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Date : 20090317

Dossier : T-762-08

Référence : 2009 CF 270

Toronto (Ontario), le 17 mars 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

UTILITY TRANSPORT

INTERNATIONAL INC.

demanderesse

 

 

et

 

 

BETTY KINGSLEY,

TRIBUNAL CANADIEN DES

DROITS DE LA PERSONNE

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande conteste la décision de la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) du 15 avril 2008 (Décision) qui renvoie la plainte de la défenderesse, Betty Kingsley, au Tribunal canadien des droits de la personne. La demanderesse, Utility Transport International Inc., sollicite une ordonnance en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (Loi), pour casser et annuler la décision.

 

[2]               La demanderesse est un transporteur public et contractuel spécialisé transfontalier qui effectue du transport prioritaire pour ses clients. Elle possède 65 camions, 90 remorques, 12 pièces d’équipement spécialisées et 15 tractionnaires.

 

[3]               Le 22 juillet 2008, les parties ont consenti à une ordonnance demandant le retrait de la défenderesse, la Commission canadienne des droits de la personne, en tant que défenderesse désignée dans les procédures, sans dépens conformément aux articles 18, 18.1 et 18.2 de la Loi. 

 

CONTEXTE

 

[4]               Le 12 mai 2004, la défenderesse, Betty Kingsley, a été embauchée par la demanderesse, Utility Transport International Inc., pour occuper un poste de commis. Dans les deux mois qui ont suivi son entrée en fonction, elle a été promue à un poste de coordonnatrice de flotte.

 

[5]               Dans le cadre de son travail, la défenderesse devait effectuer les tâches suivantes : mettre à jour les dossiers de transport en fonction du livre des permis d’exploitation (permis, autocollants, enregistrements, journaux de bord, transpondeurs); apposer les autocollants appropriés à bord des camions aux fins des déplacements au Canada et aux États-Unis; conduire les chauffeurs à leur rendez-vous chez le médecin pour les examens de préembauchage.

 

[6]               La défenderesse prétend que M. Campitelli, le secrétaire-trésorier de l’entreprise demanderesse, a dit aux chauffeurs qu’elle avait passé la nuit avec M. Tom Mackay, un chauffeur de l’entreprise demanderesse, dans le camion de transport de ce dernier en novembre 2006. La défenderesse affirme que M. Mackay l’a informée, le 13 février 2007, des commentaires faits par M. Campitelli.

 

[7]               La demanderesse a acheté un nouveau camion de transport en novembre 2006, et la défenderesse s’apprêtait à aller fixer les autocollants à l’intérieur du camion sur la partie du pare‑brise située du côté du chauffeur quand M. Mackay, qui était dans le bureau et attendait que la répartition soit terminée, s’est offert pour aller lui donner un coup de main.

 

[8]               M. Mackay a aidé à fixer quelques autocollants sur la partie intérieure des fenêtres du camion, pendant que la défenderesse en apposait sur le pare-chocs et à l’intérieur du camion. Elle s’est également assurée que le livre des permis d’exploitation était à jour aux fins de la répartition.

 

[9]               Au même moment, M. Campitelli se trouvait dans l’entrepôt de pneus, soit 50 pieds plus loin environ, en compagnie de M. MacGarry, un autre chauffeur. Les deux portes du camion étaient ouvertes. La défenderesse affirme que M. Campitelli les a vus, elle et M. Mackay, dans le camion et qu’il a demandé ce qu’elle faisait. La défenderesse signale que M. MacGarry a répondu à M. Campitelli qu’elle fixait les autocollants sur le camion et mettait à jour le livre des permis d’exploitation.

 

[10]           La défenderesse soutient que, quatre mois après cet incident, M. Mackay lui a dit clairement que M. Campitelli répandait la rumeur qu’ils avaient, elle et M. Mackay, couché ensemble dans le camion cette nuit-là. En outre, la défenderesse affirme que Jerry Fenton, un autre chauffeur de l’entreprise demanderesse, lui a raconté que M. Campitelli lui avait dit directement que la défenderesse avait couché avec M. Mackay.

 

[11]           La défenderesse mentionne qu’elle a dit au directeur du bureau, Bruce Higgerson, que M. Campitelli avait détruit sa réputation; ce à quoi, il aurait alors répondu : [traduction] « Il a détruit la réputation de tous, pourquoi agirait-il différemment à votre égard? » La défenderesse raconte qu’elle est ensuite allée consulter son médecin et que celui-ci lui a prescrit un congé pour cause de stress d’une durée d’un mois. Après cette consultation, la défenderesse a indiqué à MM. Higgerson et Campitelli qu’elle allait prendre congé pour cause de stress et qu’elle communiquerait avec la Commission pour déposer une plainte.

 

[12]           La défenderesse prétend que M. Campitelli a dit qu’il ferait « ce qu’il lui plairait foutrement de faire, que c’était son entreprise et qu’il pouvait faire ce qu’il voulait ».

 

[13]           La défenderesse affirme qu’elle a demandé des prestations pour congé de maladie à l’entreprise demanderesse et décidé qu’elle ne pouvait plus retourner dans ce bureau, vu l’atmosphère qui y régnait. Elle est maintenant sans emploi à l’âge de 54 ans.

 

[14]           La demanderesse a nié les allégations de discrimination, de harcèlement faites par la défenderesse ou les incidents de discrimination qui se sont produits à son égard. M. Campitelli a également nié « s’être adonné à du “colportage de rumeurs”, ou avoir généré ou répandu quelque rumeur que ce soit concernant la plaignante ».

 

DÉCISION CONTESTÉE

 

[15]           Le rapport d’enquête initial soutenait que, compte tenu de la négation des allégations par M. Campitelli et du manque de coopération des témoins, déterminer si le commentaire offensant avait été fait n’était plus qu’une question de la parole de la défenderesse contre celle de M. Campitelli. En outre, en l’absence de toute défense autre que la négation des allégations par la défenderesse, l’agent d’enquête a conclu que les allégations de la demanderesse n’avaient pas été refutées et que la défenderesse n’avait pris aucune mesure pour parer au présumé harcèlement.

 

[16]           Le rapport d’enquête cite l’affaire François c. Canadian Pacific Ltd., [1988] DCDP no 1, et l’affaire Hinds c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1988] DCDP n13, relativement aux trois conditions fondamentales auxquelles l’employeur doit satisfaire pour éviter la responsabilité prévue au paragraphe 65(2) de la Loi canadienne des droits de la personne, L.R., 1985, ch. H-6 (LCDP); ces conditions sont les suivantes :

 

1.       l’acte ou l’omission faisant l’objet de la plainte a eu lieu sans le consentement de l’employeur;

2.       l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires pour empêcher l’acte ou l’omission;

3.       l’employeur a, par la suite, tenter d’atténuer ou d’annuler les effets de l’acte ou l’omission.

