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Federal Court

 

 

 

 

Cour fédérale

 

Date : 20090609

Dossier : IMM-5380-08

Référence : 2009 CF 604

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 juin 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

VERONICA MENESES ARIAS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire, présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), porte sur une décision, rendue le 7 novembre 2008, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que la demanderesse n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

Question en litige

[2]               Même si la demanderesse soulève deux autres questions, la suivante est déterminante :

            1)   La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il était raisonnable que la demanderesse déménage à Guadalajara?

            2)   Pour les motifs exposés ci-après, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Résumé des faits

[3]               La demanderesse est une femme âgée de 32 ans originaire de la ville de Mexico. Elle est venue au Canada pour fuir un ex-conjoint de fait violent, Juan Manuel Mendoza Arguelles (M. Mendoza), un membre de la police judiciaire antidrogue fédérale dont elle a fait connaissance au mois de mai 2003. La demanderesse a affirmé que leur relation est vite devenue violente et agressive, et qu’elle a souvent été agressée physiquement, psychologiquement et sexuellement. M. Mendoza était souvent ivre et consommait de la cocaïne. Il l’a battue à maintes reprises, l’a violée, et elle a eu des ecchymoses sur le visage et le corps. Quelquefois, M. Mendoza l’a menacée avec un pistolet. Il s’en est également pris à son père, à son frère et à sa sœur lorsqu’ils sont intervenus pour la protéger.

 

[4]               La police a été impliquée dans quelques incidents. À une occasion au mois d’août 2004, à la suite d’une dispute, M. Mendoza a demandé à un autre policier qu’il fasse monter la demanderesse dans une voiture sous prétexte qu’ils iraient porter plainte contre lui, mais le policier l’a plutôt conduite à un endroit où l’attendait M. Mendoza.

 

[5]               En juillet 2005, la demanderesse a quitté sa résidence pour aller vivre avec sa sœur à La Paz, en Basse-Californie, au Mexique. Cependant, deux semaines plus tard, M. Mendoza l’a retrouvée devant un supermarché où elle avait magasiné et l’a forcée à retourner à Mexico pour vivre avec lui.

 

[6]               En août 2006, M. Mendoza a violemment agressé la demanderesse, lui causant un avortement spontané. Elle a signalé l’incident au ministère public qui l’a envoyée voir un médecin et qui a renvoyé le dossier à la police. La demanderesse est demeurée à l’hôtel jusqu’à ce que des dispositions soient prises pour son départ pour le Canada le 9 septembre 2006.

 

[7]               La demanderesse est retournée au Mexique le 28 février 2007 croyant que M. Mendoza ne l’embêterait plus puisqu’il avait cessé d’appeler chez ses parents pour demander où elle était. Cependant, dès son arrivée, M. Mendoza a recommencé à les appeler et à les menacer, elle et sa famille. La demanderesse a décidé de revenir au Canada. Elle est arrivée le 16 avril 2007 et a présenté une demande d’asile le 24 avril 2007.

 

Décision contestée

[8]               La Commission n’a pas tiré une conclusion défavorable relativement à la crédibilité de la demanderesse. Cependant, elle a conclu que la preuve documentaire indiquait qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (la PRI) pour la demanderesse à Guadalajara, dans l’État de Jalisco, où elle pourrait bénéficier de la protection de l’État et y vivre de manière sécuritaire, sans risque sérieux d’être persécutée.

 

Analyse

 

Norme de contrôle

[9]               Avant l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle d’une conclusion relative à l’existence d’une PRI était celle de la décision manifestement déraisonnable (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 44, 136 A.C.W.S. (3d) 912 et Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 999, 238 F.T.R. 289).

 

[10]           Depuis l’arrêt Dunsmuir, la décision concernant une PRI est susceptible de contrôle suivant la norme de la décision raisonnable. Par conséquent, la Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Pour qu’une décision soit raisonnable, elle doit être justifiée, et il doit y avoir transparence et intelligibilité du processus décisionnel.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il était raisonnable que la demanderesse déménage à Guadalajara?

 

[11]           L’un des motifs de la Commission pour conclure qu’il existe une PRI pour la demanderesse à Guadalajara est que cette ville, qui compte environ 1,8 million d’habitants, est une destination internationale pour les touristes, ce qui crée une atmosphère présentant une grande diversité, où existent différents styles de vie. Il s’agit d’une ville au profil relativement plus occidental que d’autres régions rurales du Mexique. La demanderesse soutient que ces considérations sont inappropriées et qu’elles ne sont pas pertinentes quant à savoir si elle-même, qui vient de la ville de Mexico, la plus grande métropole urbaine du Mexique, serait à l’abri de M. Mendoza à Guadalajara. Au contraire, la population de Guadalajara milite contre le régime de protection.

