Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Cour fédérale

Federal Court

Date : 20090623

Dossier : IMM-2457-09

Référence : 2009 CF 658

Ottawa (Ontario), ce 23e jour de juin 2009

En présence de l’honorable Orville Frenette

ENTRE :

BACA MEJIA, Neiby Judith

Demanderesse

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]          Il s’agit d’une demande de sursis à une ordonnance de renvoi de la demanderesse vers les États-Unis d’Amérique (les États-Unis), qui aurait dû être exécutée à midi le 28 mai 2009, mais elle ne s’est pas présentée au lieu de renvoi. Un mandat d’arrestation a été émis contre elle.

 

I.  Les faits pertinents

[2]          La demanderesse, âgée de 31 ans, est citoyenne du Honduras. En 2002, elle s’est rendue aux États-Unis où elle est demeurée jusqu’en mars 2003, alors qu’elle est retournée au Honduras. En 2003 elle est revenue aux États-Unis où elle a réclamé asile mais ensuite elle vint au Canada en septembre 2003 revendiquant le statut de réfugiée. Le 13 octobre 2003, elle donne naissance à un enfant au Canada.

 

II.  Les procédures

[3]          La demande d’asile de la demanderesse fut rejetée le 3 décembre 2004 et, le 12 janvier 2005, la Cour fédérale a refusé d’autoriser une demande de contrôle judiciaire contre cette décision.

 

[4]          En septembre 2006, la demanderesse présente une demande d’évaluation des risques avant renvoi (demande ERAR); celle-ci fut négative par décision rendue le 11 janvier 2007.

 

[5]          Le 11 octobre 2007 la demanderesse était renvoyée aux États-Unis.

 

[6]          Le 8 janvier 2009, elle revient au Canada. Le 8 avril 2009, sa seconde demande ERAR est refusée. Le 15 mai 2009, elle présente une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de cette dernière décision.

 

[7]          Le 8 mai 2009, elle avait été convoquée à une entrevue avec un agent de renvoi à Niagara Falls (Ontario), lequel l’avertit qu’elle devait être renvoyée du Canada le 28 mai 2009 à midi. La demanderesse lui demande un délai additionnel car son fils avait un rendez-vous médical le 1er juin 2009 et un rendez-vous dentaire le 16 juin 2009. L’agent lui répondit qu’elle devait lui apporter une preuve écrite de ces faits avant qu’il ne puisse lui accorder une suspension administrative de l’ordonnance de renvoi. Elle n’a pas présenté de tels documents à l’agent de renvoi.

[8]          Le 15 mai 2009, elle présentait la présente demande de sursis à l’encontre de l’ordre de renvoi jusqu’à ce que sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire soient disposées (sans indiquer de quelle décision il s’agit).

 

[9]          Le 28 mai 2009, l’agent de renvoi a communiqué avec la demanderesse lui réitérant qu’elle était cédulée pour renvoi ce jour-là à midi. Elle ne s’est pas présentée au lieu de renvoi mais sa procureure a expédié à celle des défendeurs, le 29 mai 2009, des copies de documents médicaux et dentaires confirmant les dates de rendez-vous pour l’enfant ainsi qu’une date (le 13 août 2009) pour une intervention chirurgicale. Le même jour, l’agent de renvoi répondait à Me Markaki qu’un mandat d’arrestation avait été émis contre sa cliente et qu’un report du renvoi n’était pas envisagé.

 

III.  Objection préliminaire

[10]      Le défendeur s’oppose à la demande au fond parce que la demanderesse a violé, par son comportement, la théorie des mains propres et ne mérite pas le remède sollicité. Le défendeur soutient que la demanderesse a bénéficié de tous les recours possibles au Canada pour éviter le renvoi et a échoué. Elle fut considérée « non crédible » dans ses revendications.

 

[11]      La demanderesse allègue qu’elle ne s’est pas présentée le 28 mai 2009 pour son renvoi suite à un malentendu ou à une confusion parce qu’elle croyait que la date de renvoi avait été reportée jusqu’à ce que son fils ait obtenu et bénéficié des rendez-vous médicaux-dentaires.

