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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20090623

Dossier : T-2205-07

Référence : 2009 CF 655

Ottawa (Ontario), le 23 juin 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

LE CONSEIL COUTUMIER DE LA PREMIÈRE NATION ANISHINABE

DE ROSEAU RIVER, représenté par ses présidents,

HECTOR PIERRE et MARTHA LAROQUE

demandeur

et

 

LA PREMIÈRE NATION ANISHINABE

DE ROSEAU RIVER, représentée par le chef TERRANCE NELSON

AINSI QUE PAR LES CONSEILLERS GARY ROBERTS,

JUNE LAROQUE,

LAWRENCE HENRY et

KEITH HENRY

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Il s’agit ici de deux demandes de contrôle judiciaire qui ont été réunies. La première demande (T‑2058‑07) est présentée par le chef et par quatre conseillers pour le compte de la Première nation Anishinabe de Roseau River (la bande) en vue de l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que le conseil coutumier de la Première nation n’est pas autorisé à agir et, en particulier, qu’il n’est pas autorisé à destituer le chef et les quatre conseillers en question (le chef et les conseillers – les défendeurs).

 

La seconde demande (T-2205-07) est présentée par le conseil coutumier de la bande (le conseil coutumier – les demandeurs) en vue de l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que la résolution par laquelle le chef et les conseillers ont été destitués, le 1er juin 2007, est valide. Le conseil coutumier a également demandé une ordonnance de la nature d’un quo warranto, portant que le chef et les conseillers n’occupent pas validement leurs postes respectifs de chef et de conseillers.

 

II.         HISTORIQUE

A.        Les faits

[2]               La bande est composée d’Ojibways qui habitent dans le Sud-Est du Manitoba, près de la frontière du Dakota du Nord. Elle compte plus de 1 800 membres, dont à peu près la moitié habitent dans la réserve indienne Roseau River no 2, 150 membres habitent dans la réserve indienne Roseau Rapids no 2A et les autres vivent à l’extérieur de la réserve, principalement à Winnipeg.

 

[3]               Avant 1991, la bande était gouvernée par un chef et par un conseil élus conformément à l’article 74 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I‑5. En 1975, Felix Antoine a été élu chef. Il a été défait en 1977 par Stanley Nelson, le père du chef Terrance Nelson, qui est partie à la présente instance. Felix Antoine a par la suite été élu chef plus d’une fois.

 

[4]               Depuis 1991, la bande est gouvernée conformément à la coutume de la bande, avec l’assentiment d’Affaires indiennes et du Nord Canada. Elle possède deux textes de loi établissant le régime de gouvernance : la Loi électorale de la Première Nation Anishinabe Bagiwaaniskiziibi et son règlement d’application (la Loi électorale), et la Constitution. La version de la Constitution qui a été soumise porte la mention [traduction] « projet », mais les parties conviennent que la Constitution a été dûment adoptée.

 

[5]               Le conseil coutumier, dont il est fait mention dans la Loi électorale et dans la Constitution, est un organisme dont les membres votants sont désignés par les unités familiales de la bande comme étant leurs représentants. Le conseil coutumier a pour fonction d’aider, de soutenir et de conseiller le chef et les conseillers dans l’exercice de leurs fonctions. L’article 15 de la Loi électorale fait du conseil coutumier [traduction] « l’organe principal et le représentant de l’ensemble des membres de la tribu ». Le conseil coutumier a également le pouvoir de modifier la Loi électorale. Selon l’article VIII de la Constitution, sauf disposition contraire prise par le conseil coutumier, les réunions du conseil coutumier ont lieu tous les mardis, à 10 h, le conseil coutumier devant donner aux représentants familiaux un préavis de 24 heures des réunions tenues à tout autre moment.

 

[6]               Depuis que cette législation a été approuvée, le conseil coutumier a destitué le chef et le conseil au moins une fois. Au mois de mars 1999, Edward Hayden a été élu chef pour une période de quatre ans. Au début de l’année 2001, un différend en matière de gouvernance est survenu et le conseil coutumier a ramené le mandat du chef et du conseil de quatre à deux ans afin de destituer celui qui était alors chef. Cette mesure a fait l’objet d’un contrôle judiciaire, et elle a été confirmée par le juge Kelen dans la décision Première nation Anishinabe de Roseau River c. Première nation Anishinabe de Roseau River (Conseil), 2003 CFPI 168. Felix Antoine a été élu chef lors de l’élection qui a été tenue à la suite de la destitution du chef Hayden.

