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Cour Fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


Date : 20090612

Dossier : T-1752-08

Référence : 2009 CF 630

Ottawa (Ontario), le 12 juin 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

B.R.E.S.T TRANSPORTATION LTD.

demanderesse

et

ALAN NOON

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par B.R.E.S.T. Transportation Ltd. à l’encontre de la décision rendue par une arbitre nommée sous le régime du Code canadien du travail, par laquelle elle accordait au défendeur, Alan Noon, des dommages-intérêts de 8 800 $ et des intérêts pour congédiement injuste.

 

I.                   L’historique de la procédure

[2]               La demanderesse prétend qu’elle a été privée de son droit à l’équité procédurale de par le rejet d’une demande qui tendait à obtenir soit un ajournement, soit une courte remise de l’audience. De plus, la demanderesse se plaint que, lorsque le directeur général, Steve Redpath, est arrivé tardivement à l’audience, l’arbitre a refusé de permettre le contre-interrogatoire de M. Noon sur les éléments de preuve présentés en son absence. Ces éléments sont énoncés dans un affidavit souscrit par M. Redpath et n’ont pas été contestés par M. Noon. L’affidavit de M. Redpath comporte l’exposé des événements suivant :

[traduction]

 

6.         Le ou vers le 11 juillet 2008, le défendeur a demandé au ministre du Travail de nommer un arbitre chargé d’entendre sa plainte de congédiement injuste conformément à l’article 240 du Code canadien du travail (le Code).

 

7.         Le ou vers le 17 mars 2008, Mme Kelly Waddingham a été nommée arbitre en vertu du Code pour statuer sur la plainte de congédiement injuste du défendeur.

 

8.         La propriétaire de la demanderesse, Mme Edie Smith, m’a chargé de représenter la société dans la présente procédure d’audience relative au congédiement injuste.

 

9.                  À aucun moment, la demanderesse ou moi-même n’avons été représentés par un conseiller juridique.

 

10.       Je n’ai aucune expérience de la tenue des audiences en matière de relations de travail. Il s’agissait pour moi de la première audience.

 

11.       Le ou vers le 17 juillet 2008, nous sommes convenus, le défendeur, l’arbitre et moi-même, de discuter des questions préliminaires. L’audience fut alors ajournée pour le reste de la journée.

 

12.       L’arbitre m’a informé que la prochaine date d’audience serait fixée au 30 septembre 2008. J’ai reçu une lettre un bon nombre de semaines avant le 30 septembre 2007, et les deux parties avaient fait tellement de changements qu’il était difficile de garder le fil de ce qui se passait. J’ai enregistré un rappel dans mon ordinateur, mais il est tombé en panne et, malheureusement, j’ai perdu toutes mes informations.

 

13.       Le 30 septembre 2008, j’ai reçu un coup de téléphone de l’arbitre qui m’informait que l’audience avait commencé.

            Je lui ai demandé si elle pouvait l’ajourner, mais elle a refusé. Je lui ai alors demandé si elle pouvait suspendre la procédure jusqu’à ce que je puisse me rendre à l’audience. L’arbitre m’a dit qu’elle suspendrait l’audience pendant une heure seulement et qu’elle allait alors commencer. Je lui ai dit qu’il serait difficile pour moi de faire le trajet du 2525, chemin Haines, à Mississauga, jusqu’au 1, rue Front, dans le centre ville de Toronto, en une heure. Elle m’a tout de même dit que l’audience débuterait.

 

14.       L’arbitre a commencé sans moi. Lorsque je suis arrivé, l’audience était déjà en cours. Le défendeur avait presque fini de présenter son témoignage. Je n’ai entendu aucun élément du témoignage du défendeur. En outre, il n’y avait pas de transcription de la preuve.

 

15.       Lorsque je suis entré dans la salle, l’arbitre m’a informé que je ne pouvais poser aucune question au défendeur au sujet de son témoignage qu’il avait présenté en mon absence. L’arbitre m’a plutôt informé que je pouvais poser des questions lors du contre-interrogatoire à propos des éléments de preuve que j’avais effectivement entendus.

 

16.       J’ai remarqué que le défendeur avait remis un recueil de documents à l’arbitre et qu’il en avait un aussi contenant les mêmes documents. Cependant, il n’y avait pas de recueil de documents qui m’était réservé afin que je puisse suivre en même temps que l’arbitre et le défendeur. Je ne sais pas non plus si l’arbitre s’est fondée sur l’un ou l’autre de ces documents pour rendre sa décision.

 

17.       J’ai essayé de soumettre des observations du mieux que je pouvais dans ces circonstances. Cependant, je n’ai pas eu l’avantage d’entendre quelque élément important que ce soit du témoignage du défendeur.

 

18.              Je ne pense pas que l’arbitre a fait preuve de justice à mon égard lors de l’audience. Je ne pense pas qu’il y ait eu un motif pour lequel elle ne pouvait pas m’accorder un ajournement pour le 30 septembre 2007 ou, tout au moins, attendre jusqu’à ce que j’arrive à l’audience. L’arbitre a porté atteinte à mon droit à une audience équitable.

