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Cour fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court

Date :  20090611

Dossier :  IMM-5264-08

Référence :  2009 CF 616

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

LUIS ARTURO ROCHA PENA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               Une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission), doit être lue dans son ensemble (Mehterian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (QL) (C.A.F.)).

 

[2]               Dans leur ensemble, les motifs de la Commission sont assez clairs et intelligibles pour permettre le demandeur de connaître les raisons pour lesquelles il a été refusé. En l’espèce, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’un problème local, que le demandeur n’avait pas renversé la présomption de protection de l’État, qu’il y avait une possibilité de refuge pour lui à l’intérieur de son pays et qu’il n’était pas un témoin crédible.

 

II.  Procédure judiciaire

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission, rendue le 5 novembre 2009, rejetant la demande d’asile en raison de l’absence de crédibilité du demandeur, de la disponibilité de la protection de l’État et de la possibilité d’un refuge interne (PRI) pour le demandeur dans son pays.

 

[4]               Le demandeur n’a pas démontré que l’intervention de cette Cour serait justifiée dans le présent dossier.

 

III.  Faits

[5]               Le demandeur, monsieur Luis Arturo Rocha Pena, citoyen du Mexique, a déposé une demande d’asile au Canada, alléguant qu’il est recherché par la police au Mexique en raison de son implication politique au sein du groupe Fuerza Amiga Emiliano Zapato, un groupe dédié à la protection de l’environnement et des espaces verts.

 

[6]               Selon monsieur Rocha Pena, ses problèmes auraient commencé le 20 juillet 2006, alors qu’il montait la garde dans la forêt nationale de Los Remedios avec 15 à 30 compagnons.

 

[7]               Cette forêt, déclarée zone protégée écologique par le gouvernement fédéral et le gouvernement de l’État, était menacée de développement par la compagnie de construction Mayorga. La compagnie avait déjà commencé à couper des arbres sous les ordres de la présidente municipale de Naucalpan.

 

[8]               Monsieur Rocha Pena affirme que, vers 4h du matin, des policiers en uniforme ont fait irruption et l’aurait attaqué pendant qu’il filmait. Il dit avoir été amené en camionnette par trois policiers dans un endroit inconnu où il aurait été torturé, menacé et frappé à la tête au point de lui faire perdre connaissance. Les individus ont exigé qu’il leur donne les noms et les numéros de téléphone des dirigeants du groupe Emiliano Zapata.

 

[9]               Monsieur Rocha Pena s’est ensuite retrouvé seul et a réussi à s’enfuir de l’endroit où il avait été retenu, une maison en construction. Il aurait fait du stop pour se rendre chez une amie, nommée Andréa, chez laquelle il s’est réfugié.

 

[10]           Monsieur Rocha Pena n’a pas fait de dénonciation ni tenté de chercher de l’aide auprès des autorités avant de fuir son pays.

 

IV.  Point en litige

[11]           Est-ce que la décision de la Commission est déraisonnable?

 

 

V.  Analyse

            Norme de contrôle

[12]           Les questions purement factuelles décidées par la Commission pour parvenir à la décision attaquée, telles que l’absence de crédibilité, sont contrôlables selon la norme de la décision déraisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Khokhar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, 166 A.C.W.S. (3d) 1123 au par. 22; Sukhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, 166 A.C.W.S. (3d) 345 au par. 15; Alonso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 683, 170 A.C.W.S. (3d) 162 au par. 5).

 

[13]           La décision récente de cette Cour dans l’affaire Navarro  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358, 169 A.C.W.S. (3d) aux paragraphes 11-15, confirme que la norme de contrôle applicable aux questions relatives à la protection de l’État et la possibilité d’un refuge interne est également celle de la décision raisonnable.

 

[14]           Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir, ci-dessus, au paragraphe 47 : « Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. ».

 

[15]           En l’espèce, monsieur Rocha Pena n’a pas démontré que les conclusions de la Commission étaient déraisonnables.

Protection de l’État

[16]           Monsieur Rocha Pena allègue essentiellement qu’il était raisonnable pour lui de ne pas avoir tenté de rechercher la protection de l’État puisque ses persécuteurs étaient des agents de l’État lui-même.

