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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20090623

Dossier : T-248-08

Référence : 2009 CF 657

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2009

En présence de madame la juge Simpson

 

ENTRE :

SYDNEY H. BELZBERG

 

demandeur

 

 

 

 

et

 

 

 

 

 

LE COMMISSAIRE AUX BREVETS et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Sydney H. Belzberg (le demandeur) sollicite, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire de l’omission, du refus et/ou du défaut négligent du commissaire aux brevets (le commissaire) d’accorder, par décision datée du 25 janvier 2007 (la décision du commissaire), un brevet relativement à la demande de brevet canadien no 2,119,921 intitulée « Système informatisé d’exécution de transactions boursières » (la demande de brevet).

 

[2]               La question à trancher en l’espèce est de savoir si le commissaire peut reprendre l’examen d’une demande de brevet après s’être prononcé sur toutes les irrégularités alléguées dans le refus de l’examinateur intitulé « Décision finale » suivant l’article 30 des Règles sur les brevets, DORS/96‑423 (les Règles).

 

APERÇU DU RÉGIME DE DEMANDE DE BREVET, DE LA LOI ET DES RÈGLES

 

[3]               Le commissaire est habilité à délivrer un brevet en vertu du paragraphe 27(1) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4 (la Loi).

27. (1) Le commissaire accorde un brevet d’invention à l’inventeur ou à son représentant légal si la demande de brevet est déposée conformément à la présente loi et si les autres conditions de celle-ci sont remplies.

27. (1) The Commissioner shall grant a patent for an invention to the inventor or the inventor’s legal representative if an application for the patent in Canada is filed in accordance with this Act and all other requirements for the issuance of a patent under this Act are met.

 

[4]               En outre, le commissaire peut refuser d’accorder un brevet. L’article 40 de la Loi dispose que le commissaire rejette la demande lorsqu’il s’est assuré que le demandeur n’est pas fondé en droit à obtenir la concession d’un brevet [Non souligné dans l’original]. Si le brevet est refusé, le demandeur peut se prévaloir du droit d’appel devant la Cour fédérale prévu à l’article 41 de la Loi.

 

[5]               L’article 44 de la Loi précise que la durée du brevet délivré sur une demande déposée le 1er octobre 1989 ou par la suite est limitée à 20 ans à compter de la date de dépôt de cette demande au Canada. Cela signifie que la durée de la protection conférée par le brevet commence à courir avant la délivrance du brevet.

 

[6]               Les demandeurs peuvent solliciter un examen accéléré. Ces demandes sont accueillies lorsque le commissaire établit que le fait de ne pas accélérer le traitement de la demande portera vraisemblablement atteinte aux droits du demandeur.

 

[7]               L’examinateur qui s’oppose à la demande au motif qu’elle n’est pas conforme à la Loi ou aux Règles informe le demandeur des irrégularités de la demande en lui remettant une demande en ce sens conformément au paragraphe 30(2) des Règles. Ces demandes sont aussi appelées des « communications du Bureau ». En réponse, le demandeur modifie la demande ou fait parvenir des arguments pour justifier sa conformité. L’échange de demandes et de réponses peut se poursuivre jusqu’à ce que l’examinateur accueille la demande en vertu du paragraphe 30(1) ou la rejette dans le cadre d’une décision finale en application du paragraphe 30(4). Le paragraphe 30(6) dispose que lorsque le refus n’est pas annulé selon le paragraphe 30(5), le commissaire en fait la révision et le demandeur se voit donner la possibilité de se faire entendre par la Commission d’appel des brevets (la CAB) avant que le commissaire rende une décision.

 

[8]               Le système d’examen des brevets est très souple et sensible aux nouvelles objections. Ainsi, le commissaire peut, suivant le paragraphe 30(7), retirer un avis d’admission avant la délivrance du brevet si un problème est décelé. Les brevets peuvent faire l’objet d’un examen même après leur délivrance. L’article 48.1 permet aux tiers de demander le réexamen de toute revendication d’un brevet délivré sur dépôt, auprès du commissaire, d’un dossier d’antériorité. L’alinéa 48.4(3)b) dispose que, lorsque le réexamen rejette toutes les revendications du brevet, celui-ci est réputé n’avoir jamais été délivré.

