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Date : 20090527

Dossier : DES-5-08

Référence : 2009 CF 553

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé conformément

au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

ET le dépôt de ce certificat devant la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET Mohamed HARKAT

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE NOËL

 

[1]               Le 26 mai 2009 à midi, une lettre « Très secret » contenant deux pièces jointes « Très secret » (la lettre des ministres) a été remise à la Cour par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS). La lettre des ministres contenait de nouveaux renseignements datant de 2002 et 2008 à propos de la fiabilité d’une source humaine qui avait fourni des renseignements concernant l’enquête au sujet de M. Harkat.

 

[2]               Dans la lettre des ministres, leur avocat reconnaît qu’il est :

[traduction] […] clair que la Cour et les avocats spéciaux auraient dû être informés de [ces renseignements] et l’omission de les informer est un problème grave. Le Service enquête pour savoir pourquoi ces renseignements n’ont pas été fournis et fera rapport à la Cour dès que l’enquête sera terminée. 

 

[3]               Les renseignements fournis dans la lettre des ministres sont importants et traitent du poids à accorder à la preuve produite par une source humaine; toutefois, ces renseignements n’ont pas été fournis à la Cour ni aux avocats spéciaux :

·        dans la pièce A. Tel qu’il est mentionné dans la décision Re Harkat, 2009 CF 204, au paragraphe 66, la pièce A est une pièce préparée par le SCRS évaluant la fiabilité de la source et sa relation avec le SCRS. Elle vise à permettre à la Cour de tirer des conclusions quant à la fiabilité des renseignements fournis par la source.

·        dans le cadre de la divulgation faisant suite à l’ordonnance rendue par la Cour le 24 septembre 2008 conformément à l’arrêt Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CSC 38 (Charkaoui 2).

·        en réponse à l’ordonnance du 28 novembre 2008 dans laquelle la Cour a exigé que les ministres produisent les renseignements contenus dans leurs dossiers administratifs ou leurs dossiers opérationnels quant à la fiabilité des renseignements fournis par une source humaine.

·        par le témoin du SCRS qui a témoigné en septembre 2008 relativement au caractère raisonnable du certificat, même quand la Cour l’a interrogé précisément au sujet de la fiabilité de la source.

·        par un témoin du SCRS qui a témoigné à la demande de la Cour. La Cour a demandé au témoin de se familiariser avec le contenu du dossier de la source humaine et de fournir des éléments de preuve à la Cour quant au contenu de ce dossier.

 

[4]               Au moment où elle a reçu la lettre des ministres, la Cour avait mis en délibéré une demande des avocats spéciaux sollicitant l’accès au dossier en question. L’accès à ce dossier mènerait inévitablement les avocats spéciaux à connaître l’identité de la source humaine.

 

[5]               Dans les observations soumises à l’appui de leur demande d’examen du dossier de la source humaine, les avocats spéciaux ont soutenu qu’ils avaient besoin de connaître les renseignements contenus dans ce dossier afin de s’acquitter du rôle que la loi leur a conféré, à savoir de protéger les intérêts de M. Harkat en son absence par la vérification de la fiabilité des renseignements confidentiels sur lesquels s’est appuyé le SCRS. Ils affirment qu’ils ne pourraient pas remplir ce rôle s’ils devaient compter sur le SCRS pour leur fournir les renseignements pertinents.

 

[6]               Les ministres se sont opposés à cette demande au motif que les avocats spéciaux avaient déjà obtenu suffisamment de renseignements pour pouvoir vérifier la fiabilité des renseignements fournis par la source humaine et qu’ils n’avaient donc pas besoin de connaître l’identité de la source. Ce n’est que dans leur lettre envoyée récemment que les ministres en viennent à la conclusion que les avocats spéciaux peuvent avoir accès au dossier sur ordonnance de la Cour.

 

[7]               Lors des audiences à huis clos, la Cour a rappelé à l’avocat des ministres que ses clients avaient l’obligation d’agir avec la bonne foi la plus absolue durant la présente instance. En se fondant sur la jurisprudence, la Cour s’est notamment exprimée sur le devoir des ministres de fournir tous les renseignements qui pourraient affaiblir leur thèse à l’encontre M. Harkat.

 

[8]               Le 15 mai 2009, l’avocat des ministres a écrit à la Cour pour l’informer qu’il lui fournirait des renseignements additionnels susceptibles d’influer sur la décision qu’elle rendrait sur la demande des avocats spéciaux. Ces renseignements ont été fournis dans la lettre des ministres.

 

[9]               La primauté du droit est un élément clé dans toute société démocratique qui fonctionne. Dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Procureur général) c. Christie, [2007] 1 R.C.S. 873, la Cour suprême a précisé au paragraphe 19 :

La primauté du droit est un principe fondateur. Notre Cour y a vu [traduction] « un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle » […] qui « sont à la base de notre système de gouvernement » […]. La primauté du droit est reconnue expressément dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1982; elle est aussi reconnue implicitement à l’article premier de la Charte, aux termes duquel les droits et libertés énoncés dans la Charte « ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique ». De plus, comme notre Cour l’a reconnu dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, p. 750, elle est inhérente au concept même de constitution.

 

[Souligné en partie dans l’original.]

