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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

Date : 20090610

Dossier : IMM-5061-08

Référence : 2009 CF 621

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

ARWINDER SINGH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande de permis de travail du demandeur visant à travailler dans le restaurant d’un parent en Colombie-Britannique a été rejetée. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs qui suivent, sa demande est accueillie.

 

Contexte

[2]               Le demandeur, Arwinder Singh, né dans la province du Penjab en Inde, a 26 ans et est le beau-frère du propriétaire principal du restaurant Mahek Restaurant and Lounge à Surrey en Colombie-Britannique, son employeur éventuel au Canada. M. Singh s’est vu offrir un poste de deux ans comme préparateur d’aliments compte tenu d’un avis favorable concernant l’impact sur le marché du travail (l’AIMT) établi par Service Canada, avis valable jusqu’au 4 septembre 2010. À l’appui de sa demande de permis de travail déposée au Consulat du Canada à Chandigarh en Inde le 11 septembre 2008, le demandeur a soumis une lettre de son employeur actuel, son dossier bancaire, des titres de propriété et son dossier scolaire. 

 

[3]               C’est la troisième fois qu’une demande de permis de travail de M. Singh visant à travailler au restaurant Mahek est rejetée. Les deux premières demandes ont été rejetées parce que l’agent des visas doutait que M. Singh soit en mesure de faire le travail de cuisinier décrit dans l’AIMT visé, et parce que M. Singh n’avait [traduction] « pu expliquer convenablement les contradictions dans [la] demande » et n’avait pas convaincu l’agent des visas que [traduction] « les raisons évoquées pour justifier son séjour au Canada étaient véritables ».

 

[4]               La plus récente demande de permis de travail était pour un poste de préparateur d’aliments et non de cuisinier comme c’était le cas dans les deux premières demandes.

 

[5]               La demande de permis de travail dont il est question en l’espèce a été refusée dans une lettre datée du 16 septembre 2008. Les motifs donnés par l’agente des visas pour justifier le refus sont les suivants :

[traduction] Vous ne m’avez pas convaincue que vous quitterez le Canada à la fin de votre période de séjour autorisée parce que :

 

·        Vous n’avez pas démontré que vous êtes suffisamment bien établi dans votre pays de résidence.

·        Vous ne m’avez pas convaincue que vous avez des liens assez forts avec votre pays de résidence pour me convaincre que vous quitterez le Canada à la fin de votre période de séjour autorisée à titre de résident temporaire.

 

[6]               L’agente des visas note dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (le STIDI) les détails sur la famille du demandeur, sur son emploi éventuel de même que sur son expérience professionnelle et son niveau de scolarisation. Les notes incluent les considérations suivantes :

[traduction] 

 

IL S’AGIT DE LA TROISIÈME DEMANDE DE PERMIS DE TRAVAIL DE L’INTÉRESSÉ POUR LE MÊME EMPLOYEUR. LES DERNIÈRES DEMANDES ONT ÉTÉ SOUMISES AU CONTRÔLE JUDICIAIRE. L’EMPLOYEUR AU CANADA EST LE BEAU‑FRÈRE DE L’INTÉRESSÉ […] CES DEMANDES VISAIENT À TRAVAILLER POUR LE MÊME EMPLOYEUR COMME CUISINIER « CURRY TANDOORI »; DANS LES DEUX CAS, L’INTÉRESSÉ A ÉTÉ INTERROGÉ ET L’AGENT A CONCLU QU’IL NE SEMBLAIT PAS ÊTRE UN CUISINIER CHEVRONNÉ. L’INTÉRESSÉ DÉPOSE MAINTENANT UNE DEMANDE POUR LE MÊME EMPLOYEUR COMME PRÉPARATEUR D’ALIMENTS, ET NON COMME CUISINIER. SES FONCTIONS CONSISTERAIENT NOTAMMENT À ASSISTER LES CUISINIERS SPÉCIALISÉS DU RESTAURANT. IL SEMBLE QUE L’EMPLOYEUR, QUI SE TROUVE À ÊTRE SON BEAU‑FRÈRE, ET SA SŒUR AIENT CONÇU L’AIMT POUR FAVORISER L’INTÉRESSÉ. CELUI-CI DÉPOSE DES DEMANDES POUR TRAVAILLER POUR CET EMPLOYEUR DEPUIS 2006, MAIS SANS SUCCÈS. D’APRÈS LES DOCUMENTS SOUMIS, L’INTÉRESSÉ NE SEMBLE PAS DISPOSER DE FONDS PERSONNELS; JE NE SUIS PAS CONVAINCUE QUE L’INTÉRESSÉ EST ÉTABLI EN INDE, NI QU’IL QUITTERA LE CANADA À LA FIN DE LA PÉRIODE DE SÉJOUR AUTORISÉE. DEMANDE REJETÉE.

 

Questions en litige

[7]               Le demandeur a soulevé trois questions en litige :

a.       L’agente a-t-elle manqué aux principes de la justice naturelle ou de l’équité procédurale en ne donnant pas au demandeur l’occasion de répondre à ses doutes, par lettre ou lors d’une entrevue?

b.      L’agente a-t-elle manqué aux principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale en ne fournissant pas des motifs adéquats?

c.       La décision de l’agente était-elle raisonnable?

