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Date : 20090611

Dossier : IMM‑2338‑08

Référence : 2009 CF 597

Ottawa (Ontario), le 11 juin 2009

En présence de monsieur le juge O’Keefe

 

 

ENTRE :

NGOC TRANH HO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Le juge O’Keefe

 

[1]               Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), contre la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) rendue le 28 février 2006, qui a annulé le sursis au renvoi du demandeur, rejeté son appel, et ordonné que la mesure de renvoi soit exécutée dès que les circonstances le permettraient.

 

[2]               Le demandeur [traduction] « demande humblement » que la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire aboutisse. Le demandeur demande la certification de la question suivante :

[traduction]

Les sursis devraient‑ils toujours être considérés comme étant a priori moins satisfaisants qu’une décision d’accueillir ou de rejeter la demande, étant donné que les sursis créent toujours un fardeau opérationnel futur pour la Section alors que la décision d’accueillir ou de rejeter la demande ne le fait pas.

 

1.         Un bref de certiorari annulant la décision datée du 28 février 2006;

2.         Une ordonnance que l’on sursoie à toute tentative de renvoyer le demandeur du Canada, en attendant la résolution de la présente affaire devant la Cour;

3.         Toute réparation autre ou supplémentaire que mon avocat pourrait proposer et que la Cour jugerait appropriée.

 

Résumé des faits

 

[3]               Le demandeur, Ngoc Tranh Ho, est né le 18 septembre 1968 au Vietnam. Il est devenu résident permanent du Canada le 25 septembre 1984. Le demandeur a été marié au Canada et il a un fils, encore qu’il n’ait pas de relation suivie avec son fils en dehors des paiements de pension alimentaire.

 

[4]               Le 19 octobre 2000, la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (SI) a pris une mesure d’expulsion contre le demandeur parce qu’il avait été déclaré coupable de trois chefs d’accusation de trafic de stupéfiants et de trois chefs d’accusation de possession de produits de la criminalité, et qu’il avait été condamné à dix mois d’emprisonnement suivis de deux années de probation. Une mesure d’expulsion fut prise en octobre 2000. Invoquant des circonstances d’ordre humanitaire (CH), le demandeur a interjeté appel de la mesure d’expulsion auprès de la SAI en octobre 2000. Dans son appel, le demandeur ne contestait pas la validité de la mesure d’expulsion, mais il alléguait plutôt qu’en application de l’alinéa 70(1)b) de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2, eu égard aux circonstances particulières de l’espèce, il devrait se voir accorder des mesures spéciales, et qu’il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

 

[5]               La SAI a entendu l’appel le 20 août 2001. Une décision fut rendue le même jour. Dans sa décision, la SAI a conclu que la mesure d’expulsion du 19 octobre 2000 était conforme à la Loi, mais elle a ordonné que l’on sursoie à la mesure d’expulsion prise par le défendeur pendant quatre années jusqu’à ce qu’elle fasse un réexamen le 20 août 2005 ou aux alentours de cette date.

 

[6]               L’ordonnance de sursis était accompagnée de nombreuses conditions. Le demandeur devait notamment :

-         Rédiger un rapport à partir du 22 janvier 2002, au gestionnaire régional des appels en matière d’immigration de Citoyenneté et Immigration Canada, Centre d’exécution de la loi du Toronto métropolitain, Auditions et appels (le gestionnaire régional), et tous les deux mois après cette date‑là, soit un formulaire servant de rapport détaillé informant le ministère de Citoyenneté et Immigration Canada de son emploi, de ses conditions de logement, et de sa participation aux réunions des Alcooliques Anonymes, ou à tout autre programme de traitement de la toxicomanie, et précisant la date et le lieu de la réunion.

-         Informer la SAI par écrit, à l’avance, de tout changement d’adresse.

-         Ne pas troubler l’ordre public et avoir une bonne conduite.

-         Signaler IMMÉDIATEMENT par écrit toute déclaration de culpabilité au gestionnaire régional.

-         Faire des efforts raisonnables pour chercher et conserver un emploi à temps plein et signaler immédiatement tout changement d’emploi.

-         Participer à un programme de traitement de la toxicomanie tel que les Alcooliques Anonymes, au moins une fois par mois. NOTE : SI VOUS RETIREZ VOTRE CONSENTEMENT À LA CONDITION ÉNONCÉE CI‑DESSUS, VOUS DEVEZ IMMÉDIATEMENT PRÉSENTER UNE DEMANDE À LA SAI POUR QUE CETTE CONDITION SOIT Révoquée.

-         Respecter toutes les conditions de la libération conditionnelle et toutes les décisions des cours.