 

[17]           Pour déterminer si l’employeur a pris toutes les mesures nécessaires, il faut examiner comment il a réagi. Pour se soustraire à la responsabilité, l’employeur doit pendre des mesures raisonnables pour atténuer, autant qu’il le peut, le malaise qui règne dans le milieu de travail et pour donner aux personnes intéressées l’assurance qu’il a la ferme volonté de maintenir un milieu de travail exempt de harcèlement. La réaction appropriée est donc à la fois prompte et efficace et sa force doit être fonction des circonstances du harcèlement, dans chaque cas. L’agent d’enquête a conclu que la prétention de la défenderesse laissait sous-entendre que la demanderesse n’avait pris aucune mesure pour atténuer les effets du présumé harcèlement.

 

[18]           L’agent d’enquête a fait observer que les parties avaient refusé la médiation. Il a recommandé que, conformément à l’article 47 de la LCDP, un conciliateur soit nommé pour régler la plainte et, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la LCDP, demander au président de la Commission de désigner un membre pour instruire la plainte étant donné qu’un examen plus approfondi de celle‑ci était justifié.

 

[19]           Le 15 avril 2008, la Commission a envoyé une lettre aux parties résumant sa décision. Elle a indiqué qu’elle avait revu le rapport de l’enquêteur et qu’après en avoir examiné le contenu, elle réitérait la recommandation des enquêteurs comme suit :

[traduction] Conformément à l’article 47 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, charger un conciliateur du règlement de la plainte et, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la Loi, demander au président du Tribunal canadien des droits de la personne de désigner un membre pour instruire la plainte étant donné que : compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, un examen plus approfondi est justifié. Si les parties ne parviennent pas à un règlement, dans les quatre-vingt-dix jours (90) suivant la date de la présente décision, la question sera renvoyée au Tribunal. Si les parties parviennent à un règlement, les conditions du règlement seront renvoyées à la Commission aux fins d’approbation ou de rejet, conformément au paragraphe 48(1) de la Loi.

 

QUESTIONS À TRANCHER

 

[20]           La demanderesse soulève les points suivants :

1.                  La Commission a-t-elle commis une erreur en droit ou omis d’observer les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale en fondant sa décision sur le rapport d’enquête :

a)                  qui était défectueux étant donné qu’il ne contenait aucune preuve directe, originale pour appuyer les allégations selon lesquelles la conduite décrite aurait eu lieu;

b)                 dont la recommandation était fondée sur à peine un peu plus que de la rumeur non corroborée, du « ouï-dire de troisième niveau »?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[21]           Les dispositions législatives suivantes sont applicables en l’espèce :

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.

 

Délai de présentation

 

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l’office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

 

 

 

 

Pouvoirs de la Cour fédérale

 

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :

 

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;

 

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.

 

 

Motifs

 

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :

 

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;

 

 

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;

 

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

 

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;

 

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

 

Vice de forme

 

 

(5) La Cour fédérale peut rejeter toute demande de contrôle judiciaire fondée uniquement sur un vice de forme si elle estime qu’en l’occurrence le vice n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice et, le cas échéant, valider la décision ou l’ordonnance entachée du vice et donner effet à celle-ci selon les modalités de temps et autres qu’elle estime indiquées.

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

 

Time limitation

 

(2) An application for judicial review in respect of a decision or an order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within 30 days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected by it, or within any further time that a judge of the Federal Court may fix or allow before or after the end of those 30 days.

 

Powers of Federal Court

 

(3) On an application for judicial review, the Federal Court may

 

 

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or

 

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

 

Grounds of review

 

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

 

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

 

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

 

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

 

(f) acted in any other way that was contrary to law.

 

Defect in form or technical irregularity

 

(5) If the sole ground for relief established on an application for judicial review is a defect in form or a technical irregularity, the Federal Court may

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(a) refuse the relief if it finds that no substantial wrong or miscarriage of justice has occurred; and

 

(b) in the case of a defect in form or a technical irregularity in a decision or an order, make an order validating the decision or order, to have effect from any time and on any terms that it considers appropriate.

 

 

[22]           Les dispositions suivantes de la CCDP sont également appropriées :

Rapport

 

44. (1) L’enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l’enquête.

 

 

 

Suite à donner au rapport

 

(2) La Commission renvoie le plaignant à l’autorité compétente dans les cas où, sur réception du rapport, elle est convaincue, selon le cas :

 

a) que le plaignant devrait épuiser les recours internes ou les procédures d’appel ou de règlement des griefs qui lui sont normalement ouverts;

 

b) que la plainte pourrait avantageusement être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale.

 

Idem

 

(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

 

a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l’article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

 

(i) d’une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci est justifié,

 

(ii) d’autre part, qu’il n’y a pas lieu de renvoyer la plainte en application du paragraphe (2) ni de la rejeter aux termes des alinéas 41c) à e);

 

 

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

 

 

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

 

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

 

 

Avis

 

(4) Après réception du rapport, la Commission :

 

 

a) informe par écrit les parties à la plainte de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3);

 

 

b) peut informer toute autre personne, de la manière qu’elle juge indiquée, de la décision qu’elle a prise en vertu des paragraphes (2) ou (3).

Report

 

44. (1) An investigator shall, as soon as possible after the conclusion of an investigation, submit to the Commission a report of the findings of the investigation.

 

Action on receipt of report

 

(2) If, on receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission is satisfied

 

 

 

(a) that the complainant ought to exhaust grievance or review procedures otherwise reasonably available, or

 

 

(b) that the complaint could more appropriately be dealt with, initially or completely, by means of a procedure provided for under an Act of Parliament other than this Act,

 

Idem

 

(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) may request the Chairperson of the Tribunal to institute an inquiry under section 49 into the complaint to which the report relates if the Commission is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is warranted, and

 

(ii) that the complaint to which the report relates should not be referred pursuant to subsection (2) or dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e); or

 

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

 

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

 

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

 

Notice

 

(4) After receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

 

(a) shall notify in writing the complainant and the person against whom the complaint was made of its action under subsection (2) or (3); and

 

(b) may, in such manner as it sees fit, notify any other person whom it considers necessary to notify of its action under subsection (2) or (3).

