Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 20090611

Dossier : IMM‑638‑08

Référence : 2009 CF 598

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2009

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

GEYCEL ARELI TORIZ GILVAJA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

LE JUGE O’KEEFE

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision datée du 31 janvier 2008 dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse sollicite une ordonnance en vertu du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales annulant la décision du commissaire de rejeter la demande d’asile de la demanderesse et renvoyant l’affaire à un tribunal différemment constitué pour qu’il rende une décision conformément aux directives que la Cour juge appropriées.

 

Le contexte

 

[3]               Geycel Areli Toriz Gilvaja (la demanderesse) est une citoyenne mexicaine, qui est arrivée au Canada le 8 août 2006. Sa demande d’asile est fondée sur la crainte d’être tuée par Jonathan Cipres, un homme qui croit être devenu amoureux d’elle et qui la harcèle. Jonathan Cipres a commencé à la suivre alors qu’elle avait 13 ans. Le père de celui‑ci était une personne d’influence au gouvernement et sa mère était une avocate. En conséquence, lorsque la demanderesse a déposé une plainte auprès de la police, rien n’a été fait.

 

[4]               M. Cipres s’est approché de la demanderesse dans une aire de stationnement vide alors qu’elle revenait de l’école à pied. Il a tenté de la forcer à l’embrasser. Elle s’est dégagée et il l’a frappée au visage et lui a donné un coup de pied. Elle est tombée sur le sol et il a tenté de la violer. Un passant est intervenu et a empêché le viol. M. Cipres s’est enfui en courant, mais en criant qu’elle lui appartiendrait un jour.

 

[5]               La demanderesse a signalé l’incident à sa mère parce qu’elle saignait. Elles se sont rendues au bureau du ministère public et ont déposé une plainte à propos de l’agression. Elle a plus tard mentionné la tentative de viol, mais s’est fait répondre qu’on ne pourrait aller de l’avant au sujet de cette allégation parce que le rapport du médecin n’en faisait aucune mention.

 

[6]               Après le dépôt de la plainte, la demanderesse et sa famille ont commencé à recevoir des menaces de mort. Selon la demanderesse, les menaces découlaient directement du dépôt de la plainte. La demanderesse et sa famille se sont senties obligées de déménager. La demanderesse ressentait un grand stress et n’a pas pu fréquenter l’école pendant un an. La demanderesse a cherché de l’aide psychologique pour l’aider à faire face au traumatisme.

 

[7]               En mai 2006, la demanderesse a commencé à recevoir des appels téléphoniques anonymes au cours desquels l’appelant déclarait : [traduction] « Tu vois combien je t’aime? Peu importe où tu vas et ce que tu tentes de faire pour m’éviter, je te pourchasserai et te suivrai jusqu’au jour où tu m’appartiendras. » La demanderesse a commencé à avoir des crises de panique.

 

[8]               En juillet 2006, alors qu’elle revenait à la maison, la demanderesse a aperçu M. Cipres dans une voiture à proximité de sa résidence. Sa mère a entendu ses cris et a vu M. Cipres tenter d’embrasser la demanderesse. Sa mère et des voisins ont réussi à aider la demanderesse à échapper à M. Cipres. Il s’est enfui en courant et a menacé de revenir chercher la demanderesse.

 

[9]               La demanderesse s’est enfuie du Mexique en raison de sa crainte concernant M. Cipres. Selon elle, il a de bonnes relations et elle ne serait pas protégée par l’État si elle demeurait dans son pays. Elle a quitté le Mexique le 8 août 2006, jour de son arrivée à Toronto. Quelques semaines plus tard, elle a présenté une demande d’asile. Elle communique régulièrement avec sa famille, qui déclare voir M. Cipres dans le voisinage et que celui‑ci continue à téléphoner. Si elle retourne au Mexique, elle craint que M. Cipres ne la trouve et la tue.

 

La décision de la Commission

 

[10]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption que le Mexique est en mesure de protéger ses citoyens. La demanderesse a déposé une plainte après le premier incident, mais a choisi de ne pas le faire après le deuxième incident parce qu’elle croyait que les autorités ne feraient rien pour la protéger. Elle a témoigné que la police peut bien prendre en note une dénonciation, mais ne rien faire à son sujet, compte tenu de l’expérience vécue par sa famille avec la police. À titre d’exemple, elle a témoigné que les meurtres de plusieurs membres de sa famille n’ont jamais été résolus.