 

[7]               Au mois de mars 2003, Terrance Nelson, Gary Roberts, June Laroque, Lawrence Henry et Keith Henry ont pour la première fois été élus chef et conseillers respectivement. Il s’agit de la partie « chefs et conseillers » de la présente instance.

 

[8]               Le 21 mars 2004, lors d’une réunion à laquelle assistaient plus de dix (10) autres personnes, Hector Pierre a censément été nommé président intérimaire et Martha Laroque a censément été nommée coprésidente intérimaire, des élections supplémentaires devant avoir lieu le 4 mai 2004. La nature provisoire des postes semble être attribuable au fait qu’un membre, selon le procès‑verbal, voulait qu’un plus grand nombre de personnes soient présentes pour exprimer leur point de vue.

 

[9]               Au cours des quelques années qui ont suivi, il est arrivé à plusieurs reprises que l’on demande au chef et aux conseillers d’assister à des réunions du conseil coutumier et qu’ils ne l’aient pas fait. Toutefois, le chef Nelson a été réélu en 2005 et en 2007. Lors de trois élections (en 2003, en 2005 et en 2007), Felix Antoine s’était porté candidat sans succès.

 

[10]           Selon certains éléments de preuve, lorsque Hector Pierre et Martha Laroque étaient respectivement président et coprésidente, le chef et les conseillers ont demandé au conseil coutumier de prendre les mesures appropriées afin de faciliter les élections.

 

[11]           Selon le dossier et l’affidavit de Hector Pierre, lors d’une réunion du conseil coutumier, le 3 avril 2007, Hector Pierre et Martha Laroque ont de nouveau été respectivement nommés président et coprésidente du conseil coutumier pour une période de deux ans. Bien qu’il n’en soit pas fait état dans le procès‑verbal de la réunion, une motion a été enregistrée à cet égard. Selon le procès‑verbal de la réunion du 3 avril 2007, 18 personnes étaient présentes, alors que le compte rendu de la motion affirme que 13 représentants ont voté en faveur, sans aucune abstention et sans aucune opposition. Tous les membres de la bande peuvent assister aux réunions du conseil coutumier, de sorte que certaines personnes qui y assistent n’avaient peut‑être pas le droit de voter. Il semble que Hector Pierre n’était pas présent à cette réunion.Cependant Martha Laroque a apposé sa signature au nom du président du conseil coutumier.

 

[12]           Hector Pierre a attesté qu’au printemps 2007, le conseil coutumier a commencé à être préoccupé par les dépenses effectuées par le chef et par les conseillers. Au début du mois de mai 2007, le conseil coutumier a adopté la résolution 01050307, demandant au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de procéder à une juri‑vérification de tous les comptes financiers de la bande, du 1er mars 2003 au 31 mars 2007.

 

[13]           Cette résolution figure à titre de point dans le projet d’ordre du jour de la réunion du conseil coutumier, qui a eu lieu le mardi 22 mai 2007, indiquant que l’adoption de la résolution 01050307 n’atténuait pas les préoccupations du conseil coutumier.

 

[14]           Comme il continuait d'être préoccupé au sujet de la mauvaise gestion et du détournement de fonds de la part du chef et des conseillers, ainsi que par leur refus de lui rendre compte, le conseil coutumier a adopté (dix personnes votant en faveur) la résolution 0029052007 en faveur de la destitution du chef et des conseillers au mois de mai 2007, la destitution devant prendre effet au plus tard le 1er juin 2007.

 

[15]           La résolution 0029052007 par laquelle le chef et les conseillers étaient destitués indique qu’elle a été adoptée le [traduction] « mardi 28 mai 2007 »; toutefois, le 28 mai était un lundi. La numérotation de la résolution indique qu’elle a été adoptée le mardi 29 mai 2007.