 

[17]           Les autorités ainsi que les policiers en question agissaient en dehors de la loi puisqu’ils défendaient les intérêts des constructeurs et refusaient de respecter la réglementation légale de réserve écologique du terrain en question. Autrement dit, monsieur Rocha Pena craint des agents de l’État corrompus.

 

[18]           La Cour suprême du Canada a maintenu, dans l’affaire Canada (Procureur général) c. Ward, 2 R.C.S. 689 au paragraphe 51, qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, ce qui n’a pas été démontré en l’espèce, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger ses citoyens. Il n’est pas nécessaire que la protection offerte par l’État soit parfaite, pourvu qu’elle soit adéquate (également, Zalzali c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] 3 C.F. 605, 27 A.C.W.S. (3d) 90; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 18 Imm. L.R. 130, 37 A.C.W.S. (3d) 1259).

 

[19]           Il appartient aux revendicateurs d’asile de renverser la présomption de la protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante (Ward, ci-dessus). Selon les propos de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire récente de Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Carrillo, 2008 CAF 94, [2008] R.C.F. 636 : « le demandeur d'asile qui veut réfuter la présomption de la protection de l'État doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l'État en question est insuffisante. »

 

[20]           Le fardeau qui incombe au demandeur d’asile est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie de l’État en cause, plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur d’asile devra avoir cherché à épuiser tous les recours qui s’offrent à lui (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Kadenko (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, 68 A.C.W.S. (3d) 334).

 

[21]           Même s’il n’est pas nécessaire qu’un demandeur mette sa vie en danger pour démontrer l’inefficacité de la protection de l’État, encore faut-il démontrer qu’il ne serait pas raisonnable pour lui de tenter d’obtenir une telle protection? (Ward, ci-dessus; Simokawa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, 147 A.C.W.S. (3d) 863).

 

[22]           En l’espèce, il appert que monsieur Rocha Pena avait un problème avec les autorités et certains policiers de la région de Naucalpan puisqu’ils voulaient exploiter le terrain en question. Il n’y a pas lieu de croire que les autorités ou des policiers ailleurs au Mexique seraient impliqués dans cette affaire de corruption. Il s’agit d’un problème de nature locale.

 

[23]           La preuve documentaire démontre que monsieur Rocha Pena n’a jamais tenté de porter plainte ni cherché à obtenir une protection quelconque contre les policiers qui lui auraient fait subir les agressions et les intimidations qu’il dit avoir vécues.

 

[24]           Dans l’affaire Skelly c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1244, 133 A.C.W.S. (3d) 856 citée dans Del Real c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 140, 168 A.C.W.S. (3d) 368 au paragraphe 6, le juge James Russell a souligné qu’il est difficile de reprocher à un tribunal d’avoir conclu qu’un demandeur n’a pas réfuté la présomption de disponibilité de la protection de l’État quand il n’a fait aucun effort pour se réclamer de cette protection.

 

[25]           Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Monsieur Rocha Pena n’a jamais porté plainte pour les agressions et menaces qu’il a subies et n’a pas démontré que son défaut de le faire était raisonnable dans les circonstances.

 

[26]           Dans le cas présent, la décision de la Commission démontre qu’elle a fait une analyse circonstanciée des nombreux efforts menés par le gouvernement mexicain pour lutter contre la corruption et les façons dont un citoyen peut porter plainte. La preuve révèle que des efforts importants ont été entrepris et que des résultats ont été obtenus.

 

 

[27]           Monsieur Rocha Pena reproche également à la Commission de s’être basé sur une décision à caractère persuasif dans sa conclusion sur la protection de l’État. Dans l’affaire récente de Ramirez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1214, [2008] A.C.F. no 1533 (QL), le juge Maurice Lagacé a écrit que les décisions à caractère persuasif peuvent être consultées et suivies sans pour autant être déposées en preuve :

[35]      L’ultime argument de la demanderesse concerne l’utilisation par le Tribunal de décisions à caractère persuasif. Elle prétend en effet dans son mémoire que le Tribunal fait une utilisation illégale de ces décisions puisque ces dernières n’ont pas été déposées en preuve dans le dossier, et qu’en conséquence, le principe de divulgation de la preuve n’a pas été respecté. Un tel argument ne tient pas puisque les décisions à caractère persuasif ne font pas partie de la preuve, mais constituent tout au plus des indicateurs jurisprudentiels que les commissaires peuvent consulter et suivre, sans pour autant y être tenus (Rios c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1437, 153 A.C.W.S. (3d) 1214).