 

[11]           La Commission a conclu, à la suite d’un examen de la preuve documentaire, qu’« en général, les autorités civiles contrôlent efficacement les forces de sécurité » (Page 3 de la décision). Cependant, la Commission a également reconnu qu’« il persiste une culture de l’impunité et de la corruption, surtout à l’échelle des États et des régions » (Page 3 de la décision). L’État prend des mesures pour tenter de régler ces questions persistantes.

 

[12]           De plus, la Commission a conclu que le Mexique prenait des mesures pour changer la culture de non‑dénonciation des crimes. Le Mexique a créé des services au sein de la fonction publique pour inciter les victimes à dénoncer les crimes et augmenter la confiance du public envers les autorités de l’État. La Commission mentionne plusieurs projets d’assistance aux victimes en cours qui offrent des services psychologiques, juridiques et médicaux.

 

[13]           Ainsi, la Commission conclut comme suit à la page 5 :

Si la demandeure d’asile croit que la famille de l’agresseur, dont les membres sont au service du gouvernement, a une influence quelconque, il existe des mécanismes, comme en fait foi la preuve documentaire, dont elle n’a pas tenté de se prévaloir, mais grâce auxquels sa plainte peut être prise au sérieux.

 

[14]           En conséquence, la demanderesse n’a pas réfuté, à l’aide de preuves claires et convaincantes, la présomption que le Mexique la protégerait adéquatement, bien que pas nécessairement parfaitement.

 

Les questions en litige

 

[15]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

            1.         La décision de la Commission était‑elle déraisonnable en ce qui a trait à la protection de l’État?

            2.         La Commission a‑t‑elle omis de prendre en compte les éléments de preuve à l’appui de la position de la demanderesse selon laquelle elle ne pourrait pas se prévaloir de la protection de l’État et a‑t‑elle omis de les analyser?

            3.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en droit en ce qui a trait à la protection de l’État?

 

[16]           Je reformulerais les questions de la manière suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle?

            2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État?

 

Les prétentions de la demanderesse

 

[17]           La demanderesse soutient qu’elle ne pouvait pas se prévaloir de la protection de l’État au Mexique. Selon la preuve documentaire, la corruption est un problème répandu au sein du gouvernement mexicain. Les dénis de justice et l’absence de confiance envers les policiers sont extrêmement répandus au Mexique et la plupart des citoyens évitent complètement de signaler des plaintes auprès des policiers.

 

[18]           La demanderesse prétend que la Commission a omis d’examiner la preuve documentaire qui confirme que le gouvernement du Mexique n’est pas en mesure de protéger efficacement ses citoyens.

 

[19]           La Commission a omis de tenir compte du fait que lorsque la demanderesse a sollicité la protection de l’État, la situation a empiré.

 

[20]           La Commission a omis de tenir compte de la gravité des souffrances de la demanderesse. La demanderesse a témoigné qu’elle avait toujours des cicatrices au visage après l’agression et la tentative de viol de M. Cipres. Les policiers lui ont dit qu’ils ne pouvaient pas aller de l’avant avec la plainte de tentative de viol. La demanderesse et sa famille ont commencé à recevoir des menaces de mort pour avoir déposé une plainte auprès de la police. La demanderesse a témoigné que les parents de M. Cipres avaient donné aux policiers de faux documents d’identité afin de les amener à croire qu’il était plus jeune qu’il l’était et afin qu’il puisse ainsi être considéré comme étant un jeune contrevenant.

 

[21]           La demanderesse soutient qu’il serait objectivement déraisonnable pour elle de demander à l’État de la protéger dans les circonstances particulières de sa situation. La présomption de la protection de l’État échoue « s’il est objectivement [raisonnable] qu’il [le demandeur] n’ait pas sollicité la protection de son pays d’origine » (voir Canada c. Ward, [1993] 2 R.C.S 689, paragraphes 48 et 49). La demanderesse a témoigné à propos d’occasions antérieures à l’égard desquelles sa famille s’est vu refuser la protection de l’État. Il existe une preuve documentaire considérable qui appuie sa prétention selon laquelle les personnes se trouvant dans la même situation au Mexique ne peuvent se prévaloir de la protection de l’État.

 

[22]           La demanderesse prétend que la Commission a omis d’analyser la preuve documentaire à l’appui de sa position. Selon la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, la Cour fédérale a statué que « l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés ». La demanderesse soutient que des éléments de preuve qui étaient essentiels à sa demande d’asile n’ont été ni mentionnés ni analysés dans les motifs de la Commission. Par conséquent, la Commission a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve.

