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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

Date : 20090622

Dossier : IMM‑4599‑08

Référence : 2009 CF 649

Ottawa (Ontario), le 22 juin 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

Entre :

MATTHEW DAVID LOWELL

 

demandeur

 

et

 

 

Le ministre de la citoyenneté

ET de L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               La décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi, datée du 12 septembre 2008 et communiquée au demandeur le 9 octobre 2008, a rejeté la demande présentée par M. Lowell en vue d’obtenir la résidence permanente depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Le demandeur sollicite l’annulation de la décision.

 

 

Le contexte

[2]               M. Lowell est un citoyen des États‑Unis. Il s’est enrôlé dans l’armée américaine après avoir atteint l’âge de 18 ans, en juillet 2002. Après avoir communiqué avec des amis servant en Irak et avoir cherché de l’information sur le conflit dans ce pays, il est devenu opposé à la participation américaine en Irak et a décidé qu’il ne voulait pas y être mêlé. En octobre 2003, il s’est absenté sans permission pour la première fois. Il est retourné à son unité en juin 2004, à l’insistance de sa mère. Il n’a pas reçu de sanction et a, de fait, été promu. En apprenant qu’il serait déployé en Irak malgré sa demande de libération, il s’absente sans permission pour la deuxième fois en octobre 2004. Il a été arrêté et emprisonné pendant quatre jours par les autorités civiles en septembre 2005, et il a reçu l’ordre de se présenter à son ancienne unité, ce qu’il a fait. Il a été accusé de désertion dans le but d’éviter des périodes de service dangereuses (article 85) et des mouvements (article 87), contrairement à l’Uniform Code of Military Justice (UCMJ). Il dit que, lorsqu’il s’est présenté à son unité, ses pairs et ses supérieurs lui ont donné des coups de pieds et des coups de poing, de même qu’ils ont craché sur lui et lui ont dit qu’il était responsable de la mort des membres de sa compagnie en Irak. On l’a empêché de dormir plus de 4 heures à la fois. Avant les procédures devant la cour martiale pour l’instruction des accusations qui pesaient contre lui, M. Lowell s’est encore absenté sans permission. Le 11 novembre 2005, il a franchi la frontière canadienne et a présenté une demande d’asile peu après.

 

[3]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande d’asile en décembre 2006. M. Lowell n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision. En mars 2006, il a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), de même qu’une demande de traitement de sa demande de résidence permanente depuis le Canada, pour des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). Ces demandes ont toutes deux été rejetées. La Cour a rejeté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR le 11 février 2009. L’autorisation de contrôle judiciaire a été accordée à l’égard de la décision CH.

 

[4]               À l’appui de sa demande de dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, M. Lowell a déclaré qu’il croyait que, s’il retournait aux États‑Unis, il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Ces difficultés découlent de trois risques qu’il a identifiés dans sa demande et les documents à l’appui : le préjudice découlant des risques liés à la sanction de l’armée pour avoir déserté et évité des mouvements (peine judiciaire); le préjudice découlant du traitement de la part des militaires outre toute peine judiciaire (châtiments extrajudiciaires); le préjudice découlant d’une exclusion pour cause d’indignité (autre peine).

 

[5]               En ce qui concerne la peine judiciaire, le demandeur soutient qu’il fera l’objet d’une peine d’emprisonnement plus longue que d’autres ne recevraient s’ils étaient condamnés pour une infraction semblable parce qu’il s’est prononcé publiquement contre la guerre en Irak. Concernant les châtiments extrajudiciaires, il fait valoir qu’il subira des châtiments extrajudiciaires arbitraires, cruels et inhabituels, à la discrétion du commandant de son ancienne unité et d’autres soldats. En ce qui a trait à l’autre peine, il prétend qu’il fera l’objet d’une exclusion pour cause d’indignité, ce qui aura une incidence défavorable sur ses perspectives d’emploi et sa capacité d’obtenir du financement bancaire, entraînant donc une incidence défavorable sur sa capacité de subvenir aux besoins de sa famille.