-         Ne pas s’associer sciemment à des personnes qui ont un casier judiciaire ou qui participent à des activités criminelles.

-         Ne pas être propriétaire ou en possession d’armes offensives ou d’imitation de telles armes.

-         S’abstenir de toute vente ou usage illégal de drogues.

-         Ne pas troubler l’ordre public, avoir une bonne conduite et ne pas commettre d’autres infractions criminelles.

 

[7]               En janvier 2006, la SAI a tenu une audience de réexamen du sursis à la mesure d’expulsion prise par le défendeur. Le 28 février 2006, la SAI a mis fin au sursis du demandeur et rejeté son appel interjeté contre la mesure d’expulsion. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

Les motifs de la SAI

 

[8]               La Commission a conclu qu’il incombait au demandeur d’établir que la mesure spéciale « [était] encore justifiée » et « de donner les raisons pour lesquelles il ne devrait pas être renvoyé du Canada ». Le commissaire a commencé par souligner les nombreux facteurs dont la SAI doit tenir compte lorsqu’elle exerce son pouvoir discrétionnaire dans des appels de mesure de renvoi, facteurs parmi lesquels figure l’intérêt supérieur de l’enfant. La Commission cite la décision Ribic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. n4 (QL), et l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, à cet égard. Ces facteurs comprennent :

a)      la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de la mesure de renvoi;

b)      la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité;

c)      la période passée au Canada et le degré d’établissement de l’appelant;

d)      la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille;

e)      le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité;

f)        l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité.

 

[9]               La Commission a conclu qu’après avoir examiné ces facteurs, elle était d’accord avec le défendeur que la mesure spéciale n’était plus justifiée, et que malgré le sursis de quatre années qui lui avait été accordé, le demandeur ne s’était pas totalement réadapté, et qu’il y avait toujours un risque de récidive.

 

[10]           La Commission a conclu que vu les infractions antérieures à la mesure d’expulsion, et les déclarations de culpabilité ultérieures pour conduite avec facultés affaiblies, et le refus de fournir un échantillon, de même que les infractions de violation du droit de propriété et d’excès de vitesse, « [l]a criminalité globale dans cette affaire est grave ». La Commission a déclaré que les infractions pour violation du droit de propriété et pour excès de vitesse constituaient une violation des conditions qui avaient été imposées par la SAI, de « ne pas troubler l’ordre public, avoir une bonne conduite et ne pas commettre d’autres infractions criminelles ».

 

[11]           La Commission s’est ensuite penchée sur la question de l’usage de drogue et d’alcool, et les conditions imposées au demandeur par la SAI de se soumettre à un traitement au moins une fois par mois. La Commission n’a pas été convaincue « que l’appelant a suivi un tel programme ou, s’il l’a fait, qu’il l’a pris au sérieux », parce que le demandeur n’a fourni aucun document corroborant sa participation à un programme quelconque de traitement de la toxicomanie. La Commission a aussi conclu qu’il était peu vraisemblable que le demandeur avait « suivi et apprécié un programme de traitement » parce que lors de l’audition de son appel, il a avoué qu’il n’avait jamais entendu parler d’un lien entre l’abus d’alcool et l’usage de crack. Le commissaire a conclu, selon la prépondérance de la preuve, que le demandeur n’avait pas non plus respecté les conditions de son sursis relativement à consommation de cocaïne.

 

[12]           La Commission a conclu que le demandeur n’était pas établi culturellement et financièrement au Canada, malgré sa présence ici depuis plus de 20 ans. En particulier, la Commission a fait observer que le demandeur n’était pas en mesure de communiquer dans l’une ou l’autre des langues officielles du Canada pendant l’audience, et elle a aussi fait observer que le demandeur occupait surtout des emplois rémunérés au salaire minimum.

 

[13]           Selon la Commission, son retour au Vietnam ne causerait pas au demandeur de grandes difficultés. Il pourrait trouver au Vietnam des emplois semblables rémunérés au salaire minimum.

 

[14]           En ce qui a trait aux facteurs liés à la famille, la Commission a soupesé les différentes responsabilités familiales du demandeur et les relations existantes dans sa vie. Le commissaire a noté que le demandeur avait plus de famille au Vietnam qu’au Canada, notant cependant qu’il avait un enfant de 15 ans au Canada qu’il soutenait financièrement, même s’il n’avait pas avec lui une réelle relation suivie. La Commission a noté que le demandeur avait une autre relation importante dans sa vie, relation qu’il avait créée avec sa conjointe de fait et les enfants de celle‑ci.

