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Cour Fédérale

 

 

 

 

 

 

 

 

Federal Court


 

Date : 20090527

Dossier : T-1474-08

Référence : 2009 CF 549

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

FERAS SADEK et LAMIS BARAKHE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration interjette appel de la décision d’un juge de la citoyenneté qui a attribué la citoyenneté à Feras Sadek et à Lamis Barakhe. Selon le ministre, le juge a commis une erreur en concluant que le couple répondait aux conditions de résidence prévues par l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, c. C-29.

 

[2]               Pour les motifs exposés ci-après, je suis convaincue que le juge de la citoyenneté n’a pas commis d’erreur comme il est allégué. Par conséquent, l’appel sera rejeté.

 

Les faits

 

[3]               Les défendeurs sont des citoyens de la Syrie. Ils sont venus au Canada avec leurs deux enfants le 12 avril 2003, et sont devenus des résidents permanents. Ils sont retournés en Syrie deux semaines plus tard afin de régler leurs affaires dans ce pays et sont revenus au Canada le 11 septembre 2003. La famille a alors acheté une maison à Calgary.

 

[4]               Incapable de trouver du travail au Canada, M. Sadek a déménagé au Yémen le 5 juillet 2004, afin de travailler pour une société canadienne avec laquelle il avait conclu un contrat d’un an. Au Yémen, M. Sadek habitait dans les logements du personnel, était payé en dollars canadiens et l’impôt sur le revenu au Canada était prélevé sur son salaire. Mme Barakhe et les enfants sont restés au Canada.

 

[5]               Au cours de son séjour d’une année au Yémen, M. Sadek est revenu au Canada à quatre reprises pour rendre visite à sa famille.

 

[6]               Le 31 juillet 2005, M. Sadek a pris un autre emploi, cette fois-ci en Syrie. Encore une fois, il travaillait pour une société canadienne, pour un contrat à durée déterminée d’un an, qui était régi par la loi de la Colombie‑Britannique. Cette fois-ci, la famille de M. Sadek l’a accompagné. Les indemnités que la société offrait à M. Sadek comprenaient un voyage aller-retour vers Calgary, pour lui et sa famille.

[7]               Lors de son séjour en Syrie, la famille a loué sa maison de Calgary. L’employeur canadien de M. Sadek fournissait, en Syrie, le logement pour la famille, et cette dernière n’y a acquis aucune propriété.

 

[8]               Mme Barakhe et les enfants sont revenus au Canada le 31 juillet 2006, et M. Sadek est revenu le 14 août 2006. Depuis lors, M. Sadek travaille à Calgary, Mme Barakhe prend des cours de niveau collégial et les enfants vont à l’école. Le couple a aussi acquis une autre propriété à Calgary, et a des REER et des REEE.

 

[9]               Mme Barakhe et M. Sadek ont signé leur demande de citoyenneté le 12 octobre 2006. Ils reconnaissent qu’ils n’étaient pas au Canada pendant les 1095 jours requis. Le juge de la citoyenneté a conclu que M. Sadek avait été absent du Canada pendant 844 jours dans les quatre ans précédent sa demande, alors que Mme Barakhe avait été absente du Canada pendant 674 jours.

 

 

Analyse

 

[10]           La décision du juge de la citoyenneté selon laquelle une personne répond aux conditions de résidence de la Loi sur la citoyenneté est une question mixte de fait et de droit et la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Farag, 2009 CF 299, au paragraphe 18.

 

 

[11]           Les juges de la Cour ont adopté des démarches différentes quant à la manière d’interpréter les conditions de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté. Un juge de la citoyenneté a le droit d’adopter l’une ou l’autre de ces diverses démarches pour décider si un demandeur particulier a satisfait aux conditions de résidence prévues par la Loi.

 

[12]           En l’espèce, le juge de la citoyenneté a suivi la démarche préconisée dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286, où la juge Reed a conclu que la présence physique au Canada n’était pas requise pour pouvoir répondre au critère de résidence établi par la Loi sur la citoyenneté. Le critère devrait plus tôt être formulé de façon à savoir si le demandeur « vit régulièrement, normalement ou habituellement » au Canada. Autrement dit, la question est de savoir si le demandeur a centralisé son mode d’existence au Canada.