 

[6]               Dans sa décision, l’agente a énoncé, d’une manière assez détaillée, les facteurs en cause dans la demande CH. Cette section, intitulée [traduction] « L’examen », contient un récit détaillé des difficultés et des peines alléguées par M. Lowell ainsi qu’une description des éléments de preuve présentés à l’appui de ces allégations.

 

Ces éléments de preuve comprenaient l’acte d’accusation militaire de M. Lowell; les affidavits de soldats qui ont été absents sans permission (ASP) de l’armée américaine, dont certains ont invoqué le statut d’objecteur de conscience; un affidavit d’Eric Seitz, un spécialiste américain en droit militaire; une déclaration d’un citoyen canadien et ancien soldat américain concernant la probabilité que M. Lowell subisse un traitement inhabituellement dur s’il retournait aux États‑Unis.

 

[7]               Les motifs de rejet de l’agente comptent huit pages. D’entrée de jeu, l’agente écrit que [traduction] « il incombe au demandeur de me convaincre que sa situation personnelle, y compris l’intérêt supérieur d’un enfant touché par la décision, est telle que les difficultés qu’il subirait si la dispense demandée ne lui était pas accordée seraient i) inhabituelles et injustifiées ou ii) excessives ». De plus, elle écrit ce qui suit : [traduction] « Je reconnais que le critère qui s’applique à une demande CH est un critère fondé sur des difficultés, et non sur l’article 96 ou 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. La présente demande CH a été appréciée en fonction de difficultés inhabituelles et injustifiées, ou excessives. »

 

[8]               Compte tenu de la preuve dont elle disposait, et se reportant à décision de la Cour fédérale dans la décision Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] 1 R.C.F. 561, 2006 CF 420, l’agente a conclu que la peine judiciaire dont ferait l’objet le demandeur à son retour aux États‑Unis ne constituerait pas des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Elle a indiqué que M. Lowell faisait face à des accusations légitimes en vertu d’une loi d’application générale et qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour conclure que l’UCMJ serait appliqué à M. Lowell d’une manière excessivement dure.

 

[9]               En ce qui a trait aux châtiments extrajudiciaires, l’agente a examiné le règlement militaire 27‑10, qui prévoit l’imposition de châtiments extrajudiciaires par les commandants et a indiqué que le règlement prescrit les situations dans lesquelles tels châtiments pouvaient être imposés, établit les limites de leur imposition et prévoit une procédure d’appel lorsqu’un soldat estime que le châtiment est excessif ou devrait être atténué. Elle a également indiqué que les exclusions pour objection de conscience sont régies par des normes uniformes et que M. Lowell n’a fourni aucune preuve selon laquelle il avait sollicité le statut d’objecteur de conscience. Tout en reconnaissant la prétention de M. Lowell concernant les mauvais traitements aux mains de ses pairs en 2005, de même que la preuve par affidavit visant ce sujet de la part d’un ancien marine américain (qui, de l’avis de l’agente, était partial), l’agente a indiqué qu’il n’y avait aucune preuve selon laquelle M. Lowell s’était prévalu des dispositions d’appel du règlement 27‑10 ou qu’il avait signalé les mauvais traitements à ses supérieurs. Elle a écrit ce qui suit : [traduction] « Je conclus que le pouvoir des commandants en vertu du règlement 27‑10 les autorisant à imposer des châtiments extrajudiciaires est une loi d’application générale en vertu de laquelle le demandeur bénéficierait de l’application régulière de la loi s’ils lui étaient imposés de manière irrégulière. »

 

[10]           En ce qui a trait à d’autres difficultés, en grande partie financières, découlant d’une exclusion pour cause d’indignité, l’agente a conclu à l’absence de preuve selon laquelle la famille du demandeur subirait une incidence défavorable, car il n’y avait pas de preuve selon laquelle des membres de sa famille comptaient sur lui pour subvenir à leurs besoins. De plus, elle a conclu que les allégations de difficultés pour trouver ou obtenir un emploi ou du financement, dans la mesure où ces difficultés sont sanctionnées, sont fondées sur des lois d’application générale aux États‑Unis et aucun élément de preuve ne démontrait qu’elles auraient une incidence excessive sur le demandeur. En dernier lieu, elle a reconnu qu’il pouvait faire l’objet [traduction] « de commentaires ou d’une attention non souhaités de la part de groupes et de personnes en désaccord avec ses opinions politiques sur la guerre en Irak », mais elle a conclu que la preuve n’appuyait pas une conclusion selon laquelle ils atteindraient le niveau des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

Les questions en litige

[11]           Le demandeur soulève trois questions :

1. La question de savoir si l’agente a apprécié la demande CH du demandeur en vertu des critères applicables aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et si elle a commis une erreur en omettant d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposerait le demandeur s’il était renvoyé aux États‑Unis.

