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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090316

Dossier : IMM-3259-08

Référence : 2009 CF 267

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

JANGMU SHERPA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire d’une décision rendue par une formation de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 27 juin 2008 (la décision) par laquelle celle‑ci a rejeté la demande présentée par la demanderesse en vue d’être présumée réfugiée au sens de la Convention ou personne à protéger au sens du paragraphe 96 et du paragraphe 97 de la Loi.

 

L’HISTORIQUE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Népal âgée de 30 ans. Elle est arrivée à Toronto le 8 septembre 2006 afin de demander l’asile. La demanderesse a prétendu craindre avec raison d’être persécutée au Népal par les maoïstes. Elle a prétendu que si elle retournait au Népal les maoïstes s’en prendraient sérieusement à elle, l’agresseraient, l’enlèveraient ou la tueraient peut‑être parce qu’elle refusait de se joindre à eux.

 

[3]               La demanderesse prétend que ses problèmes avec les maoïstes ont commencé en mai 2003, lorsqu’ils ont commencé à venir à l’épicerie tenue par sa famille dans le village de Garma (Népal). Elle affirme que, lors de ces visites, les maoïstes ont demandé que, elle et son frère, se joignent à eux. Ils ont également demandé de l’argent à la demanderesse et à son frère et c’est la mère de ceux‑ci qui leur a versé.

 

[4]               En mars 2005, la demanderesse a épousé un homme de son village et ils ont déménagé à Katmandu où ils ont ouvert une épicerie. La demanderesse a donné naissance à une fille en décembre 2005. En août 2006, quatre personnes qui disaient faire partie de la guérilla maoïste se sont rendues chez la demanderesse à Katmandu pour l’enrôler de force dans leur armée de libération. Elles ont dit à la demanderesse que, si elle refusait, sa famille serait en danger et qu’elle serait punie en conformité avec les lois maoïstes ou qu’elle serait tuée. Elles l’ont également menacée d’enlever sa toute jeune fille. Elles ont également dit à la demanderesse que si elle tentait de faire part de leur visite aux forces de sécurité, elle serait en danger. Elles ont donné un mois à la demanderesse pour joindre la cause maoïste.

 

[5]               La demanderesse et son époux ont pris des mesures pour que celle‑ci puisse se rendre au Canada avec l’aide d’un agent. Elle est arrivée au Canada le 8 septembre 2006. Son mari est demeuré à Katmandu avec leur fille. La demanderesse a demandé l’asile le 2 octobre 2006. Elle prétend qu’elle était malade à son arrivée au Canada et qu’elle n’a pas pu demander l’asile immédiatement à son arrivée au pays. Elle est demeurée chez une amie jusqu’à ce qu’elle soit rétablie.

 

[6]               L’audience relative à la demande de la demanderesse a eu lieu le 20 décembre 2007 et elle a été tenue en anglais et en népalais. Une interprète a aidé la demanderesse parce que celle‑ci ne parle et ne comprend que très peu l’anglais.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE

 

[7]               La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la Convention ou une personne exposée à un risque de torture ou à une menace à sa vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités au Népal.

 

[8]               La Commission a conclu que la demande de la demanderesse ne faisait état d’aucune crainte fondée de persécution, tant sur le plan objectif que sur le plan subjectif. La Commission a souligné que la demanderesse est partie pour le Canada le 7 septembre 2006 et qu’elle y est arrivée le 8 septembre 2006, mais qu’elle a attendu jusqu’au 2 octobre 2006 pour présenter sa demande. La demanderesse a déclaré qu’elle a attendu pour présenter sa demande parce qu’elle avait laissé son enfant avec son mari et qu’elle se portait mal en raison du fait qu’elle ne pouvait pas nourrir son bébé. Elle est donc restée chez une amie et cette dernière ne lui a parlé de présenter une demande d’asile que lorsqu’elle a commencé à se sentir mieux. La Commission n’a pas accepté cette explication et elle s’est dit d’avis que, si la crainte de la demanderesse était justifiée, la première chose que celle‑ci aurait fait aurait été de déterminer le processus visant à garantir sa sécurité et elle aurait présenté une demande d’asile à la première occasion.

 

[9]               La Commission a invoqué la décision Djouadou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1568 (C.F. 1re inst.) à l’appui de son argument que la Commission a le droit de tenir compte d’un retard à demander l’asile. Le retard est un facteur important à prendre en compte même s’il ne s’agit pas d’un facteur déterminant. La Commission a également invoqué la décision Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 271 (C.A.F.) à l’appui de l’argument qu’un retard à demander l’asile n’est pas un facteur décisif en soi. Il s’agit toutefois d’un élément pertinent qui devrait être pris en compte dans le cadre de l’appréciation des actes d’un demandeur.

