Décisions de la Cour fédérale

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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20090612

 

Dossier : T-1235-02

 

Référence : 2009 CF 631

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

et

 

PFIZER CANADA INC.,

PFIZER CORPORATION,

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Il s’agit d’une requête en jugement sommaire présentée par les défenderesses Pfizer dans le cadre d’une action intentée par la demanderesse Apotex visant à réclamer des dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93‑133, modifié par le DORS/98‑166 (Règlement sur les avis de conformité). Apotex allègue que le rejet de la requête en ordonnance d’interdiction des défenderesses Pfizer a retardé la délivrance par le ministre d’un avis de conformité (AC) à Apotex pour son produit Apo‑Fluconazole qui, selon la Cour, n’a pas contrefait le brevet canadien de Pfizer 1 181 076 (le brevet 076).

LES FAITS

Le brevet 076

  • [2] Le brevet 076 de Pfizer a été délivré le 15 janvier 1985 et a expiré le 15 janvier 2002. Il a revendiqué le produit pharmaceutique Fluconazole (vendu au Canada sous le nom de DIFLUCAN®), un nouveau composé utilisé pour traiter les infections fongiques. En 1985, le droit canadien des brevets ne permettait pas les revendications relatives aux produits. Le brevet 076 n’a donc revendiqué que le procédé de préparation du Fluconazole. Si un fabricant de produits génériques trouve un procédé n’emportant pas contrefaçon pour la préparation du Fluconazole, il peut éviter la contrefaçon du brevet.

 

Le cadre législatif

  • [3] Le Règlement sur les aliments et drogues, L.R.C. 1978, ch. 870, exige que toute personne vendant un nouveau médicament soit d’abord titulaire d’un AC valide délivré par le ministre. Un fabricant de médicaments devient admissible à un AC en soumettant une présentation de drogue nouvelle (PDN) à Santé Canada. Les fabricants de médicaments génériques qui souhaitent copier un médicament qui a déjà été commercialisé au Canada peuvent déposer une PDN particulière, appelée « présentation abrégée de drogue nouvelle » (PADN). Selon cette procédure, plutôt que de démontrer par des études cliniques que le médicament est sûr et efficace, le fabricant de médicaments génériques n’a qu’à démontrer que son médicament est équivalent à un « produit de référence » déjà approuvé.

  • [4] Les politiques du ministre permettent également les présentations avec renvoi lorsque la totalité d’une PADN est identique à une autre, sauf en ce qui concerne le nom du médicament, le nom du fabricant ou les deux. En l’espèce, un autre fabricant de médicaments génériques, Nu‑Pharm, avait d’abord déposé une PADN en utilisant le Fluconazole déjà approuvé de Pfizer comme produit de référence. La demanderesse Apotex a ensuite renvoyé sa propre présentation à la présentation de Nu‑Pharm. Par conséquent, bien que Nu‑Pharm ne soit pas constituée comme partie à la présente instance, sa conduite est pertinente aux faits en l’espèce.

 

Procédure visant la délivrance d’un avis de conformité relatif au brevet 076

  • [5] Le 20 mars 1992, Nu‑Pharm a déposé une PADN identifiant un procédé chimique particulier, le « procédé à l’acétate », entrant dans la fabrication du Fluconazole en vrac. Nu‑Pharm a par la suite signifié un avis d’allégation à Pfizer alléguant que le procédé à l’acétate ne contrefaisait pas le brevet 076. Pfizer a entamé une instance en interdiction le 4 juin 1993 (dossier T‑1352-93).

 

  • [6] Le 16 août 1994 ou vers cette date, Nu‑Pharm a signifié un avis d’allégation à Pfizer pour un autre procédé de fabrication du Fluconazole connu sous le nom de « procédé au sulfate cyclique ». En réponse, Pfizer a entamé une instance en interdiction (dossier T‑1299‑95). Nu‑Pharm n’a pas modifié sa PADN ni déposé de nouvelle PADN concernant le procédé au sulfate cyclique.

 

  • [7] Le 12 septembre 1994, la demanderesse Apotex a fait parvenir une PADN au ministre pour les comprimés Apo‑Fluconazole, avec renvoi à la PADN de Nu‑Pharm. À cette époque, la PADN de Nu‑Pharm n’incorporait pas le procédé au sulfate cyclique et ne comportait que des renseignements sur le procédé à l’acétate.