           

2. La question de savoir si l’agente a omis de fournir des motifs suffisants concernant sa conclusion que le demandeur ne serait pas l’objet d’une peine plus importante parce qu’il s’était opposé publiquement à la guerre en Irak.

 

3. La question de savoir si l’agente a omis de tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve dont elle était saisie, a fait abstraction d’éléments de preuves contradictoires et a omis de traiter du risque de brimades physiques et psychologiques.

 

Analyse

[12]           Les demandes CH sont examinées en fonction des allégations et de l’information que les requérants présentent aux agents chargés de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire. En l’espèce, l’argument du demandeur a été transmis au défendeur sous forme d’une lettre datée du 4 avril 2008 de la part de l’adjoint spécial de M. Glen Pearson, député de London North. La lettre a été copiée de celle transmettant l’ERAR et datée du 29 février 2008. L’auteur de la lettre déclare ce qui suit : [traduction] « Notre bureau estime que le cas de cet homme justifie qu’un seul décideur apprécie la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ainsi que l’ERAR en raison des risques susmentionnés s’il retournait aux États‑Unis. » La lettre soulève deux préjudices potentiels pour le demandeur : une peine judiciaire et d’autres peines. La question des difficultés extrajudiciaires a été soulevée dans les affidavits à l’appui présentés avec la demande d’ERAR et dans l’affidavit du demandeur souscrit le 19 mars 2008, qu’il a présenté avec les deux demandes. Dans son affidavit, il déclare ce qui suit :

[traduction]

L’armée a pris un règlement qui décrit sa politique concernant les châtiments extrajudiciaires. Selon ce que je comprends, ce règlement indique qu’un commandant a l’entière discrétion de déterminer les châtiments qu’un soldat devrait recevoir.

 

Je crains que, si je suis renvoyé aux États‑Unis, je subisse une peine arbitraire, cruelle et inhabituelle sous forme de châtiments extrajudiciaires imposés à la discrétion du commandant de mon ancienne unité. Cela serait pire qu’une procédure inéquitable en cour martiale et la peine d’emprisonnement qui en découlerait en raison de mes opinions politiques.

 

Je ne crois pas qu’il soit juste que je sois soumis à des brimades et à d’autres châtiments extrajudiciaires de la part de l’armée des États‑Unis simplement parce que j’ai choisi de suivre mes convictions morales et de m’absenter sans permission plutôt que d’être déployé en Irak.

 

            1.  La question de savoir si l’agente a appliqué le critère pertinent.

[13]           Le demandeur prétend que l’agente a omis de tenir compte de manière appropriée des difficultés qu’il subirait à son retour aux États‑Unis et qu’elle a limité son analyse à la question de savoir s’il pouvait se prévaloir de la protection de l’État dans ce pays et la question de savoir s’il avait épuisé tous les recours qui pourraient lui faire bénéficier de la protection de l’État aux États‑Unis avant de présenter sa demande CH.