 

[10]           La Commission a conclu que la crédibilité était une question clé dans le cadre de la présente demande et a invoqué la décision Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 72 (C.F. 1re inst.) à l’appui de l’argument que le témoignage sous serment d’un demandeur d’asile est présumé véridique, sauf s’il y a une raison de douter de sa véracité. La Commission a douté de la crédibilité du témoignage de la demanderesse en raison de contradictions entre les renseignements fournis dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et son témoignage de vive voix. La Commission a déclaré que « [m]ême en tenant compte de son niveau d’instruction et du stress associé à la salle d’audience, le témoignage de la demandeure d’asile était vague et évasif, les questions devant lui être répétées ».

 

[11]           La Commission a souligné que la demanderesse avait affirmé dans son témoignage à l’audience que les maoïstes s’étaient rendus cinq ou six fois à l’épicerie avant de se rendre chez elle en août 2006 et qu’ils avaient découvert où elle vivait parce qu’ils l’avaient suivie jusque chez elle. Toutefois, la demanderesse n’avait pas fait mention, dans son FRP, de ces visites à l’épicerie ni du fait que les maoïstes l’avaient suivie jusque chez elle. La demanderesse a répondu qu’elle avait oublié d’inscrire ces renseignements lorsqu’elle avait rédigé son FRP. Également, lors de l’audience, la demanderesse a prétendu que les maoïstes lui avaient demandé de l’argent ou qu’elle adhère à leur cause alors que dans son FRP elle avait affirmé qu’ils s’étaient rendus chez elle et lui avait demandé de se joindre à eux, mais elle n’avait fait aucune mention de l’extorsion. La demanderesse a une fois de plus prétendu qu’elle avait oublié. La demanderesse a déclaré dans son FRP que les maoïstes avaient menacé de la punir en conformité avec la loi maoïste si elle n’acquiesçait pas à leurs demandes. Elle a affirmé dans son témoignage qu’ils la tueraient si elle n’acceptait pas. Une fois de plus, elle n’a fait aucune mention dans son FRP d’une menace à sa vie. La Commission a précisé que la demanderesse avait affirmé dans son témoignage que les maoïstes l’avaient suivie jusque chez elle, mais qu’elle ne les avait pas vus la suivre jusque chez elle. Elle a affirmé qu’elle avait reconnu l’un des maoïstes parce qu’elle l’avait déjà vu dans son village natal. Dans son FRP, elle n’a pas déclaré qu’elle avait reconnu l’un des maoïstes parce qu’elle l’avait déjà vu dans son village natal.

 

[12]           La demanderesse a expliqué qu’elle ne parlait pas anglais et qu’elle ne savait pas ce qui était écrit dans son FRP; l’interprète lui avait dit d’être brève. La Commission a tiré des conclusions défavorables de ces omissions parce que la demanderesse était accompagnée d’une interprète et que les directives lui avaient été lues. On lui a demandé d’énumérer tous les événements importants et les motifs qui l’avaient amenée à demander l’asile au Canada. La Commission a souligné que la demanderesse avait signé son FRP et qu’elle avait eu suffisamment de temps pour apporter des modifications avant la tenue de son audition. À l’audience, lorsqu’on a demandé à la demanderesse si on lui avait traduit ce qui figurait dans son FRP, elle a juré que les renseignements étaient vrais.

 

[13]           La Commission n’a pas accepté les explications de la demanderesse quant à savoir pourquoi il y avait des omissions dans son FRP. Elle a conclu que la preuve était contradictoire et concordait avec celle d’une « demandeure d’asile qui essaie de faire tenir la route à des histoires inventées ». La Commission a conclu que le témoignage de la demanderesse n’était aucunement digne de foi et qu’il manquait totalement de crédibilité. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les incidents ne s’étaient jamais produits.

 

[14]           La Commission a invoqué la preuve documentaire qui mentionnait que, en dépit de l’accord de paix signé en novembre 2006 entre le gouvernement du Népal et les forces maoïstes, les extorsions et les enlèvements posaient un problème au Népal. Toutefois, les autorités policières sont au courant de ce problème et aucun incident d’extorsion n’a été signalé après la conclusion de l’accord de paix. La Commission a conclu que la preuve documentaire étayait la prétention selon laquelle les maoïstes ont fait un effort particulier pour solliciter les femmes et pour les recruter comme membres actifs dans le mouvement. Toutefois, la Commission a fait valoir qu’elle avait déjà tiré une conclusion défavorable et qu’il serait, par conséquent, déraisonnable de conclure que les maoïstes s’intéressaient tellement à la demanderesse (laquelle n’avait aucun profil politique) qu’ils ont utilisé leurs ressources pour suivre sa trace dans Katmandu.