 

[16]           Le 6 juin, un avis a été affiché au sujet de la tenue d’une réunion du conseil coutumier, le mardi 12 juin.

 

[17]           Le 12 juin 2007 ou vers cette date, le chef et les conseillers ont déposé une déclaration devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba en vue de solliciter des jugements déclaratoires portant que Hector Pierre et Martha Laroque n’étaient pas respectivement président et coprésidente du conseil coutumier et que « John Doe » et « Richard Roe » n’étaient pas des représentants familiaux du conseil coutumier; des injonctions provisoires et des injonctions permanentes empêchant ces personnes d’agir en cette qualité et des dommages‑intérêts étaient également demandés.

 

[18]           Le 21 juin 2007, le juge Scorfield, de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, a accordé une injonction provisoire empêchant Hector Pierre et Martha Laroque de convoquer et de tenir une élection pour les postes du chef et des quatre conseillers. Malgré tout, le 26 juin 2007, Hector Pierre et Martha Laroque se sont présentés à la salle des fêtes et ont tenu une élection. Les personnes ci‑après désignées ont censément été élues par acclamation :

Felix Antoine – chef

Martha Laroque – conseillère

Tom Henry – conseiller

Tracey Henry – conseillère

Melvin Pierre – conseiller

 

[19]           Le 20 août 2007, l’avocat du conseil coutumier a déposé devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba un avis de requête selon lequel les jugements déclaratoires sollicités par le chef et par les conseillers relevaient de la compétence exclusive de la Cour fédérale. Le 23 novembre 2007, dans la décision Roseau River Anishinabe First Nation c. Pierre, 2007 MBQB 283, le juge Nurgitz a conclu que la Cour fédérale avait compétence exclusive sur l’affaire et a rejeté la déclaration du chef et des conseillers, sauf pour l’allégation de fausses représentations, qui était suspendue en attendant la décision de la Cour fédérale. Par la suite, Hector Pierre a communiqué avec les représentants d’Affaires indiennes et du Nord pour demander qu’aucuns autres fonds ne soient envoyés au chef et aux conseillers pour le compte de la bande.

 

[20]           La demande du chef et des conseillers devant la Cour a été déposée le 26 novembre 2007 et la demande du conseil coutumier a été déposée le 19 décembre 2007.

 

B.         La décision contestée

[21]           La demande du chef et des conseillers semble avoir fondamentalement été présentée par suite de la résolution 002905007 du conseil coutumier destituant le chef et les conseillers, mais la demande est formulée en tant que demande de jugement déclaratoire invalidant le mandat du conseil coutumier en entier. Cela étant, en ce qui concerne le chef et les conseillers, il n’y a pas vraiment de décision qui soit contestée. Il semblerait tout au plus, d’après les questions qui ont été soulevées, que ceux‑ci ciblent principalement la décision par laquelle Hector Pierre et Martha Laroque ont de nouveau été nommés le 3 avril 2007.

 

[22]           Les arguments du chef et des conseillers sont plutôt incohérents sur ce point. Dans leur mémoire des faits et du droit, le chef et les conseillers disent que leur demande se rapporte fondamentalement à la tentative qu’un groupe de personnes faisait pour destituer le chef et les conseillers. Pourtant, ils soutiennent également que, parce qu’ils ne reconnaissent pas cet organisme comme étant un conseil coutumier qui a dûment été convoqué, toute demande d’examen d’une décision particulière irait à l’encontre de leur premier argument. Cette position laisse supposer au départ qu’ils ont gain de cause sur plusieurs questions cruciales dans le cadre de la présente audience.

 

[23]           Quant au conseil coutumier, il existe clairement une décision qui est contestée, étant donné qu’il a répondu au moyen d’une demande visant l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que la résolution 0029052007 qu’il a adoptée est valide.

 

III.       ANALYSE

[24]           Compte tenu de la demande et de la demande incidente, les questions à examiner peuvent être résumées comme suit :

a.                   La Cour fédérale est-elle à juste titre saisie de l’affaire?

b.                  Les nominations de Hector Pierre et de Martha Laroque, en leurs qualités respectives de président et de coprésidente du conseil coutumier, sont‑elles valides?

c.                   Le conseil coutumier était-il autorisé à destituer le chef et les conseillers et à convoquer et tenir une élection à l’égard du poste de chef ainsi que des quatre postes de conseillers?