 

[15]           Malgré l’existence de liens familiaux, la Commission a néanmoins conclu, dans son analyse, que les facteurs négatifs étaient considérablement plus nombreux que les facteurs positifs.

 

Les questions en litige

 

[16]           Le demandeur a demandé l’examen des questions suivantes :

1.         Au vu du dossier, le commissaire a‑t‑il commis une erreur? A‑t‑il commis une erreur de fait lorsqu’il a rejeté l’appel le 28 février 2006?

2.         Le commissaire est‑il sorti de son champ de compétence? A‑t‑il tenu compte de facteurs non pertinents lorsqu’il a rejeté l’appel le 28 février 2006?

 

[17]           Je reformulerais les questions de la façon suivante :

            1.         Quelle est la norme de contrôle?

2.         La SAI a‑t‑elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a examiné la preuve relative à la violation des conditions du sursis au renvoi?

3.         La SAI a‑t‑elle commis une erreur de droit lorsqu’elle a décidé que les sursis devraient toujours être considérés comme étant a priori moins satisfaisants qu’une décision de rejeter ou d’accueillir la demande?

 

Les observations du demandeur

 

[18]           La raisonnabilité est la norme de contrôle lorsqu’on examine les décisions qui requièrent un pouvoir discrétionnaire exercé pour l’octroi d’une réparation, et elles devraient être assujetties à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Le demandeur fait valoir que les questions de droit, telles que l’examen par la SAI de l’application des facteurs exposés dans la décision Ribic à la preuve, sont susceptibles de contrôle selon la décision correcte.

 

[19]           Dans le présent contrôle judiciaire, le demandeur soulève deux questions. La première est que la SAI a fait des erreurs [traduction] « fondamentales » lorsqu’elle a examiné la preuve. La deuxième est que la Commission a erronément rendu sa décision sur la base d’une norme juridique qui n’existe pas.

 

[20]           Premièrement, le demandeur conteste en particulier les conclusions que la Commission a tirées à l’audience quant à sa consommation prétendue de crack et d’alcool. Le demandeur note l’extrait suivant :

[traduction]

Le commissaire : Quand avez‑vous pris du crack pour la dernière fois?

 

Réponse : En 1997/1998.

 

Le commissaire : Voyez‑vous un lien quelconque entre l’alcool et le crack?

 

Réponse : Je ne comprends pas votre question – pouvez‑vous s’il vous plaît expliquer cela davantage…

 

Le commissaire : Bien, je pose les questions... quelqu’un vous a‑t‑il déjà dit que la consommation de cocaïne peut être déclenché par l’abus d’alcool?

 

Réponse : Non je n’ai jamais entendu cela.

 

Le commissaire : Personne ne vous l’a jamais dit?

 

Réponse : Non.

 

Le commissaire : Je vois.

 

Contre‑interrogatoire par M. Consky : Depuis 2001, avez‑vous bu de l’alcool sur une base régulière ou occasionnelle?

 

Réponse : Seulement le jour de l’An – 1 ou 2 bouteilles.

 

M. Consky : 1 ou 2 bouteilles de quoi?

 

Réponse : Bouteilles de bière.

 

 

[21]           Le demandeur s’insurge particulièrement contre la conclusion tirée par la Commission à partir de son témoignage, et il déclare qu’il s’agit d’une conclusion abusive, incorrecte et non fondée. Le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle s’est servie de cet élément de preuve pour conclure qu’il prenait du crack pendant la période de son sursis et de son appel. La conclusion d’après laquelle il n’avait pas participé à un traitement contre l’usage de drogue et l’abus d’alcool constituait la deuxième erreur mentionnée dans les observations du demandeur. Le demandeur fait valoir que l’unique question et l’unique réponse relative à sa méconnaissance du lien entre l’abus d’alcool et l’usage de crack ne rend pas invraisemblable sa participation à un traitement contre la toxicomanie; quoi qu’il en soit, il a fourni des documents.

 

[22]           Le demandeur donne à entendre qu’il y a de nombreux autres problèmes relatifs à l’analyse de la preuve par la Commission, par exemple, certains facteurs n’ont pas été examinés du tout, telle l’infraction qui a mené à l’expulsion.

 

[23]           Enfin, le demandeur fait valoir que le commissaire a commis une erreur [traduction] « lorsqu’il a pris en considération le fardeau du sursis » et qu’il est ainsi sorti de son champ de compétence. La façon dont le commissaire a compris le but du sursis constitue une erreur de droit, elle est incorrecte, et elle n’est pas étayée par la loi ou les politiques.