 

[10]           Dans l’arrêt Christie, la Cour suprême a établi trois principes fondamentaux, mais non exclusifs, de la primauté du droit. Le premier principe veut que « le droit [soit] au‑dessus des autorités gouvernementales aussi bien que du simple citoyen et exclu[e], par conséquent, l’influence de l’arbitraire ». Suivant le deuxième principe, « la primauté du droit exige la création et le maintien d’un ordre réel de droit positif qui préserve et incorpore le principe plus général de l’ordre normatif ». Enfin, selon le troisième principe, « les rapports entre l’État et les individus doivent être régis par le droit ».

 

[11]           Le pouvoir judiciaire est le gardien de la primauté du droit. Les cours, dont l’indépendance est garantie par les dispositions sur le pouvoir judiciaire de la Loi constitutionnelle de 1982, ont le devoir et la responsabilité d’assurer que les Canadiens, indépendamment de leur richesse, de leur position ou de leur influence, respectent la primauté du droit et s’y conforment. Les personnes en situation d’autorité au gouvernement dont les actes ont une incidence sur les droits et libertés des Canadiens doivent être tenues responsables pour le moindre manquement à ce principe.

 

[12]           Les récentes divulgations de renseignements à la Cour le 26 mai 2009 soulèvent des questions concernant :

·        le respect des ordonnances de la Cour, soit celles du 24 septembre 2008 et du 28 novembre 2008, par le SCRS;

·        de possibles tergiversations par les témoins du SCRS appelés à témoigner relativement à la fiabilité des renseignements fournis par la source humaine;

·        le respect par le SCRS de l’obligation de la bonne foi la plus absolue exigée par la jurisprudence dans le contexte d’une instance ex parte. Voir Ruby c. Canada (Solliciteur général), 2002 CSC 75, au paragraphe 27, et Charkaoui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 421, aux paragraphes 153 et 154.

 

[13]           Dans la décision Re Harkat, 2009 CF 204, la Cour a reconnu l’existence d’un privilège relatif aux sources humaines secrètes de renseignements. Ce privilège établit une interdiction absolue de divulguer l’identité de la source humaine dans la sphère publique. La Cour a reconnu une exception à cette interdiction, exception qui sera établie uniquement lors d’une audience ex parte à huis clos tenue conformément à l’alinéa 83(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Tel qu’il est mentionné au paragraphe 46 de la décision Re Harkat, 2009 CF 204, l’exception du « besoin de connaître » :

[…] sera établi[e] uniquement en présence d’une preuve démontrant la nécessité de divulguer l’identité de la source humaine secrète de renseignement pour empêcher la violation flagrante d’une règle de procédure qui serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

 

[14]           Après avoir examiné la lettre des ministres, la Cour conclut que les avocats spéciaux ont « besoin de connaître » le contenu du dossier de la source humaine même si cela entraîne la divulgation de l’identité de la source. La primauté du droit n’exige rien de moins. Dès que la Cour a une preuve qui la laisse croire que les renseignements fournis par les ministres sont incomplets, en contravention flagrante de leur obligation de bonne foi la plus absolue, elle doit permettre aux avocats spéciaux d’avoir accès à tous les renseignements qu’ils ont besoin de connaître. Agir autrement serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.

 

[15]           La Cour examinera aussi toutes les ordonnances rendues et tous les éléments de preuve fournis à ce jour dans la présente instance pour vérifier si d’autres interventions judiciaires sont nécessaires pour préserver l’intégrité de l’administration de la justice. Cet examen exigera le rappel de plusieurs témoins du SCRS.

 

[16]           Cette situation inquiétante peut aussi soulever des questions quant aux renseignements présentés ou non au juge désigné qui présidait l’audience concernant le premier certificat de sécurité visant M. Harkat. La Cour demandera aux parties de soumettre des observations sur cette question importante.

 

[17]           En conclusion, la Cour note que les avocats de M. Harkat ont demandé que soit reportée l’audience sur le caractère raisonnable du certificat compte tenu de la perquisition faite par l’Agence des services frontaliers du Canada à la résidence de M. Harkat le 12 mai 2009. Ils ont aussi déposé des observations quant à la légalité de cette perquisition. Une audience sur cette question aura lieu le 2 juin 2009.

 

[18]           À la lumière de tous les développements récents dans la présente instance, la Cour ne peut qu’ajourner temporairement l’audience quant au caractère raisonnable du certificat de sécurité. La Cour modifiera le plan de déroulement de l’instance du 16 janvier 2009 après consultation avec les avocats de M. Harkat, celui des ministres et les avocats spéciaux le 2 juin 2009.


PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

 

  • Les ministres doivent sans tarder déposer auprès de la Cour trois copies complètes et sans passages supprimés du dossier de la source humaine, soit au plus tard le 1er juin 2009 à 16 h. Les avocats spéciaux auront un accès complet au dossier non expurgé. 

 

  • Une audience sur la légalité de la perquisition faite le 12 mai 2009 à la résidence de M. Harkat sera tenue le 2 juin 2009 à 10 h.

 

  • L’audience sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité est temporairement ajournée. La Cour entendra les observations des avocats et des avocats spéciaux quant aux modifications à apporter au plan de déroulement de l’instance le 2 juin 2009.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        DES-5-08

 

INTITULÉ :                                       AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

                                                            ET le dépôt de ce certificat devant la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

                                                            ET MOHAMED HARKAT    

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 27 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

André Séguin

 

POUR LE DEMANDEUR

Paul Copeland,

Paul Cavalluzzo

À TITRE D’AVOCATS SPÉCIAUX

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Webber Schroeder Goldstein Abergel

et

Bayne Sellar Boxall

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Paul Copeland

et

Paul Cavalluzzo

À TITRE D’AVOCATS SPÉCIAUX

 

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