 

[15]           La Commission a souligné que la demanderesse avait demandé un visa canadien en juillet 2005. La demanderesse s’est rendue au Canada avec un agent en septembre 2006. La Commission a conclu que le désir de la demanderesse de vivre au Canada n’était pas motivé par la crainte, mais par le désir d’avoir une vie meilleure.

 

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[16]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

1)                  Les erreurs dans l’interprétation fournie à l’audience l’ont‑elles privée de son droit à une audience équitable et violé les droits qui lui sont garantis par l’article 14 de la Charte canadienne des droits et libertés?

2)                  Le cas échéant, a‑t‑elle renoncé à son droit à l’aide d’un interprète en ne présentant aucune objection quant à la qualité de l’interprétation?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

[18]           Les dispositions suivantes de la Charte s’appliquent à la présente instance :

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

14. A party or witness in any proceedings who does not understand or speak the language in which the proceedings are conducted or who is deaf has the right to the assistance of an interpreter.

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[19]           La demanderesse prétend que, en vertu de l’article 14 de la Charte, elle a droit à une interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente lors de son audience devant la Commission : Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 C.F. 371 (C.F. 1re inst.) (Mohammadian) et Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CFPI 326 (Huang), au paragraphe 8. Je souligne que pour que l’interprétation satisfasse à la norme, il faut démontrer qu’elle a été comprise par le demandeur et qu’elle lui a permis de s’exprimer adéquatement par l’intermédiaire de l’interprète Xie c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 C.F. 336 (C.A.F.).

 

[20]           La demanderesse prétend également qu’il n’est pas nécessaire que le demandeur démontre qu’il a subi un préjudice réel du fait d’une violation de la norme d’interprétation exigée pour que la Cour puisse intervenir à l’égard d’une décision et que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision correcte Khalit c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 684 (Khalit), au paragraphe 7. Je souligne que la norme de contrôle judiciaire qui s’applique à la question de savoir si le droit de la demanderesse à une audience équitable a été violé est celle de la décision correcte Rafipoor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 615.

 

[21]           En ce qui concerne les erreurs de traduction, j’invoque Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 267 quant à la norme de contrôle applicable en l’espèce :

A. La traduction

 

16     La qualité de l’interprétation fournie concerne l’équité de l’audience; aucune analyse pragmatique et fonctionnelle n’est donc requise. C’est à la Cour qu’il appartient de dire si l’audience s’est déroulée d’une manière conforme aux deux exigences de l’équité procédurale. Voir la décision Saravia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1296; [2005] A.C.F. no 1595.

 

[22]           En ce qui concerne la deuxième question qui consiste à savoir si la demanderesse a renoncé à son droit de s’opposer à l’interprétation à l’audience, j’invoque Nsengiyumva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 271, au paragraphe 14 :

14     La Cour a aussi jugé que les plaintes concernant la qualité de l’interprétation doivent être formulées dès que possible. Lorsque le demandeur est conscient qu’il y a des problèmes avec l’interprète, il est raisonnable de penser que le demandeur formulera une opposition immédiatement. Dans la décision Mohammadian, [2000] 3 C.F. 371, au procès, le juge Pelletier (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a conclu au paragraphe 28 :

 

28. La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas. Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion. Par contre, si les erreurs se trouvent dans la langue dans laquelle a lieu l’audience, que le demandeur ne comprend pas, il ne peut être raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait eu plainte à ce moment-là.

 

Cela a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Mohammadian, précité, au paragraphe 19 :

 

[...] Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n’a pas commis d’erreur en statuant que l’appelant avait renoncé au droit qu’il possédait en vertu de l’article 14 de la Charte du fait qu’il ne s’était pas opposé à la qualité de l’interprétation dès qu’il avait eu la possibilité de le faire au cours de l’audition de sa revendication.

 

Par conséquent, le demandeur était tenu de s’opposer à la mauvaise qualité de l’interprétation dès que possible.

 

LES ARGUMENTS

            La demanderesse

                        L’erreur d’interprétation

 

[23]           La demanderesse invoque la décision Khalit, au paragraphe 11, où la Cour a conclu que lorsque des erreurs d’interprétation se produisent au cours d’une audience, la décision de la Commission concernant la crédibilité d’un demandeur ne peut pas reposer sur le témoignage de ce demandeur à l’audience. La demanderesse prétend que, en l’espèce, l’interprétation qui lui a été fournie au cours de l’audience ne satisfaisait pas [traduction] « à la norme énoncée dans la jurisprudence » car elle n’était pas [traduction] « continue, fidèle et effectuée par une personne compétente ». La demanderesse énumère de nombreux exemples où l’interprète a mal traduit ses réponses et ses explications et où elle a ajouté des paroles qu’elle n’avait pas prononcées. De nombreuses questions ont également été mal traduites à la demanderesse.