 

[23]           La demanderesse fait valoir que la Commission a omis de tenir compte de la preuve documentaire qui montre l’incapacité du Mexique à protéger les femmes victimes de mauvais traitements. La Commission a par conséquent commis une erreur en ce qui a trait à son analyse de la protection de l’État en tenant compte uniquement de la législation, plutôt que de sa mise en œuvre.

 

[24]           La Commission a omis d’analyser des éléments de preuve qui contredisaient sa conclusion (voir Low c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 326). La demanderesse fait valoir que malgré les efforts du gouvernement du Mexique, il persiste une impunité et une corruption répandues. La décision ne contient aucune analyse de ce fait. Il est courant que le Mexique ne protège pas les femmes victimes de mauvais traitements. Les efforts entrepris par le Mexique pour lutter contre ce problème, quoique louables, n’équivalent pas à une protection de l’État adéquate.

 

[25]           De plus, la Commission a omis d’analyser les éléments de preuve en fonction du réel degré de démocratie au Mexique. Dans la décision De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1684, le juge Frenette a fait l’observation suivante concernant le degré de démocratie qui a cours au Mexique :

Dans le cas du pays qui est considéré comme étant une véritable démocratie, comme les États‑Unis d’Amérique, comme il a été décidé dans l’arrêt Hinzman, précité, il est difficile de réfuter la présomption relative à la protection de l’État, mais dans un pays comme le Mexique, considéré davantage comme une démocratie en voie de développement, où la corruption et le trafic de stupéfiants sont courants et impliquent certains fonctionnaires, policiers et membres des forces de la sécurité, il peut être plus facile de réfuter la présomption. Voir : Carrillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 320, [2007] A.C.F. no 439.

 

[26]           Dans la décision Tapia Villa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1540, la Cour a statué que « […] le Mexique est une démocratie émergente, et non une démocratie accomplie, et qu’on doit tenir compte de la situation réelle et non de ce que l’État se propose de faire ou a entrepris de mettre en place ».

 

Les prétentions du défendeur

 

[27]           Selon le défendeur, la SPR n’a pas commis d’erreur en concluant que la demanderesse n’est pas parvenue à réfuter la présomption de la protection de l’État à l’aide de preuves claires et convaincantes. La Commission a conclu qu’il existait de l’aide à plusieurs niveaux dont elle aurait pu se prévaloir. Bien que la demanderesse ait fait une dénonciation après la première agression, elle avait l’obligation de faire plus que montrer qu’elle s’était rendue auprès des forces policières à une occasion.

 

[28]           En l’absence de l’effondrement complet de l’appareil étatique, il est présumé qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens. En l’espèce, la Commission a analysé la preuve documentaire dont elle disposait, citant plusieurs exemples de groupes et d’organisations qui font la promotion de la protection des citoyens mexicains, notamment le ministère de la Fonction publique, le Bureau du procureur général, le Registre national du personnel de la sécurité publique, le ministère de la Sécurité publique et le Réseau d’information et d’aide aux citoyens. Le Mexique entreprend des mesures pour lutter contre la culture de l’impunité et de la corruption policières.

 

[29]           La demanderesse a témoigné que des membres de sa famille avaient été tués et que justice n’a pas été faite, mais elle a omis de fournir des éléments de preuve documentaire pour étayer cette allégation.

 

[30]           Le défendeur fait valoir que le Mexique est une démocratie dotée d’un régime politique et d’un appareil judiciaire efficaces. Par conséquent, le fait que certains policiers particuliers n’aient pu offrir de protection est insuffisant pour démontrer l’absence de protection de l’État. Le défendeur insiste sur le fait que « plus les institutions de l’État sont démocratiques, plus le demandeur doit avoir cherché à épuiser les recours qui lui sont ouverts » (voir N.K c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376, citant Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Satiacum, [1989] A.C.F. no 505). Outre la dénonciation faite à la police, la demanderesse n’a pas sollicité de protection à un niveau plus élevé.

 

[31]           Le défendeur nie que le tribunal a omis d’examiner l’ensemble de la preuve. La Commission a décrit les nombreuses solutions dont pouvait se prévaloir la demanderesse au Mexique en matière de protection de l’État. Le défendeur soutient que l’exposé des arguments de la demanderesse est [traduction] « truffé de simples affirmations et d’énoncés de droit généraux qui ne sont appuyés par aucun élément de preuve précis. »

 

Analyse et décision

 

[32]           Question no 1

            Quelle est la norme de contrôle?

