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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090521

Dossier : IMM-4526-08

Référence : 2009 CF 520

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2009

En présence de l’honorable Max M. Teitelbaum

 

 

ENTRE :

JEAN CLAUDE KABENDE EMANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue le 19 septembre 2008 par un membre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle il rejetait la demande introduite par le demandeur afin d’obtenir la réouverture de sa demande d’asile.

 

[2]               Le demandeur, qui est un citoyen du Cameroun, est arrivé au Canada le 11 septembre 2007. Deux jours plus tard, il a déposé sa demande d’asile.

[3]               Le demandeur avait retenu les services du cabinet d’avocats Saintil Law Office pour le représenter dans sa demande. Un assistant juridique de ce cabinet d’avocats a dûment déposé son Formulaire de renseignement personnel (FRP) le 11 octobre 2007, laissant vide par erreur la rubrique réservée aux coordonnées de sa conseil.

 

[4]               Par la suite, le demandeur a déménagé. Il a avisé le cabinet d’avocats de sa conseil et la Commission de sa nouvelle adresse. Plus tard, il a encore déménagé et a informé sa conseil, par courriel, de ce changement. Cependant, son courriel s’est retrouvé dans le « courrier indésirable » de sa conseil et n’a jamais été lu. Par conséquent, la conseil n’a pas pu aviser la Commission du changement d’adresse.

 

[5]               Au mois de décembre 2007, le demandeur a contacté Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) pour l’informer au sujet de sa nouvelle adresse et pour faire une demande de permis de travail.

 

[6]               Le 21 avril 2008, la Commission a envoyé par la poste un avis de convocation pour le 9 mai 2008 en vue de fixer une date pour sa demande d’asile. Il ne s’est pas présenté.

 

[7]               Le 12 mai 2008, un avis de convocation à une audience sur le désistement fixée au 23 mai 2008 a été envoyé au demandeur. Un autre avis lui a été envoyé le 19 juin 2008, lui demandant de comparaitre à une audience fixée au 4 juillet afin de lui permettre d’exposer les raisons pour lesquelles il ne s’était pas présenté le 23 mai. Lorsque, de nouveau, le demandeur ne s’est pas présenté, le désistement de sa demande a été prononcé.

 

[8]               Ni le demandeur ni sa conseil n’ont reçu aucun des avis ci-dessus, parce que la Commission n’avait pas les coordonnées actualisées du demandeur et n’était pas au courant qu’il disposait d’une représentation juridique.

 

[9]               Le 8 septembre 2008, le demandeur a appelé sa conseil pour l’informer à propos d’une lettre qu’il avait reçue, mentionnant qu’il faisait l’objet d’une mesure de renvoi ayant pris effet.

 

[10]           La conseil a répondu en présentant une demande en vertu du paragraphe 55(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), dans laquelle elle sollicitait une réouverture de la demande d’asile du demandeur. La demande a été rejetée le 29 septembre 2008. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

[11]            Dans une lettre datée du 29 septembre 2008, la Commission a porté à la connaissance du demandeur que sa demande tendant à obtenir la réouverture de sa demande d’asile avait été rejetée. Dans ses brefs motifs, la Commission a écrit ce qui suit :

[traduction]

 

Le demandeur était bien conscient de ses droits et obligations. Particulièrement, l’exigence d’aviser la Commission de tout changement d’adresse, puisqu’il avait rempli le bon formulaire au mois d’octobre 2007. Au moment de remplir son formulaire, le demandeur avait une conseil qui possédait l’expérience et la connaissance des règles et règlements de la Commission. La conseil mentionne qu’ils ont commis des erreurs deux fois. Premièrement, il n’était pas mentionné dans le Formulaire de renseignement personnel que c’était elle, la conseil inscrite au dossier, et deuxièmement, lorsque l’avis de changement d’adresse a été envoyé à la conseil par courriel, lequel est apparu comme un message indésirable et n’a jamais été traité. Cependant, le demandeur a aussi commis une erreur en omettant d’aviser la Commission de sa nouvelle adresse comme il l’avait fait précédemment.

 

En fin de compte, le demandeur est responsable des actions de la conseil dont il a retenu les services. Dans la présente demande, le demandeur était parfaitement au courant du fait qu’il devait aviser la Commission, par écrit, de son changement d’adresse, et il a omis de le faire.

 

Compte tenu des documents qui ont été présentés, la demande de réouverture de sa cause est rejetée.