 

  • [8] Le 1er mai 1995, Nu-Pharm a signifié un autre avis d’allégation à Pfizer alléguant que ses comprimés seraient fabriqués au moyen d’un troisième procédé, le « procédé à l’oléfine ».

 

  • [9] Le 28 juin 1995, Apotex a signifié un avis d’allégation à Pfizer, alléguant que ses comprimés n’enfreindraient pas le brevet 076 du fait qu’ils seraient fabriqués au moyen de l’oléfine.

 

  • [10] Le 10 août 1995, Pfizer a entamé une instance en interdiction en réponse au troisième avis d’allégation de Nu‑Pharm revendiquant le procédé à l’oléfine (dossier T‑1713‑95) ainsi qu’à l’avis d’allégation d’Apotex revendiquant le procédé à l’oléfine (dossier T‑1714‑95). À cette époque, Nu‑Pharm n’avait pas modifié sa PADN pour y incorporer le procédé à l’oléfine.

 

  • [11] Le 27 juin 1996, Nu‑Pharm a envoyé au ministre une lettre contenant des schémas de processus des procédés de fabrication de rechange pour le médicament, notamment le procédé à l’oléfine. Ni Nu‑Pharm, ni Apotex n’ont fait suivre de correspondance supplémentaire au ministre au sujet des procédés de fabrication du médicament. Le ministre n’a pas examiné la lettre de Nu‑Pharm.

 

Décisions de la Cour fédérale concernant le brevet 076

  • [12] Comme il est décrit ci-dessous, la Cour a conclu que le procédé à l’acétate et le procédé au sulfate cyclique contrefaisaient le brevet 076 de Pfizer, mais non pas le procédé à l’oléfine.

 

  • [13] Le 18 août 1997, notre Cour a rendu des ordonnances d’interdiction dans les dossiers T‑1352‑93 (l’instance Nu‑Pharm concernant le procédé à l’acétate), T‑1299‑95 (l’instance Nu‑Pharm concernant le procédé au sulfate cyclique) et T‑2389‑94 (l’instance Apotex concernant le procédé au sulfate cyclique). Le juge Richard, ce qu’il était à cette époque, a conclu que les allégations selon lesquelles le procédé à l’acétate et le procédé au sulfate cyclique ne contreviendraient pas au brevet 076 étaient injustifiées : décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (1997) 77 C.P.R. (3d) 547, 73 A.C.W.S. (3d) 665. (Ces trois dossiers judiciaires ont été entendus ensemble et les motifs de la décision s’appliquaient aux trois : voir la décision Pfizer c. Apotex, (1997) 77 C.P.R. (3d) 547 aux par. 10 à 12).

 

  • [14] Le 30 janvier 1998, la requête présentée dans le dossier T‑1714‑95 (l’instance d’Apotex fondée sur le procédé de l’oléfine) a été rejetée par la juge Reed : décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., (1998) 142 F.T.R. 1, 78 C.P.R. (3d) 3. Selon Apotex, la responsabilité a incombé à Pfizer depuis le moment où l’instance en ordonnance d’interdiction a été entreprise, soit le 10 août 1995, jusqu’au 30 janvier 1998.

 

  • [15] À cette époque, ni Nu‑Pharm ni Apotex n’avaient modifié leur PADN pour y incorporer le procédé à l’oléfine. Le ministre n’a pas délivré d’AC à Apotex à la suite du rejet de l’instance afférente au dossier T‑1714‑95, au motif qu’aucun renseignement sur le procédé n’emportant pas contrefaçon n’a été incorporé dans la PADN de Nu‑Pharm et par conséquent, dans celle d’Apotex.

  • [16] Le 16 mars 1998, Apotex a déposé une demande devant notre Cour (dossier T‑429‑98) visant à contraindre le ministre à délivrer un AC à Apotex pour le produit Apo‑Fluconazole. Ni Pfizer ni Nu‑Pharm n’étaient constituées comme parties à cette instance. Apotex a fait valoir que la lettre de Nu‑Pharm du 27 juin 1996 constituait le dépôt par Nu‑Pharm du procédé à l’oléfine dans sa PADN et qu’étant donné que la PADN d’Apotex constituait une présentation avec renvoi à celle de Nu‑Pharm, Apotex n’avait pas besoin de prendre d’autres mesures pour incorporer le procédé à l’oléfine dans sa PADN. Le ministre a adopté la position selon laquelle tout changement dans le procédé devait être effectué au moyen d’un « supplément à une présentation de drogue nouvelle » ou d’un « changement devant être obligatoirement déclaré » comme le prévoit le document d’orientation intitulé « Politique de la Direction des médicaments sur les modifications aux drogues nouvelles », publié par Santé Canada et entré en vigueur le 4 avril 1994.