 

[36]      Ici, le Tribunal ne se contente pas d’adopter le raisonnement des décisions auxquelles il réfère; il se base de plus sur son analyse personnalisée des éléments de preuve devant lui avant de décider d'adopter le raisonnement de ces décisions. Il pouvait donc, pour assurer une certaine uniformité dans les décisions et dans la mesure où les faits de la cause le justifient, se référer légitimement aux décisions citées à titre de guide jurisprudentiel tout aussi bien que peut le faire cette Cour. (La Cour souligne).

 

[28]           Dans ce contexte, la Commission pouvait raisonnablement conclure que monsieur Rocha Pena n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. Cette conclusion est déterminante en soi de la demande d’asile puisqu’un demandeur ne peut être reconnu comme étant un réfugié ou une personne à protéger si la protection de son propre État lui est disponible.

 

 

Refuge interne

[29]           La Commission a également conclu, selon les faits au dossier, que monsieur Rocha Pena pouvait se réfugier à l’intérieur de son pays.

 

[30]           Une conclusion de refuge interne est également suffisante en soi pour disposer d’une demande d’asile (Shimokawa . Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 445, 147 A.C.W.S. (3d) 863 au par. 17; Badomino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1270, 167 A.C.W.S. (3d) 771 au par. 28; Sarker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 353, 137 A.C.W.S. (3d) 1196 au par. 7).

 

[31]           Il appartient à la personne demandant l’asile de démontrer l’inexistence d’un refuge intérieur en prouvant qu’il serait à risque partout dans son pays et qu’il serait objectivement déraisonnable pour lui, compte tenu des circonstances, d’aller trouver refuge ailleurs dans son pays (Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, 31 A.C.W.S. (3d) 1256 (C.A.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589, 45 A.C.W.S. (3d) 141 (C.A.); Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164, 102 A.C.W.S. (3d) 592 (C.A.) au par. 13; B.O.T. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 284, 137 A.C.W.S. (3d) 804; Alfaro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 460, 152 A.C.W.S. (3d) 694 au par. 22).

 

[32]           Ainsi que l’a récemment rappelé le juge Yves de Montigny dans la décision Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358, 169 A.C.W.S. (3d) 626, les demandeurs ont un lourd fardeau à rencontrer pour démontrer qu’il n’existe pas de possibilité de refuge intérieur pour eux dans leur pays d’origine :

[20]      La définition même de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger implique nécessairement l’impossibilité pour un demandeur de réclamer la protection de son pays et ce, sur tout le territoire de ce pays. La possibilité de refuge interne est inhérente à la notion même de réfugié et de personne à protéger. Comme l’a rappelé la Cour d’appel fédérale, la barre doit être placée très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable : « [i]l ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions » (Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 C.F. 164 au para. 15. Et c’est au revendicateur qu’il incombera de démontrer qu’il ne peut obtenir le refuge interne dans son pays : Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589.

 

[21]      Sur la base de la preuve qui lui a été soumise, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse de persécution pour les demandeurs dans des grandes villes comme Tabasco, Veracruz, Mexico et Monterrey, qui comptent toutes plus d’un million d’habitants. Pour en arriver à cette conclusion, le Tribunal a invoqué le fait que les demandeurs avaient pu obtenir leur passeport et leur billet d’avion sans être inquiétés par le policier, que ce dernier n’avait probablement pas les ressources ni l’intérêt pour les pourchasser sur tout le territoire mexicain, et qu’il y a très peu de coordination entre les forces policières au Mexique. Pour contrer ces observations, les demandeurs n’ont pu faire mieux que d’alléguer vaguement les risques d’être repérés découlant de l’informatisation des données dans un pays moderne. Ils n’ont d’autre part présenté aucune preuve réelle et concrète de l’existence de conditions les empêchant de se relocaliser dans leur pays. Dans ces circonstances, le Tribunal pouvait conclure à la possibilité d’un refuge interne au Mexique. (La Cour souligne).

 

[33]           En l’espèce, la Commission a noté que monsieur Rocha Pena n’a jamais considéré la PRI comme une option (Décision à la p. 8, par. 30).

 

[34]           La Commission a proposé les villes de Mexico D.F., Guadalajara et Monterrey comme PRI.