 

[12]           La Commission a analysé les lois qui protègent les femmes contre la violence conjugale dans l’État de Jalisco, dont Guadalajara est la capitale. Elle a mentionné que le congrès de Jalisco a approuvé sa propre loi pour se conformer à la nouvelle loi fédérale sur le droit des femmes à vivre une vie sans violence, édictée en février 2007.

 

[13]           La demanderesse a fait les commentaires suivants en ce qui concerne la preuve objective :

a.       L’État de Jalisco ne s’est pas conformé à l’obligation que lui imposait une loi de 1999 de mettre sur pied un centre de séjour pour les victimes d’actes criminels;

b.      La nouvelle loi sur la violence conjugale de l’État de Jalisco ne sera applicable qu’au mois de décembre 2008;

c.       La nouvelle loi prévoit seulement une mesure dissuasive relativement faible qui consiste en une détention de 72 heures pour violation des ordonnances d’interdiction;

d.      La police ne reçoit pas la formation appropriée et le ministère public décourage les femmes à porter plainte;

e.       L’unique refuge « officiel » plus ou moins sûr pour les femmes victimes de violence est difficile d’accès et s’adresse essentiellement aux mineurs;

f.       Même les refuges privés non clandestins « temporaires » sont pleins;

g.      Les femmes ont tendance à ne pas signaler la violence dont elles sont victimes;

h.      Le nombre de femmes qui sont décédées à la suite d’un acte de violence subi dans l’État de Jalisco a augmenté considérablement au cours des deux dernières années (57 % ont été tuées par leurs conjoints).

 

[14]           La demanderesse allègue que la Commission a tiré une conclusion abusive en jugeant qu’une protection adéquate serait offerte, compte tenu de la propension bien établie de M. Mendoza à l’extrême violence, notamment l’usage d’armes à feu et l’enlèvement en plein jour devant un supermarché à La Paz.

 

[15]           La Commission a conclu que, même s’il était membre de la police fédérale, M. Mendoza n’aurait pas d’influence à Guadalajara. La demanderesse allègue qu’il s’agit là d’une considération non pertinente lorsqu’il convient d’examiner son incapacité personnelle, compte tenu de son état psychologique fragile (comme le décrit le rapport psychologique, dossier du Tribunal, aux pages 146 à 150), d’obtenir une protection limitée dans le cadre d’un régime déjà difficilement accessible. En outre, il est abusif de conclure que l’influence de M. Mendoza en tant que membre de la police fédérale n’aurait pas de conséquences, malgré la preuve non contredite sur la manière dont il s’est associé à la police locale de la ville de Mexico pour la forcer à renouer avec lui.

 

[16]           La demanderesse ajoute que rien ne prouve que la nouvelle loi de l’État de Jalisco, dont l’entrée en vigueur est prévue pour le mois de décembre 2008, assure une plus grande protection qu’auparavant à l’égard des femmes en danger. Au contraire, la preuve montre que le régime de protection de Jalisco a de plus en plus de difficultés à offrir une protection réelle, comme le démontre l’augmentation du nombre de femmes tuées par leurs ex-conjoints (Martinez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 399, 166 A.C.W.S. (3d) 325). La demanderesse soutient que la Commission n’a pas correctement apprécié tous les éléments de preuve pertinents (Ballesteros c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1246, 75 Imm. L.R. (3d) 221, au paragraphe 14).

 

[17]           La demanderesse fait valoir que la Commission n’avait rien qui lui permettait de conclure que M. Mendoza ne risquait pas de suivre les membres de sa famille jusqu’à Guadalajara. Il serait déraisonnable de l’obliger à vivre seule, sans visite ou communication avec les membres de sa famille à Guadalajara, car cela reviendrait à exiger qu’elle se tienne cachée (Huerta c. Canada (Ministre de Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, 167 A.C.W.S. (3d) 968, au paragraphe 29). La conclusion relative à l’existence d’une PRI de la Commission est mal fondée puisqu’elle ne tient pas compte du rapport psychologique. Elle repose sur un examen sélectif de la preuve documentaire et du témoignage de la demanderesse.

 

[18]           Le défendeur allègue que la question de savoir si un demandeur d’asile dispose d’une PRI raisonnable est une question qui relève de la compétence spécialisée du tribunal et qui commande une grande retenue judiciaire. Une conclusion relative à l’existence d’une PRI doit être déraisonnable pour faire l’objet d’un contrôle judiciaire et, dans l’affaire qui nous occupe, la demanderesse n’a pas démontré qu’elle l’était (Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (Sect. 1re inst.), au paragraphe 26; Chorny, précitée).

