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Date :  20090610

Dossier :  T-1119-08

Référence :  2009 CF 618

Ottawa (Ontario) le 10 juin 2009

En présence de L'honorable Maurice E. Lagacé 

 

ENTRE :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

 

et

DIANE CAMERON ET ANDRÉ MAHEUX

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 20 juin 2008 par le Tribunal de la dotation de la fonction publique (Tribunal) en vertu de l’article 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 12 et 13 (Loi) ayant pour effet d’accueillir les plaintes des défendeurs à l’encontre d’un processus de nomination non annoncé. De plus, à titre de mesures correctives, le Tribunal ordonne au demandeur de faire enquête sur toutes les nominations faites par la gestionnaire depuis l’entrée en vigueur de la Loi, de suspendre le pouvoir de dotation délégué à la gestionnaire pendant l’enquête, et de fournir à celle-ci une formation afin de s’assurer qu’elle comprend bien ses obligations et responsabilités aux termes des nouvelles dispositions de la Loi.

 

II.         Faits

A.  Le contexte

[2]               En attendant le résultat d’un processus de nomination interne annoncé par le ministère des Ressources humaines et du Développement social (Service Canada) pour doter des postes d’expert régional des groupe et niveau PM-04, de l’admissibilité et des appels au conseil arbitral, une gestionnaire de Service Canada a besoin de combler un poste de conseiller(ère) régional(e) en assurance, groupe et niveau PM-04 de façon intérimaire pour une période de moins de quatre mois. La prolongation subséquente de cette nomination par un processus interne non annoncé, fera l’objet des plaintes des défendeurs.

 

B.  Les plaintes

 

[3]               Les plaintes déposées par les défendeurs le 24 novembre 2006, allèguent un abus de pouvoir de la gestionnaire dans le choix du processus de nomination non annoncé ainsi que dans l’application du mérite selon le paragraphe 30(2) de la Loi. Selon eux, la gestionnaire a fait preuve de favoritisme et a agi de mauvaise foi lors de la nomination contestée.

 

C.  La décision du tribunal

 

[4]               Le Tribunal conclut, dans la décision visée par le présent recours, que la gestionnaire de Service Canada a fait preuve de mauvaise foi et a abusé de son pouvoir en utilisant un processus non annoncé pour prolonger la nomination au poste en question. Et puisque la nomination intérimaire contestée a pris fin avec la conclusion du processus de nomination à durée indéterminée, et que la révocation ne constitue plus une mesure corrective appropriée, le Tribunal en accueillant les plaintes se croit autorisé d’ordonner comme suit :

[109]   Dans des circonstances moins sérieuses, la décision du Tribunal selon laquelle un gestionnaire a abusé du pouvoir discrétionnaire qui lui a été délégué peut constituer une sanction en soi. Cependant, le Tribunal a établi dans ces plaintes que le témoignage de Mme Domingue n’était pas crédible sur la question de l’expérience recherchée. Les allégations de mauvaise foi ont aussi été reconnues comme avérés [sic] par le Tribunal et la nomination n’était pas fondée sur le mérite. 

 

[110]   Pout toutes ces raisons, le Tribunal ordonne à l’intimé de faire enquête sur toutes les nominations qu’a faites Mme Domingue depuis l’entrée en vigueur de la LEFP afin qu’il s’assure que celles-ci ont bien été faites sur la base du mérite. Le Tribunal ordonne de plus à l’intimé de suspendre le pouvoir de dotation qu’il a délégué à Mme Domingue comme gestionnaire pendant cette enquête et de fournir à Mme Domingue, durant cette période, une formation afin de s’assurer qu’elle comprend bien ses responsabilités et ses obligations en vertu des nouvelles dispositions de la LEFP.

 

[5]               Le demandeur ne conteste pas l’appréciation de la preuve et les conclusions de fait du Tribunal sur le bien-fondé des plaintes; il conteste par contre l’ordonnance au motif que le Tribunal  aurait agi sans compétence ou outrepassé celle-ci en ordonnant comme il l’a fait.

