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Cour fédérale

Federal Court

 


Date : 20090528

Dossier : IMM-2412-09

Référence : 2009 CF 556

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

CASSANDRA GRIFFITH

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

Dossier : IMM-2451-09

 

ENTRE :

SHAWN FORDYCE

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

Le juge Lemieux

 

Introduction et contexte

 

  • [1] Le vendredi soir 15 mai 2009, j’ai entendu simultanément deux demandes de sursis de demandeurs qui sont citoyens du Guyana et dont l’expulsion devait avoir lieu le lendemain, soit le samedi 16 mai 2009 à 10 h. J’ordonne qu’il soit sursis à l’expulsion dans les deux cas pour les motifs qui suivent.

 

Rappel des faits

  • [2] Cassandra Griffith est âgée de 18 ans et Shawn Fordyce, de 25 ans. Ils sont cousins. Ils sont arrivés à l’Aéroport international Pierre-Elliot-Trudeau le 9 mai 2009 avec, en main, de faux passeports de Sainte-Lucie obtenus d’un passeur. Les personnes détenant un passeport de Sainte-Lucie n’ont pas besoin d’un visa d’entrée au Canada, contrairement aux personnes ayant un passeport du Guyana.

 

  • [3] Ils ont été accueillis par deux agents des douanes différents, qui leur ont fait rencontrer un agent d’immigration. Ce dernier a émis des doutes quant à l’authenticité des passeports. Après avoir initialement menti au sujet de l’authenticité de leurs passeports et sur le fait qu’ils se connaissaient, ils ont fini par reconnaître que leurs passeports étaient faux, qu’ils étaient des citoyens du Guyana et qu’ils étaient cousins.

 

  • [4] C’est à ce moment-là que Madame Griffith a dit à l’agent qu’elle avait peur de retourner au Guyana. L’agent a voulu savoir pour quelle raison. Dans son affidavit qui accompagnait sa demande de sursis, elle explique qu’elle n’a pas répondu à la question sur le moment parce qu’elle se sentait [traduction] « trop honteuse et embarrassée de dire devant tout le monde dans la salle d’entrevue que mon beau-père m’agressait sexuellement ». Dans son affidavit, elle précise que son beau-père est riche et puissant.

 

  • [5] Pour sa part, M. Fordyce, dans son affidavit accompagnant sa demande de sursis, affirme que l’agent a voulu savoir s’il demandait le « statut de réfugié », ce à quoi il a répondu par la négative parce qu’il ne savait pas que le terme « réfugié » était synonyme d’« asile ». Dans son affidavit, il explique qu’il se sentait menacé par son beau-père riche et influent, qui est allé jusqu’à pointer une arme sur lui lorsqu’il a tenté de s’interposer entre lui et sa mère pendant une violente dispute.

 

  • [6] L’agent a rédigé pour chacun d’eux un rapport en vertu de l’article 44 et les a remis au délégué du ministre à l’aéroport. Dans ces rapports, il recommandait une mesure d’exclusion contre chacun des demandeurs. Avant que le délégué du ministre ne prenne les mesures d’exclusion cependant, il a précisément demandé à chacun des demandeurs s’ils souhaitaient obtenir la protection du Canada, et tous deux ont répondu par la négative. Ils ont donc tous deux été mis en détention sans attendre et été informés qu’ils seraient renvoyés au Guyana, en transigeant parSainte-Lucie, le samedi suivant, soit le 16 mai 2009.

 

  • [7] Dans son affidavit, madame Griffith explique ce qui s’est passé après que la mesure d’exclusion a été prise à son endroit : [traduction] « par la suite [...] j’ai demandé la protection au Canada et mon conseil a ensuite [...] présenté une demande officielle à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) afin d’obtenir un sursis administratif au renvoi ». Elle fait référence à la pièce « A » de son affidavit, qui est une lettre de son conseil précédent datée du 13 mai 2009 à l’intention du bureau de l’ASFC de Montréal dans laquelle il demande un sursis administratif et explique qu’il souhaite obtenir une autorisation et un contrôle judiciaire relativement à la mesure d’exclusion. Il ajoute qu’il entend déposer une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et demande que soit accordé à la demanderesse un sursis dans l’attente de la décision de l’agent d’ERAR.