 

[9]               Par conséquent, les observations des parties sur l’interprétation de dispositions législatives  seront prises en considération en gardant à l’esprit que la Loi permet de révoquer la totalité ou une partie des revendications brevetées sur le fondement de l’antériorité même après la délivrance d’un brevet.

 

[10]           Le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (le RPBB) est un guide du Bureau des brevets qui expose ses pratiques exemplaires. Bien que le RPBB n’ait pas force de loi, j’estime qu’il constitue un outil d’interprétation utile.

 

[11]           Voici un extrait du chapitre 21 du RPBB intitulé « Décision finale » :

Le rapport d’une décision finale doit traiter en détail de toutes les raisons pour lesquelles la demande est considérée comme irrégulière. La procédure d’appel est limitée aux questions traitées dans la décision finale. L’examinateur ne pourra plus soulever des objections qu’il aurait manqué d’indiquer dans sa décision finale. De même, le demandeur ne pourra plus modifier sa demande, sauf pour effectuer tout changement requis dans la décision du commissaire sur la brevetabilité du cas.

 

[12]           De plus, l’article 21.07, intitulé « Décision du commissaire », dispose que :

Le commissaire réexaminera la conclusion de la Commission.

 

[…]

 

(b)        Dans le cas où le rejet de l’examinateur n’est pas justifié, il retournera la demande à ce dernier pour la reprise de la poursuite (paragraphe 31(b) des Règles sur les brevets), [...]

 

[13]           Enfin, l’article 21.08 prévoit notamment ce qui suit :

Une demande rejetée ne peut être l’objet d’une modification après l’expiration du délai de réponse à la requête de l’examinateur en vertu du paragraphe 30(4) des Règles sur les brevets, sauf

 

[…]

 

(b)        lorsque le commissaire est convaincu, après révision, que le rejet n’est pas justifié et que le demandeur a été avisé en ce sens;

 

[…]

 

Dans le cas (b) ci-dessus, lorsque le commissaire est convaincu que le rejet n’était pas justifié, le demandeur en est avisé, et la demande retourne à l’examinateur où elle reprend la poursuite normale. À ce stade, la demande sera acceptée normalement, mais elle peut être modifiée à la demande du demandeur (paragraphe 31(b) des Règles sur les brevets). [Non souligné dans l’original.]

 

FAITS

 

[14]           Les faits ne sont pas contestés.

 

A. DEMANDE DE BREVET

 

[15]           Le demandeur a déposé la demande de brevet le 23 mars 1994. Il a sollicité un examen de la demande de brevet le 18 octobre 1996 et a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance spéciale pour faire examiner de manière accélérée la demande de brevet en vertu de l’article 28 des Règles le 31 octobre 1996. L’ordonnance spéciale a été délivrée le 9 décembre 1996. Quinze des vingt années de protection éventuelle conférée par le brevet du demandeur se sont déjà écoulées.

 

[16]           Entre le 9 décembre 1996 et le 30 mai 2002, la Division de l’examen de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a examiné la demande de brevet. Dans le cadre de cet examen, sept rapports d’examen ont été établis. Ces rapports ont donné lieu à des demandes en vertu du paragraphe 30(2) des Règles et à sept protestations de tiers suivant l’article 10 des Règles. Même si deux avis d’admission ont été délivrés conformément au paragraphe 30(1) des Règles, le commissaire les a retirés avant la délivrance du brevet.

 

[17]           Le 30 mai 2002, la demande de brevet a été rejetée dans le cadre d’un huitième rapport d’examen en vertu du paragraphe 30(3) des Règles. Ce rapport différait toutefois des rapports antérieurs puisqu’il était désigné une « Décision finale » en conformité avec le paragraphe 30(4) des Règles (le rapport de la décision finale). Selon ce rapport, la demande de brevet contenait des irrégularités, notamment : i) elle était évidente eu égard à une combinaison d’autres antériorités; ii) les renseignements divulgués étaient insuffisants et la teneur des revendications était imprécise; iii) elle visait un objet inadéquat (collectivement, les prétendues irrégularités).