 

[19]           La demanderesse a allégué que la Commission n’a pas examiné la question du risque dans son cas, pourtant, d’après un examen minutieux de son témoignage et de la preuve documentaire, la Commission a bien tenu compte de la situation personnelle de la demanderesse, y compris le fait que M. Mendoza l’avait recherchée lorsqu’elle était partie vivre avec sa sœur à La Paz. La Commission a reconnu ce fait dans ses motifs mais elle a conclu, après avoir examiné la preuve documentaire, que la ville en question offrait à la demanderesse une protection et une assistance. Cette conclusion était raisonnable compte tenu de l’examen attentif de la preuve documentaire qui a été fait par la Commission.

 

[20]           Le principe selon lequel la protection de l’État doit être adéquate, non pas parfaite, est bien établi en droit. La Commission doit être convaincue qu’il existe effectivement une protection non pas parfaite, mais adéquate (Blanco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1487, 143 A.C.W.S. (3d) 904, au paragraphe 10; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1991), 150 N.R. 232, 37 A.C.W.S. (3d) 1259 (C.A.F.)). Il incombe à la demanderesse de constituer une preuve pour réfuter la présomption de l’existence d’une protection de l’État. Le critère est objectif et il ne suffit pas que la demanderesse croie tout simplement qu’elle ne peut pas se prévaloir de la protection de l’État (Judge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1089, 133 A.C.W.S. (3d) 157). Dans la présente affaire, la Commission fait observer que rien ne permettait de conclure que M. Mendoza avait retrouvé la demanderesse près de chez sa sœur en consultant des bases de données fédérales. La Commission n’a pas commis d’erreur dans sa formulation et son application du critère relatif à la protection de l’État (N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 206 N.R. 272, 143 D.L.R. (4th) 532 (C.A.F.), au paragraphe 5).

 

[21]           Les motifs de la Commission montrent qu’elle s’est penchée, lorsqu’elle a examiné la preuve documentaire, non seulement sur les efforts faits par le gouvernement pour lutter contre la violence faite aux femmes, mais également sur les résultats de ces efforts, notamment les ressources réellement offertes à l’heure actuelle aux femmes victimes de violence au Mexique. Après avoir constaté que la preuve documentaire était mixte, la Commission pouvait conclure que la preuve, indiquant que des efforts importants et concertés sont faits dans l’État de Jalisco pour protéger les femmes contre la violence, était davantage convaincante. Les extraits de la preuve documentaire reproduits par la demanderesse équivalent à un désaccord dans la manière dont la Commission a apprécié cette preuve, ce qui ne donne pas ouverture à un contrôle judiciaire (Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1986] A.C.F. n346 (C.A.F.) (QL)).

 

[22]           Contrairement aux prétentions de la demanderesse, la Commission a tenu compte du fait qu’elle avait tenté de porter plainte à la police à une occasion, et qu’elle avait déposé une plainte à un autre moment avant de quitter le Mexique. La Commission a mentionné ces faits dans sa décision, mais elle a conclu que la situation actuelle dans l’État de Jalisco était telle que la demanderesse pourrait obtenir une protection de l’État à Guadalajara. Le défendeur précise que la Commission a le droit de s’appuyer sur la preuve documentaire de préférence au témoignage de la demanderesse, même si elle conclut que cette dernière est digne de foi et crédible (Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 49 A.C.W.S. (3d) 558, [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL)).

 

[23]           Dans la présente affaire, la demanderesse a tenté de déménager chez sa sœur à La Paz, à  plus de 4 000 kilomètres de la ville de Mexico, mais M. Mendoza est quand même arrivé à la retrouver. Il a réussi à l’enlever et à la faire revenir par avion à Mexico pour l’obliger à vivre avec lui.

 

[24]           L’endroit suggéré comme PRI, Guadalajara, est situé à plus de 500 kilomètres de la ville de Mexico. Bien que la population de Guadalajara soit cinq fois supérieure à celle de La Paz, la Commission aurait dû examiner davantage les ressources dont dispose M. Mendoza en tant que membre de la police fédérale avant de conclure que la PRI était raisonnable.

 

[25]           De surcroît, la demanderesse a effectivement tenté d’obtenir une protection de l’État, et ce,  plus d’une fois. À une occasion, les policiers l’ont même ramenée auprès de M. Mendoza. Il ne s’agit pas là d’une protection adéquate de l’État. La demanderesse a donc réfuté la présomption d’une protection de l’État dans les circonstances particulières de sa demande.

 

[26]           Même si la Commission pouvait accorder plus d’importance à la preuve documentaire, en l’espèce, en raison de la crédibilité de la demanderesse qui n’était pas mise en doute et des circonstances particulières de son dossier, la conclusion de la Commission était déraisonnable.

 

[27]           Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune ne se pose.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision est annulée et renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci rende une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5380-08

 

INTITULÉ :                                      VERONICA MENESES ARIAS

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 20 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 9 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen                                                                              POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                               

 

Eleanor Elstub                                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Neil Cohen                                                                              POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                    POUR LE DÉFENDEUR     

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

 

 

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