié (C.cr. art. 344a)).

 

[8]               De plus, selon le Mandat de dépôt et ordonnance de placement de l’adolescent à une peine applicable aux adultes, monsieur Toussaint a été condamné à purger une peine de 28 mois d’emprisonnement. Le 30 juin 2004, son placement a été ordonné dans un établissement correctionnel pour adultes (motifs de la décision de la SAI au par. 18).

 

[9]               Cette décision a fait l’objet d’une demande d’autorisation devant cette Cour, dans le dossier IMM-5148-07. La demande fut rejetée le 26 mars 2008, au stade de l’autorisation.

 

[10]           Il y a donc chose jugée sur cette question.

 

[11]           Tant devant la SAI que dans les mémoires déposés devant cette Cour, la question de l’exception à l’interdiction de territoire prévue à l’alinéa 36(3)e) a été évoquée. Il n’est donc pas opportun de refaire ce débat dans le présent dossier.

 

[12]           La trame factuelle suivante est survenue après que monsieur Toussaint ait acquis sa majorité.

 

[13]           Le ou vers le 26 octobre 2005, la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) ordonnait la libération de monsieur Toussaint sous conditions, notamment celle de s’abstenir de faire usage d’alcool ou de drogues. Le ou vers le 19 décembre 2005, la libération conditionnelle de monsieur Toussaint était suspendue pour consommation de drogues.

 

[14]           Le 31 mai 2006, monsieur Toussaint fut à nouveau libéré sous conditions suite à une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC). Il fut aussitôt mis en détention pour des fins d’immigration par l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

 

[15]           Le 4 août 2006, la Section de l’immigration ordonna la libération de monsieur Toussaint sous conditions. Les conditions prévoyaient, notamment, qu’il ne devait pas quitter le domicile de ses parents sans sa mère ou son père et qu’il devait travailler au même endroit et aux mêmes heures que son père.

 

[16]           Le ou vers le 6 juillet 2007, monsieur Toussaint a été arrêté par l’ASFC pour non-respect de ses conditions, ayant été congédié de son emploi. L’ASFC a aussi appris qu’un mandat avait été lancé contre monsieur Toussaint par le Service de police de la ville de Montréal (SPVM), pour trafic de crack cocaïne et complot en vue de faire le trafic.

 

[17]           Le 20 juillet 2007, monsieur Toussaint était libéré sous conditions, l’une d’entre elles étant de se présenter à l’ASFC une fois par mois.

 

[18]           Le 14 mars 2008, monsieur Toussaint a omis de se présenter et un mandat d’arrestation fut émis par l’ASFC.

 

[19]           Toutefois, trois jours plus tard, soit le 17 mars 2008, monsieur Toussaint a été arrêté par la SPVM, un mandat ayant été émis pour tentative de meurtre.

[20]           Le 22 juillet 2008, monsieur Toussaint a été reconnu coupable de possession d’arme dans un dessein dangereux. Étant donné qu’il était en détention préventive depuis février 2008, il a purgé une sentence d’un mois.

 

IV.  Analyse

            Norme de contrôle

[21]           Dans l’affaire Castelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 788, 169 A.C.W.S. (3d) 844, le juge Luc Martineau complétait une analyse de la norme de contrôle applicable lors de la révision judiciaire d’une décision d’interdiction de territoire prononcée pour criminalité organisée. La Cour notait qu’il s’agit essentiellement d’une appréciation factuelle, pour laquelle la norme de la décision raisonnable s’applique :

[10]      Dans la décision Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CAF 122, [2005] A.C.F. no 587 (QL) (Thanaratnam), une affaire dans laquelle avait été examinée la portée de l'article 37 de la Loi, le juge Evans a conclu au paragraphe 27 que le fait de déterminer si la preuve était suffisante pour constituer des « motifs raisonnables de croire » qu'un demandeur « se livrait à des activités faisant partie » d'un plan d'activités criminelles était une question mixte de fait et de droit. Toutefois, comme les éléments factuels étaient d’importance considérable, le juge Evans avait conclu que la norme appropriée était celle de la décision manifestement déraisonnable. Voir aussi Thaneswaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2007 CF 189, [2007] A.C.F. no 253 (QL).