 

[18]           Le demandeur a donné suite au rapport de la décision finale en soumettant des observations datées du 30 octobre 2002 en conformité avec le paragraphe 30(4) des Règles. Une audience de la CAB a été convoquée le 23 mars 2005 pour passer en revue le refus de la demande de brevet, comme l’exige le paragraphe 30(6) des Règles. La Commission a conclu qu’aucune prétendue irrégularité n’était fondée.

 

B. DÉCISION DU COMMISSAIRE

 

[19]           Le 25 janvier 2007, le commissaire a rendu une décision. Selon la page couverture de la décision, le document comprend les conclusions de la CAB ainsi que la décision du commissaire (la décision).

 

[20]           S’agissant de la conclusion de la CAB, le document renferme le passage suivant :

En bref, la Commission conclut que linvention est divulguée de façon suffisamment détaillée et revendiquée de façon assez claire pour qu’un travailleur ordinaire versé dans lart puisse la mettre en œuvre. L’invention revendiquée nest pas évidente, compte tenu des antériorités, et la demande porte sur un objet qui relève de la définition d’invention.

 

Par conséquent, la Commission recommande que la décision de lexaminateur portant rejet de la demande soit infirmée et que la demande soit renvoyée à l’examinateur pour qu’il en poursuive l’instruction conformément à cette recommandation (la recommandation).

 

[21]           La recommandation de la CAB est suivie de la décision qui ne comporte qu’un paragraphe ainsi libellé :

Je souscris à la recommandation de la Commission voulant que la décision de l’examinateur portant rejet de la demande soit infirmée et que la demande lui soit renvoyée pour réexamen conformément à la recommandation de la Commission.

 

[22]           La décision reprend le dernier paragraphe de la recommandation de la CAB sans motifs. Par conséquent, les conclusions de la CAB peuvent être considérées comme les motifs de la décision du commissaire.

 

[23]           La recommandation de la CAB et la décision semblent étranges. La CAB n’a pas émis de recommandation pour poursuivre l’instruction. Il n’y avait donc aucune raison de renvoyer la demande de brevet à l’examinateur pour qu’il en poursuive l’instruction. Le commissaire a utilisé le même langage dénué de sens lorsqu’il a renvoyé la demande de brevet à l’examinateur pour qu’il en poursuive l’instruction conformément à la recommandation du CAB lorsque, en fait, cette recommandation n’existait pas.

 

[24]           Le RPBB susmentionné apporte des éclaircissements sur le langage qu’ont employé la CAB et le commissaire. D’après le RPBB, il s’agit d’une formulation ancienne qui signifie en réalité que le demandeur dispose, en l’occurrence, d’une dernière occasion pour modifier la demande de brevet avant son approbation.

 

[25]           Le RPBB énonce clairement que le rapport de la décision finale mène effectivement à une décision relative à la demande de brevet et non à un autre examen fondé sur des préoccupations qui n’ont pas été soulevées dans le rapport de la décision finale.

 

C. TRAITEMENT DE LA DEMANDE DE BREVET APRÈS LA DÉCISION

 

[26]           Après le prononcé de la décision, deux autres rapports d’examen et les demandes connexes ont été établis conformément aux paragraphes 30(2) et (3) des Règles; il s’agissait des neuvièmes et dixièmes rapports et demandes (les rapports et demandes postérieurs à la décision). Ces demandes reposaient sur un problème survenu pendant les examens antérieurs qui n’a pas été dévoilé dans le rapport de la décision finale et qui n’a pas été pris en compte par la CAB. Comme il est indiqué ci‑dessous, le demandeur a contesté la pertinence des rapports et demandes postérieurs à la décision et a affirmé que le commissaire n’était pas compétent pour reprendre l’instruction après le prononcé de la décision.

 

[27]           Les neuvièmes rapport d’examen et demande ont été communiqués le 26 juillet 2007, soit plus de six mois après le prononcé de la décision. Voici un extrait du rapport :

[traduction]

La reprise de l’instruction est entamée conformément à la décision du commissaire datée du 25 janvier 2007.

La référence suivante, bien qu’elle ait été citée dans les décisions antérieures, n’a pas été appliquée dans la décision finale du 30 mai 2002.

