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Date : 20090522

Dossier : T-1420-08

Référence : 2009 CF 507

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

DEEPTI KOCHAR

 

demanderesse

et

 

CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

CANADA (CIC)

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’un appel en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), visant une décision d’une juge de la citoyenneté, rendue le 8 août 2008, refusant d’attribuer la citoyenneté canadienne à la demanderesse.

 

* * * * * * * *

[2]               Deepti Kochar (la demanderesse) se représente elle-même dans le cadre de la présente demande. Elle est citoyenne de l’Inde et a quitté son pays pour arriver au Canada le 5 mai 2003 à titre de résidente permanente.

 

[3]               Entre le 30 août 2003 et le 25 janvier 2007, la demanderesse a quitté le Canada à plusieurs reprises pour visiter sa famille en Inde ou suivre de la formation aux États-Unis.

 

[4]               Le 14 janvier 2007, la demanderesse a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Toutefois, son mari, ayant déposé la demande alors qu’elle était absente, a mal calculé le nombre de jours qu’elle avait passé au Canada, obtenant une période de résidence de 1 286 jours parce qu’il avait oublié d’exclure certaines périodes pendant lesquelles elle était aux États-Unis.

 

[5]               Quand la demanderesse a appris cette erreur, elle a décidé de retirer sa demande. Un agent de citoyenneté lui a cependant conseillé de recalculer le nombre de jours pendant lesquels elle avait résidé au Canada : si ce nombre était inférieur à 1 095 jours, elle devait retirer sa demande, mais s’il était supérieur à 1 095 jours, elle pouvait donner suite à sa demande et expliquer au juge la différence dans le calcul du nombre de jours. Lorsque la demanderesse a fait de nouveau le calcul, elle a obtenu un total de 1 096 jours et a alors décidé de ne pas retirer sa demande.

 

[6]               L’audience devant la juge de la citoyenneté a eu lieu le 20 juin 2008. À la fin de l’audience, la juge de la citoyenneté a accordé à la demanderesse un délai additionnel de 21 jours pour soumettre des documents justificatifs établissant sa présence effective au Canada. La demanderesse a signé un document dans lequel elle affirmait qu’elle fournirait des éléments de preuve additionnels (c’est-à-dire une preuve d’emploi, une preuve de domicile, son dossier scolaire, sa fiche de santé individuelle, son dossier bancaire et son dossier médical) à la juge de la citoyenneté au plus tard le 11 juillet 2008.

 

[7]               Le 23 juin 2008, la demanderesse a appelé au ministère de la Santé pour demander une copie de son dossier, mais on lui qu’elle devrait attendre au moins un mois avant de l’obtenir. Elle soutient qu’on lui a dit aussi que la juge de la citoyenneté serait au courant de cette situation.

 

[8]               La demanderesse a appelé par la suite le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration (CIC) pour l’informer que la juge de la citoyenneté lui avait demandé de soumettre son dossier médical au plus tard le 11 juillet, mais que le ministère de la Santé avait déclaré que cela ne serait pas possible. Elle a aussi mentionné qu’elle avait déménagé temporairement à Surrey en Colombie‑Britannique. Lorsqu’on lui a posé la question, CIC a indiqué qu’il n’y avait pas de note au dossier concernant une rencontre entre la demanderesse et la juge de la citoyenneté le 11 juillet. On lui a suggéré de changer son adresse dans le dossier et de faire transférer celui‑ci à Surrey.

 

[9]               Au moment où elle a reçu la décision de la juge de la citoyenneté, la demanderesse attendait que son dossier soit transféré à Surrey.

 

* * * * * * * *

 

[10]           Dans une lettre datée du 8 août 2008, la juge de la citoyenneté a informé la demanderesse de sa décision de rejeter sa demande de citoyenneté canadienne au motif qu’elle n’avait pas soumis une preuve suffisante de résidence pour satisfaire aux exigences de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, qui exige que l’auteur d’une demande de citoyenneté ait résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. La juge avait octroyé à la demanderesse 21 jours additionnels pour soumettre des documents justificatifs, mais 49 jours s’étaient écoulés au moment de la décision et aucun document n’avait été reçu.