 

III .      Question en litige

 

[6]               La Cour ne retient qu’une seule question :

Le Tribunal avait-il compétence pour ordonner des mesures correctives à l’égard de faits dont il n’était pas saisi?

IV.       Analyse

 

            A. Norme de contrôle

 

[7]               Le demandeur soutient que l’interprétation faite par le Tribunal de son pouvoir d’ordonner des mesures correctives touche à sa compétence et constitue comme telle une pure question de droit soumise à la norme de la décision correcte.

 

[8]               Les défendeurs soutiennent de leur côté que la question en litige implique l’interprétation par le Tribunal de sa propre loi constitutive, rappellent que la déférence est de mise, et concluent que la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

 

[9]               S’il est vrai que la décision du Tribunal est protégée par une clause privative (par. 102(1) de la Loi) qui la rend définitive et à l’abri d’une révision judiciaire, encore faut-il vérifier si le Tribunal avait la compétence requise pour ordonner des mesures correctives à l’égard de faits n’ayant rien à voir avec les plaintes dont il était saisi. S’il avait compétence, la norme de la décision raisonnable s’appliquera; au cas contraire, ce sera la norme de la décision correcte et la décision n’aura droit à aucune déférence s’il a excédé sa juridiction.

 

[10]           Comme il semble que la Cour n’a pas été appelée à se prononcer jusqu’ici sur la question en litige, il faut donc procéder à une analyse contextuelle des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle, ce qui comprend ici l’existence d’une clause privative, la raison d’être du Tribunal suivant l’interprétation de sa loi habilitante, la nature de la question en cause et l’expertise du Tribunal, sans nécessairement devoir tenir compte de tous ces facteurs. (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, par. 62, 63 et 64).

 

B. Juridiction du Tribunal

 

[11]           La Loi habilitante détermine la raison d’être du Tribunal comme suit :

88. (2) Le Tribunal a pour mission d’instruire les plaintes présentées en vertu du paragraphe 65(1) ou des articles 74, 77 ou 83 et de statuer sur elles. [Je souligne.]

88. (2) The mandate of the Tribunal is to consider and dispose of complaints made under subsection 65(1) and sections 74, 77 and 83. [Emphasis added.]

 

[12]           La Loi prend soin de circonscrire la juridiction du Tribunal aux plaintes suivantes :

65. (1) Dans les cas où seulement certains des fonctionnaires d’une partie de l’administration sont informés par l’administrateur général qu’ils seront mis en disponibilité, l’un ou l’autre de ces fonctionnaires peut présenter au Tribunal, dans le délai et selon les modalités fixés par règlement de celui-ci, une plainte selon laquelle la décision de le mettre en disponibilité constitue un abus de pouvoir.

65. (1) Where some but not all of the employees in a part of an organization are informed by the deputy head that they will be laid off, any employee selected for lay-off may make a complaint to the Tribunal, in the manner and within the time fixed by the Tribunal’s regulations, that his or her selection constituted an abuse of authority.

 

[…]

[…]

74. La personne dont la nomination est révoquée par la Commission en vertu du paragraphe 67(1) ou par l’administrateur général en vertu des paragraphes 15(3) ou 67(2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle la révocation n’était pas raisonnable.

74. A person whose appointment is revoked by the Commission under subsection 67(1) or by the deputy head under subsection 15(3) or 67(2) may, in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations, make a complaint to the Tribunal that the revocation was unreasonable.

[…]

[…]

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

b) abus de pouvoir de la part de la Commission du fait qu’elle a choisi un processus de nomination interne annoncé ou non annoncé, selon le cas;

c) omission de la part de la Commission d’évaluer le plaignant dans la langue officielle de son choix, en contravention du paragraphe 37(1).

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

(b) an abuse of authority by the Commission in choosing between an advertised and a non-advertised internal appointment process; or

(c) the failure of the Commission to assess the complainant in the official language of his or her choice as required by subsection 37(1).

