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Federal Court

 

 

 

 

 

 

 

 

Cour fédérale


 

Date : 20090611

Dossier : IMM-5190-08

Référence : 2009 CF 600

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2009

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

MIGUEL ANGEL OROZCO TOVAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), en vue du contrôle judiciaire de la décision du 10 novembre 2008, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Le demandeur a demandé l’annulation de la décision et son renvoi à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen.

 

Le contexte

 

[3]               Miguel Angel Orozco Tovar (le demandeur) est un citoyen de la Colombie qui habitait dans la ville de Bogota. Il a une épouse et trois enfants qui sont toujours à Bogota. Le demandeur travaillait dans le ranch familial à Planadas (Tolima), qui est une zone contrôlée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) ainsi que par d’autres unités paramilitaires de droite ou des forces paramilitaires. Comme c’est généralement le cas dans les zones contrôlées par les FARC, le père du demandeur a payé une taxe de guerre ou vacuna aux FARC pendant de nombreuses années.

 

[4]               En 2004, le demandeur a reçu une note envoyée au magasin de son frère dans laquelle il était accusé de sympathiser avec les forces paramilitaires et d’espionner les FARC. Les FARC prétendaient avoir vu le demandeur faire du parapente avec un ami, qui était major dans la police nationale, quelques jours plus tôt. La famille a alors tenté de persuader les FARC qu’elle ne travaillait pas contre elles. Sans succès, le père du demandeur a tenté de persuader ses propres contacts dans les FARC d’aider son fils. Le demandeur a déposé une dénonciation au bureau du procureur général national et il s’est présenté au bureau de l’Ombudsman. Enfin, on a avisé le demandeur qu’il devait faire attention, mais on lui a dit qu’on ne pouvait pas lui offrir d’aide.

 

[5]               En 2006, l’armée colombienne a semblé avoir repris le contrôle de la zone où se trouvait la ferme et le demandeur est retourné à la maison. Pendant qu’il s’y trouvait, les FARC se sont rendues à la ferme. Bien que le demandeur ait réussi à s’enfuir, les FARC auraient pris 22 vaches à titre de représailles.

 

[6]               Le demandeur a quitté la Colombie en septembre 2006 et il a habité pendant un certain temps au Chili, en Argentine et au Pérou, mais il est finalement retourné à Bogota pendant deux mois afin d’obtenir un faux passeport canadien. Il est arrivé au Canada le 2 décembre 2006.

 

La décision de la Commission

 

[7]          Dans sa décision, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention « puisqu’il ne craint pas avec raison d’être persécuté pour l’un des motifs prévus dans la Convention, en Colombie ». De plus, la Commission n’a pas conclu que le demandeur avait besoin de protection parce que son renvoi en Colombie ne menacerait pas personnellement sa vie et ne le mettrait pas en danger de subir un traitement ou une peine cruels et inusités ou d’être torturé.

 

[8]               La Commission a indiqué que l’élément déterminant était la crédibilité du demandeur.

 

[9]               La Commission a estimé qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur oserait faire du parapente au‑dessus d’un territoire FARC connu en compagnie d’un major de la police nationale. Par conséquent, la Commission a conclu que cet aspect du témoignage du demandeur était faux.

 

[10]           De toute façon, la Commission a soutenu que, même si l’incident au sujet du parapente avait bien eu lieu, il était étrange que, malgré ses allégations de crainte, le demandeur soit resté à Ibague de mars à juillet 2004 avant de déménager à Bogota avec sa famille. La Commission a estimé qu’il était invraisemblable que le demandeur ait réussi à se cacher dans la maison pendant cette période, compte tenu des tactiques des FARC. La Commission croyait que les FARC auraient été au courant de l’adresse de la maison du demandeur et qu’elles s’y seraient rendues pour la fouiller, si elles cherchaient vraiment le demandeur. Par conséquent, la Commission a conclu qu’il était peu probable que les FARC n’aient pas réussi à retrouver le demandeur et sa famille à Bogota. Elle soutient que si le demandeur avait réellement été une cible, alors les FARC auraient eu des contacts soit avec le demandeur pendant les deux ans et demi qui ont suivi la prétendue accusation, soit avec l’épouse et les enfants de celui-ci pendant qu’il se trouvait au Chili, en Argentine et au Pérou.