 

[11]      Depuis l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, daté du 7 mars 2008, la norme de la décision manifestement déraisonnable est disparue, faisant place à celle de la « décision raisonnable », une norme hybride à spectre variable. En effet, comme le soulignent les juges Bastarache et LeBel, au paragraphe 48, « [l]’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt [Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748]. » Aussi, en matière d’évaluation de la preuve ou de détermination par le tribunal de la crédibilité des témoins, cette Cour ne devrait pas intervenir à moins qu’il s’agisse d’«une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, c. F-7, telle que modifiée; Anjete c. Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2008 CF 644, aux paragraphes 3 et 4; et Bielecki c. Canada (Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté), 2008 CF 442, aux paragraphes 16 à 23).

 

[12]      Ceci dit, dans l’évaluation de la légalité de la conclusion du tribunal voulant que la demanderesse soit interdite de territoire pour raison de criminalité organisée parce qu’il y a des motifs raisonnables de croire que celle-ci était membre d’une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi, « [l]e caractère raisonnable ou non tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, paragraphe 47).

 

[22]           Pour l’essentiel, cette Cour est appelée à réviser les conclusions factuelles du tribunal. La norme de la décision raisonnable, telle que décrite par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, prévaut.

 

Interdiction de territoire pour criminalité organisée

[23]           L’alinéa 37 de la LIPR est libellé comme suit :

Activités de criminalité organisée

 

37.      (1) Emportent interdiction de territoire pour criminalité organisée les faits suivants :

 

a) être membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle se livre ou s’est livrée à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation ou de la perpétration, hors du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une telle infraction, ou se livrer à des activités faisant partie d’un tel plan;

 

 

b) se livrer, dans le cadre de la criminalité transnationale, à des activités telles le passage de clandestins, le trafic de personnes ou le recyclage des produits de la criminalité.

 

Application

 

(2) Les dispositions suivantes régissent l’application du paragraphe (1) :

 

a) les faits visés n’emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l’étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national;

 

b) les faits visés à l’alinéa (1)a) n’emportent pas interdiction de territoire pour la seule raison que le résident permanent ou l’étranger est entré au Canada en ayant recours à une personne qui se livre aux activités qui y sont visées.

Organized criminality

 

 

37.      (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of organized criminality for

 

(a) being a member of an organization that is believed on reasonable grounds to be or to have been engaged in activity that is part of a pattern of criminal activity planned and organized by a number of persons acting in concert in furtherance of the commission of an offence punishable under an Act of Parliament by way of indictment, or in furtherance of the commission of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute such an offence, or engaging in activity that is part of such a pattern; or

 

(b) engaging, in the context of transnational crime, in activities such as people smuggling, trafficking in persons or money laundering.

 

 

 

 

Application

 

      (2) The following provisions govern subsection (1):

 

(a) subsection (1) does not apply in the case of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest; and

 

 

(b) paragraph (1)(a) does not lead to a determination of inadmissibility by reason only of the fact that the permanent resident or foreign national entered Canada with the assistance of a person who is involved in organized criminal activity.

 

[24]           Une interdiction de territoire pour criminalité organisée requiert donc deux éléments, soit:

a)      La présence de motifs raisonnables de croire que l’organisation est visée par la définition de l’alinéa 37(1)a);

b)      Que la personne en cause soit membre de l’organisation ainsi visée.

(Castelly, ci-dessus, aux par. 14-16).

 

Les « Bo-Gars », le « Young Master Crew » et le « Blood Mafia Family » sont des organisations visées par l’article 37 de la LIPR

 

[25]           Le sergent-détective Benoît Desjardins-Auclair du SPVM a témoigné à titre de témoin expert devant la Commission.

 

[26]           Le témoin a expliqué que le gang de rue des Bo-Gars avait sous sa tutelle le Blood Mafia Family et le Young Master Crew. Ces organisations sont des gangs de rue dits d’allégeance rouge ou d’allégeance Blood. Le Young Master Crew aurait cédé sa place au Blood Mafia Family.

 

[27]           L’organisation Blood Mafia Family est impliquée principalement dans le trafic des stupéfiants, dans la perpétration de crimes violents, dans des gestes d’intimidation envers les policiers et les civils, dans les vols qualifiés et les vols de véhicules. Le Blood Mafia Family compterait 30 membres et/ou relations (notes sténographiques du 10 juillet 2008 à la p.4).

 

[28]           C’est donc sans aucune surprise que la Commission a conclu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les rouges en général, et le Bo-Gars, le Young Master Crew et le Blood Mafia Family en particulier sont des organisations au sens de l’article 37 de la LIPR.