 

Après avoir examiné le dossier, le commissaire n’a pas décelé de questions relatives à la justice naturelle.

 

 

[12]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

 

1.      Quelle est la norme de contrôle applicable aux refus de la Commission de rouvrir les demandes d’asile?

2.      Le refus de rouvrir une demande d’asile lorsque le désistement de la demande est uniquement le résultat de l’erreur de la conseil du demandeur, constitue-t-il une violation des principes de justice naturelle?

3.      Le demandeur a-t-il fait preuve de diligence et avait-il toujours l’intention de poursuivre sa demande d’asile?

4.      L’omission de communiquer à la Commission l’adresse actuelle du demandeur était-elle uniquement de la faute de la conseil du demandeur?

5.      Le demandeur devrait-il être tenu responsable des erreurs de sa conseil?

 

Je résumerais la question essentielle de la présente demande comme suit :

 

1.      Dans les circonstances de l’espèce, le refus de la Commission de rouvrir la demande d’asile constitue-t-il une violation des principes de justice naturelle?

 

[13]           Les dispositions suivantes des Règles sont pertinentes en l’espèce :

 

55. (1) Le demandeur d’asile ou le ministre peut demander à la Section de rouvrir toute demande d’asile qui a fait l’objet d’une décision ou d’un désistement.

 

55. (1) A claimant or the Minister may make an application to the Division to reopen a claim for refugee protection that has been decided or abandoned.

 

[…]

 

[…]

 

(4) La Section accueille la demande sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle.

 

(4) The Division must allow the application if it is established that there was a failure to observe a principle of natural justice.

 

[…]

 

[…]

 

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d’une demande d’asile sans donner au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

 

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

 

a) elle n’a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d’asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

 

(a) the Division has not received the claimant’s contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and

 

b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d’asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

 

(b) the Minister and the claimant’s counsel, if any, do not have the claimant’s contact information.

 

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

 

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

 

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l’audience et où la Section juge qu’il est équitable de le faire;

 

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

 

b) dans le cas contraire, au cours d’une audience spéciale dont la Section l’a avisé par écrit.

 

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

 

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d’asile à l’audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d’asile est prêt à commencer ou à poursuivre l’affaire.

 

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

 

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l’affaire sans délai.

 

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.

 

 

 

[14]           La présente demande porte sur une question d’équité procédurale et sera par conséquent examinée selon la norme de la décision correcte. (Hamzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1408, 2006 CF 1108, au paragraphe 15).

[15]           Aux paragraphes 11, 12 et 13 de son affidavit, Josue Jacquelin, technicien juridique au cabinet de la conseil du demandeur, expose ce que je considère comme étant le cœur des prétentions du demandeur :

 

[traduction]

J’exhorte la Commission à ne pas porter préjudice à M. Jean‑Claude Kabende Emani, puisque l’incapacité de la Commission de le joindre n’était pas due à sa faute, mais à la nôtre.

 

Notre cabinet d’avocats assume l’entière responsabilité pour avoir omis de fournir nos coordonnées en qualité de conseil du demandeur et pour avoir failli dans la réception de son courriel concernant ses coordonnées.

 

Nous sollicitons une réouverture de la demande d’asile de M. Jean‑Claude Kabende Emani, étant donné qu’il n’a jamais eu l’intention de se désister de sa demande d’asile au Canada. L’omission de rouvrir sa demande/revendication d’asile lui causera un préjudice irréparable et entrainera des souffrances indescriptibles qui, injustement, le laisseront sans statut au Canada.

 

[16]           Je suis disposé à accueillir la présente demande pour les motifs qui suivent :

 

[17]           Selon le paragraphe 55(4) des Règles, une demande de réouverture d’une demande d’asile doit être accueillie « sur preuve du manquement à un principe de justice naturelle ». Il ressort clairement aussi du paragraphe 58(1) que le désistement d’une demande d’asile peut être prononcé, lorsque la Commission n’a reçu ni les coordonnées, ni le FRP du demandeur d’asile dans les 28 jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire, et lorsque ni le ministre ni le conseil du demandeur ne connaissent ces coordonnées.