 

[12]      L’agent de renvoi, avec preuve écrite à l’appui, contredit cette prétention et sa crédibilité n’a pas été mise en doute.

[13]      De plus, le défendeur plaide qu’en 2007, le même stratagème avait été invoqué par la demanderesse pour retarder son renvoi vers les États-Unis. Le défendeur avance que la dernière procédure ne vise qu’à casser une seconde décision ERAR pour éviter le renvoi. Or, un mandat d’arrestation contre la demanderesse est en cours et le défendeur soumet que, inter alia, le tribunal devrait rejeter la requête en sursis ou refuser de l’entendre. La demanderesse conteste cet argument et offre de quitter volontairement le Canada si sa demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

IV.  Analyse

[14]      La jurisprudence a statué que les recours en révision judiciaire incluent le pouvoir de ne pas trancher ou de rejeter les demandes en raison du simple comportement du demandeur et ne méritent pas le remède sollicité (Homex Realty and Development Co. c. Wyoming (Village), [1980] 2 R.C.S. 1011; Canada (Procureur général) c. P.S.A.C., [2000] 1 C.F. 146 (1re inst.)).

 

[15]      Dans le contexte d’une requête pour obtenir le sursis à l’exécution du renvoi d’une personne, la Cour fédérale a conclu que lorsque le demandeur n’avait pas les mains propres devant la Cour, il y avait lieu de ne pas accorder la mesure demandée (Wojciechowski c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le 6 mai 2002), IMM-1986-02 (C.F., 1re inst.); Parast c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 660). Dans l’arrêt Thanabalasingham c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (2006), 263 D.L.R. (4th) 51, la Cour d’appel fédérale a décidé que sur la question des mains propres, le tribunal devait faire un exercice d’équilibre et décider si, malgré la mauvaise conduite, la requête devait être entendue au mérite.

 

[16]      À la lumière de cette jurisprudence j’estime que, dans la présente affaire, malgré que la demanderesse n’ait pas été considérée crédible, que ses agissements frôlent le stratagème et qu’elle est proche d’abuser de ses recours en justice, j’examinerai tout de même ses allégations au mérite.

 

        A.  Les critères d’un sursis judiciaire

[17]      La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Toth c. Canada (M.C.I.) (1988), 86 N.R. 302, a établi les trois conditions ou critères exigés pour accorder un sursis judiciaire suspendant l’exécution d’une mesure de renvoi, soient : 1) il y a une question sérieuse à trancher; 2) un préjudice sérieux et irréparable serait subi par le demandeur si le sursis n’était pas accordé; 3) la balance des inconvénients favorise l’octroi de l’ordonnance de sursis.

 

       B.  La question sérieuse

[18]      La demanderesse doit démontrer l’existence d’une ou des questions sérieuses qui ont des chances raisonnables de réussite dans le recours au fond. La norme de ce que constitue une question sérieuse est généralement celle d’une question qui n’est ni frivole ni vexatoire (voir Sowkey c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 67; Fabian c. Le ministre de la Sécurité publique et de la protection civile, 2009 CF 425, aux paragraphes 38 à 41). Toutefois, le mot « sérieux » exige un peu plus; il faut examiner le mérite au fond pour s’assurer que la question ait des chances de succès (voir Wang c. Canada (M.C.I.), [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 11).

 

[19]      La demanderesse soulève cinq questions en litige. Premièrement, l’agent ERAR a commis une erreur de droit en refusant de considérer des documents rédigés en espagnol parce que non traduits. Le défendeur répond que les instructions données par l’agent à la demanderesse ainsi que les formulaires indiquent clairement qu’il revenait à cette dernière de fournir les documents sur lesquels elle s’appuyait ainsi qu’une traduction soit en anglais ou en français. C’était la seconde demande ERAR ainsi que de multiples remises intentées par la demanderesse; cette exigence était claire.

 

[20]      Dans sa demande pour motifs humanitaires elle allègue qu’elle avait appris les deux langues officielles du Canada. Il incombait à la demanderesse de fournir à l’agent les documents requis ainsi qu’une traduction acceptable. Ce qu’elle n’a pas fait.