 

  • [17] En juin 1998, Apotex, Nu‑Pharm et le ministre ont conclu une entente en vertu de laquelle Nu‑Pharm et Apotex soumettraient un changement devant être obligatoirement déclaré et des documents à l’appui; le ministre émettrait ensuite un AC. La demande de mandamus contre le ministre a été abandonnée.

 

  • [18] Nu‑Pharm a déposé auprès du ministre une demande de changement devant être obligatoirement déclaré le 29 juin 1998. Le ministre a estimé que cette demande comportait des lacunes, d’où la communication d’un un avis d'insuffisance lors de l'examen préliminaire. Les renseignements supplémentaires ont été envoyés au ministre par Nu‑Pharm et ont été approuvés le 9 octobre 1998.

  • [19] La demande de changement devant être obligatoirement déclaré d’Apotex a été reçue par le ministre le 9 octobre 1998 et sa PADN a été approuvée le même jour en raison de sa présentation avec renvoi à la PADN de Nu‑Pharm.

 

LA QUESTION LITIGIEUSE

  • [20] La question litigieuse en l’instance consiste à savoir si la déclaration d’Apotex omet de faire état d’un point litigieux en cause véritable, de telle sorte qu’un jugement sommaire soit rendu; plus particulièrement, à savoir si la requête en ordonnance d’interdiction de Pfizer a occasionné le préjudice qu’Apotex est censé avoir subi, au point où Pfizer est responsable au titre de l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité. Apotex fait valoir qu’elle aurait reçu un avis de conformité pour le procédé à l’oléfine beaucoup plus tôt [traduction] « en l’absence du Règlement sur les avis de conformité », c.‑à‑d. si Pfizer n’avait pas engagé d’instance en ordonnance d’interdiction contre Apotex le 10 août 1995 relativement au procédé à l’oléfine.

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

  • [21] Les parties conviennent que l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité, modifié par le DORS/98‑166, s’applique. Il prévoit ce qui suit :

8. (1) Si la demande présentée aux termes du paragraphe 6(1) est retirée ou fait l’objet d’un désistement par la première personne ou est rejetée par le tribunal qui en est saisi, ou si l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité, rendue aux termes de ce paragraphe, est annulée lors d’un appel, la première personne est responsable envers la seconde personne de toute perte subie au cours de la période :

a) débutant à la date, attestée par le ministre, à laquelle un avis de conformité aurait été délivré en l’absence du présent règlement, sauf si le tribunal estime d’après la preuve qu’une autre date est plus appropriée;

b) se terminant à la date du retrait, du désistement ou du rejet de la demande ou de l’annulation de l’ordonnance.

  (2) La seconde personne peut, par voie d’action contre la première personne, demander au tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à cette dernière de lui verser une indemnité pour la perte visée au paragraphe (1).

  (3) Le tribunal peut rendre une ordonnance aux termes du présent article sans tenir compte du fait que la première personne a institué ou non une action pour contrefaçon du brevet visé par la demande.

  (4) Le tribunal peut rendre l’ordonnance qu’il juge indiquée pour accorder réparation par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits à l’égard de la perte visée au paragraphe (1).

  (5) Pour déterminer le montant de l’indemnité à accorder, le tribunal tient compte des facteurs qu’il juge pertinents à cette fin, y compris, le cas échéant, la conduite de la première personne ou de la seconde personne qui a contribué à retarder le règlement de la demande visée au paragraphe 6(1).

8. (1) If an application made under subsection 6(1) is withdrawn or discontinued by the first person or is dismissed by the court hearing the application or if an order preventing the Minister from issuing a notice of compliance, made pursuant to that subsection, is reversed on appeal, the first person is liable to the second person for any loss suffered during the period

(a) beginning on the date, as certified by the Minister, on which a notice of compliance would have been issued in the absence of these Regulations, unless the court is satisfied on the evidence that another date is more appropriate; and

 (b) ending on the date of the withdrawal, the discontinuance, the dismissal or the reversal.