 

 


NORME DE CONTRÔLE

 

[23]           Le rapport de l’enquêteur constitue les motifs de la Commission. Par conséquent, si le rapport de l’enquêteur est défectueux, il s’ensuit que la décision de la Commission l’est aussi, étant donné qu’elle ne disposait pas d'un nombre suffisant de renseignements pertinents pour exercer à bon droit son pouvoir discrétionnaire Forster c. Canada (Procureur général), [2006] C.F. 787, au paragraphe 37, et Canada (Procureur général) c. Grover, [2004] A.C.F. no 865 (C.F.), au paragraphe 25 (Grover).

 

[24]           Le pouvoir discrétionnaire qui est conféré à la Commission pour déterminer si une plainte doit être rejetée ou si elle doit être renvoyée à l'arbitrage devant un tribunal ne lui permet pas, à mon avis, de contourner la procédure d'enquête et de ne faire aucun cas d'un témoin nécessaire. Aucun fait pertinent ne devrait être omis. Les omissions, en particulier lorsque les renseignements nuisent à la position du plaignant, laissent uniquement planer un doute sérieux sur la neutralité de l'enquêteur : Société Radio-Canada c. Paul, [1998] A.C.F. no 1823 (1re inst.), au paragraphe 63 (Paul).

 

[25]           La Commission devrait rejeter une plainte « pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal » et déterminer « si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante » : Paul au paragraphe 62.

 

[26]           L’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Forces armées), [1999] 3 C.F. 653 (C.F. 1re inst.), a traité du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission impliquant le harcèlement sexuel. La Cour avait ce qui suit de pertinent à dire aux paragraphes 22 à 24 et 27 à 28:

22.  La Cour suprême du Canada a statué que lorsque la décision d'un tribunal des droits de la personne est examinée, la norme de contrôle en ce qui concerne les questions de droit devrait être celle de la justesse: on ne devrait pas faire preuve de retenue à l'égard des conclusions tirées par le tribunal sur un point de droit.

 

23.  D'autre part, lorsqu'une question de fait est en cause, soit une question qui relève du champ d'expertise du tribunal, la norme de contrôle applicable est celle du caractère manifestement déraisonnable.

 

24.  En l'espèce, le tribunal devait utiliser le critère juridique applicable en matière de harcèlement sexuel à la conduite reprochée afin de déterminer si les événements qui s'étaient produits constituaient du harcèlement sexuel. Il s'agit d'une question de fait et de droit.

 

27.  D'autre part, la Loi canadienne sur les droits de la personne ne prévoit pas de droit d'appel, ce qui laisse entendre que les décisions du tribunal sont définitives, mais il n'existe aucune clause privative en ce sens. L'absence d'un droit d'appel prévu par la loi montre qu'il faudrait faire preuve d'une plus grande retenue, alors que l'absence de clause privative signifie habituellement qu'il faudrait faire preuve de moins de retenue.

 

28.  J'ai minutieusement examiné ces facteurs et je conclus que la norme de contrôle applicable en l'espèce, comme dans l'affaire Southam, est celle du caractère raisonnable : à condition que la décision soit étayée par des motifs que la preuve peut justifier, la Cour ne devrait pas intervenir.

 

[27]            Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable soient différentes en théorie, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. Par conséquent, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il y avait lieu de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[28]            La Cour suprême du Canada a aussi conclu dans l’arrêt Dunsmuir que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être menée dans tous les cas. Lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière dont la cour est saisie a été bien établie par la jurisprudence antérieure, la cour de révision peut tout simplement appliquer cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche s’avère infructueuse que la cour de révision doit examiner les quatre facteurs faisant partie de l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[29]           En l’espèce, la demanderesse a expressément soulevé les questions d’équité procédurale qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l'Immigration), 2002 CSC 1.

 

ARGUMENTS

La demanderesse

 

[30]           La demanderesse fait valoir que le rapport d’enquête du 18 décembre 2007 ayant entraîné la décision de la Commission était défectueux et comportait des lacunes fondamentales. En outre, la demanderesse a soutenu que le rapport : contenait des conclusions erronées; ne comportait aucune preuve directe, admissible ou des faits importants établissant que l’objet de la plainte avait eu lieu et aucune preuve directe ou admissible reliant le prétendu harcèlement sexuel à la demanderesse.

 

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en renvoyant la présente affaire au Tribunal?

 

[31]           La demanderesse prétend qu’il n’existait aucun fondement rationnel permettant à la Commission de faire passer la plainte à l’étape de l’enquête. La demanderesse soutient qu’il n’y avait eu aucune preuve directe, admissible ou convaincante établissant que la conduite faisant l’objet de la plainte a eu lieu.

 

[32]           La demanderesse soutient également que la Commission doit s’acquitter d’une obligation l’équité procédurale exigeant qu’elle dispose « d’un fondement adéquat et juste pour évaluer s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour justifier la constitution d’un tribunal » : Forster c. Canada (Procureur général), [2006] C. F. 787, au paragraphe 47.

 

[33]           La demanderesse affirme que, pour que la Commission renvoie une plainte au Tribunal aux termes de l’article 7, des faits importants précis doivent être liés à une pratique discriminatoire possible dans l’affaire faisant l’objet de l’enquête. La Cour suprême du Canada a établi le critère à appliquer au paragraphe 62 de l’arrêt Société Radio-Canada c. Paul, [1998] A.C.F. no 1823 (C.F. 1re inst.); selon ce critère, la plainte devrait être rejetée « pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal ».

 

[34]           La demanderesse soutient que la décision d’ordonner une enquête en l’espèce était fondée sur l’évaluation erronée par la Commission de la preuve pertinente déposée devant elle. La Commission a également pris en considération la preuve non pertinente et autrement inadmissible et a tiré des conclusions de fait erronées en tenant pas compte des documents déposés devant elle. La décision a été soit contraire à la preuve déposée devant elle ou non étayée par elle. 

 

[35]           Le rôle de la Commission consiste à déterminer s’il existe une preuve suffisante établissant une base raisonnable pour justifier l’audition de la plainte. Dans les arrêts Bell c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) et Cooper c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 R.C.S. 854 (C.S.C.), le juge La Forest décrit le rôle de la Commission comme suit :

 

a)                  Elle exerce des fonctions d'administration et d'examen préalable sans pouvoir décisionnel important (par. 58);

 

b)                 C'est à elle que la Loi a confié le mandat de recevoir, de gérer et de traiter les plaintes concernant des actes discriminatoires (par. 48);

 

c)                  Lorsqu'elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal des droits de la personne, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu'un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi, et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect essentiel de son rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante (par. 55);

 

d)                 La commission a le pouvoir d'interpréter et d'appliquer sa loi habilitante, mais elle n'est pas habilitée à se prononcer sur des questions de droit générales (par. 52). 