 

[24]           La demanderesse souligne également que, à 270 reprises, l’interprète a utilisé des mots anglais plutôt que des mots népalais lorsqu’elle lui a traduit ce qui avait été dit dans la salle d’audience. L’interprète a également reconnu que, durant l’audience, la demanderesse avait eu de la difficulté à la comprendre parce qu’elles ne provenaient pas de la même région et qu’elles avaient des accents différents.

 

La renonciation au droit à l’assistance d’un interprète

 

[25]           La demanderesse prétend qu’elle n’a pas renoncé à son droit à l’assistance d’un interprète en ne s’opposant pas, lors de l’audience, à la qualité de l’interprétation. Elle invoque une fois de plus la décision Khalit, au paragraphe 11, où il est mentionné qu’il n’est pas toujours nécessaire de s’opposer à l’interprétation lors de l’audience. Le seuil pour qu’il y ait renonciation est élevé et on ne peut pas raisonnablement s’attendre à ce qu’un plaignant s’oppose à une audience s’il y a des erreurs d’interprétation dans une langue qu’il ne comprend pas (Thambiah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 15 et Huang, au paragraphe 9).

 

[26]           La demanderesse affirme que ce n’est qu’après l’audience qu’elle s’est rendu compte des erreurs d’interprétation et de la manière selon laquelle ces erreurs avaient modifié le contenu de son témoignage. Elle prétend qu’il n’était pas raisonnable de s’attendre à ce qu’elle soulève, lors de l’audience, les problèmes d’interprétation. Le problème était la traduction incorrecte de l’interprète de l’anglais vers le népalais et du népalais vers l’anglais. La demanderesse parle et comprend très peu l’anglais et on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’elle reconnaisse les erreurs dans la traduction de l’interprète. Par conséquent, la demanderesse n’a pas renoncé à son droit à l’assistance d’un interprète.

 

Le défendeur

                        La crédibilité

[27]           Le défendeur prétend que la Commission a souligné un certain nombre de déclarations invraisemblables et (ou) contradictoires faites sous serment par la demanderesse et elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Le défendeur affirme qu’il est loisible à la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité d’un demandeur en se fondant sur des contradictions dans son récit ainsi que sur des contradictions entre son récit et d’autres éléments de preuve soumis à la Commission : Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.); Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] A.C.F. no 908 (C.A.F.); Alizadeh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 11 (C.A.F.); Ankrah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 385 (C.F. 1re inst.); Oduro c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 560 (C.F. 1re inst.).

 

[28]           Le défendeur prétend qu’un examen des motifs révèle que la Commission a expliqué pourquoi elle avait jugé invraisemblable le témoignage de la demanderesse sur certaines questions clés. Selon le défendeur, l’analyse n’était nullement « déraisonnable au point d’attirer [une] intervention » (Aguebor). Le défendeur souligne également que la demanderesse n’a pas démontré à la Cour que, au vu du dossier, les conclusions tirées par la Commission n’étaient pas raisonnables (Aguebor).

 

[29]           Le défendeur affirme que, pour qu’un tribunal soit convaincu de la crédibilité ou de la fiabilité d’un élément de preuve, il doit être convaincu que, selon toute probabilité plutôt qu’hypothétiquement, la preuve est crédible ou fiable (Orelien c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 592 (C.A.F.).

 

L’erreur dans l’interprétation

 

[30]           Le défendeur prétend que, en l’absence de toute opposition quant au caractère adéquat des services d’interprétation fournis à la demanderesse, ou en l’absence de tout lien entre la prétendue traduction inadéquate et la prétendue mauvaise compréhension du témoignage de la demanderesse, la demanderesse n’a pas établi qu’il y a eu violation ou négation de son droit à l’assistance d’un interprète garanti par l’article 14 de la Charte et garanti par la Loi (Mosa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 348 (C.A.F.) et Tung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 292 (C.A.F.).

 

[31]           Le défendeur invoque l’arrêt Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2001 CAF 191, aux paragraphes 13 et 19, dans lequel la qualité de l’interprétation était inadéquate et dans lequel le litige portait sur la question de savoir si le demandeur en l’espèce avait renoncé à son droit d’utiliser une traduction inadéquate comme fondement de contrôle judiciaire alors qu’il ne s’était pas opposé à la qualité de la traduction lors de l’audience. La Cour d’appel a traité ce problème de la façon suivante :