 

  (2) A second person may, by action against a first person, apply to the court for an order requiring the first person to compensate the second person for the loss referred to in subsection (1).

  (3) The court may make an order under this section without regard to whether the first person has commenced an action for the infringement of a patent that is the subject matter of the application.

  (4) The court may make such order for relief by way of damages or profits as the circumstances require in respect of any loss referred to in subsection (1).

 (5) In assessing the amount of compensation the court shall take into account all matters that it considers relevant to the assessment of the amount, including any conduct of the first or second person which contributed to delay the disposition of the application under subsection 6(1).

 

 


L’ANALYSE

Le critère applicable en matière de jugements sommaires

  • [22] Le paragraphe 216(1) des Règles de la Cour fédérale prévoit qu’un jugement sommaire doit être rendu en l’absence de véritable question litigieuse :

Absence de véritable question litigieuse

216. (1) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

 

Where no genuine issue for trial

216. (1) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

 

 

  • [23] Le paragraphe 216(2) des Règles de la Cour fédérale prévoit que la Cour peut rendre un jugement sommaire lorsque la seule véritable question litigieuse est un point de droit :

Somme d’argent ou point de droit

(2) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

Genuine issue of amount or question of law

(2) Where on a motion for summary judgment the Court is satisfied that the only genuine issue is

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

  • [24] Le paragraphe (3) de la règle 216 prévoit que la Cour peut rendre un jugement sommaire dans certaines circonstances où il existe une véritable question litigieuse :

Jugement de la Cour

(3) Lorsque, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour conclut qu’il existe une véritable question litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut néanmoins rendre un jugement sommaire en faveur d’une partie, soit sur une question particulière, soit de façon générale, si elle parvient à partir de l’ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit.

Summary judgment

(3) Where on a motion for summary judgment the Court decides that there is a genuine issue with respect to a claim or defence, the Court may nevertheless grant summary judgment in favour of any party, either on an issue or generally, if the Court is able on the whole of the evidence to find the facts necessary to decide the questions of fact and law.

 

  • [25] Dans la décision Rachalex Holdings Inc. c. W & M Wire and Metal Products Ltd., 2007 CF 502, 15 A.C.W.S. (3e) 629, j’ai énoncé au paragraphe 8 le critère applicable en matière de jugements sommaires (où je cite mon énoncé dans la décision Spenco Medical Corp. c. Emu Polishes Inc., 2004 CF 963, aux paragraphes 6 à 8:

[...] La Cour ne rend pas de jugement sommaire lorsque l’existence d’une véritable question litigieuse est démontrée. Toutefois, la règle 216(3) permet explicitement à la Cour de rendre un jugement sommaire malgré l’existence d’une véritable question litigieuse si « elle parvient à partir de l’ensemble de la preuve à dégager les faits nécessaires pour trancher les questions de fait et de droit ». [...]

 

  • [26] Dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (C.F. 1re inst.), la juge Tremblay-Lamer a énoncé les principes généraux applicables à une requête en jugement sommaire au paragraphe 8 :

¶8  J'ai examiné toute la jurisprudence se rapportant aux jugements sommaires et je résume les principes généraux en conséquence :

1.  ces dispositions ont pour but d'autoriser la Cour à se prononcer par voie sommaire sur les affaires qu'elle n'estime pas nécessaire d'instruire parce qu'elles ne soulèvent aucune question sérieuse à instruire (Old Fish Market Restaurants Ltd. c. 1000357 Ontario Inc. et al., [1994] A.C.F. no 1631, 58 C.P.R. (3d) 221 (C.F. 1re inst.));

2.  il n'existe pas de critère absolu [...], mais le juge Stone, J.C.A. semble avoir fait siens les motifs prononcés par le juge Henry dans le jugement Pizza Ltd. v. Gillespie [(1990), 75 O.R. (2d) 225 (Div. gén.)]. Il ne s'agit pas de savoir si une partie a des chances d'obtenir gain de cause au procès, mais plutôt de déterminer si le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès;

3.  chaque affaire devrait être interprétée dans le contexte qui est le sien [...];

4.  les règles de pratique provinciales (spécialement la Règle 20 des Règles de procédure civile de l'Ontario [R.R.O. 1990, Règl. 194]) peuvent faciliter l'interprétation [...];