 

 

[36]           En l’espèce, la demanderesse affirme que la Commission n’a pas fondé sa décision sur les documents déposés devant elle pour établir s’il était raisonnablement justifié de passer à l’étape suivante du processus. La Commission ne peut pas accepter la recommandation de l’enquêteur de poursuivre l’enquête en se fondant sur des considérations non pertinentes ou étrangères : Williams c. First Air, [1998] A. C. F. no 1844 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 38 et 52; Oakwood Development Ltd c. St. François Xavier (Municipalité rurale), [1985] 2 R.C.S. 164, au paragraphe 15.

 

[37]           Dans Varma c. Société canadienne des postes, [1995] A.C.F. no 1065 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 13-14, conf. par [1996] A.C.F. no 1381 (C.A.F.), le juge Reed donne les directives suivantes relativement à la preuve nécessaire à l'établissement d'une demande d'asile :

[...] Il est important de distinguer entre la preuve d'un fait primaire et la preuve qui ressortit à des opinions ou à des convictions personnelles. En l'espèce, le requérant est personnellement convaincu que plusieurs des événements qui se sont produits sont le fruit des préjugés raciaux qu'avaient les personnes avec lesquelles il a traité. La CCDP, ou une cour, ne peut donner suite à ce genre d'affirmation ou conviction que si une preuve d'un fait primaire l'étaye. Il faut une preuve directe qui se rapporte à l'événement en question et qui lie celui-ci à une discrimination raciale. C'est là l'élément nécessaire pour établir que les actions ont été motivées par le racisme et non simplement par d'autres facteurs, comme un mauvais tempérament, une frustration ou un conflit de personnalités.

 

[...] Il faut, pour appuyer une telle allégation, une preuve directe qui lie les décisions défavorables en question au préjugé racial. Ce n'est pas facile, mais il faut le faire pour éviter les fausses allégations susceptibles d'être diffamatoires.

 

 

[38]           La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur de droit en tirant une conclusion qui était déraisonnable en ce qu’elle n’était pas fondée sur une preuve admissible et suffisante. Le large pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission, lorsqu'il s'agit de déterminer si une plainte doit être rejetée ou renvoyée à l'arbitrage devant un tribunal, ne permet pas à la Commission, à mon avis, de contourner la procédure d'enquête et de ne faire aucun cas d'un témoin nécessaire ou des faits pertinents. Selon la demanderesse, il n’y a pas eu d’omissions graves, particulièrement en ce qui a trait à la preuve, qui ont nui à la position de Mme  Kingsley et laissé planer un doute sérieux sur la neutralité de l'enquêteur.

 

Preuve par ouï‑dire

 

[39]           La demanderesse a en outre soutenu que la Commission a commis une erreur de droit et violé les principes de justice naturelle en prenant en compte la preuve par ouï‑dire et d’autres preuves inadmissibles contenues dans le rapport d’enquête et en agissant en fonction d’elles. La demanderesse souligne que Mme Kingsley a reconnu qu’elle n’avait pas, en fait, entendu M. Campitelli faire le prétendu commentaire. La plainte était entièrement fondée sur du « ouï-dire de troisième niveau ». 

 

[40]           La demanderesse reconnaît que les tribunaux administratifs ne sont pas liés par des règles de preuve rigoureuses que doivent observer les cours et qu’ils sont autorisés à accepter la preuve par ouï-dire : Jeffers c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 TCDP 25, au paragraphe 10. Toutefois, la demanderesse soutient qu’il faut tenir compte des facteurs de fiabilité et de nécessité pour déterminer si la preuve par ouï‑dire doit être acceptée. En l’espèce, l’enquêteur a accepté les preuves par ouï-dire de sources non identifiées, qui n’étaient rien de plus que des rumeurs. En outre, l’enquêteur a omis d’interroger un témoin clé. Dans ces circonstances, la Commission n’aurait pas dû permettre que la plainte passe à l’étape suivante. La Commission n’avait aucun motif rationnel ou raisonnable pour exercer son pouvoir discrétionnaire.

 

La défenderesse

 

[41]           La défenderesse n’a pas présenté de mémoire des faits et du droit en réponse à cette demande. Toutefois, elle n’a pas envoyé de lettre réitérant la validité de sa plainte. 

 

ANALYSE

 

[42]           Mme  Kingsley n’a produit aucun dossier en l’espèce. La veille de l’audience et à l’audience même, l’avocat dont les services avaient été récemment retenus par Mme Kingsley (1er décembre 2008) a demandé un ajournement afin de pouvoir examiner le dossier et préparer les documents de réponse. Aucune explication autre que la simple inadvertance ou le manque de compréhension du processus n’a été fournie par Mme Kingsley, soit à l’aide d’un affidavit ou par l’intermédiaire d’un avocat, concernant  la raison pour laquelle elle n’a pas produit son dossier au moment approprié. Toutefois, Mme Kingsley a produit son propre avis de comparution le 30 juin 2008, ce qui donne à penser qu’elle savait qu’elle était engagée dans une procédure légale qui nécessitait le dépôt de documents, et pourtant elle n’a décidé de désigner un conseiller juridique qu’à la veille de l’audience et n’a fourni aucune véritable explication de sa négligence à la Cour. Dans ces circonstances, la Cour a estimé qu’elle ne pouvait pas accorder l’ajournement et les prolongations du délai demandés.

 

[43]           Dans l’arrêt Paul, la juge Tremblay-Lamer a énoncé les principes suivants qui sont applicables à la demande qui est déposée devant moi :

56.     Lorsque la Commission n'énonce pas de motifs à l'appui de la décision qu'elle a prise de renvoyer une plainte à un tribunal, ses motifs seront considérés comme étant ceux qui figurent dans le rapport d'enquête.

 

[...]

 

58.   Par conséquent, si le rapport d'enquête, que la CCDP a adopté dans sa décision, est fondamentalement vicié, la décision elle-même de constituer un tribunal sera également viciée.

 

59.   La Commission doit respecter les règles d'équité procédurale lorsqu'elle enquête sur une plainte, ce qui veut dire que l'affaire doit être instruite objectivement et avec un esprit ouvert; que la question ne peut pas être tranchée à l'avance; et que les parties doivent être informées des éléments de preuve dont dispose la Commission de façon qu'elles puissent présenter des observations utiles. En d'autres termes, comme l'a dit mon collègue le juge Nadon dans la décision Slattery, la Commission « doit satisfaire à au moins deux conditions: la neutralité et la rigueur ».

