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Date : 20090316

Dossier : IMM-3127-08

Référence : 2009 CF 268

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

JOSE ALBERTO RODRIGUEZ GALLEGOS

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le par. 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), visant la décision d’un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR) rendue le 20 mai 2008, selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à un risque s’il retournait au Mexique.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur est né au Mexique le 24 juillet 1971. Il est homosexuel. Il affirme avoir été harcelé et agressé par ses collègues dans les restaurants où il a travaillé (les restaurants Applebee’s et Popeye’s), dans l’État du Tamaulipas, au Mexique. Il affirme également que sa demande d’admission à la prestigieuse université du Tamaulipas a été refusée en raison de son orientation sexuelle.

 

[3]               Le demandeur soutient que l’homophobie est très répandue au Mexique, que la discrimination contre les homosexuels y est largement acceptée, que la police ne donne pas suite aux plaintes de discrimination déposées par les personnes homosexuelles et que les auteurs d’actes discriminatoires ne sont pas traduits devant les tribunaux.

 

[4]               Le demandeur dit avoir quitté le Mexique parce qu’il ne pouvait y vivre sainement en tant qu’homosexuel déclaré ni trouver d’endroit où il ne serait pas victime de harcèlement ou de discrimination.

 

[5]               Il est arrivé au Canada en qualité de visiteur le 8 février 2005 et a présenté une demande d’asile. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a entendu la demande le 31 mai 2006. Elle a conclu que, bien qu’il fût plausible que le demandeur ait été victime de harcèlement au travail, il n’avait pas réfuté la présomption qu’il lui était possible de se prévaloir de la protection de l’État au Mexique. Selon la SPR, le demandeur n’ayant pas fait d’effort pour obtenir la protection de l’État, il n’était pas en mesure de dire s’il pouvait ou non se prévaloir de cette protection. Elle a rejeté la demande d’asile le 4 juillet 2006, et elle a conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la convention ni une personne à protéger.

 

[6]               Cette décision a fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire le 6 juillet 2006, laquelle a été rejetée le 10 octobre 2006, la Cour ayant conclu à l’absence d’erreur susceptible de révision.

 

[7]               Le demandeur a soumis une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) le 2 août 2007.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[8]               L’agent d’ERAR a rejeté la demande et a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution, un risque d’être soumis à la torture, une menace à sa vie ou un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il retournait dans le pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle.

 

[9]               L’agent d’ERAR s’est reporté à l’article 113 de la Loi, suivant lequel le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que de nouveaux éléments de preuve, ainsi qu’au paragraphe 161(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), énonçant que celui qui présente des observations écrites doit y désigner des éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi en indiquant dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

 

[10]           L’agent d’ERAR a signalé que les documents postérieurs à la décision de la SPR ne satisfaisaient pas aux exigences de l’alinéa 113a) en matière de nouveaux éléments de preuve du seul fait de cette postériorité. Quant aux éléments de preuve antérieurs à l’audience, le demandeur doit indiquer en quoi ils sont conformes aux exigences de l’alinéa 113a), à savoir qu’ils sont survenus depuis le rejet ou qu’ils n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet.

 

[11]           L’agent d’ERAR a signalé que le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi la preuve documentaire qu’il avait présentée n’était pas normalement accessible ni pourquoi on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’il la présente à la SPR lors de l’audience devant cette dernière, ce qui l’a amené à exclure de son examen les documents antérieurs à la date d’audience devant la SPR. Il a toutefois examiné la demande d’ERAR en tenant compte des documents restants.

 

[12]           Dans son examen des risques, il a indiqué qu’il ne pouvait ni réviser ni critiquer les motifs ou les conclusions de la SPR : H.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1612, et Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada) 2004 CF 32.

 

[13]           L’avocat du demandeur a prié l’agent d’ERAR de procéder à une évaluation en application de l’article 25 de la Loi, sur le fondement de considérations d’ordre humanitaire, s’il jugeait que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères applicables en matière d’ÉRAR, appuyant sa demande d’éléments de preuve relatifs à l’union de fait du demandeur et à sa vie quotidienne avec son conjoint rencontré au Canada. L’agent d’ERAR a estimé que la preuve relative à l’union de fait serait plus pertinente pour une demande de maintien au Canada pour des raisons d’ordre humanitaire – demande qui n’entrait pas dans le cadre d’une ERAR – que pour appuyer l’affirmation du demandeur qu’il serait exposé à des risques s’il retournait au Mexique et, par conséquent, il n’en a pas tenu compte.