5.  saisie d'une requête en jugement sommaire, notre Cour peut trancher des questions de fait et des questions de droit si les éléments portés à sa connaissance lui permettent de le faire [...];

6. le tribunal ne peut pas rendre le jugement sommaire demandé si l'ensemble de la preuve ne comporte pas les faits nécessaires pour lui permettre de trancher les questions de fait ou s'il estime injuste de trancher ces questions dans le cadre de la requête en jugement sommaire [...];

7.  lorsqu'une question sérieuse est soulevée au sujet de la crédibilité, le tribunal devrait instruire l'affaire, parce que les parties devraient être contre-interrogées devant le juge du procès [...] L'existence d'une apparente contradiction de preuves n'empêche pas en soi le tribunal de prononcer un jugement sommaire; le tribunal doit « se pencher de près » sur le fond de l'affaire et décider s'il y a des questions de crédibilité à trancher [...]

 

  • [27] La Cour d’appel fédérale a confirmé ce critère dans l’arrêt ITV Technologies Inc. c. WIC Television, 2001 CAF 11[2001] A.C.F. No 400 (C.A. F.), et l’a cité avec approbation dans l’arrêt Succession Macneil c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2004 CAF 50, 316 N.R. 349, où la Cour a fourni, aux paragraphes 32 à 29 [sic], les lignes directrices expressément en ce qui concerne l’application du paragraphe 216(3) des Règles de la Cour fédérale. J’ai résumé ces lignes directrices dans la décision Rachalex Holdings précitée au paragraphe 8, comme suit :

1. Lorsqu'il se pose une question de crédibilité, l'affaire ne devrait pas être tranchée au moyen d'un jugement sommaire rendu en vertu du paragraphe 216(3), mais devrait plutôt faire l'objet d'une instruction parce que les parties devraient être contre‑interrogées devant le juge du procès (voir paragraphe 32 de MacNeil Estate);

2.  En vertu du paragraphe 216(3) des Règles, le juge des requêtes peut uniquement tirer des conclusions de fait ou de droit à condition qu'existent dans le dossier des éléments de preuve pertinents qui ne portent pas sur une question de fait ou de droit « sérieuse » reposant sur des inférences (voir paragraphe 33 de MacNeil Estate);

3.  Le paragraphe 216(3) des Règles permet au juge, par suite d'une requête en jugement sommaire, après avoir conclu qu'il existe une « véritable question litigieuse », de mener une instruction en se fondant sur la preuve par affidavit en vue de trancher les questions qui se posent dans l'action s'il est possible de le faire. Toutefois, il n'est pas toujours possible de le faire, en particulier en présence d'éléments de preuve contradictoires, lorsque l'affaire repose sur des inférences ou lorsqu'une question de crédibilité est en jeu (voir paragraphe 46 de MacNeil Estate);

4. Les parties qui répondent à une requête en jugement sommaire n'ont pas la charge de prouver tous les faits de l'affaire;... elles sont uniquement tenues de présenter une preuve montrant qu'il existe une véritable question litigieuse (voir paragraphe 25 de MacNeil Estate).

 

 

 

  • [28] Apotex soutient que les questions relatives à l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité n’ont pas fait l’objet d’un jugement sommaire par le passé parce que l’article 8 est un régime réglementaire complexe comportant des questions juridiques qui ne peuvent être réglées sommairement.

 

  • [29] Les affaires précédentes ont trait à l’interprétation de l’article 8 dans le but de répondre aux questions de droit soulevées par les parties. En l’espèce, comme je l’explique ci-dessous, Apotex soutient que la présente requête soulève d’importantes questions de droit exigeant une interprétation législative. Bien que le paragraphe 216(2) des Règles des Cours fédérales précité prévoit que le tribunal peut rendre un jugement sommaire lorsque la seule question litigieuse véritable est une question de droit, je conviens qu’en présence de questions juridiques difficiles exigeant l’établissement d’un cadre législatif complexe, le jugement sommaire n’est pas indiqué.Je traiterai de cette question plus en détail ci-après en répondant aux observations d’Apotex concernant les questions de droit soulevées par la présente requête.

 

Existe-t-il une véritable question litigieuse?