 

[21]      L’arrêt Pareja c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 1333, a décidé que l’agent ERAR n’avait pas commis d’erreur en n’ayant pas considéré des documents écrits en espagnol et non traduits. En conséquence, ce reproche ne peut être imposé à l’agent. L’agent n’était pas non plus obligé de rappeler à nouveau cette obligation à la demanderesse.

 

[22]      Deuxièmement, la demanderesse allègue que l’agent aurait dû, dans les circonstances, la convoquer à une entrevue. Le défendeur invoque les conditions énumérées à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, conditions que la demanderesse n’a pas établies. Même si les conditions avaient été respectées, ce n’est que dans des circonstances très exceptionnelles qu’une entrevue est obligatoire (voir Kaba c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 1113 et Aoutlev c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration et al., 2007 CF 111).

 

[23]      Troisièmement, la demanderesse plaide que l’agent a erré en ne considérant pas le rapport de la plainte faite à un agent de police de New York en 2008. Or, ce rapport était écrit en espagnol sans aucune traduction; donc l’agent était justifié de lui accorder peu de valeur probante.

 

[24]      Quatrièmement, la demanderesse reproche à l’agent d’avoir erré quand il a décidé qu’elle pourrait obtenir protection au Honduras. Le défendeur répond que l’agent a largement analysé la question de la protection des femmes victimes de violence conjugale au Honduras et que, même si non parfaite, elle était adéquate. La demanderesse fut considérée non crédible. Elle serait renvoyée aux États-Unis, d’où elle venait, soit un état démocratique. Il faut donc conclure que l’agent n’a pas commis d’erreur à ce sujet.

 

[25]      Cinquièmement, la demanderesse plaide qu’elle a soumis de la « preuve nouvelle » de la situation récente au Honduras, que l’agent a ignorée. Ce grief ne peut être retenu parce que les conditions pour présenter une nouvelle preuve n’ont pas été respectées (Raza c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 385).

 

        C.  Le préjudice irréparable

[26]      En résumé, la demanderesse plaide que le renvoi lui causerait un préjudice irréparable parce que son fils requiert des soins médicaux et une intervention chirurgicale qu’elle n’a pas les moyens financiers d’assumer aux États-Unis. Le défendeur répond que l’enfant, étant un citoyen canadien qui n’est pas sous le coup d’un renvoi, peut recevoir des soins médicaux au Canada et que sa chirurgie n’est d’ailleurs pas urgente. La demanderesse peut le laisser avec des parents ou des amis au Canada pour ces soins et il peut revenir pour l’intervention chirurgicale requise. Le défendeur soutient que ces considérations économiques ne justifient pas l’octroi du sursis sollicité. Le plaidoyer de la demanderesse sur ce point, ne résiste pas à l’analyse.

 

[27]      La demanderesse soulève que l’agent n’a pas considéré ses craintes suite aux menaces proférées par son ex-ami et père de l’enfant. Le défendeur explique que l’agent n’avait aucune preuve convaincante de ces allégations. Dans les circonstances, cette doléance ne peut être retenue.

 

[28]      Finalement, le renvoi vers les États-Unis ne constitue pas en soi un préjudice irréparable (voir Radji c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 100).

 

        D.  La balance des inconvénients

[29]      Selon le paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, le défendeur a l’obligation de faire exécuter les ordonnances de renvoi aussitôt que praticable. Vu la preuve factuelle, la balance des inconvénients favorise le défendeur.

 

V.  Conclusion

[30]      Les conditions essentielles justifiant un sursis n’ayant pas été respectées, la requête doit être rejetée.

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

          La demande de sursis à l’encontre de l’ordonnance de renvoi vers les États-Unis d’Amérique, qui aurait dû être exécutée le 28 mai 2009, est rejetée.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2457-09

 

INTITULÉ :                                       BACA MEJIA, Neiby Judith c. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE ENTENDUE LE 18 JUIN 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge suppléant Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 juin 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Styliani Markaki

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Me Jocelyne Murphy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Styliani Markaki

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.