13. Étant donné qu’il n’avait jamais encore été statué sur le point litigieux, le juge Pelletier devait déterminer si le critère relatif à la renonciation qui avait été énoncé dans l’arrêt R. c. Tran, précité, pouvait à juste titre s’appliquer à des procédures engagées devant la section du statut. En fin de compte, le juge Pelletier a décidé d’appliquer un critère différent. Il estimait qu’il y a renonciation si l’intéressé ne s’oppose pas à la qualité de l’interprétation dès qu’il peut le faire au cours de l’audience. La conclusion que le juge a tirée sur ce point figure aux paragraphes 27 à 29 de ses motifs :

 

27. Pour ces motifs, je conclus que seuls certains des éléments de l’arrêt Tran s’appliquent aux procédures devant la SSR. Il s’agit du cadre d’analyse permettant de déterminer s’il y a eu une violation de l’article 14, des éléments de la norme d’interprétation attendue, et du fait qu’il n’est pas nécessaire de démontrer l’exigence d’un préjudice pour obtenir une réparation de la Cour. Ces éléments s’appliquent aux procédures visant les réfugiés. Toutefois, les plaintes portant sur la qualité de l’interprétation doivent être présentées à la première occasion, savoir devant la SSR, chaque fois qu’il est raisonnable de s’y attendre.

 

28. La question de savoir s’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’une plainte soit présentée est une question de fait, qui doit être déterminée dans chaque cas. Si l’interprète a de la difficulté à parler la langue du demandeur ou à se faire comprendre par lui, il est clair que la question doit être soulevée à la première occasion. Par contre, si les erreurs se trouvent dans la langue dans laquelle a lieu l’audience, que le demandeur ne comprend pas, il ne peut être raisonnable de s’attendre à ce qu’il y ait eu plainte à ce moment-là.

 

29. En l’instance, je conclus que la qualité de l’interprétation aurait dû être soulevée devant la SSR puisqu’il était évident pour le demandeur qu’il y avait des difficultés de communication avec l’interprète. Dans son affidavit, il déclare qu’il avait de la difficulté à comprendre l’interprète et il dit aussi qu’à certaines occasions il ne comprenait pas ce qui était dit. Ceci suffit à démontrer qu’il aurait dû en faire état à ce moment-là. Comme il ne l’a pas fait, sa réclamation ne peut avoir aucune suite. L’affirmation du demandeur portant qu’il ne savait pas qu’il avait le droit de contester l’interprète n’est pas crédible, puisque la première audience a été ajournée au motif qu’il ne pouvait communiquer avec l’interprète. Il est clair que la SSR avait démontré qu’elle était sensible à la question de l’interprétation. En conséquence, il n’est pas nécessaire que je me livre à une analyse pour déterminer s’il a été satisfait à tous les éléments de l’arrêt Tran, puisque, même si c’était le cas, le fait que le demandeur ne se soit pas plaint à temps, dans des circonstances où il était raisonnable qu’il le fasse, l’empêche d’obtenir la réparation demandée.

 

[…]

 

19. Comme je l’ai dit, compte tenu du problème qu’il avait eu à la première séance de la section du statut, l’appelant semble avoir été parfaitement au courant du droit qu’il avait d’obtenir l’assistance d’un interprète compétent. Lorsque sa conduite, au cours de la troisième séance et pendant un certain temps par la suite, est appréciée compte tenu du fait qu’il avait sans aucun doute connaissance de son droit, il est difficile d’interpréter cette conduite comme étant autre chose qu’une indication claire que la qualité de l’interprétation satisfaisait l’appelant lors de l’audience elle-même. Par conséquent, à mon avis, le juge Pelletier n’a pas commis d’erreur en statuant que l’appelant avait renoncé au droit qu’il possédait en vertu de l’article 14 de la Charte du fait qu’il ne s’était pas opposé à la qualité de l’interprétation dès qu’il avait eu la possibilité de le faire au cours de l’audition de sa revendication.

 

 

[32]           Le défendeur souligne que la demanderesse a reconnu ce qui suit dans son mémoire des faits et du droit :

[traduction]

 

Au cours de l’audience, la demandesse avait des doutes quant à la qualité de l’interprétation qui lui était faite. La demanderesse a remarqué que l’interprète semblait nerveuse et confuse à plusieurs moments au cours de l’audience. La demanderesse était également préoccupée par le fait que l’interprète utilisait de nombreux mots anglais (plutôt que des mots népalais) dans la traduction qu’elle lui faisait.

 

 

[33]           Le défendeur prétend que si ce qui précède est juste, alors la demanderesse était consciente qu’il y avait des problèmes avec la qualité de l’interprétation à l’audience et elle a décidé de procéder sans soulever aucune objection. Ce n’est qu’après que sa demande fut rejetée qu’elle a tenté d’invoquer la qualité de l’interprétation comme motif pour demander l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire.

