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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090324

Dossier : IMM-2818-08

Référence : 2009 CF 302

Montréal (Québec), le 24 mars 2009

En présence de l’honorable Maurice E. Lagacé

 

 

ENTRE :

SHAUKAT ALI KHAN

YASMIN KHAN

WASIM KHAN

SANA KHAN

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), d’une décision qu’un agent des visas du Haut-Commissariat du Canada à Londres, au Royaume-Uni (le HCC) a rendue le 27 mars 2008, par laquelle la demande de visa de résident permanent du demandeur principal à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés, pour immigrer au Canada, a été rejetée parce qu’il ne satisfaisait pas aux exigences prévues au paragraphe 75(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR).

 

II.         Les faits

 

[2]               Shaukat Ali Khan, le demandeur principal (le demandeur), a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés pour lui-même et pour ses personnes à charge, c’est-à-dire sa femme et ses deux enfants. Ils sont tous citoyens de l’Inde.

 

[3]               Le demandeur a un baccalauréat en commerce de la Osmania University et il a beaucoup d’expérience de travail dans le domaine de la comptabilité pour le service des finances de la compagnie Gulf Air, pour qui il a travaillé à temps plein pendant plus de quinze ans. Dans sa demande de résidence permanente, il a précisé que d’octobre 1992 jusqu’à la date de sa demande, il travaillait comme adjoint aux comptes.

 

[4]               L’agent des visas a reproduit dans ses notes l’expérience de travail complète du demandeur et, en tenant compte de ses lettres de référence, il a noté qu’une des lettres indiquait que le demandeur avait été promu au poste d’ « adjoint principal aux comptes » en octobre 2004 et que ce dernier n’avait pas mentionné cette promotion lorsqu’il a rempli la section sur ses antécédents professionnels.

 

[5]               Le 26 février 2008, le HCC a envoyé au demandeur et à sa famille une lettre dans laquelle on leur demandait des documents additionnels afin de rendre une décision quant à leur dossier. La lettre précisait que leur demande ne serait tranchée qu’après que 60 jours se soient écoulés à partir de la date de réception de la lettre. Cependant, avant l’échéance des 60 jours, l’agent des visas a examiné le dossier du demandeur et a conclu :

[traduction]

Pl a décrit son emploi depuis novembre 1992 comme étant la CNP 1431. Les tâches décrites sont celles de la CNP 1431 et les lettres d’emploi appuient cette classification. La CNP 1431 (Commis à la comptabilité et personnel assimilé) n’est pas une profession appartenant aux niveaux de compétence 0, A ou B, par conséquent, je ne suis pas convaincu qu’il satisfait aux exigences minimales requises pour la catégorie des travailleurs qualifiés.

 

 

 

[6]               Le demandeur et sa famille ont finalement reçu une lettre datée du 27 mars 2008 dans laquelle on leur annonçait le rejet de la demande de visas de résident permanent à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés. La lettre de rejet précisait que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences de l’alinéa 75(2)a) du RIPR parce qu’il n’avait pas d’expérience dans une profession de la CNP appartenant aux niveaux de compétence 0, A ou B. De plus, comme le paragraphe 75(3) du RIPR prévoit qu’un étranger qui ne satisfait pas aux exigences verra sa demande rejetée sans autre examen, l’agent des visas a simplement rejeté la demande.

 

[7]               Le 9 mai 2008, malgré le rejet de sa demande, le demandeur a envoyé au HCC les documents supplémentaires que l’agent des visas lui avait demandés. L’agent des visas a examiné les documents supplémentaires du demandeur et a mentionné dans son rejet de la demande que, bien que la lettre d’emploi du demandeur précisait qu’il occupait un poste d’ « agent comptable », ses tâches étaient néanmoins celles de la CNP 1431.

 

III.       La question en litige

 

[8]               L’agent des visas a-t-il manqué aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle en tranchant la demande avant la fin de la période accordée au demandeur pour qu’il présente des documents supplémentaires?

 

IV.       Analyse

 

            La norme de contrôle

[9]               L’expertise particulière des agents des visas exige la retenue dans le contrôle de leurs décisions. L’appréciation d’une personne qui demande la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue. Dans la mesure où cette appréciation a été faite de bonne foi, en respectant les principes de justice naturelle applicables et sans l'intervention de facteurs extrinsèques ou étrangers à la question, la norme de contrôle applicable à la décision de l'agent des visas devrait être celle de la décision manifestement déraisonnable : Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 268, au paragraphe 15; Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[10]           L'agent des visas désigné a le pouvoir de prendre des décisions relatives à la délivrance de visas. Il possède une expertise plus grande que celle de la Cour en la matière, et cette expertise appelle à la retenue (Tiwana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 100).

 

[11]           Comme la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100, « il appartient aux tribunaux judiciaires et non au ministre de donner une réponse juridique aux questions d'équité procédurale ». Ce n’est que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre en matière nomination, prévu au paragraphe 6(5), qui peut faire l’objet d’une « analyse pragmatique et fonctionnelle »; par conséquent, l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne sera pas appliquée et le tribunal de révision examinera toutes les questions, y compris les questions portant sur le caractère adéquat des motifs, pour lequel la décision correcte est la norme de contrôle applicable (Martin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 189, au paragraphe 5; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

 

            Les dispositions légales applicables

[12]           L'article 12(2) de la LIPR est ainsi libellé :

(2) La sélection des étrangers de la catégorie « immigration économique » se fait en fonction de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada.

(2) A foreign national may be selected as a member of the economic class on the basis of their ability to become economically established in Canada.