 

60.   L'arbitre n'a pas un rôle de poursuivant. Il n'agit pas à l'aveuglette.

 

61.   Le rôle de la Commission, lorsqu'elle décide si une plainte doit continuer à être traitée, a été établi dans l'arrêt Cooper. Le juge La Forest, qui parlait au nom de la majorité, a dit ceci :

 

 

La Commission n'est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu'elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu'un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l'ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L'aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s'il existe une preuve suffisante.

 

62     Dans l'arrêt SEPQA, la Cour suprême du Canada a établi le critère à appliquer aux fins de l'examen de la décision que la Commission a prise de constituer un tribunal conformément à l'article 44 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le critère préliminaire est très souple, comme la Cour d'appel fédérale l'a récemment souligné dans l'arrêt Bell Canada, mais le juge Sopinka a dit que le but de l'alinéa 36(3)b) (maintenant article 44) était que la Commission rejette une plainte « pour les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d'un tribunal ». Le juge a reconnu qu'il ne s'agissait pas d'une procédure judiciaire, mais il a dit que la Commission doit déterminer « si la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l'étape suivante. »

 

63 L'enquêteur doit essentiellement recueillir les renseignements qui serviront de fondement adéquat et juste dans une affaire particulière, et qui permettront à la Commission de soupeser tous les intérêts en jeu et de décider de la prochaine étape. Aucun fait pertinent ne devrait être omis. Les omissions, en particulier lorsque les renseignements nuisent à la position du plaignant, laissent uniquement planer un doute sérieux sur la neutralité de l'enquêteur. Je me rends bien compte qu'il s'agit d'une tâche difficile, mais ce n'est qu'en respectant cette norme stricte d'équité que l'enquêteur aidera la Commission à maintenir sa crédibilité.

 

[...]

 

71.   Il est important de noter qu'il s'agit d'une enquête menée en vertu de l'article 7 de la LCDP et non en vertu de l'article 10. À mon avis, afin d'avoir des motifs suffisants pour constituer un tribunal, il faut constater l'existence de faits importants précis, établissant un lien entre un acte discriminatoire possible et l'affaire faisant l'objet de l'enquête.

 

 

[44]           En ne perdant pas de vue ces principes de base, si je reviens sur les faits de l’espèce et la décision de la Commission de procéder à la phase du tribunal conformément à l’article 44 de la Loi, il en ressort immédiatement ce qui suit :

1.       Le paragraphe 6 du rapport de l’enquêteur indique que l’enquêteur a interrogé Mme Kingsley et MM. Tom Mackay et Tom MacGarry. L’enquêteur affirme avoir échoué dans sa tentative de communiquer avec M. Tom Higgerson, directeur du bureau, et M. Jerry Fenton, puisqu’ils n’ont pas retourné ses appels.

 

Nous n’avons pas obtenu de réponse de M. Fenton, mais M. Higgerson affirme très clairement qu’un représentant de la Commission avait laissé un message sur son répondeur le 27 novembre 2007, lui demandant de l’appeler. M. Higgerson a tenté, mais sans succès, de communiquer directement avec le représentant. Il n’a reçu aucun autre appel.

 

Rien n’explique pourquoi l’enquêteur n’a pas communiqué avec M. Higgerson, un témoin important auquel Mme Kingsley fait référence dans sa plainte. M. Higgerson est un témoin important, car il nie avoir prononcé les paroles qui lui ont été attribuées, à lui et à M. Campitelli, par Mme Kingsley. Il donne en outre un compte rendu clair de l’entretien qu’il a eu avec Mme Kingsley le 12 février 2007 et soutient qu’elle l’a informé, au cours dudit entretien, qu’elle demanderait un congé de maladie en raison du stress qu’elle éprouvait au travail, sans toutefois faire de lien avec le fait que M. Campitelli avait détruit sa réputation.

 

M. Higgerson est directeur de bureau chez Utility Transport et rien n’explique pourquoi l’enquêteur n’a pas été en mesure de communiquer avec un témoin si important. L’enquêteur s’est plaint [traduction] du « manque de collaboration des témoins » dans l’une des ses conclusions, mais cela ne semble pas être le cas en ce qui concerne M. Higgerson.

 

Tout cela dénote un manque de rigueur de la part de l’enquêteur et mine son impartialité et son sens de l’équité en matière de conclusions.

 

2.       Au paragraphe 7 du rapport, l’enquêteur indique que [traduction] « la plaignante allègue que M. Campitelli disait aux chauffeurs qu’elle avait passé une nuit avec M. Tom Mackay dans le camion de transport de ce dernier quelque temps avant novembre 2006. »

 

Cela est inexact. Mme Kingsley a soutenu ce qui suit : [traduction] « L’objet de ma plainte s’est produit le 13 février 2007 lorsqu’un chauffeur, M. Tom Mackay, m’a informée que John Campitelli racontait aux chauffeurs que j’avais passé la nuit avec M. Mackay dans le camion de ce dernier. » Elle affirme ensuite que [traduction] « l’incident évoqué par John Campitelli s’est produit environ quatre mois auparavant lorsqu’Utility International (John Campitelli) a acheté un nouveau camion de transport ».

 

Rien n’indique comment Mme Kingsley pouvait savoir à quel incident particulier M. Campitelli faisait prétendument référence et, plus important encore, la plainte ne portait pas sur le fait que « M. Campitelli disait à ses chauffeurs » que Mme  Kingsley avait passé la nuit dans le camion avec M. Mackay. Mme Kingsley ignorait ce que M. Campitelli pouvait avoir dit à ce sujet. La plainte portait sur le fait que M. Mackay l’avait informée de paroles prétendument prononcées par M. Campitelli. L’enquêteur a transformé la rumeur colportée par M. Mackay en quelque chose dont Mme Kingsley n’avait aucune connaissance directe. Lorsque l’enquêteur considère le ouï-dire et la rumeur comme un fait établi, cela a des répercussions extrêmement importantes sur l’ensemble du rapport. Comme l’enquêteur l’a découvert par la suite, même M. Mackay n’a pas entendu M. Campitelli dire que Mme Kingsley avait passé la nuit avec lui.

 

L’objet de la plainte était ce que Mme Kingsley avait appris de M. Mackay.

 

3.       Un aspect important du témoignage de Mme Kingsley est rapporté au paragraphe 13 du rapport. Elle allègue qu’elle est allée voir M. Higgerson et qu’elle lui a dit que M. Campitelli avait [traduction] « détruit sa réputation »; ce à quoi M. Higgerson a répondu : [traduction] « Il a détruit la réputation de tous, pourquoi agirait-il différemment dans votre cas? » Mis à part le fait que cela n’est pas pertinent pour déterminer si M. Campitelli a prononcé les paroles offensantes, M. Higgerson – un témoin facilement accessible – n’a jamais été interrogé et, dans son témoignage, il nie ce que Mme Kingsley soutient qu’elle a dit ou qu’il a répondu.