 

[29]           La Commission s’exprime ainsi aux pages 5 et 6 de ses motifs :

Donc, à mon avis le témoignage du policier Desjardins-Auclair a été très, très clair et très documenté sur ce que les organisations criminelles, de gangs de rue en général, et en particulier les Bo-Gars, les Young Master Crew et plus récemment le groupe émergent des Blood Mafia Family. Ils sont impliqués dans les crimes violents, prostitution, trafic de drogue, contrôle d’influence, tout ça.

 

[...]

 

[...] À mon avis, il existe des motifs raisonnables de croire que les organisations que j’ai nommées, que ce soit les Blood, les rouges en général ou les Bo-Gars ou les Young Master Crew ou le Blood Mafia Family, en particulier, tombent sur le coup de la définition d’organisations criminelles. (La Cour souligne).

 

[30]           Cette conclusion est raisonnable.

 

[31]           Ce premier volet de l’analyse complétée en vertu de l’article 37 n’est pas contesté par monsieur Toussaint. Il existe des motifs raisonnables de croire que ces organisations se livrent ou se sont livrées à des activités faisant partie d’un plan d’activités criminelles organisées par plusieurs personnes agissant de concert en vue de la perpétration d’une infraction à une loi fédérale punissable par mise en accusation.

[32]           Cette conclusion sans équivoque ne soulève aucune question sérieuse et doit être tenue pour avérer.

 

Le demandeur est membre de ces organisations

[33]           Le sergent-détective Desjardins-Auclair a témoigné que monsieur Toussaint était membre du Young Master Crew et un chef du Blood Mafia Family. On peut lire ce qui suit aux pages 3 et 4 des notes sténographiques de l’audience du 10 juillet 2008 :

[...] J’ai toujours la même conclusion et plus précisément, monsieur Toussaint maintenant chez nous est considéré et aurait le statut d’un chef d’une organisation criminelle qui maintenant se nome BMF, Blood Mafia Family. Il a été membre de Young MC Crew (sic), qui est un gang de rue émergeant qui était sous la tutelle des Beaux Gars (sic). (La Cour souligne).

 

[34]           L’appartenance de monsieur Toussaint à ces groupes est contemporaine; monsieur Toussaint est membre des Bo-Gars et du Blood Mafia Family en 2008, alors qu’il est un adulte.

 

[35]           Ainsi, tout argument qui cherche à évoquer la minorité de monsieur Toussaint n’est pas probant – monsieur Toussaint, qui est majeur, était membre d’une organisation criminelle en août 2008 lorsque la Commission a rendu sa décision. Ce constat est distinct des accusations criminelles qui ont mené à l’autre interdiction de territoire pour grande criminalité en vertu de l’article 36 de la LIPR.

 

[36]           La situation évoquée par monsieur Toussaint dans l’affaire Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 487, [2005] A.C.F. no 381 (QL), ne s’applique pas en l’espèce. En effet, monsieur Poshteh a cessé ses activités avant d’avoir dix-huit ans :

[5]        M. Poshteh et un ami distribuaient une ou deux fois par mois à Téhéran des tracts de la MEK. Il s'est livré à cette activité de février 2000 jusqu'en juin 2002, alors qu'il avait presque dix-huit ans (plus exactement dix-sept ans et onze mois). Il a cessé cette activité lorsqu'il fut arrêté et détenu durant deux semaines par la police. En dehors de la distribution des tracts, il n'exerçait aucune autre activité au sein de la MEK. (La Cour souligne).

 

[37]           Au contraire, monsieur Toussaint a poursuivi ses activités au sein des gangs de rue bien après avoir atteint sa majorité, devenant un chef du Blood Mafia Family. La situation de monsieur Toussaint est complètement différente de celle de monsieur Poshteh. De toute façon, il convient de noter que la décision de la Section de l’immigration dans Poshteh a été maintenue par la Cour d’appel fédérale.

 

[38]           Par ailleurs, dans l’affaire Castelly, ci-dessus, le juge Martineau précisait que l’application de l’article 37 de la LIPR ne nécessitait pas la présence d’accusations ou de condamnations au criminel :

[26]      Or, cette prétention de la demanderesse n’affecte pas la légalité de la décision rendue par le tribunal. En effet, l’appartenance à une organisation visée à l’alinéa 37(1)a) de la Loi ne requiert pas l’existence d’accusations ou de condamnations criminelles. D’ailleurs, la jurisprudence a clairement établi qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne concernée soit membre d’une organisation, mais bien plutôt qu’il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle est membre : l’alinéa 37(1)a) et l’article 33 de la Loi; Moreno c. Canada, [1994] 1 C.F. 298 (C.A.); et Mugesera, au paragraphe 114. (La Cour souligne).