 

[35]           La Commission a également noté que monsieur Rocha Pena n’a eu aucun problème quand il est allé se réfugier chez son amie Andréa à Colonia Fernando del Alba dans l’État de Mexico.

 

[36]           Compte tenu de la preuve au dossier qu’il s’agissait de policiers corrompus dans un contexte local, la Commission n’a pas cru que les présumés persécuteurs auraient intérêt à le chercher d’un bout à l’autre du Mexique.

 

[37]           La Commission a également noté la preuve documentaire indiquant qu’il n’est pas facile de retrouver des personnes au Mexique.

 

[38]           La Commission a analysé la preuve documentaire et les circonstances personnelles de monsieur Rocha Pena pour conclure qu’il ne risquait pas sérieusement d’être persécuté aux endroits proposés et qu’il ne serait pas déraisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il cherche à se réfugier à ces endroits.

 

[39]           Cette conclusion est appuyée par la preuve au dossier et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[40]           Monsieur Rocha Pena n’a pas démontré que la conclusion de la Commission sur la PRI est déraisonnable.

Absence de crédibilité

[41]           Monsieur Rocha Pena reproche également la Commission de ne pas avoir tenu compte de son implication politique et de son appartenance aux mouvements de gauche au Mexique dans son analyse de la crédibilité de son récit.

 

[42]           En l’espèce, la Commission a conclu que monsieur Rocha Pena n’était pas un témoin crédible compte tenu des contradictions et omissions dans les informations qu’il a fournies au soutien de sa demande d’asile.

 

[43]           Par exemple, monsieur Rocha Pena a déposé une lettre du coordonnateur général de la compagnie Art-Vi, monsieur Ivan Morales Colin. Cette lettre de l’employeur ne mentionne notamment pas quand monsieur Rocha Pena aurait travaillé pour la compagnie. L’employeur affirme cependant connaître monsieur Rocha Pena depuis quinze ans.

 

[44]           Or, selon le témoignage de monsieur Rocha Pena, il n’aurait fait la connaissance de monsieur Colin qu’en 2003. Monsieur Rocha Pena a admis devant la Commission que monsieur Colin aurait écrit quinze ans dans la lettre pour embellir son histoire.

 

[45]           Il est tout à fait raisonnable pour la Commission de tirer une inférence négative sur la crédibilité de monsieur Rocha Pena parce qu’il a déposé un document dont il savait contenait de fausses déclarations.

 

[46]           En l’espèce, le but de déposer une telle lettre ne peut être que d’induire la Commission en erreur. Si monsieur Rocha Pena était prêt à induire la Commission en erreur sur cet élément, il y a lieu de se questionner sur la véracité des autres faits allégués. Tout comme le dépôt d’un document frauduleux, le dépôt de cette lettre a sérieusement entaché la crédibilité de monsieur Rocha Pena.

 

[47]           Compte tenu de l’absence d’informations dans la lettre de l’employeur, la Commission a voulu savoir à quelles dates il aurait travaillé pour la compagnie Art-Vi. La Commission a remarqué que les réponses fournies par monsieur Rocha Pena à ce sujet n’étaient pas cohérentes, variant de façon marquante dans les dates et la durée de son emploi avec cette compagnie.

 

[48]           Questionné par la Commission à savoir pourquoi il aurait omis de mentionner qu’il avait travaillé pour Art-Vi dans le formulaire de l’Annexe 1, monsieur Rocha Pena a tenté de dire qu’il avait omis ces informations parce qu’il n’avait pas ses documents en arrivant.

 

[49]           La Cour ne voit pas comment le fait de ne pas avoir de documents aurait empêché monsieur Rocha Pena de déclarer qu’il avait travaillé pour Art-Vi. Cette explication n’est simplement pas raisonnable.

 

[50]           De même, monsieur Rocha Pena a expliqué qu’il s’est trompé sur les dates auxquelles il aurait travaillé pour Art-Vi parce qu’il était nerveux. Il n’est pas raisonnable de croire que monsieur Rocha Pena se serait trompé de façon si marquante sur les dates d’un emploi récent et d’assez longue durée si les faits allégués étaient véridiques. La Commission pouvait se fier sur la raison et le bon sens pour rejeter les explications de monsieur Rocha Pena (Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.F.) (QL)).