 

[13]           Le ministre soutient que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en ne décidant pas au départ sur la question de savoir si les défendeurs avaient établis leur résidence au Canada, avant de porter une appréciation sur la nature de leurs absences du pays. À cet égard, le ministre se fonde sur la décision rendue dans l’affaire Farag, précitée, dans laquelle est adopté le raisonnement de la juge Layden‑Stevenson dans Goudimenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 447, où elle déclarait ce qui suit :

Le problème que pose le raisonnement de l'appelant est qu'il ne tient pas compte de la question préliminaire, soit l'établissement de sa résidence au Canada. Si le critère préliminaire n'est pas respecté, les absences du Canada ne sont pas pertinentes. Canada (Secrétaire d'État) c. Yu (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 248 (C.F.1re inst.); Affaires intéressant Papadorgiorgakis, précitée, Affaire intéressant Koo, précitée; Affaire intéressant Choi, [1997] F.C.J. N740 (1re inst.). Autrement dit, à l'égard des exigences de résidence de l'alinéa 5(1)c) de la Loi, l'enquête se déroule en deux étapes. À la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n'a pas été établie, l'enquête s'arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l'enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C'est à l'égard de la deuxième étape de l'enquête, et particulièrement à l'égard de la question de savoir si les périodes d'absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu'il y a divergence d'opinion au sein de la Cour fédérale. [Au paragraphe 13]

 

 

[14]           Dans ses brefs motifs, le juge de la citoyenneté a conclu que M. Sadek avait établi ses [traduction] « racines » au Canada. Le juge a continué en mentionnant que, même si l’emploi de M. Sadek exigeait au départ qu’il aille travailler à l’étranger, ses absences du Canada étaient de nature temporaire, et qu’au cours de ces périodes, il avait gardé ses [traduction] « racines » au Canada.

 

[15]           Bien qu’il aurait été préférable que le juge de la citoyenneté utilise un langage plus précis, je suis convaincue qu’il a tiré une conclusion préliminaire selon laquelle M. Sadek avait établi sa résidence au Canada avant de partir travailler à l’étranger, et que cette conclusion était raisonnable.

 

[16]           Le juge de la citoyenneté était aussi clairement au courant des longues périodes d’absence du Canada de M. Sadek. La conclusion selon laquelle les absences du Canada de M. Sadek étaient de nature temporaire est également raisonnable, compte tenu de la preuve relative aux limites de temps concernant ses conditions de travail à l’étranger, du maintien de la résidence familiale à Calgary durant ses absences et de sa conduite qui consistait à retourner au Canada de façon régulière.

 

[17]           Les motifs du juge de la citoyenneté au sujet de Mme Barakhe sont encore moins étoffés qu’ils ne l’étaient pour M. Sadek. Pourtant, il ressort clairement des motifs du juge de la citoyenneté qu’il était bien au courant des absences prolongées du Canada de Mme Barakhe, y compris le fait qu’elle avait passé environ une année avec son mari en Syrie.

 

[18]           Même si le langage utilisé par le juge de la citoyenneté au sujet de l’établissement de la résidence au Canada de Mme Barakhe n’est pas aussi clair qu’il aurait été souhaitable, je conclus qu’une interprétation raisonnable des motifs dans leur ensemble conduit à la conclusion que le juge de la citoyenneté était convaincu que Mme Barakhe et ses enfants avaient établi leur résidence au Canada avant de voyager à l’étranger. Il ressort clairement des motifs que le juge de la citoyenneté était convaincu que les absences de Mme Barakhe étaient de nature temporaire.

 

[19]           Ainsi, la conclusion du juge de la citoyenneté, selon laquelle Mme Barakhe répondait aux conditions de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté, en était une qui s’offrait raisonnablement à lui, au vu du dossier dont il était saisi.

 

 

 

 

Conclusion

[20]           Pour ces motifs, la décision d’attribuer la citoyenneté aux défendeurs appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47. Par conséquent, l’appel du ministre est rejeté.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que l’appel est rejeté.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1474-08                  

 

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE 

                                                            L’IMMIGRATION

                                                            c.

                                                            FERAS SADEK et LAMIS BARAKHE

 

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Edmonton (Alberta)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 mai 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 27 mai 2009           

 

 

COMPARUTIONS :

 

Camille N. Audain                                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Rekha P. McNutt                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                                    

Sous‑procureur général du Canada                                           POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

Caron & Partners, LLP           

Avocats

Calgary (Alberta)                                                                      POUR LES DÉFENDEURS

 

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