 

[…]

[…]

83. Dans le cas où la Commission fait une nomination ou une proposition de nomination en conséquence de l’application des mesures ordonnées en vertu de l’article 81, les personnes ci-après peuvent, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle le fait qu’elles n’ont pas été nommées ou fait l’objet d’une proposition de nomination constitue un abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’application des mesures correctives :

a) la personne qui a présenté la plainte en vertu de l’article 77;                                       

b) la personne qui a fait l’objet de la proposition de nomination ou de la nomination visées au paragraphe 77(1);

c) toute autre personne qui est directement touchée par l’application des mesures correctives.

83. Where the Commission has made or proposed an appointment as a result of the implementation of corrective action ordered under section 81, a complaint may be made to the Tribunal, in the manner and within the period provided by its regulations, by

(a) the person who made the complaint under section 77,

(b) the person who was the subject of the appointment or proposed appointment referred to in subsection 77(1), or

(c) any other person directly affected by the implementation of the corrective action,

on the grounds that the person was not appointed or proposed for appointment by reason of an abuse of authority by the Commission or deputy head in the implementation of the corrective action.

 

[13]           C’est donc dans le cadre des plaintes déposées par les défendeurs que le Tribunal devait exercer sa juridiction. Le Tribunal instruit la plainte dont il est saisi sur la base des faits donnant ouverture à celle-ci, et non pas en fonction de faits dont il n’est pas saisi ou de faits pouvant donner ouverture à des plaintes dont il n’est pas saisi.

 

[14]           Ces dispositions de la Loi, exigeaient donc du Tribunal de déterminer ici, puisque c’était là l’objet des plaintes déposées en vertu de l’article 77 de la Loi, si le gestionnaire avait abusé de son pouvoir en évaluant les qualifications du candidat en fonction des exigences ou besoins du travail à accomplir, au moment de combler un poste de conseillère régionale en assurance, groupe et niveau PM-04, de façon intérimaire et en prolongeant par la suite cette nomination par un processus interne non annoncé

 

[15]           À partir du moment où le Tribunal jugeait les plaintes bien fondées, conclusion que ne conteste pas le demandeur, la Loi l’autorisait à imposer les remèdes suivants :

81. (1) S’il juge la plainte fondée, le Tribunal peut ordonner à la Commission ou à l’administrateur général de révoquer la nomination ou de ne pas faire la nomination, selon le cas, et de prendre les mesures correctives qu’il estime indiquées.

[Je souligne.]

81. (1) If the Tribunal finds a complaint under section 77 to be substantiated, the Tribunal may order the Commission or the deputy head to revoke the appointment or not to make the appointment, as the case may be, and to take any corrective action that the Tribunal considers appropriate.

[Emphasis added.]

 

 

[16]           Le Tribunal pouvait ordonner à la Commission de la fonction publique (CFP) ou à l’administrateur général de révoquer la nomination et ordonner des mesures correctives appropriées. Mais en admettant que la révocation ne constituait pas une mesure corrective appropriée, et ce même si la décision du Tribunal peut constituer une sanction en soi contre la gestionnaire qui se voit reprocher un abus de son pouvoir discrétionnaire délégué, le pouvoir que confère au Tribunal le paragraphe 81(1) de la Loi n’autorise pas celui-ci à ordonner n’importe quelle mesure corrective; encore faut-il que ces mesures soient de sa compétence et concernent les faits entourant le processus de nomination donnant ouverture aux plaintes des défendeurs.

 

[17]           D’ailleurs, même lorsque le Tribunal agit à l’intérieur de sa juridiction, la Loi restreint son pouvoir d’ordonner des mesures correctives. Ainsi :

82. Le Tribunal ne peut ordonner à la Commission de faire une nomination ou d’entreprendre un nouveau processus de nomination. 

[Je souligne.]

82. The Tribunal may not order the Commission to make an appointment or to conduct a new appointment process.

[Emphasis added.]