 

A.        La compétence de la Cour fédérale

[25]           Cette question comporte deux aspects. Le premier aspect se rapporte à la prétention du chef et des conseillers selon laquelle le conseil coutumier n’est pas un « office fédéral » puisque son existence découle du droit inhérent de la bande à l’autonomie gouvernementale et du recours à la coutume aux fins de la tenue d’élections. Le second aspect se rapporte à la question de savoir si le chef et les conseillers ont présenté leur demande de contrôle judiciaire après l’expiration du délai imparti, de sorte que la demande devrait être rejetée.

 

(1)        L’« office fédéral »

[26]           Cette question, telle qu’elle se rapporte au conseil coutumier de la bande, a été tranchée en 2003 par le juge Kelen dans la décision Première nation Anishinabe de Roseau River, précitée. Il n’y a pas lieu de s’écarter de cette décision qui fait autorité.

 

[27]           La jurisprudence prépondérante de la Cour veut que celle‑ci ait compétence sur les conseils de bandes indiennes, et ce, peu importe qu’un conseil ait été élu conformément à la coutume ou conformément à la Loi sur les Indiens (voir Sparvier c. Bande indienne Cowessess no 73, [1994] 1 C.N.L.R. 182 (C.F. 1re inst.)).

 

[28]           Le mandat et les pouvoirs du conseil coutumier sont énoncés dans la Constitution de la bande, dont l’application à la bande est reconnue.

 

[29]           La première section de l’article VI de la Constitution prévoit ce qui suit :

[traduction]

L’autorité législative suprême de la Première nation Anishinabe de Roseau River est dévolue au conseil coutumier, qui possède tous les pouvoirs énoncés dans la présente constitution.

 

[30]           La Loi électorale traite également des pouvoirs du conseil coutumier. L’article 15 de la Loi est libellé comme suit :

[traduction]

Le conseil coutumier est l’organe principal et le représentant de l’ensemble des membres de la tribu. Le conseil coutumier se compose de dirigeants qui aident, soutiennent et conseillent le chef et les conseillers dans l’exercice de leurs fonctions énoncées dans la Déclaration et à l’article 12 de la présente loi.

 

[31]           Le conseil coutumier est reconnu comme étant un « conseil de la bande » au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Indiens :

2. (1) In this Act,

 

 

 

 

"council of the band" means

 

 

(b) in the case of a band to which section 74 does not apply, the council chosen according to the custom of the band, or, where there is no council, the chief of the band chosen according to the custom of the band;

2. (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

 

 

« conseil de la bande »

 

 

b) dans le cas d’une bande à laquelle l’article 74 n’est pas applicable, le conseil choisi selon la coutume de la bande ou, en l’absence d’un conseil, le chef de la bande choisi selon la coutume de celle-ci.

 

[32]           Cette reconnaissance par la loi confère au conseil coutumier le pouvoir de gérer et de diriger les affaires de la bande, sous réserve de sa constitution.

 

[33]           La compétence de la Cour fédérale a également été reconnue dans le jugement rendu par le juge Nurgitz (Roseau River Anishinabe First Nation c. Pierre, précité).

 

[34]           Par conséquent, la Cour est à juste titre saisie de la présente affaire.

 

(2)        La demande de contrôle judiciaire a été présentée après l’expiration du délai imparti

[35]           La question la plus épineuse, en ce qui concerne le chef et les conseillers, est qu’ils ont présenté leur demande de contrôle judiciaire après l’expiration du délai de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Le chef et les conseillers n’ont demandé une prorogation de délai qu’au moment où l’affaire a été entendue.

 

[36]           Selon les principes habituels applicables à une prorogation de délai – une cause défendable, une intention continue, une explication raisonnable et l’absence de préjudice déraisonnable – le chef et les conseillers seraient déboutés compte tenu, du  moins, de l’absence d’« explication raisonnable ».