  • [30] Pfizer soutient qu’elle n’a causé aucun préjudice à Apotex. Selon Pfizer, aucun avis de conformité (AC) ne pouvait être délivré à Apotex avant qu’elle ne modifie sa PADN (c.-à-d. jusqu’à ce que Nu‑Pharm modifie sa PADN et Apotex sa PADN avec renvoi) pour y incorporer le seul procédé n’emportant pas contrefaçon, soit le procédé à l’oléfine. L’AC a été délivré après que la société Apotex ait déposé sa demande de changement devant être obligatoirement déclaré, incorporant le procédé à l’oléfine à sa PADN. Par conséquent, Pfizer soutient qu’elle n’est en rien responsable du retard survenu entre le dépôt de la PADN d’Apotex et la délivrance de l’AC près de quatre ans plus tard.

 

  • [31] Pfizer soutient qu’Apotex ne peut établir de lien de cause à effet entre le préjudice qu’elle allègue et l’instance relative à l’avis de conformité dans le dossier T‑1714‑95 (l’instance concernant le procédé à l’oléfine). Pfizer fait valoir que lorsqu’un demandeur ne peut établir un lien de cause à effet entre le préjudice qu’il allègue et la conduite du défendeur, il convient de rendre un jugement sommaire.

 

  • [32] Apotex soutient que la présente requête devrait être rejetée pour un certain nombre de motifs, notamment :

 

1.  Apotex soutient qu’on lui aurait délivré l’AC le 27 juin 1996, ou à tout le moins, bien avant le 30 janvier 1998.

 

 

  • [33] Le 27 juin 1996, Nu‑Pharm a envoyé au ministre une lettre contenant de l’information sur le procédé à l’oléfine. Cette date représente la date la plus rapprochée à laquelle le procédé à l’oléfine, le seul procédé qui n’emporte pas contrefaçon selon Apotex, pourrait avoir été incorporé dans la PADN d’Apotex. Selon Apotex, cette lettre matérialisait l’incorporation du procédé à l’oléfine dans la PADN de Nu‑Pharm (et, par conséquent, dans celle d’Apotex). Toutefois, la preuve incontestée indique que le ministre n’a pas estimé que cette lettre avait modifié la PADN de Nu‑Pharm de façon à y incorporer le procédé à l’oléfine. La conduite du ministre n’a rien à voir avec quelque mesure prise par Pfizer.

 

  • [34] Apotex fait valoir qu’en l’absence du Règlement sur les avis de conformité, si le ministre avait exigé un changement devant être obligatoirement déclaré, la preuve indique que le litige entre Apotex et le ministre aurait eu lieu dès juillet 1996, plutôt qu’après le 30 janvier 1998 lorsque la Cour fédérale a rejeté la requête en ordonnance d’interdiction de Pfizer relativement au procédé à l’oléfine. Apotex soutient que selon ce scénario, étant donné qu’il a fallu neuf mois pour régler le litige avec le ministre, ce dernier aurait ainsi délivré un AC à Apotex neuf mois plus tard. M. Bernard Sherman, président‑directeur général d’Apotex, a déclaré que le litige avec le ministre aurait été réglé plus tôt n’eut été de la requête de Pfizer (transcription du contre-interrogatoire de Bernard Sherman, pièce DP‑1, affidavit de Denise Pope, onglet 17‑A, Q. 128, p. 510) :

[traduction]

[…] si Pfizer n’avait pas présenté la requête en ordonnance d’interdiction, alors l’avis de conformité aurait été délivré des années plus tôt ou encore, le retard occasionné par le ministre serait survenu beaucoup plus tôt et ses effets auraient cessé beaucoup plus tôt. Je suis d’avis que le retard occasionné par le ministre pourrait même être attribuable à Pfizer, en ce sens que si Pfizer n’avait pas présenté la requête en ordonnance d’interdiction, rien de tout cela ne se serait produit et l’avis de conformité aurait été délivré des années plus tôt.

 

 

2.  Apotex soutient qu’il existe des questions de crédibilité justifiant un procès.

  • [35] Apotex soutient que la preuve corroborant sa position (à savoir que le ministre n’aurait pas exigé une demande de changement devant être obligatoirement déclaré ou, subsidiairement, que le litige avec le ministre eut été résolu plus tôt) met en lumière de graves questions de faits quant à ce qui serait survenu n’eut été du Règlement sur les avis de conformité. Apotex soutient que, à tout le moins, les éléments de preuve en sa faveur soulèvent des questions de crédibilité suffisantes pour entraîner le rejet d’une requête en jugement sommaire.