 

[18]           La lecture combinée des articles 77, 81 et 82 de la Loi indique que toute mesure corrective ordonnée par le Tribunal ne doit porter que sur le processus de nomination faisant l’objet des plaintes dont il est saisi. La mesure corrective doit viser à remédier au défaut identifié par le Tribunal lors de l’audition de la plainte dont il est saisi, et elle ne peut pas porter sur d’autres processus de nomination passés ou futurs dont le Tribunal n’est pas saisi par une plainte formulée selon la Loi.

 

[19]           Le fait que la seule nomination intérimaire attaquée ait pris fin n’a pas pour effet de dessaisir le Tribunal de la plainte dont il est saisi; par contre, le Tribunal est limité dans un tel cas à déclarer qu’un abus de pouvoir a eu lieu sans pouvoir révoquer cette nomination ou ordonner des mesures correctives à l’encontre d’un processus de nomination qui n’existe plus. D’ailleurs, le Tribunal reconnaît à bon droit que la révocation en l’espèce ne constitue pas une mesure appropriée pour ces plaintes; mais il reconnaît aussi que le fait de décider que le gestionnaire a abusé de son pouvoir discrétionnaire peut constituer une sanction en soi.

 

[20]           Il ne faut pas perdre de vue que c’est le processus de nomination visé par la plainte qui est en cause; et non pas d’autres processus de nomination ne faisant l’objet d’aucune plainte devant le Tribunal. Le gestionnaire peut très bien avoir abusé de son pouvoir discrétionnaire lors du processus de nomination faisant l’objet du litige, mais par ailleurs très bien comprendre ses responsabilités et ses obligations lors du processus suivi pour d’autres nominations.

 

 

[21]           Les plaintes des défendeurs n’avaient pas pour effet de saisir le Tribunal de toutes les nominations faites par le gestionnaire, et de lui donner carte blanche pour ordonner des mesures correctives qui n’ont rien à voir avec les plaintes.

 

[22]           Néanmoins, le Tribunal a ordonné trois mesures correctives, soit :

a.       Faire enquête sur toutes les nominations faites par la gestionnaire depuis l’entrée en vigueur de la Loi;

b.      Suspendre le pouvoir de dotation délégué à la gestionnaire pendant cette enquête; et

c.       Fournir à la gestionnaire une formation afin de s’assurer qu’elle comprend bien ses responsabilités et ses obligations en vertu des nouvelles dispositions de la Loi.

 

[23]           Aucune de ces mesures correctives ne vise à rendre le processus de nomination dont était saisi le Tribunal exempt d’abus de pouvoir. Ces mesures visent des processus de nomination passés ou futurs qui n’ont fait l’objet d’aucune plainte devant le Tribunal.

 

Mesure I - Faire enquête sur toutes les nominations faites par la gestionnaire depuis l’entrée en vigueur de la Loi

 

[24]           Plus encore, ces mesures empiètent aussi sur le pouvoir de la CFP de déléguer le pouvoir de nomination, d’en effectuer la surveillance, et elles se substituent au pouvoir de l’administrateur général de sous-déléguer ce pouvoir, d’exercer sa discrétion de faire enquête et d’exiger que ses employés suivent une formation. Le législateur n’a pas parlé pour rien en s’exprimant dans la Loi comme suit :

15. (3) Dans les cas où la Commission autorise un administrateur général à exercer le pouvoir de faire des nominations dans le cadre d’un processus de nomination interne, l’autorisation doit comprendre le pouvoir de révoquer ces nominations — et de prendre des mesures correctives à leur égard — dans les cas où, après avoir mené une enquête, il est convaincu qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée.

15. (3) Where the Commission authorizes a deputy head to make appointments pursuant to an internal appointment process, the authorization must include the power to revoke those appointments and to take corrective action whenever the deputy head, after investigation, is satisfied that an error, an omission or improper conduct affected the selection of a person for appointment.

