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Date :  20090629

Dossier :  IMM-4936-08

Référence :  2009 CF 674

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2009

En présence de L'honorable Max M. Teitelbaum 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

demandeur

et

 

LOUIS, Mac Edhu

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (Loi) la révision judiciaire de la décision rendue le 9 septembre 2008 (décision), par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Commission), reconnaissant au défendeur la qualité de réfugié et celle de personne à protéger conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi et accueillant sa demande d’asile.

 

 

Les faits

[2]               Citoyen haïtien, le défendeur était policier en Haïti de juin 1995 à octobre 1997. Dans le cadre de ses fonctions, il lui est arrivé à quelques reprises d’appréhender ce que la Commission a qualifié de « criminels en vue du pouvoir […] et de gens qui étaient liés à différents partis politiques »  (paragraphe 3 de la décision).

 

[3]               À la suite de ces diverses appréhensions, le défendeur a témoigné devant la Commission, indiquant qu’il a fait l’objet de nombre de menaces qui ont culminé, à la fin octobre 1997, en ce qu’il a qualifié de « prise en otage » par une bande armée, de laquelle il a pu échapper grâce à l’aide d’un membre de la bande. À peine deux jours plus tard, une autre bande armée serait débarquée à son domicile alors qu’il était absent. Ces deux évènements auraient convaincu le défendeur de la nécessité de fuir Haïti, ce qu’il fut finalement à la fin novembre à bord d’un bateau commercial destiné pour Miami, en Floride.

 

[4]               Arrivé à Miami, le 26 novembre 1997, le défendeur a attendu au mois de février 1998 avant de présenter une demande d’asile de surcroît en utilisant une fausse identité et une histoire sans aucune commune mesure avec celle avancée aujourd’hui. Il aurait représenté aux autorités Américaines qu’il était présent sur le territoire depuis le 18 mai 1994 et aurait passé sous silence le fait qu’il était policier en Haïti.

 

[5]               Le défendeur explique avoir agi ainsi à la suite de conseils d’un dénommé M. Thomas, un agent d’immeuble également d’origine haïtienne qui l’assistait avec ses démarches aux États-Unis. M. Thomas lui aurait expliqué que les policiers haïtiens n’étaient jamais acceptés en tant que réfugiés aux États-Unis et qu’il ferait bien d’affirmer qu’il était arrivé sur le territoire en 1994 afin de tirer profit d’un programme d’amnistie.

 

[6]               En décembre 1999, le défendeur fut arrêté par la police en Floride en possession d’une arme à feu dissimulé sous le siège de sa voiture. Il a été accusé d’avoir dissimulé une arme, accusation pour laquelle il a enregistré un plaidoyer de culpabilité et a été condamné à une peine de probation d’une durée de dix-huit mois, qui n’aurait selon ses dires finalement été que de neuf mois.

 

[7]               Le 21 mai 2001, la demande d’asile du défendeur fut finalement rejetée en raison de l’exhaustion de l’ensemble de ses moyens d’appels. Il était, dès lors, sous l’obligation de quitter le territoire des États-Unis. Malgré cela, le défendeur demeura aux États-Unis jusqu’au 3 novembre 2006 quand il se présenta au port d’entrée de Peace Bridge à Fort Erie et déposa la demande d’asile qui nous concerne.

 

La décision contestée

[8]               Le ministre soulève trois motifs qui justifient à ses yeux que la décision de la Commission soit cassée et qu’une nouvelle audience soit tenue devant un autre commissaire. D’abord, la Commission aurait erronément évalué un élément de preuve présenté par le demandeur (le document M-1) qui démontre, de l’avis du ministre, qu’au cours de la période où le défendeur soutien avoir été policier en Haïti, ce qui constitue l’élément fondamental de sa demande d’asile, il se trouvait en fait sur le territoire des États-Unis et non en Haïti.

