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Date : 20090317

Dossier : IMM-3381-08

Référence : 2009 CF 278

Toronto (Ontario), le 17 mars 2009

En présence de monsieur le juge Campbell

 

ENTRE :

CLAUDIA EDITH SALDIVAR SOTO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Dans la présente demande, Mme Soto demande l’asile parce qu’elle craint d’être exposée à des risques et d’être persécutée au Mexique par Raphael Castillo, un prédateur violent et puissant qui a des contacts avec la police mexicaine. En reconnaissant la crédibilité de Mme Soto, le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a accepté sa version des faits que je vais résumer de façon cryptique :

Le 21 mars 1999 : Mme Soto rencontre Raphael Castillo.

 

Février 2000 : Raphael insulte et rabaisse la demanderesse lorsqu’elle lui dit qu’elle est enceinte de lui. Il lui répond de se faire avorter. Elle se sent menacée et se rend au bureau du procureur général de l’État dans la municipalité d’Ecatepec, où on lui dit qu’il ne s’agit pas d’un acte criminel, qu’elle n’a rien pour le prouver et qu’ils ne peuvent rien faire pour elle.

 

Le 26 février 2000 : Puisqu’elle ne s’est pas fait avorter, il l’amène en voiture vers une maison isolée à l’extérieur de l’État, la bat, lui dit qu’il va lui faire perdre son bébé et il l’abandonne à son sort. Elle est amenée dans une clinique privée.

 

Le 27 février 2000 : Elle se présente à la police pour porter plainte officiellement, mais la police la prévient du fait que Raphael a des contacts au sein du corps policier et qu’il serait préférable de laisser les choses se calmer et de poursuivre tranquillement sa vie. Elle habite dans la maison de ses parents à Ecatepec, un État du Mexique, situé à 20 minutes en voiture de la ville de Mexico.

 

Pendant sa grossesse, elle déménage chez sa tante qui habite à Benito Juarez, dans la ville de Mexico.

 

Octobre 2001 : Elle donne naissance à sa fille et retourne vivre chez ses parents à Ecatepec après son accouchement.

 

Le 6 avril 2006 : Raphael attend dans une voiture de police devant le lieu de travail de Mme Soto et s’informe au sujet du bébé. Il la frappe au visage, la menace et lui dit qu’elle doit venir vivre avec lui. Il la frappe encore et tente de la faire entrer de force dans la voiture de police. Il la menace de lui enlever sa fille. Elle commence à recevoir au téléphone des menaces de mort par Raphael.

 

Avril 2006 : Elle se présente au ministère public, au bureau du procureur général, à Benito Juarez, dans la municipalité d’Ecatepec, mais on lui dit qu’elle est folle parce que la police au Mexique est là pour protéger les citoyens et non pour leur faire du mal.

 

Le 19 avril 2006 : La demanderesse porte plainte auprès de la Commission nationale des droits de l’homme du Mexique.

 

Le 10 mai 2006 : Elle déménage à Leon, au Guanajuato, pour habiter avec des membres de la famille de son père. Raphael la retrace. Elle reçoit des menaces au téléphone de la part de Raphael qui lui dit qu’il sait où elle est et qu’il la trouvera peu importe où elle ira.

 

Juin 2006 : Mme Soto décide de venir au Canada. Elle laisse sa fille à la résidence de sa tante.

 

[2]               Le rejet de la demande d’asile de Mme Soto par la SPR est fondé sur une conclusion favorable portant que la ville de Mexico constitue une possibilité de refuge intérieur (la PRI) pour la demanderesse. La SPR a correctement appliqué les critères requis pour tirer cette conclusion :

La question déterminante en l’espèce est celle de savoir si une PRI existe à Mexico. La question de la PRI est soulevée lorsqu’un demandeur d’asile craint avec raison d’être persécuté dans sa région natale, mais qu’il peut s’établir en toute sécurité dans une autre région du pays. Le critère à appliquer pour établir s’il y a ou non une PRI comporte deux volets : (i) le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté, ou il est peu vraisemblable que le demandeur d’asile sera personnellement exposé à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités dans la partie du pays où il y a une PRI et (ii) les conditions dans la partie du pays offrant une PRI doivent être telles qu’il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances du cas, que le demandeur d’asile y cherche refuge. Le second volet du critère relatif à la PRI peut aussi être formulé comme suit : serait‑il indûment sévère de s’attendre à ce que la demandeure d’asile aille vivre dans une autre région du pays, moins hostile, avant de demander l’asile à l’étranger? [Notes de bas de page omises.]