 

[28]           Le 28 septembre 2007, le mandataire du demandeur a écrit au commissaire pour lui demander de se pencher sans délai sur la pertinence du dernier rapport d’examen.

 

[29]           Le 31 octobre 2007, le sous-commissaire aux brevets a envoyé une lettre au mandataire du demandeur qui indiquait notamment ce qui suit :

 

[traduction]

Dans sa décision du 25 janvier 2007, le commissaire a souscrit à la recommandation de la Commission que la demande soit renvoyée à l’examinateur pour qu’il en poursuive l’instruction, conformément à la recommandation de la Commission. La demande a maintenant été examinée par l’examinateur selon la recommandation de la Commission et l’examinateur a informé le demandeur des irrégularités dans une lettre datée du 26 juillet 2007 en conformité avec le paragraphe 30(2) des Règles sur les brevets.

 

Comme cette affaire est en cours et fait l’objet d’une instruction ordinaire, il serait inopportun pour le commissaire d’examiner la demande et de rendre une décision à ce stade-ci. Le demandeur dispose d’une période de six mois à compter du 26 juillet 2007 pour modifier la demande afin de se conformer à la Loi et aux Règles ou de faire parvenir des arguments justifiant la conformité de la demande. Tout en reconnaissant la durée d’instruction de cette demande, je peux vous garantir que l’Office déploiera tous les efforts raisonnables pour accélérer les autres mesures à prendre pour instruire cette demande.

 

 

[30]           Le 15 novembre 2007, le demandeur a déposé une petite modification de forme en vertu de l’alinéa 31b) des Règles (la modification volontaire). À ce moment-là, le demandeur a réitéré sa demande de retrait du neuvième rapport d’examen et a signalé que le commissaire n’était pas compétent pour l’établir parce qu’il soulevait des questions sur le plan de l’évidence qui avaient été examinées auparavant, mais qui ne figuraient pas parmi celles évoquées dans le rapport de la décision finale. Voici donc les extraits pertinents :

[traduction]

La demande actuelle

 

Les refus pour raison d’évidence énoncés dans la communication du Bureau datée du 26 juillet 2007 enfreignent manifestement les Règles sur les brevets et la propre politique de l’OPIC formulée au chapitre 21. La Division de l’examen pouvait invoquer ces refus avant la décision finale. En effet, ils ont été avancés par d’autres examinateurs dans le cadre de l’instruction et le demandeur en a vraisemblablement triomphé puisqu’ils ne faisaient pas partie des « irrégularités non corrigées » de la décision finale. Autrement dit, la Division de l’examen avait déjà reconnu que ces motifs de refus ne constituent pas des irrégularités non corrigées.

 

Comme l’exige la loi, toutes les prétendues irrégularités non corrigées étaient énumérées dans la décision finale. Le commissaire a statué qu’aucune de ces prétendues irrégularités n’est fondée. En conséquence, la présente demande est conforme à la Loi et aux Règles. Les motifs de refus que la Division de l’examen a choisis d’exclure de la décision finale ne peuvent être invoqués à ce stade-ci pour tenter à tort d’instruire de nouveau la demande.

 

Le commissaire et la Division de l’examen ne possèdent pas le pouvoir discrétionnaire d’exempter une partie de l’observation de la Loi ou des Règles. La seule interprétation raisonnable de la Loi et des Règles oblige le commissaire à accueillir la demande en cause sur le fondement de la décision rendue par le commissaire aux brevets le 25 janvier 2007.

 

Le demandeur demande respectueusement que la commissaire se conforme à ses obligations issues du paragraphe 27(1) et émette un avis d’admission sans délai.