[9]               L’évaluation de la Commission à cet égard se retrouve au paragraphe 15 de sa décision. En somme, la Commission a jugé le défendeur crédible et a accepté l’explication de ce dernier quant à la raison pour laquelle le document en question, qui provient du système d’index central du Department of Justice Immigration and Naturalization Service des États-Unis, indique qu’il serait arrivé aux États-Unis via le port d’entrée de Miami le 18 mai 1994 et non en novembre 1997. Essentiellement, le défendeur a expliqué qu’il avait simplement offert cette date aux autorités américaines lors de la présentation de sa demande d’asile en février 1998.

 

[10]           Ensuite, le ministre allègue que la Commission aurait erré en droit et aurait restreint indûment l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en ne donnant pas avis au ministre avant ou au cours de l’audience d’une exclusion possible, tel que requis par les paragraphes 23(1) et (2) des Règles de la Section de la Protection des réfugiés, DORS/2002-228 (Règles), qui se lisent comme suit :

Avis au ministre avant l'audience d'une exclusion possible

 

23. (1) Si elle croit, avant l'audience, qu'il y a une possibilité que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés s'appliquent à la demande d'asile, la Section en avise par écrit le ministre et lui transmet les renseignements pertinents.

 

 

Avis au ministre pendant l'audience d'une exclusion possible

 

(2) Si elle croit, au cours de l'audience, qu'il y a une possibilité que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés s'appliquent à la demande d'asile et qu'elle estime que la participation du ministre peut contribuer à assurer une instruction approfondie de la demande, la Section en avise par écrit le ministre et lui transmet les renseignements pertinents.

Notice to the Minister of possible exclusion — before a hearing

 

23. (1) If the Division believes, before a hearing begins, that there is a possibility that sections E or F of Article 1 of the Refugee Convention applies to the claim, the Division must notify the Minister in writing and provide any relevant information to the Minister.

 

Notice to the Minister of possible exclusion — during a hearing

 

(2) If the Division believes, at any time during a hearing, that there is a possibility that section E or F of Article 1 of the Refugee Convention applies to the claim, and the Division is of the opinion that the Minister's participation may help in the full and proper hearing of the claim, the Division must notify the Minister in writing and provide the Minister with any relevant information.

 

 

[11]           Finalement, le ministre prétend que la Commission aurait erré en droit en ignorant son pouvoir de rendre une décision sur les questions d’exclusion sans la participation du ministre.

 

La norme de contrôle

[12]           Il est maintenant bien établi, en application des arrêts récents de la Cour Suprême du Canada traitant de cette question (Dunsmuir c. Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, (2009), 82 Admin. L.R. (4th) 1), que lorsqu’il s’agit d’une question de fait ou une question mixte de fait et de droit, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Eu égard aux questions de droit, la norme de contrôle est celle de la décision correcte. De surcroît, l’arrêt Khosa nous indique qu’il faut accorder déférence aux décisions de tribunaux administratifs.

 

[13]           En l’espèce, la première question soulevée par le demandeur a trait à l’évaluation de la preuve et de la crédibilité du défendeur quant à la question de savoir à quel moment, précisément, il est entré sur le territoire des États-Unis. Il ne s’agit pas d’une question de droit et donc c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique. Il ne faut pas oublier que, même avant les arrêts récents de la Cour Suprême du Canada, il était « bien établi par la jurisprudence que la Cour doit faire preuve d’une grande déférence eu égard aux décisions de la Commission touchant à des questions de crédibilité et d’évaluation de la preuve » (Zavala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 370, [2009] A.C.F. no 461 (QL) au para. 5).

 

[14]           En ce qui a trait à la deuxième question, à savoir si la Commission a erré en ne donnant pas d’avis au ministre en application de l’article 23 des Règles, il s’agit essentiellement d’une question d’équité procédurale. Lorsqu’il y a une violation des obligations en matière d’équité procédurale, la Cour n’a d’autre choix que de retourner la décision au tribunal en question (Rivas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 317, [2007] A.C.F. no 436 (QL) au para. 23).