 

  • [36] La Cour reconnaît l’existence d’un véritable point litigieux pour ce qui est de savoir si un avis de conformité eut été délivré à une date antérieure n’eut été le Règlement sur les avis de conformité. L’obligation statutaire de la Cour au titre de l’alinéa 8(1)a) du Règlement sur les avis de conformité consiste à examiner la preuve et à déterminer si la Cour est convaincue que l’AC eut été délivré à une date antérieure n’eut été de l’introduction de la requête en ordonnance d’interdiction de Pfizer contre Apotex relativement au procédé à l’oléfine. La Cour doit mettre en balance ces éléments de preuve, notamment en ce qui concerne l’évaluation de leur crédibilité.

 

3.  Apotex soutient que l’interprétation convenable de l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité et les faits justifient la tenue d’un procès.

 

  • [37] Dans la décision Apotex Inc. c. Merck & Co., 2008 CF 1185, 335 F.T.R. 225, le juge Hughes a déclaré ce qui suit au paragraphe 86 :

¶ 86  L’objet du [Règlement sur les avis de conformité[…] st d’établir un genre d’« équilibre » entre les droits des brevetés et l’accès du public canadien à des médicaments abordables. […] Une personne qui est titulaire de certains types de brevets se rapportant à des médicaments a le droit d’empêcher, du moins pour un temps, un fabricant de produits génériques d’obtenir un accès relativement facile au marché en imitant les innovations et essais du breveté et en faisant référence à tels innovations et essais, et le fabricant de produits génériques a le droit, de par l’article 8, à une indemnité si l’empêchement qu’il a subi était injustifié.

 

  • [38] Apotex a soulevé des questions relatives à l’interprétation de l’article 8, notamment le sens de l’expression « n’eût été le présent règlement » En particulier, Apotex soutient que Pfizer est responsable en vertu de l’article 8 en raison du fait que le ministre aurait hypothétiquement émis l’avis de conformité à une date antérieure « n’eut été » de l’instance en ordonnance d’interdiction.

 

  • [39] Apotex soutient que les questions relatives à l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité n’ont pas fait l’objet d’un jugement sommaire par le passé parce que l’article 8 est un régime réglementaire complexe comportant des questions juridiques qui ne peuvent être résolues sommairement. Pfizer confirme que notre Cour n’a jamais rendu de jugement sommaire dans une requête en dommages-intérêts en vertu de l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité. Apotex a fait référence à la jurisprudence suivante : l’arrêt Apotex Inc. c. Eli Lilly and Co, 2004 CAF 358, 36 C.P.R. (4e) 111, où la Cour d’appel fédérale a conclu que le fait qu’une « première personne » au sens de l’article 8 puisse inclure une société mère ordonnant l’instruction d’une action au nom de sa filiale constituait une question juridique justifiant la tenue d’un procès, selon le juge Evans, aux paragraphes 13 à 16; la décision Apotex Inc. c. Merck & Co. Inc., 2004 CF 314, 248 F.T.R. 82, où la juge Snider a examiné l’interprétation de l’article 8 et en particulier la question de savoir si une partie peut présenter un recours en cas d’enrichissement sans cause en vertu de l’article 8, indiquant au paragraphe 17 que « notre Cour et la Cour d'appel fédérale ont conclu au moins à 11 reprises que les questions relatives à l'interprétation de l'article 8 devraient être examinées dans le cadre du procès » et au paragraphe 20 que l’article 8 constitue « une réglementation complexe »; la décision Apotex Inc. c. Canada, 2003 CFPI 414, 25 CPR (4e) 479, où le juge Russell a examiné la disponibilité des [traduction]« profits de la première personne » dans le cadre d’une requête en vertu de l’article 8, en déclarant au paragraphe 28 que « De telles questions complexes et de grande portée requièrent une explication plus approfondie et plus contextuelle de la signification et de l'objet de l'article 8 que celle que j'ai reçue dans le cadre de la présente requête et relèvent de la compétence du juge du procès. »; la décision Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., 2004 CF 38, 129 A.C.W.S. (3e) 1200, où le juge Hugessen cite les décisions du juge Russell dans la décision Apotex c. Canada précitée et de la juge Snider dans la décision Apotex c. Merck précitée, refusant de rendre un jugement sommaire et déclarant au paragraphe 1 que « il devrait exister des motifs impérieux » pour qu’il s’écarte du pouvoir discrétionnaire exercé par ces juges en ayant refusé de rendre un jugement sommaire lorsque des questions de droit sont soulevées; et la décision Apotex Inc. c. Merck & Co., Inc. (2005) 44 C.P.R. (4e) 423 par la juge Gauthier, aux paragraphes 21 à 28.