 

[14]           Le demandeur reconnaît que l’agente a, à plusieurs reprises, énoncé le critère de la bonne manière, soit des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, mais il maintient qu’elle a omis de véritablement appliquer ce critère. Il s’appuie plus particulièrement sur le passage suivant de la décision de l’agente :

[traduction]

Puisque la Cour d’appel a refusé de répondre aux questions à certifier parce que les demandeurs dans Hinzman n’avaient pas épuisé tous les recours qui pourraient leur faire bénéficier de la protection de l’État, la présente décision CH examine la question de savoir si le demandeur en l’espèce a épuisé tous les recours qui pourraient lui faire bénéficier de la protection de l’État et l’existence de la protection de l’État pour lui, dans le contexte de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

[15]           Le demandeur fait valoir avec justesse que, contrairement à une demande d’asile, comme c’était le cas dans Hinzman, celui qui présente une demande CH n’est pas tenu de réfuter une présomption de protection de l’État ou d’épuiser tous les recours qui pourraient lui faire bénéficier de la protection de l’État avant d’obtenir une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[16]           La Cour a fréquemment conclu qu’un agent qui évalue une demande CH commet une erreur en menant une analyse d’ERAR en appliquant les critères prévus dans les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Il s’agit d’une erreur parce que le critère d’un examen des risques dans le cadre d’une évaluation fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est moins exigeant que dans le cadre d’un ERAR ou d’une analyse en vertu des articles 96 ou 97 : voir à titre d’exemples Pinter c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 296; Sha’er c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 231; Gaya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 989; Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1404; Melchor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1327, Siddiqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 989.

 

[17]           Les difficultés qu’allègue le demandeur découlent directement de son absence sans permission, de l’accusation d’absence sans permission, de sa détention, de la poursuite dont il est l’objet en vertu de l’UCMJ et de sa libération ultérieure de l’armée. Puisqu’il a soulevé ces circonstances comme étant les difficultés justifiant une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le demandeur ne peut reprocher à l’agente d’avoir examiné ces circonstances en entier, y compris la question de savoir s’il existe des mesures de protection dont il peut se prévaloir pour atténuer ces difficultés alléguées. Il y a lieu de faire une distinction entre la jurisprudence mentionnée dans le paragraphe qui précède et la présente affaire. Ce n’est pas parce que l’agente a porté son attention sur des facteurs qui interviennent habituellement dans une évaluation d’ERAR qu’elle a importé les critères de risque d’un ERAR.

 

[18]           Il ne faut pas perdre de vue l’objectif d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. En règle générale, les demandes de résidence permanente doivent être présentées de l’étranger, conformément au paragraphe 9(1) de la Loi. L’existence de motifs d’ordre humanitaire peut justifier de s’écarter de la règle, mais cela constitue l’exception. Des motifs d’ordre humanitaire existent si des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives seraient causées à la personne sollicitant l’examen de son cas, si elle devait quitter le Canada et présenter une demande de résidence permanente de l’étranger.

 

[19]           En règle générale, les questions concernant la protection de l’État n’interviendront pas dans une demande CH. Cependant, les difficultés ne peuvent être appréciées dans l’abstrait, sans se reporter aux mesures offertes dans le pays d’origine et auxquelles il est possible d’avoir accès pour traiter de ces difficultés et les atténuer. À titre d’exemple, si un demandeur allègue qu’il subirait des difficultés s’il était renvoyé dans son pays d’origine en raison d’une maladie, la preuve devrait démontrer l’inexistence de traitements acceptables pour la maladie dans le pays d’origine (laissant de côté les questions d’interdiction de territoire au Canada pour des raisons médicales). Si le demandeur peut se prévaloir de services médicaux facilement accessibles dans son pays d’origine, ce fait ne peut être laissé de côté dans l’analyse des difficultés. Le demandeur ne peut pas refuser de se prévaloir de ces services afin d’appuyer son allégation de difficultés dans la demande CH. L’agent doit apprécier les difficultés en s’appuyant sur tous les éléments de preuve concernant les services offerts au demandeur.

 

[20]           Le demandeur allègue que la manière dont il sera traité à la suite de ses accusations militaires constitue des difficultés. Il est tout à fait approprié, et en effet nécessaire, que l’agente examine les mesures dont le demandeur peut se prévaloir pour atténuer ces difficultés alléguées. Compte tenu des circonstances de la présente affaire, ces mesures peuvent être décrites de manière générale comme des services de protection, puisque le demandeur allègue un préjudice physique et psychologique en conséquence de sa détention et de sa peine. Le préjudice qu’allègue le demandeur est reproduit comme suit dans la décision de l’agente :

                                    [traduction]