 

[37]           Il importe de se rappeler que le chef et les conseillers étaient au courant ou auraient dû être au courant de la décision rendue par le juge Kelen en 2003 (Première nation Anishinabe de Roseau River, précité) dans laquelle la même bande était en cause. On peut se demander pourquoi le chef et les conseillers n’ont pas immédiatement constaté la nécessité de présenter leur demande à la Cour fédérale. Étant donné la décision rendue par le juge Kelen, la Cour est amenée à conclure que le chef et les conseillers tentaient d’« éluder » la procédure de la Cour, dans l’espoir que la Cour du Banc de la Reine leur accorde, par erreur, une réparation.

 

[38]           Par conséquent, je radierai la demande de contrôle judiciaire présentée par le chef et par les conseillers et je refuserai d’accorder la prorogation de délai. Toutefois, cette radiation formelle est en bonne partie théorique étant donné que les affirmations qui sont faites dans les actes de procédure du chef et des conseillers sont transformées en une défense contre la demande que le conseil coutumier a présentée en vue de faire confirmer la résolution 0029052007 par laquelle le chef et les conseillers étaient destitués. La Cour se penchera maintenant sur ces questions.

 

B.         La nomination du président et de la coprésidente

[39]           La position prise par le chef et par les conseillers, que ce soit dans leur demande de contrôle judiciaire ou lorsqu’ils se défendent contre leur destitution, comporte une lacune cruciale : retard injustifié ou acquiescement.

 

[40]           Le chef et les conseillers ont été élus au mois de mars 2003 et ils ont été réélus en 2005 et en 2007. M. Pierre et Mme Laroque ont respectivement été nommés président et coprésidente, leur nomination prenant effet au mois de mars 2004, et ils ont par la suite été de nouveau nommés.

 

[41]           Ce n’est qu’après que le conseil coutumier eut commencé à être préoccupé par les dépenses effectuées par le chef et par les conseillers, après que le conseil coutumier eut adopté une résolution demandant au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de procéder à une juri‑vérification et, par suite du refus du chef et des conseillers de rendre compte au conseil coutumier et de justifier les dépenses, après que le conseil coutumier eut adopté la résolution en vue de les destituer, que le chef et les conseillers ont sérieusement donné suite à l’idée selon laquelle il y avait quelque chose qui n’allait pas dans les nominations des membres, du président ou de la coprésidente du conseil coutumier.

 

[42]           La question qui se pose réellement, la question cruciale, dans les deux demandes de contrôle judiciaire se rapporte à la légalité de la destitution du chef et des conseillers par le conseil coutumier. Les autres questions qui ont été soulevées sont liées à cette question cruciale, ou sont des questions accessoires, ou encore elles sont l’équivalent légal d’un faux‑fuyant.

 

[43]           Le chef et les conseillers contestent toutes les mesures prises par le conseil coutumier depuis 2003, mais pour ce qui est de la question de la nomination de M. Pierre et de Mme Laroque, les nominations antérieures à celles du 5 avril 2007 n’ont plus aucun intérêt pratique.

 

[44]           Il est mis fin à la contestation de la validité des nominations du fait que la Cour a décidé de rejeter la demande de contrôle judiciaire présentée par le chef et par les conseillers parce que cette demande n’a pas été présentée en temps opportun, mais même si ce n’était pas le cas, dans la mesure où les nominations influent sur la résolution relative à la destitution, je ne puis constater aucun vice fatal dans ces nominations.

 

[45]           Les principaux motifs de contestation sont que M. Pierre et Mme Laroque n’étaient pas des représentants familiaux et qu’ils n’étaient donc pas admissibles aux postes de président et de coprésidente du conseil coutumier. Le chef et les conseillers font également valoir que les nominations ont été effectuées pour une période de deux ans, alors que la Constitution prévoit des nominations annuelles.

 

[46]           Toutefois, la Constitution n’exige pas clairement que les postes soient occupés par des représentants familiaux. En outre, il n’existe aucune exigence procédurale précise régissant les modalités de nomination ou de sélection des candidats. Étant donné que ces deux personnes ont occupé leur poste pendant une longue période avant l’année 2007, et puisque la preuve montre que leurs nominations étaient généralement acceptées par la bande, je conclus qu’il faut considérer ces nominations comme conformes à la Constitution (sauf quant à la durée).