 

 

Analyse

[8]               Je conclus que l’observation selon laquelle l’agente aurait dû donner l’occasion au demandeur de répondre à ses doutes est sans fondement. Le juge Russell dans la décision Ling c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1198, examine dans quelles circonstances un agent des visas devrait fournir une telle possibilité. En se fondant sur la décision Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 468, il a noté premièrement que la loi n’accordait aucun droit à une entrevue ou à un dialogue du genre suggéré en l’espèce. Deuxièmement, il a fait remarquer que généralement il existe une possibilité de répondre seulement si l’agent dispose de renseignements dont n’a pas connaissance le demandeur. Tout comme dans l’affaire Ling, ce n’est pas le cas en l’espèce. Sur la base du dossier de la Cour, l’agente n’a pas manqué à l’équité procédurale en ne donnant pas l’occasion au demandeur de répondre à ses doutes.

 

[9]               Je suis aussi d’avis que les motifs de l’agente étaient conformes à ses obligations légales. Le caractère adéquat des motifs doit être évalué selon le contexte. Il a été jugé que l’obligation de motiver sa décision dans l’évaluation d’une demande de statut de résident temporaire était minime : da Silva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1138. En l’espèce, les motifs, qui incluent les notes du STIDI, expliquent clairement pourquoi la demande du demandeur a été rejetée; l’objectif fondamental visé par les motifs a donc été atteint.

 

[10]           Finalement, le demandeur prétend que la décision de l’agente des visas était déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à ses liens avec l’Inde, soit qu’il a des économies dans un compte bancaire, qu’il est propriétaire de biens immobiliers et que sa famille habite là-bas. Selon lui, l’agente n’a pas tenté sérieusement d’évaluer ces éléments de preuve. Il ajoute que, dans ses autres demandes, l’agent n’a pas jugé que ses liens avec l’Inde n’étaient pas assez forts ou qu’il n’était pas suffisamment établi dans ce pays, ce qui, selon lui, appuie sa thèse selon laquelle l’agente a commis une erreur sur cette question dans la demande en cause en l’espèce.

 

[11]           Selon le défendeur, il était raisonnable que l’agente, sur la base des éléments de preuve qui lui avaient été soumis, conclue, comme elle l’a fait, sur la question de savoir si le demandeur resterait illégalement au Canada. Elle soupçonnait l’employeur d’avoir modifié l’AIMT pour favoriser le demandeur et le demandeur ne semblait pas, selon elle, disposer de fonds personnels. Le défendeur souligne que le carnet de banque soumis par le demandeur porte sur un compte conjoint; il était donc raisonnable, selon lui, que l’agente conclue que le demandeur ne disposait pas de fonds personnels.

 

[12]           Dans sa réponse, le demandeur conteste précisément la note de l’agente des visas selon laquelle l’employeur a [traduction] « modifié l’AIMT pour favoriser le demandeur ». Il souligne que l’AIMT est établi par Service Canada, et non pas par l’employeur, et soutient que le fait que l’employeur était son beau-frère n’était pas pertinent pour déterminer s’il risquait ou non de prolonger sa période de séjour autorisée au titre de son permis de travail.

 

[13]           L’agente des visas semble avoir fait grand cas du fait que le demandeur avait, dans le passé, présenté des demandes de permis de travail relativement à des offres d’emploi du même employeur, et du fait que l’employeur en question était son beau-frère. Cela présente deux problèmes potentiels. Premièrement, il n’y a aucune raison apparente de traiter les demandes de permis de travail comme des demandes de carte de crédit où la crédibilité diminue à chaque demande présentée. Deuxièmement, le soupçon de l’agente des visas concernant la « modification » de l’AIMT repose entièrement sur des conjectures. Il est tout à fait plausible et même probable qu’un employeur ait besoin de chefs et de préparateurs d’aliments. Il ne s’agit pas de deux emplois sans aucun lien. Troisièmement, il n’est pas surprenant qu’un entrepreneur canadien ayant besoin de travailleurs indiens se tourne vers des membres de sa famille en Inde. Il n’y a pas de lien évident entre le fait que le demandeur se fasse offrir un emploi par un parent et la question de savoir s’il est susceptible de retourner en Inde, et l’agente des visas n’a pas expliqué pourquoi elle a conclu qu’il s’agissait d’un fait pertinent.

 

[14]           Les opinions de l’agente commandent une retenue considérable, mais, en présence de ce genre de doutes, je conclus que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, comme l’a énoncé la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9. Je ne peux pas dire que l’agente serait parvenue au même résultat si elle n’avait pas accordé d’importance au fait que le demandeur avait, dans le passé, présenté des demandes de permis de travail et au fait que l’employeur était un parent.

 

[15]           Par conséquent, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

[16]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La décision est annulée et renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5061-08

 

INTITULÉ :                                       ARWINDER SINGH c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 mai 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 10 juin 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Dean D. Pietrantonio

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Charmaine de Los Reyes

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dean D. Pietrantonio

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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