 

4.       Au paragraphe 18, l’enquêteur rapporte que M. Tom MacGarry a confirmé qu’il était avec M. Campitelli lors du [traduction] « prétendu incident », mais il est clair que [traduction] « M. Campitelli n’a pas, à ce moment-là, fait les prétendus commentaires ou tout autre commentaire au sujet de Mme Kingsley ».

 

Il n’y a donc pas eu un [traduction] « manque de collaboration » de la part de M. MacGarry et son témoignage à cet égard appuie clairement la position de M. Campitelli.

 

5.       Au paragraphe 19, l’enquêteur affirme que M. Tom Mackay [traduction] « a confirmé que ce que Mme Kingsley a déclaré sur la formule de plainte correspond à ce qu’il a entendu d’un autre chauffeur, à savoir que M. Campitelli lui a dit que Mme Kingsley avait couché avec M. Mackay ».

 

Cela est inexact car, sur la formule de plainte, Mme Kingsley n’a pas dit que M. Mackay avait entendu la rumeur d’un autre chauffeur; elle a dit : [traduction] « Un chauffeur, M. Mackay, m’a informée que John Campitelli racontait aux chauffeurs que j’avais passé la nuit dans le camion de transport de M. Mackay avec M. Mackay. »

 

Mme  Kingsley ne fait nullement mention d’un [traduction] « autre chauffeur » en ce qui a trait à M. Mackay, un fait dont l’enquêteur n’a pas tenu compte. Sur la formule de plainte, Mme Kingsley rapporte les paroles entendues par l’autre chauffeur comme si c’était M. Mackay qui les avait directement entendues. Non seulement l’enquêteur omet de relever cette divergence, mais il conclut que M. Mackay « a confirmé les déclarations de Mme Kingsley ». Par conséquent, le crédit en ce qui a trait à l’écart existant entre sa plainte et la version des événements de M. Mackay est attribué à Mme Kingsley.

 

Non seulement M. Mackay précise qu’il a uniquement entendu la rumeur d’un autre chauffeur et qu’il ne sait pas pertinemment si M. Campitelli a prononcé ces paroles offensantes, mais il refuse de donner le nom du chauffeur de qui il dit tenir ces propos; par conséquent, la rumeur n’a pu être retracée plus loin que M. Mackay.

 

6.       Au paragraphe 21, l’enquêteur tire une conclusion qui s’avère cruciale pour l’ensemble du rapport :

21. CONCLUSIONS : Compte tenu de la négation des allégations par M. Campitelli et du manque de collaboration des témoins, déterminer si que le prétendu commentaire a été fait ou non n’est plus qu’une question de la parole de Mme Kingsley contre celle de M. Campitelli.

 

À mon avis, cette conclusion est inexacte et déraisonnable pour diverses raisons :

a)    Les témoins, sauf M. Mackay lorsqu’il a refusé de nommer l’« autre chauffeur », se sont montrés coopératifs. M. Tom MacGarry a confirmé ce qui s’est produit et a précisé qu’il n’avait pas entendu M. Campitelli prononcer des paroles offensantes. M. Higgerson a retourné l’appel, mais il n’a jamais été interrogé par l’enquêteur; il a, par la suite, refuté le témoignage fait par Mme  Kingsley en ce qui le concerne. M. Gerry Fenton n’a pas été interrogé. Il n’a pas retourné l’appel de l’enquêteur, mais on ne nous dit pas si l’enquêteur a déployé davantage d’efforts pour communiquer avec M. Fenton qu’il ne l’a fait pour communiquer avec M. Higgerson, lequel peut difficilement être qualifié de témoin peu coopératif étant donné qu’il a lui-même essayé de joindre l’enquêteur et qu’il était facilement joignable.

 

b)   Déterminer si le prétendu commentaire a été fait ou non n’était pas une question de la parole de Mme Kingsley contre celle de M. Campitelli. Mme Kingsley n’a pas allégué qu’elle a entendu M. Campitelli faire le commentaire. Elle a simplement allégué qu’on lui avait fait part d’une rumeur. M. Campitelli ne nie pas le fait que Mme Kingsley ait entendu une rumeur. Il ne peut le faire car il n’est pas au courant de ce fait, comme Mme Kingsley et les témoins interrogés ne savent pas si M. Campitelli a dit qu’elle avait passé la nuit avec M. Mackay.

 

c)    M. Campitelli nie avoir fait le commentaire offensant, M. Higgerson nie avoir dit quoi que ce soit à Mme Kingsley sur ce point, M. Fenton n’a jamais été interrogé, et Mme Kingsley, elle-même, n’allègue pas avoir entendu M. Campitelli dire quoi que ce soit sur ce point.

 

d)   La preuve invoquée par M. Mackay est celle d’avoir entendu la rumeur « d’un autre chauffeur » qu’il refuse de nommer pour des raisons qui n’ont toujours pas été expliquées par l’enquêteur. M. Mackay affirme uniquement qu’une autre personne lui a dit que M. Campitelli a prononcé les paroles offensantes. Il n’existe aucune preuve contestant la version des événements faite par M. Campitelli ou la crédibilité de ce dernier.

 

e)    Mme Kingsley a subséquemment tenté de contester la crédibilité de MM. Campitelli et Higgerson par des propos diffamatoires gratuits n’ayant aucune valeur probante. Elle a également modifié sa version. Par exemple, elle indique dans sa plainte qu’elle a demandé à d’autres chauffeurs s’ils avaient entendu la rumeur :

[traduction] Ne sachant pas auprès de quelles personnes John Campitelli avait répandu cette rumeur, j’ai interrogé des chauffeurs à ce sujet, mais c’est un autre chauffeur, Jerry Fenton, qui m’a raconté que John Campitelli lui a dit personnellement que j’avais couché avec Tom Mackay.

 

Mme Kingsley affirme avoir interrogé « les chauffeurs »; toutefois, c’est uniquement M. Fenton – qui n’a pas été interrogé par l’enquêteur – qui lui a dit que M. Campitelli avait prononcé les paroles offensantes.

