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Date : 20090910

Dossier : IMM-4891-08

Référence : 2009 CF  607

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ALAIN ANGE KINYOMVYI

demandeur

 

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 14 octobre 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Tribunal), de ne pas lui reconnaître la qualité de « réfugié », ni celle de « personne à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi et, en conséquence, d’avoir rejeté sa demande d’asile.

 

II.         Les faits

[2]               Citoyen du Burundi, le demandeur allègue craindre d’être persécuté par les membres d’un mouvement rebelle opposé à son travail au sein d’une agence gouvernementale agissant contre la déforestation du Burundi.

 

[3]               Le demandeur, Alain Ange Kinyomvyi, citoyen du Burundi, aurait participé dès 1998 comme bénévole aux activités de l’Organisation pour la Défense de l’Environnement au Burundi (ODEB). Selon son formulaire de renseignements personnels (FRP), il aurait commencé à travailler pour l’ODEB, à compter de novembre 2003, comme chargé de programme, et à compter d’avril 2004 il aurait été « Chargé de Finances » affecté à la collecte des statistiques forestières et à la sensibilisation de la population burundaise aux problèmes de l’environnement. 

 

[4]               En juin 2006, le demandeur serait allé vérifier sur place un rapport de déforestation massive dans la région de Kayokwe. Après avoir constaté la véracité du rapport, le demandeur aurait identifié un coupable. De retour à Bujumbara, le demandeur aurait signalé le délit à la police responsable de la protection de l’environnement; après avoir fait enquête, celle-ci aurait finalement réussi à arrêter les auteurs de cet abattage illégal d’arbres.

 

[5]               Deux semaines plus tard, le demandeur aurait commencé à recevoir des menaces téléphoniques anonymes et en aurait informé la police pour obtenir protection. Mais le demandeur aurait continué à recevoir des menaces par la suite, et ce, jusqu’à son départ vers les États-Unis, le 25 février 2007, pour assister à une conférence du Conseil économique et social des Nations Unies à New York.

 

[6]               Après la conférence, soit le 2 mars 2007, le demandeur se serait dirigé vers la frontière pour y demeurer sans demander l’asile au pays hôte de la conférence, préférant venir Canada, le 2 avril 2007, pour revendiquer le statut de réfugié.

 

III.       Décision contestée

[7]               Le Tribunal n’a pas cru les allégations de persécution du demandeur, car il ne l’a pas trouvé crédible. Cette conclusion quant à la crédibilité tient essentiellement sur une contradiction quant à la date de commencement du travail du demandeur et son incapacité d’expliquer clairement la nature du travail effectué au sein de l’ODEB et les méthodes statistiques mises en œuvre.

 

IV.       Question en litige

[8]               La Cour retient une seule question :

Le Tribunal a-t-il commis une erreur déraisonnable en appuyant sa conclusion négative, quant à la crédibilité du demandeur, sur une contradiction secondaire aux motifs invoqués par celui-ci pour sa demande d’asile, et sans lui donner la moindre occasion d’expliquer celle-ci?

 

V.        Analyse

Norme de contrôle judiciaire

[9]               La décision du Tribunal repose sur l’absence de crédibilité du demandeur. Il est bien établi que l’évaluation de la crédibilité des témoins relève de la compétence du Tribunal, et que celui-ci possède une expertise nécessaire pour analyser et apprécier les questions de fait lui permettant d’évaluer la crédibilité ainsi que la crainte subjective de persécution d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (1re inst.) (QL), au paragraphe 14).

 

[10]           Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire portant sur des questions de crédibilité, il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable définie par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190. De sorte que la Cour doit faire montre d’une grande retenue, puisqu’il appartient au Tribunal d’apprécier le témoignage d’un demandeur et d’évaluer sa crédibilité. Si les conclusions du Tribunal sont raisonnables, il n’y a pas lieu d’intervenir. Toutefois, la décision du Tribunal doit s’appuyer sur la preuve; elle ne doit pas être prise arbitrairement sur la base de conclusions de fait erronées, sur des détails secondaires et dans l’ignorance d’importants éléments de preuve présentés (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38).

 

 

 

Décision déraisonnable

[11]           Le demandeur a raison de se plaindre du principal motif qu’on lui oppose pour attaquer sa crédibilité et qui fait dire au Tribunal qu’il « va au cœur de la revendication [d’asile] et mine sa crédibilité ». La date exacte du début du travail du demandeur n’a rien à voir avec les motifs qui amènent le demandeur à réclamer l’asile au point de miner irrémédiablement sa crédibilité. Il semble plutôt que le Tribunal trouve ici un faux prétexte pour sauter rapidement à une conclusion qu’une analyse plus minutieuse de la preuve lui aurait permis d’éviter.

 

[12]            De plus, la Cour est d’avis que la contradiction retenue par le Tribunal n’est pas aussi claire que l’affirme celui-ci, lorsqu’on prend soin de bien analyser la preuve au dossier. Si le Tribunal voyait une contradiction à ce point importante au niveau des dates d’emploi du demandeur, pourquoi ne pas lui avoir donné l’occasion d’expliquer les renseignements déjà au dossier, et plus précisément, dans le FRP tel que complété par l’exposé circonstancié : en 1998, travail volontaire pour l’ODEB ; fin novembre 2003 au 24 février 2007, chargé de programme.