 

[34]           Le défendeur prétend que lorsque la Commission a relevé des contradictions entre le témoignage de la demanderesse et les déclarations qu’elle avait faites dans l’exposé circonstancié de son FRP, elle a fait part de ces contractions à la demanderesse afin de lui donner l’occasion de répondre. La demanderesse a répondu qu’elle avait oublié de mentionner ce fait précis dans l’exposé circonstancié de son FRP mais qu’elle s’était souvenue de ce fait lors de l’audience. La Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible parce que son témoignage ne correspondait pas avec ce qu’elle avait déclaré dans l’exposé circonstancié de son FRP et non pas parce que l’interprétation avait été de mauvaise qualité.

 

L’ANALYSE

 

[35]           Dans Mohammadian, au paragraphe 2, la Cour d’appel fédérale a conclu que l’article 14 de la Charte s’applique aux procédures devant la Commission et que :

a.         L’interprétation fournie aux demandeurs doit être continue, fidèle, impartiale, effectuée par une personne compétente et;

b.         Les demandeurs n’ont pas à démontrer qu’ils ont subi un préjudice réel suite à la violation de la norme d’interprétation pour que la Cour puisse intervenir face à la décision de la SSR;

c.         Le demandeur doit présenter à la première occasion ses objections au sujet de la qualité de l’interprétation devant la SSR.

 

[36]           Vers la fin de l’audience en l’espèce, l’interprète a affirmé ce qui suit :

[traduction]

 

Il y a une chose que j’aimerais mentionner. Comme son accent est très différent du nôtre et que le nôtre est (inaudible) différent, il y donc - - c’est peut‑être ça qu’elle ne comprend pas. À titre de précision, il est vrai que notre accent est différent. Peut‑être que c’est pour cette raison qu’elle ne comprend pas.

 

[37]           Malgré cette déclaration, l’avocat de la demanderesse ne s’est pas opposé à l’interprétation lors de l’audience. Le commissaire n’a pas non plus arrêté les procédures.

 

[38]           Interprétée hors contexte, la déclaration pourrait signifier que la demanderesse ne comprenait pas, en général, ce qu’on lui demandait ou qu’elle ne comprenait pas une question en particulier.

 

[39]           Selon mon examen de la transcription, l’interprète renvoit à une question en particulier. Cette question, posée par le commissaire à la demanderesse, était la suivante : [traduction] « Comment a‑t‑elle découvert [en parlant de la sœur de la demanderesse] que les maoïstes vous recherchaient? ».

 

[40]           C’est la question qui a amené l’avocat de la demanderesse à intervenir et à affirmer ce qui suit :

[traduction]

 

Je crois que la question doit être posée de nouveau. Je ne sais pas si elle a été bien interprétée ou si elle a été mal comprise, mais […]

 

[41]           Il s’agit également de la question que l’agent des tribunaux avait à l’esprit lorsqu’il a affirmé ce qui suit : [traduction] « Je crois qu’il y avait trop de pronoms », et c’est ce dont le commissaire parle lorsqu’il a affirmé ce qui suit : « Elle ne comprend pas l’interprète. OK, bon – ».

 

[42]           Il est également évident que le commissaire avait la même question à l’esprit lorsqu’il a affirmé ce qui suit à l’agent des tribunaux : [traduction] « Pouvez‑vous m’aider et poser la question d’une meilleure façon que moi ».

 

[43]           Il semble donc clair que, au cours de l’audience, ni le commissaire ni l’avocat de la demanderesse n’estimaient qu’il y avait des problèmes de traduction qui les amèneraient à demander un arrêt de la procédure. Il est également clair que l’interprète ne renvoyait qu’à une question précise lorsqu’elle a affirmé ce qui suit : [traduction] « elle ne comprend pas ».

 

[44]           Les problèmes soulevés dans la présente demande ont été découverts après que la décision fut rendue et que l’avocat de la demanderesse eut embauché Binod Thapa, qui possède une bonne connaissance de l’anglais et du népalais, pour examiner l’enregistrement audio de l’audience. Binod Thapa a conclu ce qui suit : [traduction] « de nombreuses erreurs d’interprétation ont été commises lors de l’audience devant la Commission ». Ces erreurs sont actuellement soumises à la Cour.

 

[45]           La preuve dont je suis saisi donne à penser que, même si elle avait certaines réserves quant à l’interprétation lors de l’audience, la demanderesse estimait qu’elle pourrait suffisamment comprendre l’interprète pour continuer et estimait qu’elle était compétente. La demanderesse et son avocat étaient certainement conscients lors de l’audience que certains mots anglais étaient utilisés par l’interprète, mais ils n’ont soulevé aucune objection et ont choisi de continuer. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance de l’examen de Binod Thapa que la demanderesse a réalisé qu’il y avait des divergences.