 

Plus tard, après avoir entendu les commentaires de la demanderesse concernant le rapport de l’enquêteur, Mme Kingsley change sa version pour essayer de régler le problème du ouï-dire et le fait que M. Fenton n’a pas été interrogé et n’a pas corroboré son témoignage. Dans ses commentaires du 4 février 2008, Mme  Kingsley avait ce qui suit à dire :

[traduction] Il y a une personne qui peut confirmer ce que m’a dit M. Fenton : mon ex-mari (Randy Kingsley) qui travaille pour la même entreprise. C’est lui qui a conduit M. Fenton à mon bureau pour qu’il me fasse part des propos tenus par John Campitelli à mon égard. Il était présent lors de mon entretien avec M. Fenton. Au cours de cet entretien, M. Fenton m’a raconté que John Campitelli lui avait dit que j’avais couché dans le camion de transport avec Tom Mackay. Je vous suggère de l’appeler pour qu’il vous raconte ce qui a été dit dans mon bureau ce jour-là. Son numéro de téléphone cellulaire est le 289‑404-2577.

 

 

Mme Kingsley présente maintenant un nouvel élément dans sa preuve. D’abord, elle affirme dans sa plainte [traduction] : « J’ai interrogé des chauffeurs à ce sujet, mais c’est un autre chauffeur... qui m’a raconté... ». Maintenant, c’est Randy Kingsley, qui travaille toujours pour l’entreprise, qui a conduit M. Fenton au bureau de la plaignante et a assisté à l’entretien qui a eu lieu entre elle et M. Fenton.

 

Il s’agit là d’un important changement dans l’exposé de Mme Kingsley qui n’a pas fait l’objet d’une enquête ou d’un interrogatoire. Elle a modifié son exposé pour tenter de résoudre le problème qu’elle percevait concernant M. Fenton et son manque de disponibilité.

Il se produit une autre incohérence, lorsque, dans sa plainte, Mme Kingsley affirme que M. Higgerson lui a dit [traduction] : « Il [c.-à-d. M. Campitelli] a ruiné la réputation de tous, pourquoi agirait-il différemment à votre égard? » et qu’elle insiste plus tard sur le fait que [traduction] :  « Bruce (c.‑à‑d. M. Higgerson) est le valet de John et il te poignarderait dans le dos s’il devait le faire pour conserver ses acquis et bien paraître aux yeux de John Campitelli. » En d’autres mots, M. Higgerson qui, selon les allégations de Mme Kingsley, ne dirait jamais rien contre M. Campitelli, lui a dit que M. Campitelli avait ruiné la réputation de tous et qu’il en était ainsi pour elle. Cela semble peu probable;

 

f)     Selon le rapport de l’enquêteur, Mme Kingsley indique clairement qu’elle n’a pas personnellement entendu M. Campitelli dire qu’elle avait couché avec M. Mackay et qu’elle ne peut témoigner que de ouï-dire et de rumeurs qui n’ont pas été confirmés par l’enquêteur et qui n’ont pas fait l’objet d’une enquête de sa part. Il ne s’agit pas de la parole de Mme Kingsley contre celle de M. Campitelli.

 

7.       Au paragraphe 25, le fait que la défenderesse ait pris congé pour cause de stress ne prouve pas que M. Campitelli ait prononcé les paroles offensantes.

 

8.       L’enquêteur tire une autre conclusion importante au paragraphe 28 du rapport :

Aucune défense autre que la négation des allégations par la défenderesse n’ayant été signifiée, les allégations de MmeKingsley ne sont pas réfutées.

 

Il s’agit d’une conclusion déraisonnable pour plusieurs raisons. Premièrement, elle montre clairement que la négation elle-même n’a aucun effet sur les conclusions de l’enquêteur. Il est difficile de savoir quel autre moyen de défense pourrait être invoqué si M. Campitelli affirmait que les prétendues observations n’ont pas été faites. Si la négation n’a aucun effet, M. Campitelli n’a alors aucun moyen de défense et doit, par conséquent, automatiquement se soumettre aux allégations.

 

Plus important encore, toutefois, les seules allégations faites par Mme Kingsley sont celles selon lesquelles M. Mackay et Fenton lui ont dit certaines choses. Il ne s’agit pas là d’une allégation que M. Campitelli et la demanderesse peuvent réfuter, car ils ignorent ce que MM. Mackay et Fenton ont dit à Mme Kingsley. L’enquêteur établit simplement un rapport d’égalité entre le ouï-dire et la rumeur et l’allégation selon laquelle M. Campitelli a prononcé les paroles offensantes. Toutefois, Mme Kingsley ne pourrait pas faire une telle allégation, et elle ne l’a pas fait dans sa plainte. L’enquêteur ne fait qu’adopter la position de Mme Kingsley selon laquelle « il n’y a pas de fumée sans feu », comme elle le souligne dans ses derniers commentaires. Mais cela revient à dire que le ouï-dire non corroboré et ne faisant pas l’objet d’une enquête est suffisant pour donner lieu à une plainte et à une enquête du tribunal.


 

9.        Les conclusions de l’enquêteur aux paragraphes 29 et 30 du rapport sont, à mon avis, injustes et déraisonnables :

[traduction]

29. La plaignante déclare qu’elle a rencontré MM. Higgerson et Campitelli, après avoir obtenu son certificat médical de congé pour stress et qu’en quittant les lieux de la rencontre, M. Campitelli a fait le commentaire suivant : « C’est mon entreprise, je peux foutrement faire ce que je veux. »

 

30. Conclusions : Les déclarations de la plaignante, qui ne sont pas réfutées, donnent à penser que la défenderesse n’a pris aucune mesure pour régler le harcèlement allégué.

 

Les déclarations faites par Mme Kingsley concernant M. Higgerson n’ont pas été refutées car elles n’ont pas fait l’objet d’une enquête. M. Higgerson a retourné l’appel et pouvait facilement se libérer pour un interrogatoire, mais l’enquêteur a choisi de ne pas vérifier la preuve de Mme Kingsley concernant son entretien avec MM. Higgerson et Campitelli. Il n’y aucun motif valable expliquant pourquoi l’enquêteur n’a pas interrogé M. Higgerson concernant ces importantes allégations. M. Higgerson a subséquemment affirmé que s’il avait été interrogé à ce sujet, il aurait refuté intégralement le témoignage de Mme Kingsley sur cette question.

 

10.   Dans le sommaire, au paragraphe 32, l’enquêteur reprend les conclusions déraisonnables suivantes :

[traduction]

 

32. Étant donné que la défenderesse nie les allégations et que les témoins n’ont pas retourné les appels de l’enquêteur, il s’agit ici de la parole de la plaignante contre celle de la défenderesse quant à la question de savoir si le prétendu harcèlement sexuel a eu lieu.