 

[15]           Finalement, la troisième question, à savoir si la Commission a erré en ignorant qu’elle a le pouvoir de rendre une décision sur les questions d’exclusions sans la participation du ministre est une question de droit qui sera examinée selon la norme de contrôle de la question correcte.

 

 

Analyse

  1. La conclusion de la Commission quant à la date d’entrée aux États-Unis du défendeur est-elle déraisonnable?

 

[16]           Le demandeur se plaint que la Commission « a erronément évalué et capricieusement écarté le document « M-1 » n’accordant pas à celui-ci une juste valeur » (Mémoire du demandeur, au para. 19). Le défendeur soumet que l’argument soumis par le demandeur voulant qu’il soit impossible que le défendeur ait pu fournir une fausse date d’entrée aux autorités américaines qui aurait été consignée au système d’index central fait fi du fait que sur cette même fiche, il est indiqué que l’information qui s’y trouve y a été consignée le 9 février 1998, tel qu’indique la mention « DFO : 02091998 », « DFO » signifiant « [Traduction] Date où l’information consigné au dossier – CIS ».

 

[17]           L’argument du demandeur selon lequel « de telles informations peuvent seulement être consignées dans le système d’index central américain à la suite d’un contrôle de l’individu au port d’entrée lors de son arrivée aux États-Unis sur la base du formulaire « I-94 » » n’est pas appuyé par la preuve soumise par le demandeur. Les documents en question, qui sont les annexes « D » et « E » de l’affidavit de Hélène Exantus, sont des documents de nature générale qui traitent des frontières terrestres États-Unis/Canada et des divers types de visa offerts aux États-Unis.

 

 

[18]           Ces documents n’appuient aucunement l’argument avancé par le demandeur et ne mène certainement pas cette Cour à conclure que l’évaluation qu’a faite la Commission du document M-1 est déraisonnable. En l’absence de preuve convaincante pour appuyer la thèse qu’il est impossible que la date consignée dans le système d’index pour l’entrée aux États-Unis du défendeur soit fausse, la conclusion de la Commission, faite sur la base du témoignage jugé crédible du défendeur, ainsi que la preuve documentaire mettant en doute la validité de cette date, ne peut être qualifié de déraisonnable.

 

  1. La Commission a-t-elle erré en ne donnant pas avis au ministre d’une exclusion possible?

 

[19]           La Cour considère que la Commission a effectivement erré en ne donnant pas un tel avis au ministre en application du paragraphe 23(1) des Règles. Le paragraphe 23(1) des Règles exige qu’un tel avis soit fourni lorsque la Commission croit, avant l’audience, qu’il est possible qu’un motif d’exclusion s’applique à la demande d’asile. Ici, la Commission a cru, avant l’audience, à l’application possible d’un motif d’exclusion du fait que le défendeur aurait été déclaré coupable de l’infraction criminelle d’avoir dissimulé une arme.

 

[20]           Le défendeur lui-même avait déclaré, quoiqu’en termes quelque peu différents, le fait qu’il avait été déclaré coupable d’une infraction criminelle dans son formulaire de renseignements personnels reçu par la Commission le 29 novembre 2006. Avec le dépôt du document M-2, le demandeur a fourni davantage d’informations relatives à l’infraction commise. Le procès-verbal d’audience indique que la Commission s’est interrogée, avant l’audience, sur la pertinence de ces documents :

Parce que moi je ne pouvais pas passer à côté. Je me suis dit – je me suis posé la question : Pourquoi le Ministre nous a envoyé ça, il n’est pas présent en salle? J’ai été voir les équivalents. Moi je peux vous dire que c’est cinq la peine maximale pour l’équivalent […]

 

[Procès-verbal d’audience, à la page 6]

 

[21]           Cela amène la Cour à conclure qu’avant l’audience, la Commission s’est effectivement posé la question, vu le dépôt par le ministre du document M-2, si la demande d’asile pouvait être affectée par un motif d’exclusion. En envisageant cette possibilité, elle avait donc l’obligation, à ce stade-là, de fournir un avis au ministre, en application du paragraphe 23(1) des Règles. Cette conclusion est seulement renforcée par le fait que la Commission a effectivement procédé à examiner la question de l’application possible d’un motif d’exclusion, mais sans avoir avisé au préalable le ministre de l’intention de la Commission de procéder ainsi :

le Tribunal va définitivement demander à Me Desjardins et en commençant par Mme Weston, des questions sur ce qu’il a fait. Par la suite, je vais, en fait je verrai au cours de l’audience si 1F(b) peut être soulevé ou pas. Je le dirais en cours d’audience.