 

(Décision, pages 4 et 5)

 

[3]               La conclusion portant que la ville de Mexico constitue une PRI suppose que Mme Soto était exposée à un risque et persécutée par Raphael, mais qu’elle pourrait se réclamer de la protection de l’État dans cette ville si elle devait y retourner. La conclusion a été tirée contrairement à une objection de la part du conseil de Mme Soto qui a allégué en ces termes qu’elle ne pourrait pas être à l’abri de son persécuteur :

[traduction]

Elle croyait donc que, puisqu’il a tous ces contacts, Raphael la retrouverait peu importe où elle irait au Mexique, étant donné que la deuxième fois qu’il l’a retracée, elle a déménagé à Guanajuato, ce qui ne lui a pas empêché de la retrouver là-bas. De plus, la demanderesse estime qu’il est probablement possible que Raphael ait obtenu ces renseignements par l’entremise d’amis au travail ou de membres de la famille, et elle croit qu’il peut la retrouver n’importe où au Mexique.

 

(Dossier du tribunal, page 284)

 

[4]               Il est également important de souligner que la SPR a obtenu des rapports psychologiques sur l’état mentalement fragile de Mme Soto et de sa fille découlant directement de la violence de Raphael. Le diagnostic de sa fille sur sa peur de la [traduction] « personne méchante » a été exposé de la façon suivante par un psychologue du Mexique :

[traduction]

La mineure devient très tendue lorsqu’on lui pose des questions au sujet de la personne méchante, ses inquiétudes perturbent ses activités, elle refuse de faire les dessins qu’on lui demande, il est facile de déceler son manque d’attention, elle est dans un état continu de tristesse et de gémissements, ainsi que de désespoir, elle a un manque d’intérêt pour ses activités préférées; elle est incapable d’apprécier ses activités préférées précédentes, elle s’ennuie continuellement et manque d’énergie, s’isole socialement, communique mal, a une faible estime d’elle-même et éprouve de la culpabilité pour ne pas avoir quitté le pays avec sa mère, souffre de sensibilité extrême, a des difficultés d’interaction accrues, ressent de la rage et de l’hostilité dans ses relations, se plaint fréquemment de maux physiques, tels que mal de tête, mal d’estomac, a une faible concentration et vit des changements importants dans ses habitudes alimentaires et ses habitudes de sommeil, passe la plupart de son temps seule et manque d’intérêt dans tout.

 

Diagnostic : Trouble du comportement chez l’enfant pour cause d’anxiété grave.

 

(Dossier du tribunal, page 189)

 

[5]               La demanderesse a également été évaluée par un psychologue au Canada qui a mené à un diagnostic de trouble de stress post-traumatique (le TSPT) :

[traduction]

Au cours de son évaluation, Mme Saldivar a affirmé qu’elle se sent en sécurité au Canada; cependant, elle continue quand même à souffrir des troubles affectifs et physiologiques causés par le traumatisme qu’elle a vécu au Mexique. Par exemple, elle a peur de sortir de la maison et souffre de crises d’extrême tristesse à cause de ce qui lui est arrivé à elle et à sa fille. En outre, elle s’ennuie profondément de sa famille et de la vie paisible qu’elle menait avant de rencontrer M. Castillo. Ses ruminations au sujet de l’incertitude de sa situation actuelle et de la sécurité précaire de sa fille lui ont d’abord causé de l’insomnie et ont ensuite créé des mauvaises habitudes de sommeil. De plus, bien qu’elle ne fasse pas de cauchemars, elle a à l’occasion des réminiscences ou des rêves sur les mauvais traitements dont elle a été victime, ce qui la bouleverse grandement, la rend très nerveuse et lui donne les mains moites. Elle a aussi signalé qu’elle a perdu du poids depuis le drame, parce que ses vêtements sont trop larges.

 

Comme il a été mentionné précédemment, Mme Saldivar évite de sortir seule ou de parler de son traumatisme. Elle souffre d’hypervigilance et d’hyperexcitation; d’un sentiment d’insécurité et d’une tendance à jeter un coup d’œil en arrière chaque fois qu’elle pense qu’il y a quelqu’un derrière elle. Pour compliquer encore la situation, elle a révélé que des pensées perturbatrices sur son drame passé et la sécurité de sa fille ont affecté ses capacités cognitives parce qu’elle a du mal à se concentrer et qu’elle se met à perdre la mémoire, notamment quant aux conversations qu’elle a eues et aux tâches qu’elle a exécutées. Heureusement, Mme Saldivar a expliqué durant son évaluation qu’elle trouve réconfortant de parler avec sa fille au téléphone et d’être entourée d’amis, mais pas pour discuter de ses problèmes ou de ce qu’elle ressent.