·        Dans un affidavit signé le 18 mars 2008, le demandeur déclare ce qui suit : « Ce que je crains si je suis renvoyé aux États‑Unis est une peine minimale de détention de sept ans dans une prison militaire ou peut‑être l’imposition de la peine de mort, car il s’agit toujours d’une option viable en raison du fait qu’elle demeure la peine maximale pour la désertion. [...] Je crois que, si je suis renvoyé aux États‑Unis, je serai probablement accusé de désertion et je ferai l’objet d’une procédure en cour martiale. Je ne crois pas que je bénéficierai d’une audience équitable à l’occasion de la procédure en cour martiale. Je crains de me voir imposer une peine d’emprisonnement plus longue que celle qui serait imposée à d’autres s’ils étaient reconnus coupables de désertion pour la même durée que celle pendant laquelle j’ai été absent de mon unité, parce que j’ai choisi de me prononcer publiquement au Canada contre la guerre en Irak. » De plus, le demandeur déclare également qu’il subira une peine arbitraire, cruelle et inhabituelle sous forme de châtiments extrajudiciaires. Il craint d’être ciblé comme bouc émissaire et de subir un préjudice psychologique et physique, parce qu’il a quitté une unité d’élite.

 

·        L’affidavit du demandeur énonce également ce qui suit : « Une exclusion de l’armée américaine pour cause d’indignité aurait une incidence permanente sur ma capacité de subvenir aux besoins de ma famille. Les employeurs éventuels demandent habituellement aux candidats s’ils ont servi dans l’armée et quel genre de libération ils ont eu. Les institutions financières demandent également la nature de l’exclusion de l’armée américaine pour cause d’indignité lors de l’établissement de prêts ou d’hypothèques. Je crois qu’une exclusion de l’armée américaine pour cause d’indignité m’empêchera de trouver un emploi adéquat et d’être en mesure d’obtenir du financement d’une banque, pour par exemple une maison ou une voiture. »

 

[21]           Compte tenu de mon examen de la décision de l’agente, je suis convaincu que celle‑ci n’a pas appliqué le mauvais critère. L’agente a appliqué le critère approprié, à savoir les difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives, mais, en examinant la question de savoir si le préjudice allégué par le demandeur répondait à ce critère, elle a correctement examiné la question de savoir si ces difficultés alléguées seraient atténuées par les mesures de protection en place dans l’armée et en vertu des lois générales aux États‑Unis ou si elles pouvaient l’être. En conséquence, l’agente n’a pas commis les erreurs alléguées. Elle a appliqué le critère pertinent.

 

            2.  La question de savoir si les motifs de l’agente étaient suffisants.

[22]           Le demandeur fait valoir que l’agente a commis une erreur en fournissant des motifs insuffisants pour la conclusion selon laquelle il ne serait pas soumis à une peine plus importante du fait qu’il s’est prononcé publiquement contre la guerre en Irak. Dans son affidavit, le demandeur a déclaré qu’il craignait se voir imposer une peine minimale de détention de sept ans ou possiblement la peine de mort.

 

[23]           La conclusion de l’agente à cet égard était la suivante : [traduction] « Je conclus que les éléments de preuve objective ne montrent pas que le demandeur serait assujetti à une peine excessive s’il devait faire l’objet d’une accusation et d’une déclaration de culpabilité en cour martiale à son retour aux États‑Unis. » Une lecture attentive de la décision indique que l’agente a tiré cette conclusion en s’appuyant sur ce qui suit :

a)      les éléments de preuve qu’a présentés le demandeur de la part de soldats qui estimaient avoir été traités différemment et plus durement en raison de leur opposition véhémente à la guerre indiquent qu’ils ont été reconnus coupables de différentes infractions et qu’ils ont fait l’objet de différentes peines d’emprisonnement, de rétrogradations, de confiscation de solde, d’amendes et de destitution pour mauvaise conduite;

b)      une recherche indépendante indique que les peines d’emprisonnement imposées avaient une durée allant jusqu’à 15 mois;

c)      la peine de mort n’a été imposée à personne depuis 1945 et avant cela, depuis la guerre de Sécession;

d)      les soldats accusés en vertu de l’UCMJ bénéficieraient de l’application régulière de la loi et auraient accès aux services d’un avocat;

e)      l’UCMJ est une loi d’application générale pour les soldats dans l’armée.