 

Les observations du défendeur

 

[24]           Le défendeur soutient que les conclusions de fait sont contrôlées avec une grande retenue, et donc que la norme de contrôle est la raisonnabilité (voir Bielecki c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 442, et Thach c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 834), et qu’elles sont assujetties à l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales. Le défendeur souligne la jurisprudence et la loi dans le domaine des décisions de la SAI portant sur le sursis des mesures de renvoi. Le droit et les principes relatifs aux appels à la SAI ont été exposés dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Stephenson, 2008 CF 82. Sur le plan jurisprudentiel, la décision Chieu a été citée quant à l’obligation qui pèse sur le résident permanent contre qui une mesure d’expulsion a été prononcée, d’établir pourquoi il devrait être autorisé à rester au Canada. Les facteurs exposés dans la décision Ribic, précitée, sont aussi mentionnés dans l’analyse du défendeur.

 

[25]           Le défendeur soutient que depuis l’arrivée du demandeur au Canada, il s’est associé à une [traduction] « importante et grande » criminalité tant avant la décision de la SI de l’expulser qu’après la décision de la SAI, qui a prononcé le sursis à son renvoi sous conditions, et l’a assorti d’un réexamen après quatre années.

 

[26]           Les conditions les plus importantes de la décision de la SAI étaient les suivantes : (i) participer à un programme de traitement contre la toxicomanie; (ii) ne pas troubler l’ordre public, avoir une bonne conduite et ne pas commettre d’autres infractions criminelles.

 

[27]           Le défendeur note que dans la décision Stephenson, précitée, la juge Dawson a récemment conclu qu’il était loisible à la SAI décider si des infractions au Code de la route de l’Ontario tel l’excès de vitesse étaient des questions relatives à « ne pas troubler l’ordre public et […] avoir une bonne conduite ».

 

[28]           Le défendeur soutient que contrairement à ce qui est allégué dans les observations du demandeur, la SAI savait que le demandeur n’avait pas eu d’autres déclarations de culpabilité au criminel après 2001, et elle l’a déclaré dans ses motifs et que, même si la Commission a commis une erreur quant à la date à laquelle l’infraction de violation du droit de propriété s’est produite, ce n’était pas une erreur importante.

 

[29]           En ce qui a trait à la décision relative aux efforts de réadaptation du demandeur, le défendeur soutient que la SAI avait ordonné qu’il participe à un programme de traitement contre la toxicomanie parce que le demandeur avait reconnu, lors de son appel en août 2001, qu’il avait consommé de la cocaïne. Le défendeur soutient qu’il était raisonnable de conclure que le demandeur n’avait pas participé au programme. Cependant, même si une telle supposition a été faite, on peut soutenir que le demandeur n’a pas pris au sérieux sa participation au programme, puisqu’il a dit qu’il y est allé seulement une fois par mois pendant six mois, et qu’il n’a pas été en mesure de produire la preuve documentaire étayant son allégation.

 

[30]           Les facteurs famille et degré de difficulté en cas de retour au Vietnam étaient une autre partie de l’analyse pour laquelle le défendeur soutient que les conclusions de la Commission étaient basées sur la preuve, et qu’elles étaient raisonnables.

 

Analyse et décision

 

[31]           Première question

      Quelle est la norme de contrôle?

            L’année dernière, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a clarifié l’approche et les normes à appliquer lors du contrôle des décisions administratives.

 

[32]           L’approche consiste à déterminer si la jurisprudence a déjà établi, dans des situations semblables, la norme de contrôle à appliquer. Les questions soulevées par le demandeur incluent non seulement un examen des faits avancés dans les documents, mais aussi la façon dont ces faits devraient être examinés au regard des lois fédérales, sous le régime à la fois de la Loi sur les Cours fédérales et de la LIPR, et de leur interprétation dans la jurisprudence pertinente. Depuis l’arrêt Dunsmuir, précité, il y a déjà eu de nombreuses décisions sur la norme de contrôle à appliquer aux questions mixtes de fait et de droit, y compris Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1064, et Erdogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 546, ces décisions faisant ressortir un consensus pour la norme de raisonnabilité. Par conséquent, la question soulevée par le demandeur est susceptible de contrôle selon la raisonnabilité.

 

[33]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, précité, la raisonnabilité a été énoncée de la façon suivante :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables.  Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables.  La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité.  Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[34]           Le demandeur soulève aussi des questions de droit dans le présent contrôle, en particulier le commentaire de la Commission dans sa décision, qui donne à penser que les décisions d’accueillir ou de rejeter une demande sont préférables au sursis. Je suis d’accord que cette question est susceptible de contrôle selon la décision correcte : il s’agit de déterminer si le principe existe ou non en droit. Toutefois, la question précédente est susceptible de contrôle selon la raisonnabilité, étant donné qu’il y a imbrication de la preuve et du droit, comme dans l’arrêt Dunsmuir, précité.