 

  • [8] M. Fordyce est plus direct dans son affidavit. Au paragraphe 7, il affirme avoir été interrogé le 13 mai 2009 par un agent d’immigration et que [traduction] « c’est à ce moment que j’ai demandé la protection au Canada », qui lui a été refusée. Il cite la pièce A-1 de son affidavit, qui est une lettre datée du 13 mai 2009 de son conseil actuel, M. Amana, ayant été envoyée par télécopieur au superviseur de l’ASFC à Montréal, à un agent d’audience de l’ASFC et à un agent d’exécution. Cette lettre porte la mention « urgent ». M. Amana y écrit que son client a peur de retourner au Guyana en raison des menaces à sa vie et des risques de peines ou de traitements cruels et inhumains. M. Amana admet que M. Fordyce n’a pas demandé le statut de réfugié ab initio, [traduction] « mais il a droit malgré tout à un ERAR tant et aussi longtemps qu’il allègue, avant son renvoi, qu’il court un risque s’il est contraint de retourner dans son pays ». Il demandait une réponse pour le lendemain, le 14 mai 2009, avant 17 h, puisque le renvoi devait avoir lieu le 16 mai. Aucune réponse n’a été reçue. Le 14 mai 2009, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été déposée par M. Amana afin de contester la décision de l’agent d’immigration de refuser d’accorder à M. Fordyce le droit de déposer une demande d’ERAR avant son renvoi. Le 15 mai 2009, M. Amana a enclenché les démarches afin de demander un sursis à la mesure de renvoi prise à l’endroit de M. Fordyce.

 

  • [9] Le dossier dont je dispose indique que l’ancien conseil de madame Griffith a déposé le 13 mai 2009 une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire afin de contester la mesure d’exclusion. Le dossier indique également que M. Amana a avisé l’ASFC, le 13 mai 2009, qu’il était le nouvel avocat de madame Griffith dans ce dossier. Le 15 mai 2009, il a également enclenché les démarches afin de demander un sursis à la mesure de renvoi prise à son endroit. Son avis de requête revient particulièrement sur le fait que l’ancien conseil avait demandé un sursis administratif dans l’attente d’un ERAR, que l’agent n’a pas jugé bon ou a omis d’accorder. M. Amana affirme que l’agent, en rendant sa décision, a refusé à la demanderesse le droit à un processus équitable prévu par la loi – le droit à un examen des risques avant renvoi –, puisque la demanderesse a allégué qu’elle courrait un risque advenant son retour dans son pays.

 

Régime législatif

  • [10] La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) est sans équivoque sur les points suivants :

 

1.  Le paragraphe 44(1) de la LIPR énonce que l’agent d’immigration qui est d’avis qu’un étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire peut établir un rapport circonstancié à l’intention du ministre (ou de son délégué) en vertu du paragraphe 44(2) dans lequel il écrit que le ministre peut prendre une mesure de renvoi dans les circonstances visées par les règlements s’il est d’avis que le rapport est bien fondé.

 

2.  Le sous-alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (RIPR) prévoit que le ministre ne doit pas déférer à la Section de l’immigration aux fins d’audience un rapport bien fondé établi en vertu de l’article 44 dans le cas d’un étranger qui ne détient pas de visa et qu’il doit plutôt prendre une mesure d’exclusion.

 

3.  Le paragraphe 99(3) de la LIPR interdit à une personne qui se trouve au Canada de présenter une demande d’asile si cette personne est visée par une mesure de renvoi.

 

4.  L’article 166 du RIPR, intitulé : « Demande de protection à faire au point d’entrée », énonce que : « La demande de protection de l’étranger qui fait l’objet d’un constat d’interdiction de territoire donnant lieu à la prise, au point d’entrée, d’une mesure de renvoi doit, si la mesure est exécutoire, être reçue dès la prise de celle-ci. [...] Il est entendu que la demande n’opère pas sursis de la mesure de renvoi. »

 

Analyse

 

  • [11] Il est bien établi que pour qu’un demandeur puisse obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, il doit prouver trois éléments conjointement : (1) l’existence d’une question sérieuse à trancher; (2) l’existence d’un préjudice irréparable; et (3) la prépondérance des inconvénients.