 

[24]           Le demandeur s’appuie sur l’approbation par la Cour de l’ordonnance sursoyant à l’exécution de la mesure de renvoi dans Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM‑3813‑08, en date du 22 septembre 2008. Lorsqu’il examinait la question de savoir si le demandeur avait démontré un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé, le juge Mosley a écrit ce qui suit :

[traduction]

Rien n’indique dans les documents dont je suis saisi que le demandeur principal se verra refuser l’application régulière de la loi par le système de justice militaire américain. La preuve indique cependant que les lois concernant la peine pour désertion sont appliquées de manière différente dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant selon le profil du déserteur individuel à titre d’opposant à l’effort de guerre des États‑Unis ou de critique de cet effort. La plupart des déserteurs sont libérés de l’armée sans être poursuivis, se voyant imposer tout au plus une exclusion pour cause d’indignité. Un petit nombre de déserteurs qui ont fait publiquement part de leurs critiques à l’étranger sont poursuivis et emprisonnés.

 

[25]           À mon avis, cette observation n’aide pas le demandeur à établir qu’il subira des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. L’observation du juge Mosley a été faite dans le contexte de la question de savoir si M. Hinzman, s’il était renvoyé aux États‑Unis avant que sa demande de contrôle judiciaire ne soit entendue, subirait un préjudice irréparable. Le point que faisait valoir mon collègue était que M. Hinzman faisait face à la probabilité d’être emprisonné, donc le préjudice irréparable en l’absence de sursis de la mesure de renvoi. Cependant, on ne peut pas dire que cette confirmation va jusqu’à indiquer que le traitement que subiront des soldats tels que M. Lowell constitue des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. À cet égard, les observations du juge Lamer, s’exprimant au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada sur ce point dans l’arrêt Smith c. Sa Majesté la Reine, [1987] 1 R.C.S. 1045, sont particulièrement utiles. Dans cet arrêt, l’article 12 de la Charte (« Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités ») était en cause :

Les nombreux critères proposés conformément à l’al. 2b) de la Déclaration canadienne des droits et au Huitième amendement de la Constitution américaine sont, à mon avis, utiles comme facteurs permettant de déterminer s’il y a eu violation de l’art. 12. Ainsi, pour mentionner les critères énoncés par le professeur Tarnopolsky, les questions de savoir si la peine est nécessaire pour atteindre un objectif pénal régulier, si elle est fondée sur des principes reconnus en matière de détermination de la sentence et s’il existe des solutions de rechange valables à la peine imposée, constituent des lignes directrices qui, sans être décisives en elles‑mêmes, aident à vérifier si la peine est exagérément disproportionnée.

 

[26]           L’existence du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, de sorte que ceux qui se trouvent dans la situation du demandeur peuvent faire l’objet d’une peine d’emprisonnement alors que d’autres non, ne montre pas en soi qu’il subira des difficultés de la sorte visée dans une demande CH qui est accueillie. Le fait est qu’il existe une gamme de peines possibles auxquelles le demandeur peut être exposé. Comme l’a souligné l’agente, la preuve indique qu’il est peu probable qu’il purge plus de 15 mois, et ce, uniquement après avoir bénéficié de l’application régulière de la loi. Sa conclusion selon laquelle cela ne constitue pas des difficultés suffisantes pour justifier une décision CH favorable appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », tel que le décrit la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. La Cour ne peut pas l’annuler.

 

            3.  La question de savoir si l’agente a omis d’examiner le risque de brimades physiques et psychologiques.

[27]           Le demandeur soutient que l’agente a commis une erreur en omettant d’examiner le préjudice qu’il subirait par ce qui a été décrit comme [traduction] « des brimades psychologiques et physiques ». Il fait valoir que ce préjudice diffère des châtiments extrajudiciaires visés par le règlement militaire 27‑10 qui, selon ce qu’il prétend, sont les seuls châtiments extrajudiciaires dont l’agente a tenu compte.