 

[51]           Le fait que la Commission mentionne que monsieur Rocha Pena avait éprouvé des problèmes dans le cadre de son travail avec Art-Vi n’est pas déraisonnable compte tenu du fait qu’il dit avoir éprouvé des problèmes pendant la période où il travaillait pour cette compagnie et dans le cadre du tournage d’une vidéo dans la forêt. S’il s’agit d’une erreur de la part de la Commission, ce n’est pas une erreur qui vicierait la décision.

 

[52]           En l’espèce, il était raisonnable pour la Commission de conclure que le défaut de monsieur Rocha Pena de fournir une preuve cohérente sur son travail avec Art-Vi et son défaut de fournir une explication raisonnable a entaché sa crédibilité.

 

[53]           La Commission a également noté que monsieur Rocha Pena a omis d’inclure dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) l’information qu’il aurait travaillé comme chauffeur pour Electromacc en 2005 et 2006 et qu’il aurait fourni trois versions différentes de dates pendant lesquelles il aurait travaillé pour la compagnie Clariant.

 

[54]           Même s’il ne s’agit pas d’éléments au cœur de la revendication, ce sont néanmoins des informations qui permettraient à la Commission de connaître les activités de monsieur Rocha Pena dans les années précédant sa demande d’asile, ce qui est tout à fait pertinent dans le cadre de la présente demande.

[55]           Compte tenu de la preuve, la Commission pouvait raisonnablement conclure que monsieur Rocha Pena n’était pas un témoin crédible. Il s’agit d’un élément parmi plusieurs autres qui ont amené la Commission à conclure que monsieur Rocha Pena n’était pas un réfugié ou une personne à protéger.

 

[56]           Monsieur Rocha Pena allègue que la Commission a erré en notant que ses compagnons étaient des employés de la compagnie Mayorga et qu’il s’agissait d’une conclusion déraisonnable.

 

[57]           En l’espèce, la Commission a correctement noté dans le résumé des faits que la compagnie Mayorga était responsable de la coupe d’arbres. La compagnie faisait donc partie du développement auquel monsieur Rocha Pena s’opposait.

 

[58]           À la lecture du FRP de monsieur Rocha Pena, il n’est pas difficile de comprendre comment la Commission a pu noter qu’il était accompagné dans la forêt par des compagnons de travail de la compagnie Mayorga. Il s’agit d’une simple erreur de rédaction de la part de la Commission sur laquelle aucune conclusion négative n’a été tirée. Cette erreur n’infirme pas le bien-fondé de la décision.

 

[59]           Monsieur Rocha Pena allègue que la Commission n’a pas tenu compte de ses allégations concernant son appartenance aux groupes de gauche au Mexique. Il prétend que le fait que la Commission ait ajourné l’audience pour déterminer s’il devait être exclu était suffisant pour démontrer que son histoire a été crue.

[60]           Force est de constater que l’Unité de sécurité et des crimes de guerre a eu connaissance des allégations de monsieur Rocha Pena et des documents qu’il a déposés lors de l’audience du 21 mai 2008. Il a été déterminé qu’il n’y avait pas lieu d’intervenir dans le dossier pour exclure monsieur Rocha Pena (Dossier du demandeur, lettre du 6 août 2008 de l’Unité de sécurité et de crimes de guerre à la p. 71).

 

[61]           En l’espèce, la Commission s’est penché sur les allégations contenues au FRP de monsieur Rocha Pena ainsi que sur l’incident de persécution alléguée. Aucun autre incident ou problème n’a été allégué par monsieur Rocha Pena, autre que l’incident du 20 juillet 2006.

 

[62]           La Commission a tenu compte des activités antérieures de monsieur Rocha Pena, mais a conclu qu’aucune preuve ne démontrerait qu’il était recherché en raison de son implication dans ces activités.

 

[63]           Monsieur Rocha Pena allègue que la Commission a erré en omettant de se prononcer sur la possibilité d’une exclusion selon l’article 1F de l’article premier de la Convention. Selon monsieur Rocha Pena, il s’agirait d’un défaut de la part de la Commission d’exercer sa compétence.

 

[64]           Dans la mesure où la décision de la Commission n’était pas fondée sur l’application de l’article 1F de la Convention, il n’était pas nécessaire de procéder à une analyse de cet élément.

 

[65]           Monsieur Rocha Pena semble vouloir pencher sur le fait que la Commission a ajourné l’audience pour donner du poids à ses allégations.