 

[14]           L’agent d’ERAR a estimé que le demandeur lui avait présenté des faits et des facteurs de risque qui avaient déjà été évalués par la SPR lors de l’audition de sa demande d’asile le 31 mai 2006 et, après examen de la preuve documentaire, il a jugé que celle‑ci n’était pas suffisante pour le convaincre de formuler une conclusion différente de celle de la SPR.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           Le demandeur soulève les questions suivantes dans sa demande de contrôle judiciaire :

1)                  Quelle est la norme de contrôle applicable aux refus en matière d’ERAR?

2)                  L’agent d’ERAR a‑t‑il formulé sa conclusion relative à la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État sans égard à la preuve, et cette conclusion était‑elle déraisonnable et appuyée sur des motifs manquant de clarté?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[16]           Les dispositions législatives applicables en l’espèce sont les suivantes :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;



b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;



b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or



(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

[17]           S’applique également la disposition suivante du Règlement :

Nouveaux éléments de preuve

 

161(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

 New evidence

 

161(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

NORME DE CONTRÔLE

 

[18]           Dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a reconnu qu’en dépit des différences théoriques existant entre les normes du raisonnable simpliciter et du manifestement déraisonnable, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, paragraphe 44. La Cour a donc statué qu’il y avait lieu de fondre en une norme de contrôle unique les deux normes de raisonnabilité.

 

[19]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également indiqué qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans chaque affaire à une analyse relative à la norme de contrôle. Lorsque la norme applicable à la question dont un tribunal de révision est saisi est bien établie en jurisprudence, il peut s’en servir; ce n’est que lorsque la question de la norme applicable demeure sans réponse qu’il doit prendre en considération les quatre facteurs auxquels fait appel l’analyse relative à la norme de contrôle.  

 

[20]           Dans Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1125, la Cour fédérale a indiqué, au paragraphe 6, que la norme de contrôle applicable aux décisions d’ERAR est celle de la décision raisonnable simpliciter, en précisant cependant que certaines conclusions de fait ne doivent être modifiées que si elles ont été tirées d’une manière abusive et arbitraire ou sans égard aux éléments de preuve soumis à l’agent d’ERAR.

 

[21]           La conclusion suivante a été formulée dans Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240 :

Dans l’appréciation des faits nouveaux dont il est question à l’alinéa 113a), il faut considérer deux questions distinctes. La première est celle de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a interprété la disposition elle‑même. C’est là une question de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. Si l’agent n’a commis aucune erreur dans l’interprétation de la disposition, alors la Cour doit encore se demander s’il a commis une erreur dans sa manière d’appliquer la disposition aux circonstances particulières de l’espèce. C’est là une question mixte de droit et de fait, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[22]           Le demandeur soutient que la suffisance de la protection de l’État soulève des questions « mixte de droit et de fait », dont l’examen s’effectue suivant la norme de la décision raisonnable : Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 (Hinzman), et je lui donne raison sur ce point.

 

[23]           Compte tenu de l’arrêt Dunsmuir de la Cour suprême du Canada et de la jurisprudence de notre Cour, je conclus donc que la norme de contrôle applicable à la façon dont l’agent d’ERAR a appliqué l’alinéa 113a) et à la question de la protection de l’État est celle de la décision raisonnable. Lorsque le contrôle judiciaire s’effectue suivant cette norme, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle ne s’inscrit pas dans les « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

ANALYSE

 

[24]           Le demandeur prétend que s’il retourne au Mexique et qu’il vit ouvertement son homosexualité, il sera persécuté et exposé aux risques visés à l’article 97, et que le Mexique ne le protégera pas.

 

[25]           Le demandeur n’a jamais tenté d’obtenir la protection de l’État au Mexique. Lorsqu’il y vivait, il n’a pas révélé son orientation sexuelle. Il a plutôt décidé de venir au Canada et d’y présenter une demande d’asile. La SPR a rejeté sa demande d’asile, jugeant qu’il n’avait pas démontré qu’il ne pouvait se prévaloir de la protection de l’État au Mexique.

 

[26]           Le demandeur n’a appuyé sa demande d’ERAR d’aucun nouvel élément de preuve de risque fondé sur une expérience personnelle, parce qu’il résidait au Canada. Il affirme cependant que l’agent d’ERAR disposait de nouveaux éléments de preuve documentaire montrant qu’il serait exposé à plus que de la discrimination s’il retournait au Mexique. Il a invoqué le principe maintenant bien établi qui avait été formulé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, au paragraphe 48, selon lequel un demandeur n’a pas à mettre sa vie en danger simplement pour démontrer qu’il lui est impossible de se prévaloir de la protection de l’État.