 

[46]           Il est également évident que personne d’autre à l’audience, y compris le commissaire ou l’avocat de la demanderesse, n’aurait pu comprendre l’importance des problèmes de traduction. Il n’est donc guère surprenant qu’ils ont tous les deux décidé que l’audience pouvait continuer.

 

[47]           Donc, la question à laquelle la Cour doit répondre est qu’est‑ce qui devrait être fait, le cas échéant, quant à cette question, maintenant que les problèmes de traduction sont connus.

 

[48]           Il est clair que la conclusion générale défavorable quant à la crédibilité qui constitue le fondement de la décision a été tirée en raison de divergences entre le FRP de la demanderesse et son témoignage à l’audience.

 

[49]           Les avocats actuels sont d’accord pour affirmer que les divergences relevées par Binod Thapa ne sont pas liées de façon importante aux conclusions quant à la crédibilité qui sous‑tendent la décision. Toutefois, l’avocat de la demanderesse souligne qu’il y avait un nombre important de divergences et que les difficultés qu’a éprouvées la demanderesse à comprendre les questions qui lui étaient posées ont pu influencer les conclusions du commissaire quant à la crédibilité :

[traduction]

 

Un certain nombre de divergences entre le formulaire de renseignements personnels et le témoignage de vive voix de la demandeure d’asile n’ont pas été tranchées en faveur de la demandeure. Même si l’on tient compte du niveau de scolarité de la demandeure ainsi que du stress occasionné par la salle d’audience, le témoignage de la demandeure a été vague et évasif et on a dû répéter les questions.

 

 

[50]           L’avocat de la demanderesse souligne que c’est parce qu’elle ne comprenait pas les questions que celle‑ci a pu sembler vague et évasive et qu’elle a demandé qu’on lui répète les questions.

 

[51]           Malgré cela, il semble que, à l’audience, le commissaire et l’avocat de la demanderesse ont estimé que le compte rendu fait par la demanderesse des principaux événements étayant sa demande avait été communiqué. S’ils n’avaient pas estimé cela à ce moment‑là, ils auraient vraisemblablement soulevé cette question et ils auraient pris une décision quant à savoir s’ils devaient poursuivre l’audience.

 

[52]           Le problème en l’espèce est différent de celui auquel le juge Lemieux était confronté dans Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2001 CFPI 308. Au paragraphe 12 de la décision Chen, le juge Lemieux a expliqué ce qui suit :

La transcription indique clairement l’existence, dès le début de l’audience, d’un problème grave touchant les communications entre le demandeur et l’interprète. Toutes les personnes présentes étaient conscientes de ce problème, qu’il s’agisse des membres du Tribunal, des avocates, du demandeur ou de l’interprète. Ce problème devait être résolu immédiatement et il appartenait au président de l’audience de le régler.

 

[53]           En l’espèce, personne à l’audience, y compris la demanderesse et son avocat, ne semble avoir compris qu’il y avait un problème important.

 

[54]           Dans Chen, le fondement de la décision du juge Lemieux d’annuler la décision du tribunal en raison des problèmes de traduction figure aux paragraphes suivants :

14     À mon avis, les problèmes de communication avec l’interprète étaient tels qu’ils ont empêché le demandeur de présenter sa version. Il ne s’agit pas ici d’une situation semblable à celle de l’affaire Banegas c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, IMM‑2642-96, 30 juin 1997, où Madame le juge McGillis a examiné certaines erreurs d’interprétation précises et conclu que ces erreurs n’avaient créé aucun préjudice.

 

15     Dans la présente affaire, des communications fondamentales ont été échangées entre le demandeur et l’interprète pendant une bonne partie de l’audience.

 

16     Selon l’avocate du défendeur, les problèmes ont été réglés lorsque le demandeur a commencé à s’exprimer en mandarin.

 

17     Même s’il y a apparemment eu amélioration des communications, je ne suis pas convaincu que cette amélioration a réparé le blocage initial qui était majeur et vital en ce qui concerne la présentation de la version du demandeur.

 

[55]           En l’espèce, après avoir examiné la transcription et les problèmes de traduction, je conclus que, même s’il y a peut‑être eu des erreurs de traduction, celles‑ci n’étaient pas de nature à empêcher la demanderesse de présenter les faits, notamment en ce qui concerne les aspects de sa demande qui ont mené aux divergences entre son FRP et son témoignage à l’audience et qui constituent le fondement de la conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée par le commissaire. L’avocat de la demanderesse reconnaît que, malgré la position adoptée dans les observations écrites de la demanderesse, il n’arrive pas à relever, dans la traduction, des erreurs qui touchent aux doutes en matière de crédibilité traités par le commissaire.

