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Federal Court

Cour fédérale

 

Date : 20090604

Dossier : IMM‑5352‑08

Référence : 2009 CF 589

Toronto (Ontario), le 4 juin 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

NADIYA KROHMALNIK

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ, DE L’IMMIGRATION

ET DU MULTICULTURALISME

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mme Nadiya Krohmalnik sollicite le contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue dans le cadre de sa demande d’examen des risques avant renvoi (la demande d’ERAR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’agent d’immigration a commis une erreur dans l’examen de la demande d’ERAR de Mme Krohmalnik. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

 

Le contexte

 

[3]               Mme Krohmalnik est âgée de trente‑deux ans et est citoyenne de l’Ukraine; elle est arrivée au Canada munie d’un visa de visiteur il y a environ 11 ans. En 2003, Mme Krohmalnik a épousé M. Haim Krohmalnik, citoyen canadien. Le couple a eu un fils nommé David la même année. Malheureusement, M. Krohmalnik est décédé l’année suivante.

 

[4]               M. Krohmalnik a essayé de parrainer Mme Krohmalnik. Les parties ne s’entendent pas sur l’issue de la demande de parrainage, mais tous conviennent qu’elle n’a pas été accueillie.

 

[5]               Après le décès de son époux, Mme Krohmalnik a présenté une demande d’ERAR ainsi qu’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (la demande CH). Les deux demandes ont été rejetées par le même agent. La demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable portant sur la demande CH de Mme Krohmalnik a été entendue en même temps que la présente demande, mais elle fait l’objet de motifs distincts.

 

[6]               La demande d’ERAR de Mme Krohmalnik était fondée sur le risque auquel Mme Krohmalnik et David seraient exposés en Ukraine en raison de leur nom de famille juif, de l’idée qu’elle aurait trahi ses origines en mariant un juif, de la religion de David, qui est juif, et de son statut de mère d’un enfant juif. En outre, Mme Krohmalnik affirme qu’elle serait exposée à un risque en Ukraine parce que, en tant que femme, elle ferait face à de la discrimination en milieu de travail équivalant à de la persécution.

 

[7]               Enfin, Mme Krohmalnik a allégué qu’elle serait exposée à un risque d’extorsion en Ukraine parce qu’elle a hérité d’une grande somme d’argent de son défunt époux. Mme Krohmalnik ne conteste pas la conclusion défavorable tirée par l’agent en ce qui cette dernière allégation de risque.

 

 

Analyse

 

[8]               En ce qui concerne le risque allégué d’antisémitisme en Ukraine, l’agent a renvoyé à un rapport produit en 2006 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui mentionnait que les incidents antisémites ayant eu lieu en Ukraine n’avaient pas changé la vie des juifs dans un certain nombre de villes d’Ukraine. L’agent a également cité le directeur d’une organisation juive à Kiev, qui a affirmé [traduction] « qu’il serait faux d’affirmer qu’aujourd’hui il existe une menace directe à la vie des juifs ou que l’existence de la communauté juive en tant qu’entité est directement menacée ».

 

[9]               Bien qu’il note qu’il y ait eu une augmentation des actes de violence contre les juifs en 2007, l’agent a mentionné la création d’une unité spéciale au sein des Services de sécurité de l’Ukraine, laquelle vise à s’attaquer au racisme. L’agent a par la suite conclu que [traduction] « [m]algré les incidents antisémites en Ukraine, les sources n’établissent pas que toutes les personnes de religion juive et celles qui sont associées aux juifs ont systématiquement fait l’objet de discrimination ou d’agressions et qu’elles sont exposées à un risque dans le pays. En outre, les sources montrent que le gouvernement de l’Ukraine continue de prendre des mesures afin de s’attaquer à ce problème ».

 

[10]           Les conclusions de l’agent sur les questions antisémites en Ukraine renferment plusieurs problèmes.