 

[11]           Le retour du demandeur après ses voyages n’a pas attiré l’attention des FARC à l’époque, ce qui a semblé curieux à la Commission. Elle a soutenu que s’il « avait véritablement été déclaré une cible militaire », les FARC auraient surveillé son épouse et ses enfants et elles auraient été avisées de son retour dans sa famille à Bogota.

 

[12]           La Commission a noté que les FARC prennent souvent rapidement des mesures sévères contre leurs cibles, ce qui ne correspondait pas au récit du demandeur, qui a été rejeté selon la prépondérance des probabilités.

 

[13]           La Commission a aussi conclu qu’il était inhabituel que le père du demandeur ait pu rester à la ferme sans que les FARC ne le menacent et qu’il ait même demandé leur aide pour qu’on retire l’accusation contre son fils. La Commission a été surprise que les FARC ne réagissent pas en accusant le père d’être un traitre, en enlevant ou en attaquant la famille à titre de représailles contre le fils, qui aurait censément espionné les FARC. La Commission a fondé cet argument sur le cartable national de documentation au sujet de la violence commise par les FARC.

 

[14]           La Commission a aussi rejeté le témoignage oral au sujet d’un lien avec le meurtre de l’oncle du demandeur, commis par des inconnus, parce que l’événement en question « a eu lieu quatre ans après [que le demandeur] aurait été déclaré une cible militaire », ce qui rend peu probable le fait que les deux incidents aient été liés.

 

[15]           Finalement, la Commission a conclu que le fait que le demandeur d’asile ait été arrêté en 1995 parce qu’il était en possession d’un kilogramme d’opium indique « que le demandeur d’asile et son récit ne sont généralement pas dignes de foi ».

 

Les questions en litige

 

[16]           Le demandeur demande à la Cour d’examiner les questions suivantes :

            1.         La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait? Plus précisément :

                        a. La conclusion de la Commission au sujet du fait que le père du demandeur a continué de vivre « sans subir de représailles de la part des FARC », en date de l’audience devant la Commission, a-t-elle été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve présentés?

                        b. La conclusion implicite de la Commission selon laquelle le demandeur et sa famille n’ont subi aucune difficulté ou risque de « représailles de la part des FARC » a-t-elle été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve présentés?

                        c. Les conclusions de la Commission au sujet des actions probables des FARC dans les circonstances précisées par le demandeur ont-elles été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve présentés?

                        d. La conclusion de la Commission au sujet de la crédibilité générale du demandeur, fondée sur sa condamnation au criminel par le passé, a-t-elle été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve présentés?

            2.         La Commission a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’elle était légalement tenue de respecter? Plus précisément :

                        a. Le défaut de la Commission de mentionner ou de tenir compte dans ses motifs des faits et des questions entourant la demande du demandeur au consulat général du Canada à Bogota avant son départ du pays constitue-t-il un manquement à un principe de justice naturelle, à l’équité procédurale ou à une autre formalité qu’elle était légalement tenue de respecter?

                        b. Le défaut de la Commission de mentionner ou de tenir compte dans ses motifs des faits et des questions entourant l’exclusion du demandeur de la protection des réfugiés en raison de sa criminalité constitue-t-il un manquement à un principe de justice naturelle, à l’équité procédurale ou à une autre formalité qu’elle était légalement tenue de respecter?

 

[17]           Je reformulerais ainsi les questions en litige :

            1. Quelle est la norme de contrôle applicable?

            2. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la crainte subjective du demandeur et la menace objective des FARC n’étaient pas plausibles?

            3. La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la condamnation au criminel du demandeur par le passé compromettait sa crédibilité générale?

            4. La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de mentionner ou de tenir compte des circonstances entourant la demande du demandeur au consulat général du Canada à Bogota avant son départ de la Colombie?

 

Les observations du demandeur

 

[18]           Le demandeur traite d’abord de la question des conclusions de fait de la Commission au sujet des FARC. Il soutient que ce n’est pas vrai que son père n’est pas menacé par les FARC. Son père continue de payer la vacuna, ou la taxe de guerre. C’est en raison de cette « relation » toujours menaçante que le père du demandeur a eu des contacts avec les FARC lorsqu’il a tenté de faire retirer l’accusation contre son fils.