 

 

[25]           La Loi autorise déjà l’administrateur général à révoquer des nominations internes et de prendre des mesures à leur égard, sujet à la tenue d’une enquête. La mesure corrective du Tribunal qui ordonne à l’administrateur général d’enquêter sur tous les processus de nomination menés par le gestionnaire concerné ici empiète sur le pouvoir discrétionnaire de l’administrateur général d’enquêter les processus de nomination internes relevant de sa compétence.

 

[26]           Plus est, la CFP possède aussi en vertu de la Loi le pouvoir discrétionnaire exclusif de mener une enquête à l’égard d’un processus de nomination externe :

66. La Commission peut mener une enquête sur tout processus de nomination externe; si elle est convaincue que la nomination ou la proposition de nomination n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, la Commission peut :

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

66. The Commission may investigate any external appointment process and, if it is satisfied that the appointment was not made or proposed to be made on the basis of merit, or that there was an error, an omission or improper conduct that affected the selection of the person appointed or proposed for appointment, the Commission may

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

 

[27]           Et ce pouvoir conféré par la Loi à la CFP de mener une telle enquête ne peut être délégué à un administrateur général :

15. (1) La Commission peut, selon les modalités et aux conditions qu’elle fixe, autoriser l’administrateur général à exercer à l’égard de l’administration dont il est responsable toutes attributions que lui confère la présente loi, sauf en ce qui concerne les attributions prévues aux articles 17, 20 et 22, les pouvoirs d’enquête prévus aux articles 66 à 69 et les attributions prévues à la partie 7.

15. (1) The Commission may authorize a deputy head to exercise or perform, in relation to his or her organization, in the manner and subject to any terms and conditions that the Commission directs, any of the powers and functions of the Commission under this Act, other than its powers under sections 17, 20 and 22, its power to investigate appointments under sections 66 to 69 and its powers under Part 7.

 

[28]           Le Tribunal n’a donc aucune compétence à l’égard des nominations externes. En conséquence aucune nomination externe ne peut faire l’objet d’une plainte au Tribunal ou d’une enquête par un administrateur général. De sorte qu’en ordonnant à l’administrateur général d’effectuer des enquêtes sur toutes nominations faites par la gestionnaire, il faut comprendre aussi les nominations externes, ce qui a pour effet d’ordonner à l’administrateur général de poser des gestes que la Loi ne lui permet pas de poser. Le Tribunal ne peut par le biais du paragraphe 81(1) agir sur une nomination externe en ordonnant la tenue d’une enquête ou la prise de toute autre mesure corrective à son égard. Ce n’est peut-être pas ce que le Tribunal visait, mais c’est ce que les mots qu’il utilise disent.

 

Mesure II - Suspendre le pouvoir de dotation délégué à la gestionnaire pendant cette enquête

 

[29]           La Loi prévoit déjà à l’égard du pouvoir délégué à la gestionnaire que :

24. (2) L’administrateur général que la Commission a autorisé, en vertu du paragraphe 15(1), à exercer des attributions peut à son tour autoriser toute autre personne à les exercer — à l’exception du pouvoir de révocation — avec l’agrément de la Commission et conformément à l’autorisation accordée par celle-ci.

24. (2) Where the Commission has authorized a deputy head under subsection 15(1) to exercise or perform any of the Commission’s powers and functions, the deputy head may — subject to the Commission’s approval and any terms and conditions specified under that subsection — authorize another person to exercise or perform any of those powers or functions, other than the power to revoke appointments.

 

[30]           Il ressort donc du paragraphe 24(2) que la CFP possède le pouvoir exclusif d’effectuer des nominations et d’autoriser ainsi que d’assortir de conditions la sous-délégation du pouvoir d’effectuer des nominations. La CFP peut également retirer la délégation tout comme elle peut retirer l’autorisation de sous-déléguer ce pouvoir. De sorte qu’il ressort clairement de la Loi que l’exercice du pouvoir de nomination, sa délégation et leur surveillance revient à la CFP et non au Tribunal et qu’en conséquence cette deuxième mesure de l’ordonnance empiète sur la compétence exclusive de la CFP d’autoriser la sous-délégation du pouvoir de nomination et d’en assurer la surveillance.