 

 

[31]           Le dixième rapport d’examen a été établi le 21 décembre 2007. Il s’agissait du deuxième rapport désigné comme une « Décision finale » sous le régime du paragraphe 30(4) des Règles. Il rejetait la demande de brevet en vertu du paragraphe 30(3) des Règles et considérait la lettre du demandeur en date du 15 novembre 2007 comme une réponse à la demande du 26 juillet 2007, mais il rejetait les allégations du demandeur selon lesquelles le commissaire n’avait pas la compétence voulue à la lumière de sa conclusion portant que la question avait été renvoyée pour en poursuivre l’instruction. Le dixième rapport d’examen prévoyait notamment ce qui suit :

[traduction]

Avec sa lettre datée du 15 novembre 2007 et comme l’examinateur l’a exigé en vertu du paragraphe 30(2) des Règles sur les brevets, le demandeur a modifié la demande et a fourni des arguments justifiant la conformité de la demande à la Loi sur les brevets et aux Règles sur les brevets. L’Office estime donc que la lettre du demandeur reçue le 15 novembre 2007 constitue une réponse à la demande du 26 juillet 2007. Cette demande a été examinée en tenant compte des modifications et arguments du demandeur.

 

[…]

 

Arguments du demandeur

 

Le demandeur soutient que le commissaire n’est pas compétent pour présenter d’autres demandes en vertu de l’article 30 des Règles sur les brevets relativement à la présente affaire. L’Office estime toutefois, selon les directives du commissaire énoncées dans sa décision du 25 janvier 2007, que la présente affaire est renvoyée pour en poursuivre l’instruction et que l’examinateur est habilité à présenter d’autres demandes conformément à l’article 30 des Règles sur les brevets.

 

[32]           Le 14 février 2008, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

 

TRIBUNAL COMPÉTENT

 

[33]           Le défendeur soutient que l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales fait obstacle à la demande en l’espèce parce que le contrôle judiciaire ne peut être demandé qu’en l’absence d’un droit d’appel prévu par la loi. L’article 41 de la Loi confère un droit d’appel qui peut être exercé lorsque le commissaire refuse d’accorder un brevet en vertu de l’article 40. Cependant, comme aucun refus n’a été prononcé en l’espèce, aucun droit d’appel ne fait obstacle à la présente demande.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[34]           Les deux parties soutiennent, et je suis d’accord avec elles, que la norme de contrôle applicable à une décision du commissaire relativement à une question de droit comme l’interprétation de la Loi et des Règles est celle de la décision correcte (Harvard College c. Canada (Commissaire aux brevets), 2002 CSC 76, [2002] 4 R.C.S. 45; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[35]           C’est dans ce contexte qu’il faut se pencher sur les questions suivantes :

1.      Le commissaire a-t-il commis une erreur en n’accordant pas de brevet après la décision?

2.      Quelle est la mesure de redressement à accorder en l’espèce?

 

ANALYSE

 

PREMIÈRE QUESTION – LE COMMISSAIRE A-T-IL COMMIS UNE ERREUR EN NE DÉLIVRANT PAS LE BREVET?

 

POSITION DES PARTIES

 

[36]           Le demandeur prétend que la décision a tranché toutes les objections non réglées à la délivrance du brevet. Selon l’interprétation du demandeur, la directive du commissaire exigeant que la demande de brevet soit renvoyée pour qu’on en « poursuive l’instruction » ne permet pas de soulever d’autres objections à cette étape, cette expression devant être interprétée à la lumière de la décision de la Commission et « conformément à cette recommandation ». Le demandeur affirme que la seule interprétation admissible de la décision du commissaire consiste à y voir l’octroi implicite du brevet.

 

[37]           En revanche, le défendeur soutient que les rapports d’examen établis en conformité avec le paragraphe 30(4) et intitulés « Décision finale » ne doivent pas nécessairement énumérer toutes les objections non réglées à la délivrance du brevet. Le défendeur fait valoir, par conséquent, que la phrase qui enjoint à l’examinateur de poursuivre l’instruction doit être interprétée en fonction du sens qui lui est attribué dans le cadre du régime, soit de renvoyer la demande de brevet au processus d’enquête pour établir si elle peut être accueillie.

 

[38]           Qui plus est, le défendeur affirme que le commissaire a choisi cette expression à dessein dans les circonstances et a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait satisfait à toutes les conditions applicables à la délivrance d’un brevet sous le régime de la Loi et des Règles. Le défendeur soutient que le commissaire a l’obligation de veiller à ce que les conditions prévues par la loi soient remplies à toutes les étapes du processus de demande de brevet.