 

[19]           Le demandeur fait valoir que la Commission [traduction] « attribue des pouvoirs plus importants aux FARC que les guérilleros en Colombie ont réellement ». Toutefois, le demandeur a souligné que ce fait lui a donné un faux sentiment de sécurité et qu’il a changé son évaluation du risque auquel il faisait face dans son pays. Il a témoigné des nombreuses précautions qu’il a prises alors qu’il habitait à Bogota et de la bataille constante de son père afin de surmonter les actes de persécution des FARC.

 

[20]           Enfin, le demandeur a témoigné pendant quatre heures et la Commission a noté qu’à la fin de son témoignage, ses réponses aux questions étaient détaillées et cohérentes.

 

[21]           La Commission a commenté dans sa décision la façon dont la condamnation au criminel du demandeur minait sa fiabilité, pourtant elle n’a pas mentionné à la fin de l’audience qu’elle avait conclu que le demandeur n’était pas exclu de la protection des réfugiés en raison de sa criminalité. Ce point n’a jamais été mentionné.

 

[22]           Dans sa décision, la Commission n’a pas mentionné la seule question encore en litige qui a retardé sa décision finale et qui a justifié la tenue d’une enquête après l’audience, c’est-à-dire : la preuve que le demandeur avait demandé la protection des autorités canadiennes en Colombie avant de venir au Canada. Cette preuve démontre que le demandeur avait bien une crainte subjective d’être attaqué par les FARC et que, par conséquent, il a demandé la protection du consulat général du Canada à Bogota.

 

[23]           Le demandeur soutient aussi qu’il n’avait pas complètement réalisé la gravité de la situation qu’il vivait avec les FARC avant son arrivée au Canada. Il a témoigné que les gens se désensibilisent à la violence et aux menaces en Colombie et que ce n’est qu’après qu’il se soit sorti de cette situation qu’il a réellement remarqué le danger auquel il faisait face.

 

Les observations du défendeur

 

[24]           Selon le défendeur, la norme de contrôle est la raisonnabilité, qui a récemment été réaffirmée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12. Le juge Rothstein, se ralliant à la majorité dans l’arrêt Khosa, précité, a aussi mentionné que le niveau de retenue indiqué à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales est tel que « [...] les tribunaux judiciaires ne doivent intervenir relativement aux conclusions de fait que dans le cas des erreurs les plus flagrantes ».

 

[25]           Le défendeur soutient que la Cour n’accorde aucune retenue à l’établissement du contenu de l’obligation d’équité procédurale conformément à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale A.G. c. Sketchley, 2005 CAF 404.

 

[26]           Le défendeur aborde ensuite la question des conclusions de fait de la Commission. La conclusion de la Commission selon laquelle le père du demandeur ne craignait pas de représailles pour les [traduction] « présumées transgressions » de son fils était raisonnable. Le témoignage du demandeur souligne le fait que, bien que son père avait des problèmes avec les FARC, ces problèmes étaient souvent résolus par le paiement de l’amende qu’elles lui imposaient. Par conséquent, la Commission a conclu que le contact que le père du demandeur avait avec les FARC ne constituait pas des représailles, mais plutôt le paiement constant d’une vacuna pour apaiser les FARC. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré que [traduction] « [les FARC] ne m’ont pas attaqué indirectement », mais il a aussi déclaré que son frère se cachait parce qu’il avait participé au présumé incident.

 

[27]           Le défendeur ne souscrit pas non plus à l’argument selon lequel les conclusions de la Commission au sujet de la crainte subjective du demandeur étaient déraisonnables. La Commission a noté que, malgré la preuve que les FARC pouvaient trouver n’importe qui, le demandeur et sa famille étaient restés à la même adresse à Bogota pendant deux ans sans que les FARC ne communiquent avec eux. Le demandeur a expliqué qu’il s’agissait là d’une tentative de les isoler, mais la Commission a conclu que cette explication était déraisonnable, compte tenu des allégations de crainte subjective.