 

[35]           Deuxième question

            La SAI a‑t‑elle commis une erreur de fait lorsqu’elle a examiné la preuve relative à la violation des conditions du sursis au renvoi?

            En l’espèce, lorsqu’elle a rendu sa décision, la Commission semble s’être principalement concentrée sur les facteurs relatifs à l’abus d’alcool, à l’usage de drogue et à la criminalité. Le demandeur fait valoir qu’il y avait soit des erreurs de fait, soit des erreurs dans l’analyse de ces faits.

 

[36]           La grande criminalité occupe une place importante dans la décision. Le demandeur fait valoir que les infractions à la circulation n’équivalent pas à de la grande criminalité. Sur la base des faits en l’espèce, je suis d’accord. Le simple fait qu’une personne a été déclarée coupable d’excès de vitesse ne mène pas en soi à la conclusion de grande criminalité. L’autre infraction mentionnée par la Commission était une infraction de violation au droit de propriété, qui avait eu lieu avant que l’ordonnance de sursis prenne effet.

 

[37]           La Commission donne ensuite à entendre qu’elle n’est pas convaincue que le demandeur s’est réadapté de ses problèmes de drogue et d’alcool. Selon moi, les documents présentés par le demandeur sur son traitement, à la suite des conditions de son sursis de suivre un traitement une fois par mois, ne sont pas assez détaillés. Aussi, le demandeur devait fournir des rapports tous les deux mois, relativement à sa réadaptation, et il devait aussi informer les fonctionnaires de l’immigration s’il arrêtait son traitement; rien de cela n’a été fait. Toutefois, ce n’est pas sur cela que la Commission a tiré ses conclusions. La Commission s’est plutôt concentrée sur le témoignage du demandeur à l’audience sur sa connaissance de l’existence d’un lien entre l’abus d’alcool et l’usage de crack. Je ne puis pas admettre cela comme étant raisonnable. Il n’y a aucun indice que le demandeur continue à avoir des problèmes à cet égard, à part une évaluation nébuleuse de la compréhension du demandeur sur les abus, d’un point de vue clinique. Bien que les conclusions de fait doivent faire l’objet d’un degré élevé de retenue, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie pour ce motif. La décision de la Commission, basée en partie sur une telle conclusion, n’était pas raisonnable.

 

[38]           En raison de ma conclusion sur cette question, je n’examinerai pas de l’autre question.

 

[39]           Le défendeur ne m’a pas proposé de question à certifier. Le demandeur a proposé la certification de la question exposée ci‑dessus. Je ne suis pas disposé à certifier la question, puisqu’elle n’est pas déterminante de l’issue de la présente affaire.

 

[40]           Le demandeur a demandé que les dépens lui soient adjugés; cependant, je ne suis pas disposé à adjuger les dépens parce que j’estime qu’il n’existe pas de raisons particulières pour ce faire.

 


 

JUGEMENT

 

[41]           LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen à un tribunal de la SAI différemment constitué.

            2.         Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

« John A. O’Keefe »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 


 

ANNEXE

 

Dispositions légales pertinentes

 

 

Le paragraphe 63(2), l’article 66, les paragraphes 67(1), 68(1), (2) et (3) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, sont libellés de la façon suivante :

63. [ . . .]

 

(2) Le titulaire d’un visa de résident permanent peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

63. . . .

 

(2) A foreign national who holds a permanent resident visa may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

66. Il est statué sur l’appel comme il suit :

 

66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall

 

a) il y fait droit conformément à l’article 67;

 

(a) allow the appeal in accordance with section 67;

 

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

 

(b) stay the removal order in accordance with section 68; or

 

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

 

(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.

 

67.(1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

67.(1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

[. . .]

 

. . .

 

68.(1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

68.(1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

 

(2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order

 

(a) it shall impose any condition that is prescribed and may impose any condition that it considers necessary;

 

(b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled;

 

(c) it may vary or cancel any non-prescribed condition imposed under paragraph (a); and

 

(d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.

 

(3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

 

(3) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order, it may at any time, on application or on its own initiative, reconsider the appeal under this Division.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM‑2338‑08

 

INTITULÉ :                                             NGOC TRANH HO

c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     le 5 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    le juge O’KEEFE

 

DATE DES MOTIFS :                            le 11 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mary Lam

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mary Lam

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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