 

[31]           La raison sous-entendue de cette mesure corrective est de présumer négativement que la gestionnaire agira de manière contraire à ses obligations lors de futurs processus de nomination. D’abord, il faut présumer que la gestionnaire agira de bonne foi en toute conscience de ses responsabilités et obligations ; et que ce n’est pas parce qu’elle aurait abusé une fois de son pouvoir discrétionnaire qu’elle en abusera de nouveau. Ensuite et si tel ne devait pas être le cas, toute nouvelle nomination interne effectuée par la gestionnaire pourra faire l’objet d’une plainte au Tribunal, tandis que toute nomination externe sera assujettie à une enquête et au pouvoir de surveillance de la CFP.

 

Mesure III - Fournir à la gestionnaire une formation

[32]           La Loi sur la gestion des finances publiques (LGFP) prévoit déjà comme suit :

12. (1) Sous réserve des alinéas 11.1(1)f) et g), chaque administrateur général peut, à l’égard du secteur de l’administration publique centrale dont il est responsable :

a) déterminer les besoins en matière d’apprentissage, de formation et de perfectionnement des personnes employées dans la fonction publique et fixer les conditions de mise en œuvre de cet apprentissage, de cette formation et de ce perfectionnement;

12. (1) Subject to paragraphs 11.1(1)(f) and (g), every deputy head in the core public administration may, with respect to the portion for which he or she is deputy head,

(a) determine the learning, training and development requirements of persons employed in the public service and fix the terms on which the learning, training and development may be carried out;

 

[33]           Le pouvoir conféré au Tribunal par la Loi d’instruire des plaintes d’abus de pouvoir dans le cadre de processus de nomination comme c’est le cas ici, ne lui confère pas le droit de s’immiscer dans le pouvoir conféré tel que susdit par la LGFP. Le Tribunal peut fort bien par sa décision sensibiliser l’administrateur à un incident, mais il ne peut par une ordonnance se substituer à la CFP, à l’administrateur ou à l’employeur pour déterminer si des mesures correctives doivent être prises à l’extérieur du contexte précis de la plainte dont le Tribunal est saisi.

 

V.        Conclusion

[34]           Puisque le demandeur ne conteste pas la conclusion du Tribunal sur le fait que le gestionnaire a abusé de son pouvoir discrétionnaire, la Cour n’a pas à se prononcer sur cette conclusion.

 

[35]           Toutefois, même en admettant qu’il y a eu abus de pouvoir dans le processus de nomination faisant l’objet des deux plaintes, pour les motifs déjà donnés la Cour se doit de conclure que les trois mesures correctives ordonnées n’ont pas droit à la déférence de cette Cour; car elles sont non seulement mal fondées en fait et en droit, donc déraisonnables, mais elles dépassent aussi largement la compétence du Tribunal.

 

[36]           Les mesures correctives seront donc annulées; et puisque le Tribunal reconnaît que sa première conclusion peut constituer une sanction en soi, et qu’il n’existe aucune autre mesure corrective appropriée que celles ordonnées, la Cour ne voit pas l’utilité de retourner les plaintes au Tribunal pour ordonner ce qu’il ne trouvait pas approprié dans l’espèce d’ordonner comme autres mesures correctives.

 

 


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

            ACCUEILLE pour partie la demande de contrôle judiciaire avec dépens;

ANNULE les mesures correctives ordonnées par le Tribunal de la dotation de la fonction publique dans sa décision du 20 juin 2008.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1119-08

 

INTITULÉ :                                       PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA  c. DIANE CAMERON ET AL

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 10 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Desmeules

 

POUR LE DEMANDEUR

Kim Patenaude

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck, LLP/s.r.l.

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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