 

[28]           Le défendeur nie que l’agente ait limité son examen des châtiments extrajudiciaires uniquement aux peines prévues par le règlement militaire 27‑10. Subsidiairement, le défendeur soutient que si l’agente a confondu ces deux types de difficultés, elle l’a fait en s’appuyant sur les prétentions mêmes du demandeur. Le défendeur souligne l’affidavit du demandeur déposé à l’appui de sa demande CH dans lequel il déclare que [traduction] « [j]e ne crois pas qu’il soit juste que je sois soumis à des brimades et à d’autres châtiments extrajudiciaires [...] » et que [traduction] « [je subirai] des difficultés par suite des conséquences psychologiques et potentiellement physiques à long terme d’une peine judiciaire ou de châtiments extrajudiciaires [...] » [Non souligné dans l’original.]

 

[29]           À mon avis, le défendeur a raison. Le demandeur n’a pas fait la distinction entre les châtiments extrajudiciaires [traduction] « autorisés » et les brimades non autorisées. Il ne peut pas maintenant se plaindre que l’agente ait fait la même chose. Quoi qu’il en soit, la décision de l’agente vise les deux types de peines. Voici ce qu’elle écrit :

[traduction]

L’affidavit du demandeur indique qu’il craint de subir une peine arbitraire, cruelle et inhabituelle en la forme de châtiments extrajudiciaires. Les prétentions indiquent que le demandeur a fait l’objet de brimades physiques et psychologiques de la part de ses pairs et de ses supérieurs lorsqu’il est retourné à Fort Lewis. Le demandeur n’indique pas s’il a exercé ses droits d’appel en vertu du règlement 27‑10, ni s’il a exploré d’autres mesures de protection, comme le signalement du traitement à des officiers supérieurs.

 

[30]           L’appel concernant le traitement en vertu du règlement vise les châtiments extrajudiciaires [traduction] « autorisés ». Cependant, à mon avis, le signalement à des officiers supérieurs se rapporte nettement aux brimades non autorisées qui, selon les allégations du demandeur et d’autres, se produiraient. Ainsi, l’agente a bel et bien examiné cette allégation et a conclu que cela ne constituerait pas des difficultés, parce que, bien que le demandeur ait déjà été victime d’un tel traitement, il n’y avait pas de preuve indiquant qu’il avait fait quoi que ce soit à ce sujet. L’agente disposait d’éléments de preuve selon lesquels d’autres avaient réglé les brimades autrement que par les procédures prévues par le règlement. Stephen Funk, dans l’affidavit souscrit à l’appui de la demande CH, déclare qu’en attente du procès en cour martiale il était régulièrement harcelé par d’autres marines. Il mentionne un incident précis à la suite duquel il a informé son commandant que si cela se produisait à nouveau il préviendrait les médias et le tiendrait responsable. Le demandeur n’a offert aucune preuve selon laquelle un recours de cette sorte n’avait pas réussi à mettre fin aux brimades. L’agente fait l’observation suivante : [traduction] « Tout en reconnaissant que se plaindre d’un tel traitement met le soldat dans une position difficile et peut potentiellement l’exposer à des commentaires non souhaités de la part de ses collègues militaires, je ne crois pas que les difficultés liées à l’exploration d’options d’appel pour les châtiments extrajudiciaires soient inhabituelles, injustifiées ou excessives. »

 

[31]           En l’absence de preuve selon laquelle de tels appels n’atténueraient pas les difficultés et puisqu’il n’y a rien d’inhabituel, d’injustifié ou d’excessif à suivre ces processus d’appel, on ne peut pas dire que l’agente a commis une erreur ou que sa décision était déraisonnable.

 

[32]           Aucune partie n’a présenté une question à certifier et il n’y en a aucune.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée et qu’aucune question ne soit certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4599‑08

 

Intitulé :                                       MATTHEW DAVID LOWELL c.

                                                            Le ministre de la citoyenneté
et de l’
IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 18 mars 2009

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      le 22 juin 2009

 

 

Comparutions :

 

Alyssa Manning

Pour le demandeur

 

Asha Gafar

Nur Muhamammed‑Ally

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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