            La demanderesse soutient que les conclusions concernant la protection de l’État sont susceptibles de contrôle selon la norme de raisonnabilité : l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] A.C.S. no 9, au paragraphe 47, établit que le caractère raisonnable concerne la question de savoir « […] si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » et qu’il tient « […] à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Voir l’arrêt Dunsmuir, précité).

 

[33]           L’arrêt Dunsmuir, précité, a établi que si la jurisprudence a déjà déterminé la norme de contrôle à appliquer, alors aucune autre analyse n’est nécessaire.

 

[34]           Dans l’arrêt Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 584, la Cour d’appel fédérale a affirmé au paragraphe 38 que les questions concernant le caractère adéquat de la protection de l’État étaient « des questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ». Cette norme a été appliquée à plusieurs décisions rendues après l’arrêt Dunsmuir, précité, notamment : Quinatzin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1168; Farias c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1292; Lozada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 492.

 

[35]           Je conclus donc que la norme appropriée à appliquer à la décision de la Commission en l’espèce est la raisonnabilité.

 

[36]           Question no 2

            La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la demanderesse pouvait se prévaloir de la protection de l’État?

            Puisque la crédibilité de la demanderesse n’est pas mise en doute dans la décision en cause, pour évaluer sa demande, nous devons admettre les faits particuliers qui l’ont amenée à quitter le Mexique (voir l’arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, au paragraphe 5 (C.A.F.)).

 

[37]           La Commission a commis une erreur en omettant de tenir compte de l’explication des raisons pour lesquelles la demanderesse n’avait pas continué à chercher à obtenir une protection de l’État après l’échec de sa première tentative. La demanderesse et sa famille avaient consulté une avocate après avoir commencé à recevoir des menaces pour avoir déposé une plainte auprès de la police. L’avocate a écrit la lettre suivante, datée du 16 janvier 2008, qui se trouve à la page 160 du dossier du tribunal :

 

[traduction]

En qualité d’avocate représentant Mme Geycel Areli Toriz Gilvaja, je désire vous informer de ce qui suit :

 

La soussignée a conseillé à la personne mentionnée ci‑dessus dans la dénonciation du crime de tentative de viol faite le 12 avril 2000, lequel crime n’a pu être poursuivi, en raison des menaces, de l’intimidation et de la coercition dont ma cliente a fait l’objet à plusieurs reprises présumément de la part de Jonathan Cipres Chavarria et de sa famille, d’éviter de poursuivre la dénonciation susmentionnée. En conséquence, j’ai conseillé à ma cliente d’abandonner, car la mère de l’accusé est une personne de grande influence en plus d’être une avocate, et pour ce dernier crime et en raison de cette situation, elle ne voulait pas suivre le processus et souhaitait abandonner toutes les procédures, ce qui pourrait avoir une incidence importante sur sa vie professionnelle. Ainsi, il n’y a pas eu de suivi au rapport judiciaire, n’ayant pas eu connaissance de la perte de documents, ignorant ma cliente, chaque procédure qui a été entreprise par la suite, pour ne pas avoir d’incidence sur sa situation; en ce qui a trait au certificat de naissance, obtenu du ministère public, et qui est visiblement modifié, ces documents ont été présentés par la famille de l’accusé, n’ont pas été examinés puisqu’il a été mis fin à toute la documentation et à l’ensemble du processus en cours et j’ai conseillé à la famille de ne pas aller de l’avant avec l’accusation, car toute procédure serait inutile.

 

Veuillez agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.

 

Amelia Rikelme P., avocate

 

 

[38]           De plus, le dossier renferme des éléments de preuve qui contredisent la décision de la Commission selon laquelle la demanderesse pourrait se prévaloir de la protection de l’État. Le rôle de la Commission consistait à tirer des conclusions de fait et à arriver à une décision raisonnable fondée sur les éléments de preuve, même s’ils étaient contradictoires. Certains passages de la preuve documentaire semblent démontrer que l’actuel gouvernement du Mexique manifeste un certain désir d’améliorer la situation, alors que d’autres passages donnent à penser que les mesures de protection sont inefficaces. En l’espèce, la Commission avait l’obligation d’expliquer la raison pour laquelle elle s’était appuyée sur les éléments de preuve concernant les efforts faits par l’État plutôt que sur les éléments de preuve selon lesquels la corruption et l’impunité continuent d’être une réalité répandue et généralisée au Mexique. À la lecture de la preuve documentaire et de la décision de la Commission, il est évident que la Commission a fait une analyse sélective de la preuve documentaire.