 

[27]           La crédibilité ne faisait pas problème en l’espèce, et l’agent d’ERAR n’a pas soulevé ni examiné la question de la possibilité de refuge intérieur.

[28]           Il appert clairement de la décision que l’agent d’ERAR a examiné avec soin les nouveaux documents qui lui ont été soumis. Il fait mention de chacun d’eux dans sa décision et il y résume ses conclusions sur ce qui y est révélé.

 

[29]           Après avoir examiné chaque document, l’agent d’ERAR formule les conclusions suivantes :

[traduction] Cette information à jour ainsi que les documents fournis par le demandeur renferment des preuves concrètes d’une évolution juridique et sociale. La situation au Mexique n’est pas pour autant entièrement positive; il existe en effet des preuves que la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle continue à sévir dans certaines régions du pays. Toutefois, je dois aussi apprécier la totalité de la preuve en tenant compte des conclusions de la SPR voulant que le demandeur pouvait se prévaloir de la protection de l’État et qu’il incombait à ce dernier de prouver le contraire.

 

Il appert du témoignage du demandeur que lorsqu’il était victime de discrimination dans un emploi, il démissionnait et se cherchait du travail ailleurs. Il a été victime du même problème dans le second emploi. Il a également été victime de discrimination lorsqu’il a voulu s’inscrire à l’université. Il a témoigné qu’il ne s’était pas adressé à la police ou aux tribunaux. Il a décidé de venir au Canada.

 

Après examen de l’ensemble de la preuve qui m’a été soumise, je suis d’avis, tout comme l’a été la Section de la protection des réfugiés en août 2006, que si le demandeur retournait chez lui il pourrait bénéficier d’une protection étatique qui, sans être parfaite, serait néanmoins adéquate. Bien qu’il ressorte de mes propres recherches sur la situation actuelle de ce pays que celle‑ci n’est pas entièrement positive, le demandeur n’a pas présenté d’éléments de preuve documentaire suffisants pour me convaincre du contraire.

 

[30]           Le demandeur reproche généralement à l’agent d’ERAR de s’être simplement reporté, pour l’examen des nouveaux éléments de preuve, au cadre législatif, à de nouvelles dispositions législatives qui n’avaient pas été entièrement mises en œuvre et à des indications selon lesquelles la communauté gaie représentait à présent un capital d’électeurs que des politiciens mexicains cherchaient à attirer. Autrement dit, le demandeur prétend que l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte de la situation actuelle au Mexique dans son appréciation de l’existence d’une protection suffisante et efficace.

 

[31]           Le demandeur invoque la décision que j’ai rendue dans Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336 (paragraphes 85 et 86) :

85     Tout bien pesé, la Commission disposait d’une preuve convaincante selon laquelle la police au Mexique est corrompue et collabore grandement avec les gangs de ravisseurs; que les commissions des droits de la personne sont inefficaces et que les initiatives du gouvernement visant à résoudre les problèmes ont pour la plupart échoué. Ces éléments de preuve sont très pertinents quant à la question de savoir pourquoi la demanderesse principale ne s’est pas adressée à la police.

 

86     En d’autres mots, il s’agissait du « pot-pourri » habituel, mais, en l’espèce, la preuve contredisant les conclusions tirées par la Commission relativement à la présente question était tellement pertinente et cruciale quant à la cause des demanderesses que le fait que la Commission a omis d’examiner cette preuve et qu’elle s’est simplement fondée sur la présomption habituelle – la présomption de protection de l’État – donne à penser qu’elle défendait une prétention générale quant au Mexique plutôt que d’apprécier la preuve dont elle disposait en l’espèce.

 

[32]           Le demandeur cite, entre autres, la décision du juge Mactavish dans Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 807, aux paragraphes 16 et 17 :

16     La preuve sur laquelle la Commission s’est fondée n’aborde pas directement l’incidence des crimes de violence dont les gais et les lesbiennes sont victimes à Mexico en raison de leur orientation sexuelle. En l’espèce, la question fondamentale consiste à savoir si, étant donné qu’il affiche ouvertement son orientation sexuelle gaie, M. Garcia pourrait vivre en sécurité à Mexico. À ce titre, la preuve portant sur les crimes homophobes dont les homosexuels de cette ville sont victimes aurait dû susciter une inquiétude extrême chez la Commission.