 

[28]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas omis de tenir compte de l’explication du demandeur selon laquelle il n’avait complètement réalisé le danger qui le menaçait que lorsqu’il avait quitté la Colombie. Le défendeur fait valoir que le témoignage du demandeur soulève encore la question de savoir pourquoi les FARC n’avaient communiqué avec personne dans sa famille et pourquoi [traduction] « sa famille, ayant maintenant une nouvelle compréhension du danger en Colombie, n’a pas pris de mesures supplémentaires pour se protéger contre les FARC ».

 

[29]           Le défendeur soutient que la Commission n’a pas avancé d’hypothèse erronée au sujet des FARC dans son évaluation de la menace objective. Le demandeur a déclaré dans son témoignage que les FARC sont capables de le trouver et de trouver sa famille si elles le souhaitent et la Commission a conclu, par extension, que s’il existait une menace réelle, les FARC auraient retrouvé la famille en Colombie.

 

[30]           Les conclusions au sujet de la criminalité ne sont pas pertinentes, d’après le défendeur, parce qu’elles n’ont pas affecté les autres conclusions de la Commission selon lesquelles le demandeur n’avait pas établi sa crainte de façon objective.

 

[31]           La Commission n’a pas agi de façon injuste lorsqu’elle a omis d’attendre la réponse du consulat général du Canada à Bogota au sujet de la demande d’asile du demandeur. Cette preuve n’était pas pertinente parce que, même si c’était bien le cas, il restait toujours la question de savoir pourquoi le demandeur était resté à Bogota pendant deux ans et pourquoi, après son départ, sa famille n’a jamais été visée. Le défendeur soutient que la preuve peut étayer la prétention de crainte subjective du demandeur, mais qu’elle ne prouve pas qu’il existe plus qu’une simple possibilité de persécution, compte tenu des autres questions soulevées par la Commission.

 

[32]           La question du demandeur au sujet de la question d’exclusion n’est pas plus pertinente. La Commission a déclaré, à la fin de l’audience, qu’elle renonçait à la question de l’exclusion et que le demandeur ne tirerait aucun avantage d’une mention au sujet de l’exclusion dans la décision. La façon dont la Commission a soulevé la question de la condamnation au criminel portait sur la crédibilité et non sur l’exclusion au sens qu’on lui prête en immigration. Les conclusions de la Commission, fondées sur la preuve, relevaient de son pouvoir décisionnaire.

 

Analyse et décision

 

[33]           Question 1 :

            Quelle est la norme de contrôle applicable?

            Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu au paragraphe 62 que, lors d’une analyse relative à la norme de contrôle applicable, la première étape consiste à « vérifie[r] si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[34]           La Cour a appliqué la norme de la raisonnabilité pour contrôler les décisions relatives à la crédibilité. (Voir Malveda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 447; Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449; Aguirre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 571; Arizaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 774.)

 

[35]           En examinant la décision de la Commission au moyen de la norme de la décision raisonnable, la Cour examine « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu[e] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Les questions de droit telles que l’obligation d’équité doivent être examinées en fonction de la norme de la décision correcte, tout comme les questions d’équité procédurale (voir Chrétien c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires — Commission Gomery), [2008] A.C.F. no 973).

 

[36]           Question 2 :

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la crainte subjective du demandeur et la menace objective des FARC n’étaient pas plausibles?

            J’examinerai d’abord les conclusions au sujet de la crainte subjective. La Commission a jugé que l’allégation de crainte subjective du demandeur n’était pas crédible pour deux motifs. Premièrement, il était peu probable que l’incident de parapente ait réellement eu lieu puisque le demandeur savait que les FARC étaient présentes dans la région. Deuxièmement, si l’on suppose que l’incident a bien eu lieu, le demandeur n’a pas présenté d’explication adéquate et raisonnable au sujet du fait que sa famille et lui n’ont pas été recherchés et ciblés pendant les deux ans suivant l’accusation présumée.