 

 

[3]               La décision de l’arbitre confirme la demande d’ajournement de l’audience et son rejet, mais ne mentionne pas les limites imposées au sujet du contre-interrogatoire de M. Noon, au delà de la déclaration selon laquelle la preuve de M. Noon à propos de la limitation du préjudice [traduction] « n’était pas contestée par l’employeur ».

 

[4]               En l’absence de toute preuve dans le dossier, autre que celle présentée par la demanderesse, j’accepte l’historique procédural détaillé dans l’affidavit de M. Redpath.

 

II.        L’équité procédurale

[5]               La norme de contrôle pour des questions d’équité procédurale est la décision correcte : voir Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, [2005] A.C.F. n2056.

 

[6]               Bien que la décision de l’arbitre ne précise pas pourquoi les demandes d’ajournement et de remise de la demanderesse ont été rejetées (et il aurait été certainement prudent d’attendre l’arrivée de M. Redpath), je ne suis pourtant pas convaincu que cela ait entrainé un manquement à l’équité procédurale. M. Redpath a manifestement été négligent en omettant de se présenter à l’audience prévue et un arbitre dispose d’un grand pouvoir discrétionnaire dans l’appréciation de telles questions de procédure.

 

[7]               Je suis tout de même convaincu que les limites imposées par l’arbitre au droit de la demanderesse de contre-interroger M. Noon constituent un manquement à l’équité procédurale. Le droit de contre‑interroger est fondamental à la capacité d’une partie de présenter sa preuve et de faire face à l’adversaire. Cette précision est faite dans l’ouvrage de John Sopinka,  Sidney N. Lederman et Alan W. Bryant, The Law of Evidence in Canada, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1999, à la page 938 :

[traduction]

§16.107           Bien que le juge d’instance dispose d’un pouvoir discrétionnaire d’exclure une série de questions non pertinentes lors d’un contre-interrogatoire, ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé en tenant dûment compte de l’importance à accorder au droit de contre‑interroger. Par exemple, il a été avancé que le fait qu’un juge interdise l’exercice du droit de contre-interroger, au motif  que la partie qui le revendique n’a pas établi à l’avance la pertinence du contre-interrogatoire projeté, pouvait constituer un manquement aux principes de justice fondamentale. Comme l’a souligné le juge Cory dans United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général) :

 

Pour l'accusé aux prises avec une accusation grave, le droit de contre interroger est d'une importance tellement fondamentale qu'il ne devrait pas être supprimé à la légère. Fréquemment, l'importance et la signification d'un contre interrogatoire ne seront révélées que lors de son déroulement. Interdire un contre interrogatoire sans étudier sa pertinence entraîne un déni de justice fondamentale. […]

 

Par conséquent, un juge doit faire preuve du plus grand soin et d’une extrême prudence avant d’interdire le droit de contre-interroger, avant que le contre-interrogateur ait eu une occasion raisonnable de démontrer la pertinence du contre-interrogatoire à travers les réponses du témoin.

 

[Renvois omis.]

 

 

[8]               Je ne vois pas de fondement juridique rationnel qui puisse justifier que l’arbitre porte une atteinte grave au droit de la demanderesse de contre-interroger M. Noon. Le fait que M. Redpath n’ait pas entendu grand-chose du témoignage de M. Noon ne peut pas servir de fondement pour refuser d’autoriser des questions concernant cette partie du témoignage. Le refus ne peut être non plus justifié comme étant une certaine forme de pénalité à l’encontre de M. Redpath pour son arrivée tardive à l’audience.

 

[9]               Généralement, un manquement à l’équité entraine l’annulation d’une décision comme celle‑ci. Cette règle connaît certaines exceptions limitées, y compris les situations où, malgré le manquement, le résultat sur le fond aurait été le même. Il se peut que ce soit la situation en l’espèce, tout au moins en ce qui concerne la décision de l’arbitre selon laquelle M. Noon n’a pas démissionné de son emploi. Alors que la lettre de M. Noon était intempérante et mal avisée, elle était clairement atténuée par sa demande de modification des conditions de travail et apparaissait, ainsi que l’a noté l’arbitre, comme une menace de démission : voir Action Express Ltd. c. Shelly Lesy, 2003 CF 1455; (2003), 243 F.T.R. 235. Pourtant, cette lettre peut donner lieu à interprétation et, en l’absence d’un contre-interrogatoire, il n’est pas possible de conclure avec certitude que la qualification par l’arbitre de sa portée juridique représente la seule conclusion qui peut être tirée. Je ne peux pas non plus conclure que le calcul des dommages-intérêts pour la perte de salaire fait par l’arbitre n’aurait pas pu être influencé par un contre‑interrogatoire de M. Noon, en particulier par rapport à ses efforts pour trouver un autre emploi - un aspect de la preuve que l’arbitre a spécialement mentionné comme [traduction] « inéprouvé ».

 

[10]           En conséquence, la décision de l’arbitre sera annulée. L’affaire fera l’objet d’une nouvelle décision rendue par un autre décideur.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour un nouvelle décision sur le fond.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1752-08

 

INTITULÉ :                                       B.R.E.S.T. TRANSPORTATION LTD.

                                                            c.

                                                            ALAN NOON

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 12 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Simon R. Heath

 

POUR LA DEMANDERESSE

Pas de comparution

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Keyser Mason Ball LLP

Avocats

Mississauga (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Alan Noon

Feversham (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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