 

M. Higgerson déclare qu’il a retourné l’appel téléphonique et que l’enquêteur n’y pas donné suite. MM. MacGarry et M. Mackay ont échangé avec l’enquêteur. M. Fenton est le seul à ne pas avoir retourné l’appel, mais Mme Kingsley elle-même affirme qu’on peut facilement le joindre et qu’elle a même son numéro de téléphone. De plus, Mme Kingsley ne détient pas de preuve directe sur laquelle elle peut s’appuyer pour contester le témoignage de M. Campitelli, selon lequel il n’a pas dit ce que les rumeurs prétendent qu’il a dit.

 

11.   Au paragraphe 40, l’enquêteur déclare que [traduction] « compte tenu de toutes les circonstances relatives à la plainte, un examen plus approfondi est justifié ». Étant donné les conclusions non raisonnables et l’enquête inadéquate déjà mentionnée, la présente conclusion est injuste et déraisonnable. La plainte demeure du ouï-dire et la rumeur n’a pas fait l’objet d’une enquête adéquate en conformité avec la jurisprudence.

 

[45]           À mon avis, le rapport de l’enquêteur que la Commission a adopté dans sa décision est fondamentalement vicié. Il manque d’objectivité et de rigueur et est loin d’être exact.

 

[46]           L’examen préalable en vertu de l’article 44 de la Loi vise à déterminer si l’enquête est justifiée et la preuve est suffisante pour procéder à l'étape du tribunal. En l’espèce, l’enquête elle‑même présente des lacunes, la preuve divulguée était insuffisante et l’appréciation de ladite preuve était erronée au point d’être déraisonnable et inéquitable.

 

[47]           Même si le seuil est très bas, la Commission devrait rejeter une plainte lorsque la preuve est insuffisante pour justifier la constitution d’un tribunal. En l’espèce, la preuve ne fournit pas une justification raisonnable pour passer à l’étape du tribunal : il n’y a pas de preuve directe démontrant que M. Campitelli a prononcé les paroles offensantes; la preuve de M. Mackay est du ouï-dire de troisième niveau, au moins, pouvant provenir de n’importe où, et M. Mackay, qui est manifestement très sensible à cet égard puisqu’il a essayé de calmer l’ex-conjoint de fait ou ex-mari de Mme Kingsley (selon l’élément de preuve sur lequel on se fonde), refuse de fournir des renseignements qui permettront de vérifier ses allégations; et les mots attribués à M. Fenton n’ont pas encore fait l’objet d’une enquête alors que la plaignante elle-même affirme qu’il faudrait communiquer avec M. Fenton « qui vous dira ce qui a été dit dans mon bureau ce jour-là ». De plus, Mme Kingsley a elle-même modifié son exposé pour expliquer comment elle a entendu la rumeur de la bouche M. Fenton.

 

[48]           Pour satisfaire à l’obligation d’équité procédurale, l’enquête doit être rigoureuse. Le juge Nadon a dit ce qui suit à ce sujet dans Slattery c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.) (1996), 205 N.R. 383 (C.A.F.), aux paragraphes 55 et 56 :

Pour déterminer le degré de rigueur de l'enquête qui doit correspondre aux règles d'équité procédurale, il faut tenir compte des intérêts en jeu: les intérêts respectifs du plaignant et de l'intimé à l'égard de l'équité procédurale, et l'intérêt de la CCDP à préserver un système qui fonctionne et qui soit efficace sur le plan administratif [...]

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop, [1993] 1 R.C.S. 554. [Non souligné dans l’original.]

 

[49]           En l’espèce, le rapport de l’enquêteur ne reflète pas, à mon avis, une présentation juste et impartiale de tous les faits pertinents. Quant aux éléments de preuve importants, ils n’ont pas fait l’objet d’une enquête ou été pris en compte dans la décision.

 

[50]           Le rapport de l’enquêteur est inadéquat, inexact et injuste dans ses conclusions. Le fait que M. Campitelli nie avoir prononcé les paroles offensantes est considéré comme un motif pour passer à l’étape du tribunal, comme si Mme  Kingsley avait fourni une preuve directe pour réfuter son témoignage. La preuve contenue dans le rapport de l’enquêteur ne fournit pas à la Commission un fondement adéquat et juste pour mettre en balance tous les intérêts en jeu et décider de passer à l’étape suivante. Des faits pertinents sont omis, et les conclusions formulées ne sont pas fondées sur la preuve. D’importantes divergences sont passées sous silence.

 

[51]           En l’espèce, après un examen attentif du dossier, je suis d’avis que la décision rendue est incorrecte et que le rapport de l’enquêteur sur lequel elle est fondée est inadéquat dans son approche et déraisonnable dans ses conclusions. Il démontre une tendance à simplement accepter, lorsque la preuve est insuffisante, la position de Mme Kingsley selon laquelle « il n’y a pas de fumée sans feu » et que cette dernière soit la seule personne concernée capable de dire la vérité. Toutefois, en supposant que Mme Kingsley dise vrai, elle n’a présenté aucune preuve valable de harcèlement malgré ses tentatives injustifiées de détruire la réputation de MM. Campitelli et Higgerson : « J’ai plus d’intégrité dans mon petit doigt que MM. Campitelli et Higgerson en ont dans leur corps en entier. » La Commission ne peut rendre une décision qu’en se fondant sur la preuve pertinente effectivement produite. En l’espèce, Mme Kingsley n’a pas produit une preuve suffisante et, pour combler cette lacune, elle a eu recours à des propos diffamatoires envers MM. Campitelli et Higgerson sur lesquels la Commission s’est fondée pour conclure déraisonnablement et incorrectement qu’ils soulevaient une question de crédibilité justifiant de passer à l’étape du tribunal. 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de la Commission datée du 15 avril 2008, renvoyant au Tribunal canadien des droits de la personne pour instruction la plainte de la défenderesse, Betty Kingsley, formulée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne (plainte n20070390) contre la demanderesse, Utility Transport International Inc., soit par les présentes cassée et annulée

 

2.                  qu’aucuns dépens ne soient adjugés à l’encontre de la défenderesse, Mme Kingsley, puisque la décision de la cour est fondée sur les lacunes du rapport de l’enquêteur.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Copie certifiée conforme

Danielle Benoit



COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             T-762-08

 

INTITULÉ :                                                           UTILITY TRANSPORT INTERNATIONAL INC.

 

                                                                                c.

 

BETTY KINGSLEY, TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   Le 4 décembre 2008

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE RUSSELL

ET JUGEMENT

 

DATE DES MOTIFS :                                          Le 17 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Barry Rubinoff

 

POUR LA DEMANDERESSE

Kyle Armagon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Barry Rubinoff

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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