 

 

[13]           De plus, les paragraphes 75(2) et (3) du RIPR précisent les conditions qui sont imposées à un demandeur qui présente une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés :

75.(1) [...]

 

(2) Est un travailleur qualifié l'étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

 

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions — exception faite des professions d’accès limité;

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

 

 

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

 

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

 

75.(1)[...]

 

(2) A foreign national is a skilled worker if

 

 

(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full-time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part-time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

 

 

 

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

 

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.

 

(3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.

 

[Non souligné dans l'original.]

 

[14]           Compte tenu de ces dispositions, si un demandeur ne satisfait pas aux exigences du paragraphe 75(2), sa demande sera automatiquement rejetée en vertu du paragraphe 75(3). Il est aussi bien établi que lorsqu’un demandeur précise la profession pour laquelle il veut être évalué, l’agent des visas a l’obligation d’examiner cette profession en particulier (Olorunshola c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 1056).

 

            L’examen de l’agent des visas au sujet des antécédents de travail du demandeur

 

[15]           Le demandeur a inscrit dans sa demande qu’il avait au moins quatre ans d’expérience à titre d’ « adjoint aux comptes ». Selon l’agent des visas, les principales tâches du demandeur correspondent à la CNP 1431 et non au « genre de compétence 0 Gestion ou aux niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions ». Par conséquent, l’agent des visas a rejeté la demande du demandeur, conformément au paragraphe 75(3) du RIPR.

 

[16]           Le demandeur insiste que sa profession aurait dû correspondre à la CNP 1231 parce qu’il a inscrit le rapprochement bancaire parmi ses tâches principales. Il fait valoir que si l’examen avait eu lieu en ce sens, il aurait alors satisfait aux exigences prévues au paragraphe 75(3) du RIPR.

 

[17]           La Cour ne voit pas d’erreur de la part de l’agent des visas dans l’examen des qualifications du demandeur. Premièrement, le demandeur a présenté sa demande en fonction de la CNP 1431 « Commis à la comptabilité et personnel assimilé », qui comprend entre autres des tâches de rapprochement bancaire. Cependant, d’après l’affidavit de l’agent des visas, les principales tâches que le demandeur a inscrites dans sa déclaration correspondent mieux à la CNP 1431 qu’à la CNP 1231. L’agent des visas avait l’expertise nécessaire pour faire une telle évaluation et la Cour ne voit aucune raison valable pour renverser l’opinion du décideur, surtout puisque, comme je l’ai déjà mentionné, il est bien établi que l’agent des visas a l’obligation d’évaluer la profession déclarée par le demandeur, qui était la CNP 1431 en l’espèce, et non la CNP 1231.

 

[18]           Les arguments du demandeur démontrent clairement qu’il se fie à sa promotion au poste d’ [traduction] « agent comptable 8e niveau » pour démontrer qu’il satisfait aux exigences du paragraphe 75(2) du RIPR. Cependant, ce paragraphe précise que le demandeur doit prouver qu'il a accumulé au moins une année continue d'expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l'équivalent s'il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions – exception faite des professions d'accès limité.

 

[19]           Par conséquent, le travail du demandeur à titre d’ [traduction] « agent comptable 8e niveau » et ses nouvelles responsabilités censément plus importantes n’auraient pas changé la décision de l’agent des visas.

 

            Équité procédurale

 

[20]           Le Guide de traitement des demandes à l'étranger 1 (OP 1) précise, au sujet de la procédure, que le demandeur doit avoir la possibilité d’apporter des preuves et d’invoquer des arguments afin de désabuser l'agent de toute réserve qu'il puisse avoir.

 

[21]           Les valeurs qui sous-tendent l'obligation d'équité procédurale relèvent du principe selon lequel les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d'un processus équitable, impartial et ouvert, adapté au contexte de la décision.

 

[22]           En l’espèce, le fait que l’agent des visas a déclaré qu’il ne ferait pas avancer le dossier tant qu’il n’aurait pas reçu les documents supplémentaires constituait une raison pour le demandeur de s’attendre à ce que l’agent des visas procède de la façon prévue. Il ne fait aucun doute qu’il aurait été préférable que l’agent des visas attende de recevoir les documents, ce qu’il n’a pas fait. Par contre, même si l’agent des visas avait attendu que le demandeur présente des preuves supplémentaires, ces documents n’auraient eu aucun effet pratique sur la décision.

 

[23]           La promotion du demandeur au poste d’ [traduction] « agent comptable 8e niveau » et sa nouvelle description de tâches, plus de huit mois après le dépôt de sa demande au HCC, ne l’auraient pas aidé à satisfaire aux exigences du paragraphe 75(2) du RIPR, puisque cette expérience de travail n’a pas été accumulée dans les 10 ans précédant la date de sa demande de visa de résident permanent. Par conséquent, le manquement à la procédure de l’agent des visas, dans les circonstances, n’a eu aucun effet sur la décision, particulièrement parce que l’agent n’avait aucun autre choix, en vertu du paragraphe 75(3) du RIPR, que de rejeter la demande sans effectuer d’autre examen.

 

[24]           Le demandeur n'a nullement été lésé par le manquement à la procédure de l'agent. Par conséquent, il n'y a pas eu manquement à l'obligation d'équité et la Cour n'a pas à intervenir. Pour ces motifs, la demande sera rejetée.

 

[25]           La Cour convient avec les parties que le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale qui mérite d’être certifiée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande est rejetée.  

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM-2818-08

 

INTITULÉ :                                       SHAUKAT ALI KHAN ET AL. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 5 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea Arce

 

POUR LES DEMANDEURS

Zoé Richard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waïce Ferdoussi

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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