 

[47]           L’acquiescement ou l’acceptation générale des nominations a une importance particulière dans une société qui, comme c’est le cas pour la bande ici en cause, est gouvernée selon le principe du consensus. Rien ne montrait qu’à l’exception du chef et des conseillers, d’autres membres de la bande n’appuyaient pas ou n’acceptaient pas les nominations de M. Pierre et de Mme Laroque.

 

[48]           Même en admettant que certaines irrégularités ont été techniquement commises, notamment quant à la durée du mandat de deux ans, je ne suis pas prêt à exercer mon pouvoir discrétionnaire en vue d’annuler les nominations ou de conclure que ces irrégularités ont pour effet de vicier la résolution 0029052007 du conseil coutumier. La durée du mandat ne correspondait pas à ce qui était prescrit dans la législation de la bande, mais les mesures en cause dans le présent contrôle judiciaire ont clairement été prises à un moment où les nominations étaient valides selon la législation de la bande (étant donné que la nouvelle nomination avait été effectuée un mois auparavant seulement). La seconde année non conforme du mandat étant déjà expirée à la date du présent jugement, il ne sert plus à rien de rendre des ordonnances remédiatrices, même s’il convenait d’en rendre. La bande devra à l’avenir s’assurer que les nominations sont conformes aux dispositions expresses de la Constitution.

 

C.        Le pouvoir du conseil coutumier

[49]           Le conseil coutumier sollicite un jugement déclaratoire portant que la résolution 0029052007 est valide, qu’elle est exécutoire et qu’elle a pour effet de destituer le chef et les conseillers.

 

[50]           Le chef et les conseillers répondent en faisant principalement valoir que le conseil coutumier n’agissait pas d’une façon valide, en partie à cause de la nomination du président et de la coprésidente et en partie parce que des représentants familiaux n’avaient pas été validement nommés au conseil coutumier; ils affirment en outre que l’équité procédurale n’a pas été observée.

 

[51]           La Cour a déjà traité de la question de la nomination du président et de la coprésidente.

 

[52]           En ce qui concerne la validité de la nomination des représentants familiaux, le chef et les conseillers n’ont pas produit d’éléments de preuve établissant que la nomination des représentants familiaux au conseil coutumier comportait un vice important.

 

[53]           Les sections 3 et 6 de l’article VI de la Constitution prévoient ce qui suit :

[traduction]

Section 3.        Le conseil coutumier est composé de représentants familiaux désignés par les unités familiales de la Première Nation Anishinabe de Roseau River.

 

Section 6.        Le conseil coutumier confirme chaque année les nominations respectives effectuées par les unités familiales.

 

[54]           La Constitution ne dit pas la façon dont les unités familiales désignent leurs représentants, la durée du mandat des représentants (le conseil coutumier confirme simplement la nomination chaque année), ou encore le processus de confirmation ou les modalités d’enregistrement de cette confirmation.

 

[55]           De plus, ni la Constitution ni la Loi électorale ne disent combien de représentants familiaux peuvent être désignés par les unités familiales; de plus, il n’existe aucune méthode uniforme de nomination. Chaque famille décide de la méthode employée. Selon la preuve, les familles désignent un représentant et peuvent désigner des remplaçants. La seule restriction uniforme semble être que chaque unité familiale a droit à une voix au sein du conseil coutumier.

 

[56]           Certains éléments de preuve montrent que dans trois familles (les Henry, les Patrick et les Antoine), il y avait désaccord au sujet de la question de savoir qui était désigné d’une façon régulière. Il s’agit d’une question qu’il incombe aux familles de régler. Le fait qu’il y a désaccord n’invalide pas pour autant les mesures prises par le conseil coutumier, en particulier lorsque rien ne montre que des problèmes se soient posés parmi les 18 autres unités familiales.