 

[66]           Il faut rappeler l’énoncé de l’article 23(2) du Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 :

CLAUSES D’EXCLUSION DE LA CONVENTION SUR LES RÉFUGIÉS, INTERDICTION DE TERRITOIRE ET IRRECEVABILITÉ

 

Avis au ministre avant l’audience d’une exclusion possible

 

23.      (1) Si elle croit, avant l’audience, qu’il y a une possibilité que les sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés s’appliquent à la demande d’asile, la Section en avise par écrit le ministre et lui transmet les renseignements pertinents.

 

 

Avis au ministre pendant l’audience d’une exclusion possible

 

(2) Si elle croit, au cours de l’audience, qu’il y a une possibilité que les sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés s’appliquent à la demande d’asile et qu’elle estime que la participation du ministre peut contribuer à assurer une instruction approfondie de la demande, la Section en avise par écrit le ministre et lui transmet les renseignements pertinents.

 

Communication au demandeur d’asile

 

(3) La Section transmet au demandeur d’asile une copie de tout avis et renseignement transmis au ministre.

 

(La Cour souligne)

EXCLUSION, INADMISSIBILITY AND INELIGIBILITY

 

 

 

 

Notice to the Minister of possible exclusion — before a hearing

 

23.      (1) If the Division believes, before a hearing begins, that there is a possibility that sections E or F of Article 1 of the Refugee Convention applies to the claim, the Division must notify the Minister in writing and provide any relevant information to the Minister.

 

Notice to the Minister of possible exclusion — during a hearing

 

(2) If the Division believes, at any time during a hearing, that there is a possibility that section E or F of Article 1 of the Refugee Convention applies to the claim, and the Division is of the opinion that the Minister’s participation may help in the full and proper hearing of the claim, the Division must notify the Minister in writing and provide the Minister with any relevant information.

 

Disclosure to claimant

 

 

(3) The Division must provide to the claimant a copy of any notice or information provided to the Minister.

 

 

[67]           Le fait que la Commission était d’avis qu’il y avait une possibilité que monsieur Rocha Pena soit exclu sous l’article 1F de la Convention n’est aucunement suffisant pour conclure qu’elle a cru son histoire.

 

[68]           Quant à la question de savoir si la Commission a considéré la vidéo soumise par monsieur Rocha Pena, il est bien établi que faute de preuve du contraire, la Commission est présumée avoir apprécié et examiné toute la preuve présentée (Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 125, 139 A.C.W.S. (3d) 113 (C.A.F.); Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL)). Le fait que la Commission ne fasse pas un sommaire dans sa décision de toute la preuve introduite au dossier ne constitue pas une erreur de droit révisable (Woolaston c. Canada (Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration), [1973] R.C.S. 102, 28 D.L.R. (3d) 489; Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 36 A.C.S. (3d) 632, 147 N.R. 317 (C.A.F.)).

[69]           Quant à la suffisance des motifs, ils doivent permettre à monsieur Rocha Pena de connaître les raisons pour lesquelles sa demande a été rejetée et de décider s’il ira en contrôle judiciaire de la décision (Townsend c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 371, 231 F.T.R. 116 au par. 22; Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 687, 131 A.C.W.S. (3d) 323). Le processus suivi par le décideur devrait être présenté et devrait considérer les points essentiels de la revendication (Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25, 100 A.C.W.S. (3d) 705 au par. 22).

 

[70]           Il importe également de souligner que la décision doit être lue dans son ensemble (Mehteriani, above).

 

[71]           Dans leur ensemble, les motifs de la Commission sont assez clairs et intelligibles pour permettre à monsieur Rocha Pena de connaître les raisons pour lesquelles il a été refusé. En l’espèce, la Commission a conclu qu’il s’agissait d’un problème local, que monsieur Rocha Penna n’avait pas renversé la présomption de protection de l’État, qu’il y avait une possibilité de refuge pour lui à l’intérieur de son pays et qu’il n’était pas un témoin crédible.

 

[72]           Compte tenu de l’ensemble de la preuve au dossier, la décision de la Commission est raisonnable.

 

VI.  Conclusion

[73]           Pour l’ensemble de ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale ne soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5264-08

 

INTITULÉ :                                       LUIS ARTURO ROCHA PENA

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 2 juin 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 11 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Suzanne Trudel

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

MICHEL LE BRUN, avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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