 

[39]           Les lois écrites n’équivalent pas à une protection de l’État réelle et concrète pour les citoyens. Il a été statué, que lors de l’examen de la question de savoir si un État faisait de sérieux efforts pour assurer la protection de ses citoyens, la protection doit être évaluée sur le terrain, plus particulièrement dans les cas de violence envers les femmes (voir Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 118, au paragraphe 15).

 

[40]           Bien que le Mexique ait entrepris d’adopter des lois pour lutter contre la corruption policière, l’impunité et les questions auxquelles font face les victimes de violence de manière générale, la mise en œuvre de ces initiatives est absente. Il est donc raisonnable de supposer que la demanderesse, qui est terrorisée depuis le tout jeune âge de 13 ans, aurait de la difficulté à être efficacement protégée par l’État, plus particulièrement lorsque son agresseur a de bonnes relations politiques et a même réussi à la retrouver après le déménagement de sa famille. Je conclus que la Commission a rejeté de manière arbitraire les explications de la demanderesse concernant les raisons pour lesquelles elle n’avait pas pu se prévaloir de la protection de l’État, en ne tenant pas compte de l’ensemble de la preuve documentaire et de son témoignage.

 

[41]           Pour déterminer si le demandeur d’asile s’est déchargé de son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d’asile soutient qu’il « ne peut ou, [du fait de ce risque], ne veut se réclamer de la protection » de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous‑alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). En l’espèce, la Commission a omis d’analyser à la fois la question de savoir si l’État était en mesure de protéger la demanderesse et s’il était disposé à agir. Le juge Martineau a déclaré ce qui suit sur la question de la protection de l’État dans Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 439 :

[…] les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l’État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l’État. Cependant, ceux‑ci ne sont pas en eux‑mêmes suffisants pour établir l’existence d’une protection à moins qu’ils ne soient mis en œuvre dans la pratique : voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.).

 

[42]           Bien que la Commission ait mentionné avec raison l’arrêt Ward, précité, comme établissant le principe de l’existence de la protection de l’État, la Commission a échoué dans son analyse de cas dans la présente demande. L’arrêt Ward, précité, établit également l’important principe voulant que, si la demanderesse doit mettre sa vie en danger pour obtenir la protection de l’État, simplement afin d’en démontrer l’inefficacité, cela viole l’idée même de la protection internationale (arrêt Ward, précité, au paragraphe 48). La demanderesse a témoigné qu’après sa dénonciation à la police, sa famille et elle ont été la cible de menaces pour être allées à la police. Son avocate l’a par la suite avisée qu’il n’était pas sûr de solliciter la protection de l’État à nouveau. Il était logique pour la demanderesse de supposer que si elle retournait voir la police, elle ne pourrait pas obtenir de protection et M. Cipres pourrait à nouveau tenter de se venger.

 

Dans la décision contestée, la principale erreur découle d’une absence complète d’analyse de la situation personnelle de la demanderesse. Les omissions de la Commission en ce qui a trait aux éléments de preuve contradictoires rendent cette décision déraisonnable dans les circonstances. Plus particulièrement, la Commission a omis de « […] fournir les motifs pour lesquels la preuve contradictoire n’a pas été jugée pertinente ou digne de foi » (voir Floren c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598, vu l’expérience négative de la demanderesse pour obtenir la protection de l’État.

 

[43]           De plus, la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse aurait dû faire plus pour « épuiser tous les recours qui s’offr[aient] à [elle] », soit d’une manière directement proportionnelle au degré de démocratie au Mexique, était déraisonnable. Les problèmes répandus et persistants de corruption et d’impunité au Mexique montrent que l’État n’est pas en mesure de protéger ses citoyens. En conséquence, exiger de la demanderesse ce qui serait approprié d’exiger d’un demandeur venant d’un pays où le degré de démocratie est élevé constitue une erreur. Le Mexique n’est pas en mesure de protéger ses citoyens les plus vulnérables et plus particulièrement les femmes qui fuient la violence, comme la demanderesse.