  • [40] Ces affaires requéraient l’interprétation de l’article 8 afin de répondre aux questions de droit soulevées par les parties. En l’espèce, Apotex soutient que le litige entre les parties soulève une question de droit quant au sens de l’expression « n’eût été le présent règlement » à l’article 8. Plus précisément, Apotex présente les observations suivantes :

[traduction] 

  1. La question de savoir si la prise en compte de ce qui serait arrivé « n’eût été le présent règlement » permet à la Cour d’envisager l’issue de toute instance, notamment celles où l’une des parties aurait gain de cause, au titre du Règlement sur les avis de conformité, à savoir si la Cour peut tenir compte de l’incidence de l’instance en interdiction concernant les affaires portant sur l’acétate et l’oléfine lors de la détermination des causes du retard;

 

  1. La question de savoir si la Cour peut conclure que le ministre s’est livré à un « comportement illicite », à savoir si Pfizer doit établir que le ministre aurait imposé les mêmes exigences si Pfizer n’avait pas entamé une instance en interdiction.

 

  • [41] La Cour conclut que le litige entre Pfizer et Apotex est fondé sur deux interprétations différentes de l’article 8 du Règlement sur les avis de conformité. Pfizer fait valoir que le retard n’a pas été causé par l’instance en interdiction de Pfizer concernant le procédé à l’oléfine. Cela est démontré par le fait que même lorsque la requête en ordonnance d’interdiction a été rejetée par la Cour fédérale le 30 janvier 1998, le ministre a conclu qu’Apotex n’avait pas fourni au ministre les renseignements requis pour qu’il lui délivre l’avis de conformité. Ce problème a finalement été résolu après qu’Apotex ait déposé une demande de changement devant être obligatoirement déclaré et ait fourni des renseignements supplémentaires en réponse à un « avis d'insuffisance lors de l'examen préliminaire ». Par conséquent, le ministre a délivré l’avis de conformité à Apotex le 9 octobre 1998, plus de neuf mois après que la Cour fédérale eut rejeté la requête en ordonnance d’interdiction de Pfizer contre Apotex.

 

  • [42] Apotex fait valoir qu’il convient de donner à l’article 8 l’interprétation selon laquelle « n’eût été le présent règlement », Pfizer n’aurait pas présenté de requête en ordonnance d’interdiction et le ministre de la Santé aurait hypothétiquement délivré l’AC à Apotex beaucoup plus tôt, à savoir peu après le 27 juin 1996 lorsque Nu‑Pharm a transmis à Santé Canada des données relatives au procédé à l’oléfine. De plus, Apotex soutient que le ministre n’aurait pas été aussi strict dans ses exigences à l’égard d’Apotex si l’instance en interdiction n’avait pas été entamée par Pfizer.

 

  • [43] La jurisprudence étaie fortement l’idée selon laquelle le jugement sommaire n’est pas indiqué lorsqu’une question de droit relative à l’article 8 est soulevée quant aux faits. Pour ce motif, j’estime que le jugement sommaire n’est pas indiqué en l’espèce.

 

  • [44] Pour ces motifs, la Cour conclut que la présente requête en jugement sommaire des défendeurs Pfizer est rejetée.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

La requête des défendeurs Pfizer en jugement sommaire est rejetée avec dépens suivant l’issue de la cause.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-1235-02

 

INTITULÉ :  APOTEX INC. c. PFIZER CANADA INC. ET AL.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 1er juin 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :  Le 12 juin 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Ken Crofoot

M. Jerry Toposki

 

POUR LA DEMANDERESSE

(défenderesse reconventionnelle)

M. Brian Daley

Mme Julie Jauron

POUR LA DÉFENDERESSE (PFIZER)

(demanderesse reconventionnelle)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

M. H.B. Radomski

M. Jerry Topolski

Goodmans, LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(défenderesse reconventionnelle)

M. Brian R. Daley

M. [sic] Emmanuelle Demers

Ogilvy Renault, LLP

Montréal, (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE (PFIZER)

(demanderesse reconventionnelle)

 

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