 

17     Bien que la Commission puisse avoir eu toute latitude pour déterminer l’importance à accorder au rapport, vu qu’il précédait de six ans l’audition de la revendication du statut de réfugié de M. Garcia et compte tenu de toutes les circonstances, la Commission ne pouvait simplement se contenter d’en faire abstraction.

 

[33]           Les décisions rendues dans chacune de ces affaires dépendaient, à mon avis, des faits particuliers en cause et de ce que la preuve soumise à la CISR, ou à l’agent d’ERAR, révélait de la situation au Mexique.

 

[34]           Se défendant de demander à la Cour de recommencer l’appréciation de la preuve, le demandeur prétend que l’examen des nouveaux documents soumis révélera l’existence d’un fondement objectif à sa crainte, fondement qui n’a pas fait l’objet d’une analyse le moindrement adéquate de la part de la Commission.

 

[35]           J’ai moi‑même examiné les documents en question par rapport aux points soulevés par le demandeur à l’égard de chacun d’eux.

 

[36]           Il ne faut pas perdre de vue qu’en l’espèce il incombe au demandeur de réfuter la présomption de protection de l’État, protection qui n’a qu’à être adéquate. Il faut se rappeler également que le demandeur n’a fait aucun effort pour obtenir la protection de l’État, de sorte qu’il n’a aucun élément de preuve personnel à soumettre à cet égard.

 

[37]           De façon générale, pour la plupart des documents, je pense que le défendeur a raison de dire que l’agent d’ERAR a démontré qu’il a examiné la preuve avec soin et qu’il a tenu compte des arguments avancés par le demandeur ou qu’il s’est appuyé sur des faits ressemblant tellement aux faits en cause que ses affirmations générales suffisent à indiquer qu’il connaissait la preuve.

 

[38]           Un document soulève des préoccupations. Il s’agit de la réponse à la demande d’information MEX101377.F de la Direction des recherches de la CISR, que l’agent d’ERAR a résumée ainsi :

[traduction] Il ressort de cette réponse que 94,7 p. 100 des homosexuels interrogés lors d’un sondage réalisé en 2005 étaient victimes de discrimination, que 40 p. 100 d’entre eux pensaient avoir été traités injustement au travail et 72 p. 100 estimaient que les homosexuels avaient plus de difficulté à se trouver un emploi. Il appert de renseignements émanant de la Commission étatique des droits de la personne de Jalisco (2006) que les employeurs justifient la discrimination au travail.

 

[39]           Il appert clairement de ce résumé que ce genre de discrimination ne prouve pas que le Mexique ne protégerait pas le demandeur si celui‑ci demandait la protection de l’État. Cependant, le reste du document examine l’incidence des meurtres homophobes dans ce pays et le fait que les autorités « minimiseraient l’importance de l’orientation sexuelle dans les crimes haineux » :

Un représentant de la CEDHJ a déclaré que, lorsque les autorités enquêtent sur un crime contre un membre de la communauté homosexuelle, transsexuelle ou lesbienne, elles ont tendance à omettre le fait que le crime a été motivé par la [traduction] « haine » [...] Le coordonnateur d’un groupe de défense des droits des minorités sexuelles a soutenu que cette attitude nuisait à l’efficacité des enquêtes et à la prévention de ce genre de crime.

 

 

[40]           Ce document ne dit pas que les homosexuels ne sont pas protégés, il dit que les autorités ne répertorient pas ces crimes d’une façon qui permettrait de les qualifier de crimes haineux et d’améliorer ainsi les enquêtes à leur sujet ainsi que les mesures de prévention.

 

[41]           À mon avis, il ne ressort pas de ce document que l’État ne tiendra pas compte des craintes des homosexuels; il indique plutôt que l’État pourrait être plus efficace si la composante homophobe des crimes était davantage reconnue.

 

[42]           Tout bien considéré, je ne pense donc pas que les sujets de préoccupation relevés dans les documents et invoqués par le demandeur permettent de conclure que l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve ou qu’il n’a pas correctement résumé ce qui se dégage de ces documents, pris collectivement. Certes, il aurait pu être justifié de formuler d’autres conclusions ou d’aborder autrement certains points, comme c’est toujours le cas, mais je ne vois rien dans cette décision, considérée dans sa totalité, qui l’exclurait des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE

 

1.      que la demande soit rejetée.

2.      qu’aucune question ne soit certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Ghislaine Poitras, LL.L., Trad. a.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3127-08

 

INTITULÉ :                                                   JOSE ALBERTO RODRIGUEZ GALLEGOS

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 29 janvier 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 16 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Dagsvik

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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