 

[11]           La juge de la citoyenneté a conclu qu’aucune preuve n’avait été fournie à l’audience quant à l’existence de circonstances particulières justifiant une recommandation selon laquelle le ministre devrait exercer son pouvoir discrétionnaire prévu aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi.

 

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[12]           Les appels en matière de citoyenneté ne sont pas des procès de novo, mais sont plutôt interjetés au moyen d’une demande fondée sur le dossier soumis au juge de la citoyenneté (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Hung, [1998] A.C.F. n1927 (1re inst.) (QL), 47 Imm. L.R. (2d) 182, au paragraphe 8). Par conséquent, la Cour ne peut prendre en considération ni la pièce A de l’affidavit de la demanderesse du 10 octobre 2008, ni les pièces G et H de son affidavit du 8 octobre 2008, car la juge de la citoyenneté n’avait pas ces pièces dans son dossier.

 

[13]           La demanderesse soutient que la juge de la citoyenneté lui a refusé la citoyenneté canadienne en raison d’un manquement à l’équité procédurale et d’une mauvaise interprétation de la loi. La demanderesse n’invoque pas d’arguments de droit à l’appui de ses prétentions, mais elle énumère plutôt les événements ayant mené à l’appel.

 

[14]           Je déduis de l’exposé des arguments de la demanderesse que, selon elle, il était déraisonnable que la juge de la citoyenneté s’attende à ce qu’elle fournisse le dossier médical demandé dans un délai de 21 jours, alors qu’il semble bien connu qu’il faut au moins un mois pour obtenir un tel document.

 

[15]           Toutefois, le dossier certifié indique que le 20 juin 2008, la demanderesse et la juge de la citoyenneté ont signé un document dans lequel la demanderesse s’est engagée à soumettre à la juge de la citoyenneté les documents énumérés dans une liste de contrôle au plus tard le 11 juillet 2008. De plus, la demanderesse a apposé sa signature sous l’énoncé suivant : [traduction] « Je comprends que si ces documents ne sont pas soumis, ma demande de citoyenneté peut être rejetée.»

 

[16]           Après avoir été informée par le ministère de la Santé du délai prévu pour l’obtention des documents, la demanderesse devait donc dûment demander une prorogation de délai. Il est fort possible que la demanderesse se soit fiée sur sa communication avec CIC et l’ait interprétée comme la libérant de l’obligation de respecter le délai du 11 juillet. Malheureusement, cette conversation n’a pas mené à une demande de prorogation de délai.

 

[17]           À mon avis, il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale à cet égard.

 

[18]           La demanderesse semble également contester le caractère raisonnable de la décision en soi et insiste sur le fait qu’elle satisfaisait aux exigences en matière de résidence. L’évaluation de la résidence en application de l’alinéa 5(1)c) de la Loi porte sur une question mixte de fait et de droit. C’est donc la norme de la raisonnabilité qui s’applique. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khzam, 2001 CFPI 513, [2001] A.C.F. no 800 (QL), j’ai affirmé, comme je l’ai fait à plusieurs reprises :

[5]     Cette Cour a statué qu’une interprétation correcte de l’alinéa 5(1)c) de la Loi n’oblige pas une personne à être physiquement présente au Canada pendant toute la période de 1 095 prescrite lorsqu’il existe des circonstances spéciales et exceptionnelles. Toutefois, j’estime que la présence réelle au Canada demeure le facteur le plus pertinent et le plus important lorsqu’il s'agit d’établir si une personne avait sa « résidence » au Canada au sens de cette disposition. Comme je l’ai dit à maintes reprises, une absence trop longue, quoique temporaire, pendant cette période minimum est contraire à l’esprit de la Loi, laquelle permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant l’une des quatre années précédant la date à laquelle elle demande la citoyenneté.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[19]           En l’espèce, la juge de la citoyenneté semble avoir appliqué le plus strict des critères, soit celui de la résidence réelle qui exige que le demandeur prouve sa présence effective au Canada pendant un minimum de 1 095 jours dans les quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté. Dans la lettre informant la demanderesse de sa décision, la juge de la citoyenneté tranche essentiellement la question en ces termes :

[traduction] Bien que vous affirmiez dans votre demande avoir été effectivement présente au Canada pendant 1 286 jours au cours de la période pertinente, vous ne nous avez pas fourni la preuve de votre résidence au Canada et les documents connexes.