 

[11]           Premièrement, la déclaration suivante de l’agent est très troublante : [traduction] « […] les sources n’établissent pas que toutes les personnes de religion juive et celles qui sont associées aux juifs ont systématiquement fait l’objet de discrimination ou d’agressions et qu’elles sont exposées à un risque dans le pays. » Il est évident qu’il n’est pas nécessaire qu’un demandeur d’ERAR établisse que tous les membres de sa religion vivant dans le pays en question ont fait l’objet de persécution. Vu la déclaration citée ci‑dessus, il semble que l’agent d’ERAR ait imposé un fardeau beaucoup trop lourd à Mme Krohmalnik en ce qui concerne la question du risque.

 

[12]           Le second problème concerne les conclusions de l’agent portant sur la fréquence des agressions antisémites et sur les mesures prises par le gouvernement de l’Ukraine afin de s’attaquer au problème de l’antisémitisme.

 

[13]           L’agent disposait d’éléments de preuve récents, à savoir un rapport d’Amnistie internationale de 2008 portant sur la discrimination fondée sur la race en Ukraine, lequel brosse un tableau beaucoup plus sombre de la situation des juifs en Ukraine que d’autres documents plus anciens portant sur la situation au pays sur lesquels s’est fondé l’agent. Ce rapport révèle qu’au cours des deux dernières années il y a eu une augmentation alarmante des agressions violentes contre les minorités religieuses, notamment contre les juifs. Ce rapport mentionne également que ces agressions ont été commises non seulement par des membres du public, mais également par des fonctionnaires tels que des agents de police.

 

[14]           Même si l’agent ne conclut pas expressément que les membres de la minorité juive en Ukraine peuvent bénéficier de la protection de l’État, cette conclusion peut être inférée de sa déclaration selon laquelle le gouvernement prend des mesures afin de s’attaquer au problème de l’antisémitisme dans ce pays. Bien que cette déclaration puisse être vraie dans une certaine mesure, l’agent disposait d’une preuve soulevant de sérieux doutes quant à savoir si les mesures ont fait en sorte que les membres de la communauté juive de l’Ukraine pouvaient bénéficier d’une protection adéquate.

 

[15]           Le rapport d’Amnistie internationale de 2008, soit la preuve en question, conclut en mentionnant que [traduction] « [l’]omission d’appliquer la loi en vigueur, ce à quoi s’ajoute l’omission de la police de reconnaître la gravité des crimes fondés sur la race et de réagir de façon adéquate, fait en sorte que les criminels jouissent d’une quasi‑immunité » [non souligné dans l’original]. Le rapport mentionne ensuite que [traduction] « [l]a police doit jouer un rôle positif dans le combat contre la discrimination fondée sur la race, cependant, en Ukraine les personnes sont exposées à des violations des droits de la personne aux mains de la police en raison de leur race, de leur ethnie ou de leur religion ».

 

[16]           Il incombe clairement à l’agent d’ERAR d’apprécier les renseignements dont il dispose et qui portent sur les questions du risque et de l’existence de la protection de l’État. Cependant, si, comme en l’espèce, il existe d’importants éléments de preuve qui vont directement à l’encontre de la conclusion tirée par l’agent sur un point fondamental, l’agent est tenu d’analyser ces éléments de preuve et d’expliquer pourquoi il en privilégie d’autres sur le point en question : Cepeda‑Gutierrez c. Canada (M.C.I.) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.). L’omission de l’agent d’examiner ces éléments de preuve a pour conséquence que la justification, la transparence et l’intelligibilité que commande la décision raisonnable font défaut dans la décision.

 

[17]           Vu ma conclusion sur la présente question, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres observations de Mme Krohmalnik.

 

 

Conclusion

 

[18]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

Certification

 

[19]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

 

            2.         qu’aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean‑François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM‑5352‑08

 

 

INTITULÉ :                                                               NADIYA KROHMALNIK c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ, DE L’IMMIGRATION ET DU MULTICULTURALISME

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 2 JUIN 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 4 JUIN 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeremiah Eastman                                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

Alison Engel‑Yan                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Eastman Law Office Professional Corporation               POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)                                                        

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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