 

[13]           Et que dit l’attestation d’emploi de l’ODEB (D-3) qui viendrait contredire le FRP : uniquement que « depuis avril 2004 jusqu’à ce jour (23/02/2007) » le demandeur travaille pour l’ODEB « en qualité de Chargé de Finances, mais également de la collecte des statistiques forestières et de la sensibilisation de la population aux problèmes de l’environnement au Burundi ». La Cour comprend mal que l’attestation d’emploi de l’ODEB, qui confirme qu’à partir d’une certaine date le demandeur a occupé pour l’organisme une fonction autre que les fonctions qu’il occupait antérieurement et qu’il avait déclarées dans son FRP, puisse constituer une contradiction importante, étant donné que l’attestation de l’ODEB et les renseignements du FRP ne parlent pas des mêmes périodes d’emploi. À tout le moins et si le Tribunal avait un doute ou comprenait mal les deux sources d’informations, encore aurait-il fallu donner au demandeur l’occasion de s’expliquer, avant de tirer une inférence négative importante quant à la crédibilité du demandeur. Le Tribunal aurait peut-être pu ainsi corriger sa mauvaise compréhension de la preuve à ce sujet.

 

[14]           Malgré toute la déférence due à la décision du Tribunal, la Cour ne peut faire autrement que de conclure que dans l’espèce il était déraisonnable pour lui d’accorder une telle importance à la contraction qu’il percevait, sans donner au demandeur l’occasion de s’expliquer. De plus, la Cour ne voit aucune contradiction dans la preuve offerte par le demandeur et concernant ses dates d’emploi et fonctions occupées. Cette preuve ne permettait pas au Tribunal de conclure comme il le fait dans sa décision sans motif valable que « pareille contradiction […] va au cœur de la revendication et mine sa crédibilité ».

 

[15]           Le Tribunal a également soulevé dans sa décision l’incapacité du demandeur de décrire clairement la nature du travail qu’il effectuait pour l’ODEB et les méthodes statistiques qu’il utilisait.

 

[16]           La description du demandeur quant à ses activités par rapport à ses contacts avec les gens de divers villages et de ses efforts pour les sensibiliser aux problèmes environnementaux, n’est pas nécessairement la plus éloquente. Toutefois, la Cour est d’avis que le Tribunal a nettement exagéré la portée des quelques hésitations, imprécisions ou contradictions apparentes qu’elle a pu déceler dans les propos du demandeur. Le Tribunal semble oublier que le travail du demandeur s’exerçait sur le terrain dans un milieu plus qu’ordinaire où l’éloquence n’était pas nécessairement le lot de tous. Il arrive que des personnes bien renseignées expriment difficilement leur bagage d’expérience et de connaissances, ce qui n’empêche pas pour autant ces personnes d’être qualifiées pour le travail qu’on leur demande d’effectuer. Le demandeur n’était peut-être pas le meilleur pédagogue de l’ODEB, mais le Tribunal ne pouvait trouver prétexte de ce fait pour conclure « qu’il ne peut avoir subi les incidents qu’il allègue » et rejeter du même souffle et sans motif valable toute la preuve documentaire qui corrobore le demandeur quant à ces incidents.

 

[17]            Il n’en demeure pas moins que le Tribunal s’est basé sur des détails secondaires et non suffisants pour ne retenir aucune crédibilité au demandeur. En se fixant sur des détails sans véritable conséquence sur l’objet de la revendication, le Tribunal semble avoir oublié l'essentiel de ce sur quoi le demandeur fondait celle-ci, ce qu’il ne devait pas faire (Afonso c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 51 citant Asad Javed Sheikh c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, (IMM-315-99, 25 avril 2000).

 

[18]           Rien ne justifiait le Tribunal d’ignorer la lettre en date du 28 août 2006 du ministère de la Justice de Mwaro produite comme preuve corroborative qui confirme les menaces faites au demandeur lors de l’incident ci-haut rapporté et la plainte retenue contre l’auteur de ces menaces. Rien ne justifiait de plus le Tribunal d’écarter du revers de la main le rapport de l’ODEB qui fait état d’attaques contre le demandeur.

 

[19]            Même en admettant la justesse de la conclusion du Tribunal portant sur la crédibilité du demandeur, que la Cour ne partage pas, celui-ci n’était pas pour autant exempté de l’analyse et de l’évaluation des éléments de preuve qui pouvaient supporter la demande de protection du demandeur. Il est en effet de jurisprudence constante qu’une conclusion défavorable relativement à la crédibilité tirée dans le cadre d’une analyse fondée sur l’article 96 de la Loi ne tranche pas nécessairement les questions soulevées par l’article 97 de la Loi : Ozdemir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1242 (QL); Kandiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 275 (QL); Bouaouni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1540 (QL).

 

[20]           Autrement dit, un demandeur peut ne pas être totalement crédible lors de son témoignage et malgré tout être exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture, dépendamment de la situation dans le pays et d’autres critères objectifs. Dans son empressement à trouver le demandeur non crédible pour des motifs que la Cour juge insuffisants et déraisonnables, le Tribunal ne s’est pas prêté à cet exercice et a erré de façon déraisonnable.

 

VI.       Conclusion

[21]           Pour tous ces motifs, la demande en révision judiciaire sera accueillie. Et puisqu’aucune question importante de portée générale n’a été proposée ou mérite de l’être, aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

            ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire;

ANNULE la décision du 14 octobre 2008; et

RENVOIE l’affaire à un tribunal de la Commission différemment constitué pour réexamen.

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4891-08

 

INTITULÉ :                                      ALAIN ANGE KINYOMVYI c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 5 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 10 juin 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Négar Achtari

 

POUR LE DEMANDEUR

Agnieszka Zagorska

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Négar Achtari

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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