 

Observations finales

 

Selon mon avis professionnel, Mme Saldivar présente des symptômes du trouble de stress post-traumatique (le TSPT) qui découlent des incidents traumatisants qu’elle a vécus au Mexique. En même temps, elle souffre d’un épisode dépressif profond. Depuis son arrivée au Canada, ses symptômes ont cependant jusqu’à un certain point diminué et elle a réussi à retrouver une assez bonne stabilité et tranquillité. En outre, la poursuite d’une thérapie et la prise de médicaments, dans un milieu sûr, l’aideront à récupérer et à restaurer son énergie afin d’atteindre ses objectifs.

 

Ainsi, je crois que, compte tenu de son état psychologique, il n’est pas dans l’intérêt de Mme Saldivar d’être renvoyée au Mexique. Si elle était forcée de retourner dans un pays qu’elle associe avec des risques de harcèlement et de mort, elle souffrirait probablement de décompensation. De plus, Mme Saldivar craint que si elle est renvoyée au Mexique, son ex-conjoint la retrouvera facilement et la tuera en raison de ses nombreux contacts aux ressources abondantes. Elle pense aussi qu’elle « ne sera jamais capable de fréquenter quelqu’un d’autre » puisque M. Castillo a menacé de lui faire le plus grand mal si elle le faisait. Selon elle, elle serait contrainte de vivre dans la solitude et la peur constante de harcèlement et de la possibilité qu’on lui enlève son seul enfant.

 

(Dossier du tribunal, pages 183 et 184)

 

[6]               La conclusion de la SPR quant à la PRI est la suivante :

Compte tenu de l’analyse qui précède, le tribunal conclut que, selon la prépondérance des probabilités, la demandeure d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécutée si elle retourne au Mexique et demeure à Mexico. Cette conclusion satisfait aux exigences du premier volet du critère relatif à la PRI, comme il ressort de Rasaratnam.

 

D’après Thirunavukkarasu, le tribunal doit aussi se pencher sur le second volet de la PRI, soit la question de savoir s’il serait trop sévère de s’attendre à ce que le demandeur d’asile déménage à Mexico. La demandeure d’asile a douze années d’études, les trois dernières années dans un établissement de Mexico. Même si elle a vécu à Ecatepec, dans l’État de Mexico, elle a indiqué que ce n’était qu’à 15 ou 20 minutes de distance de Mexico. En réalité, elle a travaillé à Mexico, comme l’indique son formulaire de renseignements personnels et pense qu’elle sera en mesure de trouver un emploi à Mexico. Compte tenu de ses circonstances personnelles, le tribunal conclut qu’il ne serait pas trop sévère de s’attendre à ce que la demandeure d’asile déménage à Mexico. La décision du tribunal est conforme aux décisions récentes de la Cour fédérale.

 

Puisqu’il existe une PRI à Mexico, le tribunal conclut que la demandeure d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécutée si elle retourne au Mexique. [Notes de bas de page omises.]

 

(Décision, page 6)

 

[7]               À mon avis, en tirant la conclusion que la ville de Mexico constitue une PRI pour Mme Soto, la SPR a commis deux erreurs.

 

[8]               En tirant sa conclusion relative à l’existence d’une PRI, la SPR n’a pas tenu compte du degré de risque que Raphael représente pour Mme Soto. En d’autres termes, avant qu’on puisse affirmer qu’il existe une PRI, le degré de risque doit être évalué et pris en compte pour conclure qu’une protection est offerte. Dans la présente affaire, il est difficile de s’imaginer comment un prédateur puissant pouvait ne pas retrouver Mme Soto et ne pas lui faire du mal puisqu’elle habitait à 20 minutes à peine en voiture de l’endroit où il lui avait fait souffrir une violence horrible.

 

[9]               En outre, la SPR n’a pas reconnu la véracité de l’état mental de Mme Soto et de sa fille, lorsqu’elle a conclu qu’il était raisonnable pour Mme Soto de vivre à Mexico avec ou sans sa fille. En effet, la preuve va à l’encontre de cette possibilité.

 

[10]           En conséquence, je conclus que la décision de la SPR constitue une erreur susceptible de contrôle.


ORDONNANCE

 

Par conséquent, j’annule la décision de la SPR et renvoie l’affaire à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

Il n’y a aucune question à certifier.

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3381-08

 

INTITULÉ :                                       CLAUDIA EDITH SALDIVAR SOTO c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 17 mars 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Hamza N. H. Kisaka

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hamza N. H. Kisaka

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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