 

[37]           Dans ses observations, le demandeur demande en somme que la Cour apprécie de nouveau la preuve, ce que je ne peux pas faire. Ma compétence quant aux conclusions de la Commission se limite à la détermination d’une question susceptible de révision seulement si les conclusions n’appartiennent pas aux issues acceptables (voir Dunsmuir, précité). En l’espèce, je conclus que ce n’est pas le cas. Je reconnais qu’il y a des problèmes découlant du fait que la Commission a émis des hypothèses au sujet des FARC et de la façon dont elles pourraient avoir agi sans s’être fondée sur la preuve. La Commission s’est fondée sur la preuve du demandeur au sujet des FARC dans son témoignage, mais elle a tiré une conclusion différente de celle du demandeur. Lorsqu’on a demandé au demandeur pourquoi les FARC l’avaient visé, il a répondu [traduction] « parce qu’elles m’ont trouvé en compagnie d’un major de la police, faisant du parapente au‑dessus de leur zone ». Compte tenu de la preuve, la conclusion de la Commission était raisonnable et appartenait aux issues acceptables.

 

[38]           En ce qui a trait à la menace objective des FARC, une fois de plus, on demande à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve, ce qui n’est pas son rôle (voir Kwizera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1261 (CanLII). Les observations du demandeur selon lesquelles la Commission a commis une erreur en formulant des hypothèses au sujet des FARC sont compréhensibles. Cependant, comme je l’ai conclu auparavant, les conclusions appartenaient aux issues acceptables compte tenu de la preuve. Les hypothèses peuvent aussi être appelées déductions, ce que la Commission est tenue de faire lorsqu’elle examine la preuve. Par conséquent, je suis d’avis que le contrôle judiciaire ne peut pas être accordé pour ce motif.

 

[39]           Question 3 :

            La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la condamnation au criminel du demandeur par le passé compromettait sa crédibilité générale?

            Je conclus que la façon dont la Commission a traité la déclaration de culpabilité antérieure du demandeur relevait de sa compétence. Bien que la Commission n’ait pas répété le récit au sujet de cette déclaration de culpabilité, elle n’était pas tenue de répéter chaque élément de preuve (voir Tong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 8354 (C.F.)).      De plus, si la déclaration de culpabilité avait joué un plus grand rôle dans les conclusions de crédibilité, alors il est possible qu’un examen plus approfondi soit justifié. À mon avis, il n’y a pas lieu d’accueillir la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.

 

[40]           Question 4 :

            La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de mentionner ou de tenir compte des circonstances entourant la demande du demandeur au consulat général du Canada à Bogota avant son départ de la Colombie?

            En 2004, le demandeur a reçu une note des FARC, qu’il a présentée à l’ambassade du Canada à Bogota pour revendiquer le statut de réfugié. À la fin de l’audience du demandeur, la Commission a donné à la SPR deux mois pour obtenir des preuves du dépôt de cette note à l’ambassade du Canada. Dans sa décision, le commissaire n’a pas mentionné si une preuve avait été obtenue auprès de l’ambassade du Canada. La question de la crédibilité était déterminante en l’espèce et le fait de savoir si le demandeur s’était présenté à l’ambassade pourrait être important pour l’évaluation de sa crédibilité. C’est à la Commission qu’il revient de trancher cette question. Lors de l’audience, la Commission a déclaré qu’il restait encore une question en instance, c’est‑à‑dire la preuve du fait que le demandeur s’était présenté à l’ambassade du Canada avec la note des FARC.

 

[41]           À mon avis, le défaut de la Commission de mentionner si elle avait obtenu des preuves de l’ambassade du Canada ou si elle avait tenu compte de cette question dans ses conclusions sur la crédibilité est une erreur susceptible de révision. Par conséquent, la décision de la Commission doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’elle fasse l’objet d’un nouvel examen.

 

[42]           Aucune des parties n’a souhaité me soumettre une question grave de portée générale en vue de sa certification.


 

JUGEMENT

[43]           LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission, pour nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


ANNEXE

 

Dispositions législatives applicables

 

Les dispositions législatives pertinentes sont reproduites ci-dessous.

 

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5190-08

 

INTITULÉ :                                       MIGUEL ANGEL OROZCO TOVAR

 

                                                            et

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Brodzky

 

POUR LE DEMANDEUR

Tessa Kroeker

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Brodzky

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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