 

[44]           Dans la décision Capitaine c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 181, la juge Gauthier s’est prononcée sur la présomption de la protection de l’État dans le contexte de la démocratie mexicaine :

20  Le Mexique constitue une démocratie pour laquelle une présomption de protection de l’État s’applique, même si sa place dans l’« éventail démocratique » doit être appréciée pour déterminer quelle preuve crédible et digne de foi sera suffisante pour écarter cette présomption […].

 

21  Dans les démocraties développées comme les É.‑U. et Israël, il ressort clairement de l’arrêt Hinzman (aux paragraphes 46 et 57) que pour réfuter la présomption de la protection de l’État, cette preuve doit comprendre la preuve qu’un demandeur a épuisé tous les recours dont il disposait. Il est clair également que, sauf dans des circonstances exceptionnelles, il serait déraisonnable, dans de tels pays, de ne pas solliciter la protection de l’État avant de le faire au Canada.

 

22  La Cour ne croit pas que l’arrêt Hinzman signifie que cette conclusion s’applique à tous les pays, peu importe où il se trouve dans l’« éventail démocratique », ni qu’il décharge le décideur de son obligation d’apprécier la preuve présentée pour établir que, au Mexique par exemple, l’État n’est pas en mesure (bien qu’il le veuille) de protéger ses citoyens ou qu’il était raisonnable pour le demandeur de refuser de se prévaloir de cette protection. […]

 

 

[45]           Dans la décision Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1364, la juge Tremblay‑Lamer a déclaré ce qui suit :

[13]  […] même si l’État veut protéger ses citoyens, un demandeur remplira le critère du statut de réfugié si la protection offerte est inefficace. Un État doit donner réellement de la protection, et non simplement indiquer la volonté d’aider. Lorsque la preuve révèle qu’un demandeur a connu de nombreux incidents de harcèlement ou de discrimination ou à la fois de harcèlement et de discrimination sans que l’État le défende efficacement, la présomption joue, et on peut conclure que l’État veut peut‑être protéger le demandeur, mais qu’il ne peut le faire.

 

 

[46]           Dans la décision Medina c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 728, la juge Layden‑Stevenson s’est prononcée comme suit :

Indubitablement, il est loisible à la SPR de conclure que la protection de l’État existe au Mexique. Cela dit, le fait de tirer une telle conclusion en se fondant sur un résumé des conditions dans le pays (comme celles en l’espèce), sans plus, ne constitue pas une décision qui appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il va sans dire que les renseignements de la preuve documentaire sur les conditions dans le pays sur lesquels le tribunal se fonde pour conclure à l’existence de la protection de l’État devraient avoir une certaine pertinence quant à la demande. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

 

 

[47]           Finalement, bien que la Commission allègue avoir pris en compte les directives intitulées « Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe », directives données par le président en application du paragraphe 159(1) de la Loi (les lignes directrices), à mon avis, les motifs de la décision en l’espèce ne reflètent pas la situation particulière d’une femme maltraitée, plus particulièrement une femme qui a subi de la violence en raison de son sexe à un si jeune âge. Les lignes directrices prévoient que la revendicatrice doit montrer qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de solliciter la protection de son État et que cette analyse devrait tenir compte « du contexte social, culturel, religieux et économique dans lequel se trouve la revendicatrice. » En l’espèce, cette jeune femme affrontait une famille influente qui sabotait les efforts faits en vue de sa protection.

 

[48]           Bien que la demanderesse ait eu le fardeau de fournir « une preuve claire et convaincante » de l’incapacité de l’État d’assurer sa protection en raison de l’influence de cette famille, les lignes directrices prévoient que cette preuve peut prendre la forme « [d’]incidents personnels précédents lors desquels l’État n’a pas assuré sa protection », ce qui est la mesure de ce que l’on pouvait exiger que la demanderesse fournisse, compte tenu de sa situation.

 

[49]           En conséquence, j’accueillerai le contrôle judiciaire.

 

[50]           Aucune des parties n’a souhaité soumettre à mon attention une question grave de portée générale à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

[51]           LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


ANNEXE

 

 

Dispositions légales pertinentes

 

Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont pertinentes.

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, le commissaireship in a particular social group or political opinion,

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97.(1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

97.(1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑638‑08

 

INTITULÉ :                                       GEYCEL ARELI TORIZ GILVAJA

 

                                                            c.

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 FÉVRIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 JUIN 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack C. Martin

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ned Djordjevic

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack C. Martin

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.