 

[…]

 

on va commencer par vous poser des questions sur le document qui a été déposé M-2, l’infraction, en fait vous avez plaidé coupable à une accusation. On va commencer par cette facette-là puis après ça nous allons aller dans votre histoire, si besoin est. Et si j’ai, entre temps, une décision, en fait, à rendre soit de soulever – et ça je suis sûre que votre avocate vous a parlé de la possibilité d’une clause d’exclusion, je vous le ferai savoir.

 

[Je souligne, pages 9 et 11 du procès-verbal d’audience]

 

[22]           Le résultat auquel est parvenue la Cour en l’instance est en conformité avec le peu de jurisprudence appliquant les paragraphes 23(1) des Règles.  Dans l’affaire Kanya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1677, (2005), 284 F.T.R. 243 le juge suppléant Paul Rouleau traitait d’un argument présenté par le demandeur, qui tentait d’obtenir la révision de la conclusion de la Commission selon laquelle il n’était pas un réfugié au sens de la Convention, disant que la Commission a violé les règles d’équité procédurale en n’avisant pas la partie adverse, c’est-à-dire le ministre, de la possibilité d’application des motifs d’exclusion.

 

[23]           Le juge Rouleau a fait droit à cette demande, indiquant comme suit : « la Commission a clairement précisé, au début de l’audience, qu’il y avait une « possibilité » que l’alinéa 1F(b) s’applique au demandeur. Il aurait fallu ajourner l'audience dès le début, aviser le ministre et accorder du temps au demandeur pour qu'il prépare la question de l'exclusion. » (au paragraphe 21). Bien que dans ce cas la violation des règles de l’équité procédurale fut invoquée au bénéfice du demandeur d’asile, il n’y a pas de raison pour laquelle un manquement aux obligations prévues au paragraphe 23(1) des Règles ne puisse pas être invoqué au même titre par le ministre qui, de par le libellé de cette disposition, est le véritable bénéficiaire de ladite obligation.

 

  1. La Commission a-t-elle erré en ignorant qu’elle a le pouvoir de rendre une décision sur les questions d’exclusion sans la participation du ministre?

 

[24]           Vu les conclusions de la Cour en ce qui a trait à la violation des règles de l’équité procédurale, cette question devient académique. De surcroît, la Cour n’est pas convaincue qu’il est juste de dire que la Commission a ignoré qu’elle a le pouvoir de rendre une décision sur les questions d’exclusion sans la participation du ministre. En fait, la Commission a rendu une décision à ce titre, en écartant les questions d’exclusion suite à un examen au fond de celles-ci. Le problème fondamental réside plutôt dans le fait que la Commission a effectivement procédé à cet examen sans en avoir avisé le ministre au préalable. La Commission en l’espèce n’avait pas le pouvoir de rendre une décision sur les questions d’exclusions, car elle n’a pas fourni un avis écrit au ministre avant l’audience indiquant qu’elle croyait à la possibilité qu’un motif d’exclusion s’applique.

 

[25]           Pour tous ces motifs, la demande de révision judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

 

 

 

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la demande soit accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié.

 

Il est clairement entendu que la décision est totalement mise de côté et doit être retirée du dossier.

 

Aucune question d’importance générale n'a été soumise pour certification.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4936-08

 

INTITULÉ :                                       MCI v. LOUIS, Mac Edhu

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 26 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            TEITELBAUM J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Evan Liosis

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Odette Desjardins

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Odette Desjardins

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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