 

[18]           En l’espèce, il n’est pas contesté que le demandeur avait présenté son FRP en temps utile. Le FRP comportait ses coordonnées à l’époque. Le problème est que la Commission n’a pas été avisée lorsque le demandeur a changé d’adresse pour la deuxième fois, à la suite des erreurs de sa conseil. Néanmoins, le fait que le FRP du demandeur ait été déposé en bonne et due forme le soustrait de l’application du paragraphe 58(1) pour le faire tomber sous le coup du paragraphe 58(2). Cette dernière disposition exige que « [d]ans tout autre cas » la Commission « donne au demandeur d’asile la possibilité d’expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé ».

 

[19]           La Commission a fait tout ce qu’elle pouvait, dans les circonstances, afin d’accorder au demandeur son droit d’être entendu en application du paragraphe 58(2). On ne peut lui imputer une faute à cet égard. Il n’en demeure pas moins que le demandeur n’a pas eu une occasion valable d’expliquer pourquoi le désistement de sa demande ne devait pas être prononcé, puisque ni lui ni sa conseil n’ont reçu les avis envoyés par la Commission.

 

[20]           La jurisprudence établit clairement que la considération principale au regard de la procédure de désistement est de savoir si la conduite du demandeur constitue une expression de son intention de poursuivre sa demande avec diligence (Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)(1re inst.), [2000] 3 C.F. 109, [2000] A.C.F. no 289, au paragraphe 32). Lorsque la demande de réouverture de la demande d’asile a été présentée à la Commission, celle-ci a reçu pour la première fois les renseignements expliquant le défaut du demandeur de se présenter et démontrant que cela découlait uniquement des erreurs administratives de la part de sa conseil. La Commission, en rejetant la demande de réouverture de sa demande d’asile, a omis d’examiner les éléments de preuve dont elle disposait au sujet de la conduite du demandeur, qui démontraient son intention sincère de poursuivre sa demande d’asile. Je suis convaincu que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a tenu compte uniquement de la connaissance partielle dont elle disposait et lorsqu’elle a fait défaut d’analyser cette considération principale (Albarracin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1425, au paragraphe 4).

 

[21]           Dans Andreoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 1349, 2004 CF 1111, les faits ne sont pas très différents de ceux dont je suis saisi. Dans Andreoli, comme en l’espèce, les demandeurs n’avaient pas eux-mêmes été négligents, mais ils avaient plutôt fait confiance à leur représentant qui assumait l’entière responsabilité du manquement procédural. Le juge Harrington, après avoir cité Ahamad, précitée, a écrit ce qui suit, au paragraphe 16 :

Afin d'apprécier un cas comme le présent, il est absolument primordial d'opter pour une approche contextuelle et d'éviter de sombrer dans du dogmatisme procédural. Je tiens à reprendre les propos de l'honorable juge Pigeon dans l'affaire Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147, 156, où il écrivait fort justement que « la procédure doit être non la maîtresse mais la servante de la justice ».

 

[22]           Dans Medawatte c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2005] A.C.F. no 1672, 2005 CF 1374, une autre décision du juge Harrington, il est déclaré ce qui suit, au paragraphe 10 :

Il existe une jurisprudence abondante en la matière selon laquelle une partie doit subir les conséquences des actes de son avocat. Je suis du même avis. Si la cause a été mal préparée, si la jurisprudence pertinente n'a pas été portée à l'attention de la Cour dans une affaire au civil ou si les témoins ont été mal choisis, c'est la partie concernée qui doit en subir les conséquences.

Y a-t-il toutefois une différence entre la faute de commission et la faute d'omission? Il ne s'agit pas, en l'espèce, d'une tâche mal exécutée par un avocat. Il n'a pas fait quelque chose qu'il aurait dû faire. […]

 

[23]           En l’espèce, les éléments de preuve étayent la prétention du demandeur selon laquelle il n’avait pas l’intention de se désister de sa demande d’asile. À la suite des erreurs administratives reconnues, de la part de sa conseil, il n’a pas eu l’occasion d’expliquer les circonstances de son défaut de se présenter. La Commission, en rejetant sa demande de réouverture de la demande d’asile, a omis d’examiner le critère le plus important et le demandeur a été privé d’une audition sur le fond de sa demande d’asile.

 

[24]           Aucune question de portée générale n’a été présentée à des fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour qu’il tienne une nouvelle audience, conformément aux motifs ci-dessus.

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4526-08

 

INTITULÉ :                                       JEAN CLAUDE KABENDE EMANI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 14 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              L’honorable Max M. Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kweku Ackaah-Boafo

 

POUR LE DEMANDEUR

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kweku Ackaah-Boafo

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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