 

APPLICATION DE L’ARTICLE 30 DES RÈGLES EN L’ESPÈCE

 

[39]           Les dispositions pertinentes sont les paragraphes 30(3), (4) et (6) des Règles et sont reproduites ci-dessous. Elles prévoient essentiellement que, si un examinateur et un demandeur en arrivent à une impasse de bonne foi, le demandeur a droit à une audience sur la validité des questions non réglées qui amènent l’examinateur à rejeter la demande de brevet.

[40]           Ces dispositions sont libellées de la façon suivante :

30. […]

 

  (3) Lorsque le demandeur a répondu de bonne foi à la demande de l’examinateur visée au paragraphe (2) dans le délai prévu, celui-ci peut refuser la demande s’il a des motifs raisonnables de croire qu’elle n’est toujours pas conforme à la Loi et aux présentes règles en raison des irrégularités signalées et que le demandeur ne la modifiera pas pour la rendre conforme à la Loi et aux présentes règles.

  (4) En cas de refus, l’avis donné porte la mention « Décision finale » ou « Final Action », signale les irrégularités non corrigées et exige que le demandeur modifie la demande pour la rendre conforme à la Loi et aux présentes règles ou fasse parvenir des arguments justifiant le contraire, dans les six mois qui suivent ou, sauf pour l’application de la partie V, dans le délai plus court déterminé par le commissaire en application de l’alinéa  3(1)a) de la Loi.

 

   […]

 

  (6) Lorsque le refus n’est pas annulé selon le paragraphe (5), le commissaire en fait la révision et le demandeur se voit donner la possibilité de se faire entendre.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

30. […]

 

  (3) Where an applicant has replied in good faith to a requisition referred to in subsection (2) within the time provided but the examiner has reasonable grounds to believe that the application still does not comply with the Act or these Rules in respect of one or more of the defects referred to in the requisition and that the applicant will not amend the application to comply with the Act and these Rules, the examiner may reject the application.

  (4) Where an examiner rejects an application, the notice shall bear the notation “Final Action” or “Décision finale”, shall indicate the outstanding defects and shall requisition the applicant to amend the application in order to comply with the Act and these Rules or to provide arguments as to why the application does comply, within the six-month period after the requisition is made or, except in respect of Part V, within any shorter period established by the Commissioner in accordance with paragraph 73(1)(a) of the Act.

 

   […]

 

  (6) Where the rejection is not withdrawn pursuant to subsection (5), the rejection shall be reviewed by the Commissioner and the applicant shall be given an opportunity to be heard.

 

 

[41]           Le défendeur fait valoir que l’expression « irrégularités non corrigées », telle qu’elle est employée au paragraphe 30(3) des Règles, ne peut pas être interprétée comme visant « toutes les irrégularités non corrigées », une telle interprétation allant à l’encontre de l’esprit de la loi. J’estime toutefois que la condition exigeant que les décisions finales énumèrent « toutes » les irrégularités non corrigées n’est pas indûment onéreuse ou contraire à l’esprit et à l’intention du régime de brevets. Le processus canadien de demande de brevets peut être assez long et incertain, tel qu’il ressort de la présente affaire. Dans ce contexte, j’estime qu’il est raisonnable d’accorder au mot « finale » son sens ordinaire. Lorsqu’une demande qui peut éventuellement donner ouverture à une audience est transmise, il est raisonnable de conclure que la CAB serait saisie de toutes les questions non corrigées.

 

[42]           Le demandeur a souligné que l’expression « irrégularités non corrigées » avait récemment été ajoutée aux Règles et qu’elle ne se trouvait pas dans la disposition sur les décisions finales qui était en vigueur avant le 1er octobre 1996. Le paragraphe 47(2) des anciennes Règles sur les brevets, C.R.C. 1978, ch. 1250, était ainsi libellé :

L’avis au demandeur de toute décision finale portera l’inscription « décision finale » et prescrira le délai durant lequel le demandeur peut modifier la demande comme l’exige l’examinateur ou présenter une requête portant que la décision de l’examinateur soit révisée par le commissaire.