 

[56]           Pour ce motif, je crois que le défendeur a raison d’affirmer que lorsque la Commission a conclu qu’il y avait des contradictions entre le témoignage de la demanderesse à l’audience et les déclarations qu’elle avait faites dans l’exposé circonstancié de son FRP, elle a fait part de ces contradictions à la demanderesse afin de lui donner l’occasion de répondre. La demanderesse a répondu qu’elle avait oublié de mentionner le fait particulier dans l’exposé circonstancié de son FRP, mais qu’elle s’en était souvenue lors de l’audience. Il ne s’agissait pas d’une situation dans laquelle la demanderesse affirmait avoir donné une réponse quant aux préoccupations de la Commission, mais d’une situation où l’interprète avait mal exprimé les paroles de la demanderesse. La preuve révèle que, peu importe les problèmes qu’il y a eus à l’audience avec les services d’interprétation, la demanderesse a été jugée non crédible non pas en raison d’une interprétation inadéquate lors de l’audience, mais parce qu’elle a rendu un témoignage qui ne correspondait pas avec les déclarations qu’elle avait faites dans l’exposé circonstancié de son FRP. Les problèmes d’interprétation n’ont eu aucune incidence sur cette question fondamentale de crédibilité. La demanderesse n’a subi aucun préjudice quant à sa capacité de répondre à ces préoccupations en matière de crédibilité.

 

[57]           Je ne peux donc conclure que les droits garantis à la demanderesse par la Charte ont été violés en l’espèce. La demanderesse prétend qu’elle n’est pas tenue de démontrer qu’elle a subi un préjudice réel par suite de la violation de la « norme de l’interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente » pour que la Cour modifie la décision. Toutefois, mon examen du dossier m’amène à penser que la demanderesse a été capable de communiquer le fondement de sa demande grâce à l’interprète qui a été suffisamment précise et compétente pour traduire ses paroles quant aux points importants, même s’il y avait de nombreuses autres imprécisions.

 

[58]           Pour affirmer qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait préjudice pour que la Cour intervienne, la demanderesse invoque la décision Djalabi, au paragraphe 7; Mohammadian; et Huang, au paragraphe 8.

 

[59]           Toutefois, dans la décision Huang, la juge Snider semble être d’avis que les erreurs de traduction doivent être importantes :

16     Il y a donc des éléments de preuve démontrant que l’interprète a commis des erreurs dans la traduction. Contrairement à ce que la Cour a dit dans Basyony c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 427, au paragraphe 8 (1re inst.) (QL), il ne s’agit pas en l’espèce de différences de nuances dans le texte original et dans la traduction. Les erreurs ne sont pas ici sans importance : elles touchent au fondement même du rejet de la revendication. La Commission s’est fondée, à tout le moins en partie, sur les erreurs de traduction pour conclure que le demandeur n’était pas crédible. Elle a rejeté la revendication du demandeur principalement en raison de cette conclusion défavorable concernant la crédibilité. À mon avis, le demandeur n’a pas eu droit, contrairement à ce qui est garanti à l’article 14 de la Charte, à une interprétation continue, fidèle, impartiale, concomitante et effectuée par une personne compétente. Comme la crédibilité du demandeur était l’élément déterminant en l’espèce, cela est suffisant pour accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

 

 

[60]           La Cour a été saisie d’autres affaires où elle a conclu qu’une mauvaise traduction n’équivalait pas à une violation de l’équité procédurale si les erreurs ne sont pas importantes quant à l’issue de la cause (voir, par exemple, Nsengiyumva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 190, au paragraphe 16 et Banegas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 928, au paragraphe 7).

 

[61]           En l’espèce, la demanderesse reconnaît que les erreurs ne peuvent pas être rattachées aux principales conclusions quant à la crédibilité qui sont fondées sur des divergences entre son FRP et son témoignage à l’audience. Les erreurs de traduction « n’entachent pas le fond même du rejet de la demande ».

 

[62]           Si les erreurs en l’espèce avaient été importantes quant au motif principal de la décision, je ne crois pas que la demanderesse était en mesure de s’opposer à l’audience. Mon examen du dossier m’amène à conclure que personne à l’audience, y compris la demanderesse et son avocat, n’aurait pu relever les erreurs qui ont été commises. Elles ne sont devenues apparentes que lorsque l’enregistrement est devenu disponible et que des comparaisons ont été faites.

 

[63]           Toutefois, je ne peux pas affirmer que les erreurs ont modifié le témoignage de la demanderesse concernant les points sur lesquels la décision repose. La traduction était loin d’être parfaite, mais pas quant aux points importants et l’audience n’a pas été inéquitable en ce sens que la demanderesse a pu comprendre les véritables points importants et fournir des réponses quant à ceux‑ci.


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                         IMM-3259-08

 

INTITULÉ :                                       JANGMU SHERPA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 16 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Korman

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Butterfield

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Otis & Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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