 

 

 

[20]           Le dossier certifié (à la page 22) inclut les résultats que la demanderesse a obtenus en utilisant la calculatrice de la période de résidence, un outil en ligne offert par CIC afin d’aider les demandeurs éventuels à vérifier s’ils remplissent les conditions requises pour demander la citoyenneté canadienne. La demanderesse a obtenu un total de 1 096 jours, soit un jour au-dessus du minimum requis. La juge de la citoyenneté semble avoir effacé ce total et l’avoir remplacé par 1 085 jours, en se fondant sur une différence quant à la date indiquée sur la demande. Cela a diminué le nombre de jours de résidence de la demanderesse, qui s’est alors retrouvée avec 11 jours en deçà du minimum requis.

 

[21]           Il convient de signaler que la décision de la juge de la citoyenneté n’a pas mentionné certains autres éléments de preuve fournis par la demanderesse à l’audience, notamment une preuve d’assurance automobile, un historique de compte de carte de crédit, une preuve d’emploi et de revenus, les déclarations de revenus de 2004 à 2007, le certificat de naissance de sa fille datant de 2006 et des copies du passeport de la demanderesse.

 

[22]           Je ne suis pas convaincu que la décision en question fournit les précisions suffisantes pour me permettre d’évaluer les raisons pour lesquelles la demanderesse n’a pas obtenu le nombre minimal de jours de résidence requis. La juge de la citoyenneté semble s’être fondée en grande partie, si ce n’est exclusivement, sur la calculatrice de la période de résidence pour en arriver à son résultat. Même si la juge de la citoyenneté pouvait appliquer le critère strict de la résidence réelle, elle avait tout de même l’obligation de l’appliquer en tenant compte de tous les éléments de preuve qui lui avaient été soumis, y compris le témoignage oral de la demanderesse et les documents qu’elle avait produits à l’audience. Rien n’indique que la juge s’est acquittée de cette obligation. Elle n’a pas appliqué ce critère convenablement, ce qui me permet d’envisager un autre critère moins strict, mais tout aussi valable, qui est aussi accepté par la Cour. En effet, même si le critère de la présence effective est un facteur clé, comme je l’ai dit, pour déterminer la résidence, les 11 jours manquants ne peuvent être considérés comme une « absence considérable » allant forcément à l’encontre de l’esprit de la Loi. Dans les circonstances, la preuve soumise à la juge de la citoyenneté par la demanderesse était, dans son ensemble, suffisante pour lui attribuer la citoyenneté canadienne. L’omission par la demanderesse de soumettre les nouveaux éléments de preuve demandés en temps opportun ne libérait pas, à mon avis, la juge de la citoyenneté de son obligation de justifier adéquatement sa décision, compte tenu de la preuve dont elle disposait.

 

[23]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Compte tenu des circonstances particulières en l’espèce et de mes conclusions susmentionnées, je ne vois pas pourquoi la demande de citoyenneté canadienne de la demanderesse devrait être renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une « nouvelle décision ». À mon avis, le coût en temps et en ressources serait démesuré. Je conclus que les intérêts de la justice me dictent de renvoyer l’affaire à la même juge ou, si elle n’est pas disponible, à un autre juge de la citoyenneté dûment désigné, avec la directive de tout simplement approuver, dès que possible, la citoyenneté canadienne de la demanderesse.


 

JUGEMENT

 

La présente demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la juge de la citoyenneté le 8 août 2008 est accueillie. Les intérêts de la justice me dictent de renvoyer l’affaire à la même juge de la citoyenneté ou, si elle n’est pas disponible, à un autre juge de la citoyenneté dûment désigné, avec la directive de tout simplement approuver, dès que possible, la citoyenneté canadienne de la demanderesse.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1420-08

 

INTITULÉ :                                       DEEPTI KOCHAR c. CITOYENNETÉ ET

IMMIGRATION CANADA (CIC)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Deepti Kochar                                      LA DEMANDERESSE POUR SON PROPRE COMPTE

 

Charmaine de los Reyes                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

                                                            LA DEMANDERESSE POUR SON PROPRE COMPTE

 

John H. Sims, c.r.                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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