 

[43]           À mon avis, le terme « non corrigées » dans la disposition modifiée donne à penser que les irrégularités énumérées dans une décision finale sont exhaustives et constituent plus qu’un simple échantillonnage. Cette interprétation est non seulement conforme à l’objet et à l’intention du régime, mais elle donne aussi à la modification tout son sens.

 

[44]           J’estime qu’il ressort nettement du RPBB, du libellé de l’article 30, de l’économie de la Loi et de la modification apportée à la disposition relative à la « Décision finale » qu’une décision finale a pour objet de trancher une demande de brevet. Autrement dit, le commissaire doit rendre l’une des deux décisions suivantes à l’issue d’une audience de la CAB :

i)                    rejeter la demande de brevet en application de l’article 40 de la Loi si la CAB conclut que les prétendues irrégularités sont fondées;

ii)                   accorder le brevet en vertu de l’article 27 de la Loi.

 

 

DEUXIÈME QUESTION – LA MESURE DE REDRESSEMENT

 

[45]           Le demandeur soutient que la décision était, en fait, complète parce que, même si le commissaire n’a pas utilisé l’expression « accorde un brevet », c’est la décision à laquelle il est effectivement arrivé. Vu la conclusion de la CAB portant qu’aucune des prétendues irrégularités n’avait pas été corrigée, le demandeur allègue que je devrais donner l’ordre au commissaire d’accorder le brevet.

 

[46]           Le défendeur affirme que la seule conclusion raisonnable qui peut être logiquement tirée du libellé de la décision du commissaire est que ce dernier avait besoin de poursuivre plus avant l’instruction de la demande de brevet pour s’assurer qu’elle satisfaisait aux conditions du régime. J’estime toutefois cette affirmation déraisonnable parce qu’aucun élément de preuve ne démontre que la CAB ou un examinateur a recommandé que de nouveaux éléments soient soumis à une enquête.

 

DÉPENS

 

[47]           Le défendeur allègue que le commissaire, comme il est représenté par le procureur général du Canada, est soustrait à une condamnation aux dépens en vertu de l’article 25 de la Loi sur les brevets.

 

[48]           Je rejette cette allégation. Bien que l’article 25 de la Loi dispose que le commissaire ne peut être condamné aux dépens, cette disposition ne s’applique qu’aux instances intentées sous le régime de la Loi sur les brevets. La demande de contrôle judiciaire a été introduite en vertu de la Loi sur les Cours fédérales et, par conséquent, l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, s’applique, conférant à la Cour le pouvoir discrétionnaire de se prononcer quant aux dépens.


ORDONNANCE

 

APRÈS avoir entendu les observations des avocats des deux parties à Toronto le jeudi 20 novembre 2008;

 

ET APRÈS avoir examiné les observations écrites du demandeur en date du 2 juin 2009 et celles du défendeur en date du 5 juin 2009;

 

LA COUR ORDONNE, pour les motifs énoncés précédemment :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision du commissaire datée du 25 janvier 2007 est par les présentes infirmée.

2.                  Les rapports et demandes postérieurs à la décision sont par les présentes annulés et la demande de brevet est par les présentes remise en vigueur. Les observations du défendeur sur les frais impayés et le prétendu abandon de la demande de brevet sont donc sans objet.

3.                  Le commissaire doit rendre sans délai une décision accordant le brevet relativement à la demande de brevet en vertu de l’article 27 de la Loi, telle qu’elle a été modifiée par le demandeur dans la modification volontaire.


4.                  Les dépens sont adjugés au demandeur conformément à l’article 400 des Règles des Cours fédérales. En cas de désaccord, les dépens seront calculés en fonction du point médian de la colonne III du tableau du tarif B des Règles des Cours fédérales.

 

 

 « Sandra J. Simpson »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-248-08

 

INTITULÉ :                                       SYDNEY H. BELZBERG c.

 LE COMMISSAIRE AUX BREVETS et

 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 20 NOVEMBRE 2008

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE SIMPSON

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             LE 23 JUIN 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Fraser Rowand

Paul V. Lomic

 

Jeffrey M. Tracey

POUR LE DEMANDEUR

 

 

                               POUR LE DÉFENDEUR

Jacqueline Dais-Visca

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ridout & Maybee LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional de l’Ontario

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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