 

a) Question sérieuse

  • [12] Le conseil pour les demandeurs soutient qu’il y a une question sérieuse à trancher parce qu’en vertu de l’article 112 de la LIPR, une personne se trouvant au Canada qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet.

 

  • [13] D’après le mécanisme d’ERAR prévu dans la LIPR, un examen des risques devrait être réalisé avant qu’un renvoi puisse être exécuté. Les articles 160 et 166 de la LIPR compliquent sérieusement le processus lorsque la mesure d’expulsion est prise au point d’entrée.

 

  • [14] Rien dans la preuve m’ayant été présentée n’indique que les demandeurs se sont vu offrir la chance de présenter une demande d’ERAR, qui est un mécanisme qui diffère complètement du processus de présentation d’une demande d’asile.

 

  • [15] Madame Griffith aurait affirmé à l’agent d’immigration qu’elle craignait de retourner au Guyana, sans toutefois expliquer pourquoi lorsque l’agent d’immigration lui a posé la question. Madame Griffith, qui n’est âgée que de 18 ans et allègue avoir été victime d’agression sexuelle pendant une période de deux ans, éprouve bien évidemment un sentiment de culpabilité.

 

  • [16] Quoi qu’il en soit, l’avocat de la demanderesse a précisément demandé un ERAR le 13 mai 2009. Il semblerait, d’après une lettre datée du 14 mai 2009 qui n’a pas été versée au dossier et qui a été envoyée par télécopieur à l’ancien conseil de madame Griffith, qu’un agent de l’ASFC ou de CIC a affirmé qu’une demande d’ERAR pourrait être déposée, mais que le renvoi ne serait pas reporté pour autant.

 

  • [17] J’estime que la demande d’autorisation donne lieu aux questions sérieuses suivantes :

 

  1. Considérant les circonstances de cette instance, y a-t-il eu violation de l’article 166 du RIPR lorsque les demandeurs ne se sont pas vu offrir l’occasion de présenter une demande d’ERAR?

 

  1. Les mesures d’expulsion étaient-elles raisonnables dans les circonstances, particulièrement dans le cas de madame Griffith qui aurait affirmé craindre de retourner au Guyana?

 

  1. Considérant les circonstances de cette affaire, les autorités ont-elles agi avec précipitation en fixant la date de leur retour au samedi suivant, puisqu’ils demeureraient en détention, et cette façon d’agir les a-t-elle incités à refuser aux demandeurs les demandes pour qu’un ERAR ait lieu?

 

  b) Préjudice irréparable

  • [18] À mon avis, la question du préjudice irréparable a été établie et ne repose pas que sur des spéculations. Le préjudice irréparable découle du fait que le risque du retour des demandeurs dans leur pays n’a pas été examiné. En situation normale, le retour d’un demandeur sans un examen préalable des risques représente une violation du régime législatif établi dans la LIPR.

 

  • [19] Cela dit, je suis tout à fait conscient que les versions des faits des demandeurs peuvent être fabriquées de toutes pièces. Il ne m’appartient cependant pas d’évaluer leur crédibilité. Cette tâche revient à un agent d’ERAR, qui les interrogera.

 

c) Prépondérance des inconvénients

  • [20] Dans les circonstances, j’estime que la prépondérance des inconvénients joue en faveur des demandeurs.

 

  • [21] Une copie de ces motifs sera versée dans chaque dossier.

 

  « François Lemieux »

_________________________________

    Juge

Ottawa (Ontario)

Le 28 mai 2009


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :  IMM-2412-09 et IMM-2451-09

 

INTITULÉ :    CASSANDRA GRIFFITH c. LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

  ET ENTRE :

 

SHAWN FORDYCE c. LE MINISTRE DE LA

CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 15 mai 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  Le juge Lemieux

 

DATE DES MOTIFS :  Le 28 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Idorenyin E. Amana, avocat

 

POUR LES DEMANDEURS

Lisa Maziade

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Idorenyin E. Amana, avocat

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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