 

[39]           Monsieur Toussaint a signé un affidavit à l’appui de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Il ne nie pas être membre des Bo-Gars ou du Blood Mafia Family. Certes, une telle dénégation de monsieur Toussaint aurait été attendue s’il n’est pas membre de ces organisations.

[40]           À cette preuve s’ajoutent des déclarations extrajudiciaires de monsieur Toussaint. À son entrée au pénitencier, le 20 avril 2004, monsieur Toussaint fut appelé à compléter et signer une Fiche de renseignements où il a répondu comme suit aux questions :

Faites-vous partie d’une organisation criminelle?

Si oui laquelle? « Oui, Bo-Gars ».

 

Êtes-vous affilié à une organisation criminelle?

Si oui laquelle? « Oui, Bo-Gars ».

 

[...]

 

Êtes-vous partisan d’une organisation criminelle?

Si oui laquelle? « Oui, Bo-Gars »

 

(Pièce « K » de l’affidavit de Hélène Jarry).

 

[41]           La Cour ne voit guère pourquoi monsieur Toussaint signerait de telles déclarations si elles étaient inexactes. Ces déclarations constituent l’une des nombreuses preuves qui permettent de conclure qu’il y a des motifs raisonnables de croire que monsieur Toussaint est membre des Bo-Gars et du Blood Mafia Family.

 

[42]           La Commission a noté que la déclaration de monsieur Toussaint adressée à la Section de l’immigration, le 8 juin 2006, indique, sans équivoque, son appartenance à des gangs de rue. Cette appartenance se poursuit, jusqu’à ce jour, monsieur Toussaint étant maintenant reconnu à titre de chef du Blood Mafia Family.

 

[43]           La Commission a pris actes des tatouages sur le corps de monsieur Toussaint qui permettent de conclure qu’il est membre d’un gang de rue, et plus particulièrement du gang Blood Mafia Family. Les motifs de la Commission notent le témoignage du sergent-détective Desjardins-Auclair sur cette question :

a)      le tatouage sur l’abdomen du demandeur est représentatif de la vie de gang et de la vie d’un criminel;

b)      les marques « B » sur le corps du demandeur représentent le terme « Blood » et l’initiale BMF, Blood Mafia Family.

(Affidavit de Hélène Jarry, pièce « M », en liasse »).

 

[44]           Monsieur Toussaint allègue qu’il est impossible que ces tatouages aient été faits alors qu’il était mineur. Ceci est sans importance, surtout dans la mesure où monsieur Toussaint a persisté dans ses activités de criminalité organisée jusqu’à ce jour.

 

[45]           Il était raisonnable pour la Commission de conclure que monsieur Toussaint est membre des Bo-Gars, du Young Master Crew et du Blood Mafia Family. Monsieur Toussaint ne soulève aucune question sérieuse qui pourrait mettre en doute le constat de la Commission.

 

Renvoi du demandeur n’est pas en cause dans le présent dossier

[46]           Au paragraphe 2.1b) de son mémoire, monsieur Toussaint indique que son renvoi du Canada « constitue une atteinte à sa vie et à sa sécurité ».

 

[47]           Avec égards, le rôle de la Commission n’est pas de trancher la question de l’éventuel renvoi de monsieur Toussaint vers Haïti. Le rôle de la Commission est, plutôt, de déterminer si monsieur Toussaint doit être interdit de territoire pour criminalité organisée au sens de l’article 37 de la LIPR. La situation qui prévaudrait dans le pays de nationalité de monsieur Toussaint est sans incidence sur la décision que doit rendre la Commission.

 

[48]           En effet, la LIPR prévoit d’autres mécanismes pour apprécier cette question, notamment la demande de protection dans le cadre de l’examen des risques avant renvoi. Monsieur Toussaint a présenté une demande de protection en octobre 2008.

 

V.  Conclusion

[49]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4136-08

 

INTITULÉ :                                       VALDANO TOUSSAINT

                                                            c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ

                                                            PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 10 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 2 juillet 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Marie-Hélène Giroux

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MONTEROSSO GIROUX, s.e.n.c.

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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