 

[57]           Le point crucial, dans l’analyse de la légalité de la destitution du chef et des conseillers, est que, comme l’a conclu le juge Kelen dans la décision Première nation Anishinabe de Roseau River, précitée, paragraphe 22, le conseil coutumier est autorisé à destituer le chef et les conseillers :

Cette reconnaissance donne au conseil coutumier le pouvoir de gérer et de gouverner les affaires de la bande. Le conseil coutumier se compose de personnes « qui aident, soutiennent et conseillent » le chef et les conseillers dans l’accomplissement de leurs tâches. Il appartient donc au conseil coutumier d’exercer le pouvoir du conseil de bande d’administrer l’argent de la bande et les terres de la réserve, et d’exercer les autres pouvoirs que lui confère la Loi sur les Indiens. Sa décision de destituer de leurs fonctions le chef et le conseil élus est une manifestation de ce pouvoir.

 

[58]           Même en admettant que le fonctionnement du conseil coutumier ait été entaché d’irrégularités techniques, il ne convient pas d’imposer des lignes directrices procédurales strictes dans le cadre de l’exercice de pouvoirs valides, puisque le modèle de gouvernance suivi dans ce cas‑ci était du type consensus.

 

[59]           Compte tenu de la preuve, il est ridicule pour le chef et les conseillers de soutenir que le conseil coutumier ne s’est livré à aucune activité depuis le mois de mars 2003. Le fait que le chef en place a refusé de reconnaître le conseil coutumier ne rend pas celui‑ci inhabile à agir. Le fait que le conseil coutumier a de temps en temps été peu actif n’enlève rien à sa qualité constitutionnelle d’autorité législative suprême.

 

[60]           Le chef et les conseillers ne peuvent pas tirer parti de leur comportement indésirable en vue de miner l’autorité du conseil coutumier.

 

[61]           Je conclus, selon la prépondérance de la preuve, que la résolution en question a été adoptée lors d’une réunion du conseil coutumier dûment convoquée, le jour prévu, soit le mardi 29 mai 2007. Le chef et les conseillers affirment que leur destitution était entachée d’un vice de procédure, en ce sens qu’ils n’ont pas été avisés de façon régulière de la réunion du mardi 29 mai 2007. Cette allégation de manquement à l’équité procédurale est dénuée de fondement.

 

[62]           L’article 14 de la Loi électorale confère au conseil coutumier un pouvoir de destitution :

[traduction]

Une fois qu’ils sont dûment élus par les membres de la tribu, le chef et les conseillers représentent tous les membres de la tribu et sont donc responsables devant ceux‑ci; le chef et les conseillers peuvent être destitués :

 

                                                               i.      s’ils ne respectent pas les normes de conduite énoncées aux alinéas 12a) à j) inclusivement de la présente loi;

 

                                                             ii.      s’ils omettent d’assister, sans motif valable, à deux (2) réunions consécutives. [...]

 

[63]           Selon la preuve, le chef et les conseillers étaient au courant de la tension qui existait avec le conseil coutumier et ils avaient une connaissance suffisante de la réunion et des préoccupations du conseil coutumier. L’alinéa 12j) de la Loi électorale prévoit que le chef et les conseillers élus doivent assister à toutes les réunions officielles convoquées par les membres de la tribu ou par le conseil coutumier ou à celles qu’ils convoquent eux‑mêmes.

 

[64]           Selon la Constitution, le conseil coutumier se réunit tous les mardis, à 10 h, à condition qu’il y ait quorum. Le témoignage du chef selon lequel, à sa connaissance, il n’y a jamais eu de réunion du conseil coutumier qui ait eu lieu le mardi à 10 h n’est pas crédible compte tenu de la preuve présentée par les propres témoins du chef et des conseillers au sujet des réunions tenues par le conseil coutumier depuis le mois de mars 2003.

 

[65]           La preuve établit que le chef et les conseillers ont décidé de ne faire aucun cas du conseil coutumier et de ses réunions, en particulier lorsque le conseil coutumier a cherché à se renseigner sur les activités et sur les transactions financières du chef et des conseillers. Ainsi, en plus de ne pas assister aux réunions pendant la période qui a suivi l’élection de 2007 :

a)         dans une lettre datée du 6 avril 2004, on demandait au chef et aux conseillers de se présenter devant le conseil coutumier le 13 avril 2004. Le chef et les conseillers n’ont pas répondu à cette demande;

 

b)         le 25 janvier 2005, le conseil coutumier a demandé au chef et aux conseillers de donner à la communauté un avis public de leur comptabilité et de fournir des documents, et notamment leur grand livre;

 

c)         le 29 janvier 2005, le conseil coutumier a demandé au chef et aux conseillers d’assister à une réunion générale du conseil coutumier, le 3 février 2005, en vue d’examiner les dépenses liées au surplus détenu en fiducie, au montant de 504 000 $, que le chef et les conseillers avaient effectuées;

 

d)         dans une lettre datée du 31 janvier 2007, le conseil coutumier a demandé au chef Nelson d’assister à la réunion du conseil coutumier qui devait avoir lieu le 6 février 2007 en vue de répondre à certaines questions se rapportant aux divers voyages qu’il avait effectués entre le mois de mars 2003 et le mois de mars 2007.

 

[66]           Malgré ces demandes explicites, qui venaient s’ajouter à l'obligation qu'ils avaient déjà d’assister aux réunions, le chef et les conseillers ont refusé d’assister à ces réunions précises.

 

[67]           Si le chef et les conseillers avaient assisté à ces réunions, ils auraient du moins eu la possibilité de discuter des questions qui ont donné lieu à leur destitution. Le chef et les conseillers ne peuvent pas maintenant invoquer le manque d’équité ou un manquement à la justice naturelle. L'argument du chef selon lequel il n’a pas assisté aux réunions parce qu’il contestait la légitimité du conseil coutumier est un argument intéressé qui n’est pas crédible et qui est dénué de tout fondement légal.

 

[68]           Quant au bien‑fondé de la résolution 0029052007 du conseil coutumier, la Cour fait preuve de déférence envers le conseil coutumier étant donné qu’il était tout à fait raisonnable de destituer des personnes qui ne faisaient aucun cas de l’autorité du conseil coutumier et qui entravaient sa capacité d’agir.

 

[69]           Quant à la réparation même, il n’est pas nécessaire de délivrer un bref de quo warranto étant donné l’ordonnance que j’ai l’intention de rendre.

 

[70]           Toutefois, je tiens à faire remarquer que la preuve donne à penser que les deux parties ont commis des irrégularités procédurales quant aux questions qui ont abouti au présent litige. Je reconnais que la Première Nation Anishinabe de Roseau River est gouvernée selon la coutume et qu’elle fonctionne largement par consensus et, sur ce point, étant donné que je ne veux pas tirer de conclusions précises ou faire des recommandations précises, j’aimerais informer la bande que si les procédures qu’elle a elle‑même choisies sont suivies et si, au besoin, la Constitution et la Loi électorale sont modifiées ou améliorées comme la bande a fait savoir qu’elle envisageait de le faire, cela aidera à éviter d’avoir à s’adresser régulièrement à la Cour lorsque se posent des questions se rattachant aux élections.

 

IV.       CONCLUSION

[71]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Il est déclaré que la résolution 0029052007 est valide et exécutoire, et la destitution du chef et des conseillers est confirmée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il est déclaré que la résolution 0029052007 est valide et exécutoire et la destitution du chef et des conseillers est confirmée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-2205-07

 

INTITULÉ :                                                   LE CONSEIL COUTUMIER DE LA PREMIÈRE NATION ANISHINABE DE ROSEAU RIVER, représenté par ses présidents, HECTOR PIERRE et MARTHA LAROQUE

                                                                        c.

                                                                        LA PREMIÈRE NATION ANISHINABE DE ROSEAU RIVER, représentée par le CHEF TERRANCE NELSON AINSI QUE PAR LES CONSEILLERS GARY ROBERTS, JUNE LAROQUE, LAWRENCE HENRY et KEITH HENRY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Les 1er et 2 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 juin 2009

 

COMPARUTIONS :

 

J.R. Norman Boudreau

POUR LE DEMANDEUR

 

Jamie A. Kagan

Allison Fenske

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

BOOTH DENNEHY LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

POUR LE DEMANDEUR

 

THOMPSON DORFMANSWEATMAN LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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