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Cour fédérale

Federal Court

 

Date : 20090522

Dossier : IMM-4631-08

Référence : 2009 CF 529

Ottawa (Ontario), le 22 mai 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

GEORGE KOWLESSAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’encontre de la décision rendue le 16 octobre 2008 par une agente d’exécution (l’agente), par laquelle elle rejetait la demande présentée par le demandeur en vue d’obtenir un report de sa mesure de renvoi du Canada, jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa demande d’établissement pendante, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (CH), présentée depuis le Canada.

 

La question en litige

[2]               La seule question litigieuse, en l’espèce, est de savoir si l’agente a commis une erreur en fait ou en droit, rendant ainsi sa décision déraisonnable?

 

[3]               La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs suivants.

 

Le contexte factuel

[4]               Le demandeur est un citoyen de la Guyana, âgé de 63 ans, qui est entré au Canada comme visiteur le 17 juillet 1997. Le visa du demandeur était valide jusqu’au 31 juillet 1997, mais il n’a pas quitté le Canada comme il était tenu de le faire conformément à ses conditions d’admission.

 

[5]               Le demandeur a fui vers le Canada pour échapper aux agressions contre sa famille et lui‑même, perpétrées par des hommes de main liés au Congrès national du peuple (PNC) en Guyana. Le demandeur pense que sa famille était ciblée du fait de sa race (ils sont indo-guyaniens), de sa situation financière (ils étaient relativement aisés) et à cause de sa virulente opposition au PNC par voie d’éditoriaux et de lettres à l’éditeur dans plusieurs journaux.

 

[6]               La femme du demandeur est décédée en 1995 des suites d’un accident cérébrovasculaire, qu’il pense être le résultat de l’agression sauvage qu’elle a subie de la part des partisans du PNC. Le demandeur souffre d’une incapacité résultant d’une agression physique du PNC et a reçu un diagnostic de diabète en 1999.

 

[7]               Lorsqu’il est venu pour la première fois au Canada, le demandeur s’est engagé auprès de l’Armée du Salut et il avait cru comprendre que cette dernière allait l’aider à régler son statut d’immigrant. En 2003 cependant, il a réalisé qu’il devait lui-même prendre les mesures nécessaires pour régulariser son statut.

 

[8]               Le 13 mars 2003 fut signé, au sujet du demandeur, un rapport établi en vertu de l’article 44 de la Loi selon lequel le demandeur était entré au Canada avec l’intention d’acquérir le statut de résident permanent sans qu’il ait, au préalable, fait la demande ou obtenu le visa d’immigrant approprié.

 

[9]               Au mois de mars 2003, soit six ans après son arrivée au Canada, le demandeur a présenté une demande de protection à titre de réfugié au sens de la Convention et de personne à protéger. Le 21 juin 2004, la Section de la protection des réfugiés a entendu et rejeté la demande. Cependant, la Commission a conclu que le demandeur était un témoin crédible et a reconnu que sa cause recelait des facteurs d’ordre humanitaire qui méritaient d’être pris en considération.

 

[10]           Le demandeur a continué à vivre au Canada même s’il n’avait pas été accepté. Au début de l’année 1995, son fils Michael avait été parrainé par sa femme pour venir au Canada et ils ont eu deux enfants. Son fils Andrew avait également été accepté comme réfugié et vivait à présent au Canada avec sa femme et ses deux enfants. Le demandeur reste très proche de ses fils, de leurs femmes et particulièrement de ses petits-enfants, et n’a plus de famille en Guyana. Les deux autres enfants du demandeur, Philip et Debbie, habitent aux États-Unis alors que son unique frère, Henry, habite au Canada depuis les années 1980.

 

[11]           Le 18 avril 2008, le demandeur s’est présenté à une entrevue préalable au renvoi au Centre d’exécution de la Loi du Toronto métropolitain (CELTM) au cours de laquelle une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) lui a été remise. En plus de l’ERAR, le demandeur a présenté, au mois de mai 2008, une demande d’établissement au Canada fondée sur des motifs CH. La demande CH reste pendante et sert de base à sa demande de report de son renvoi.

 

[12]           Le 18 septembre 2008, le demandeur a été avisé du rejet de sa demande d’ERAR. Le 29 septembre 2008, une convocation enjoignant le demandeur de se présenter en vue du renvoi le 31 octobre 2008 est signée. Le demandeur a actualisé sa demande CH avec l’aide de son nouveau conseil et a présenté les engagements de parrainage pris par ses fils Michael et Andrew. Le 8 octobre 2008, il a présenté une demande de report du renvoi pendant le traitement de sa demande CH.

 

[13]           Le 16 octobre 2008, l’agente a rejeté la demande du demandeur.

 

[14]           Le 30 octobre 2008, le juge de Montigny a accordé au demandeur un sursis d’exécution de la mesure de renvoi jusqu’à ce que la décision finale soit rendue sur sa demande de contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[15]           Le demandeur a sollicité un report de renvoi du Canada fondé sur le fait qu’il a une demande de résidence permanente pendante, fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et une demande pendante d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR défavorable.

 

[16]           En vertu de l’article 48 de la Loi, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) doit exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent. Après examen de toute l’information dont elle disposait, l’agente n’a pas estimé qu’un report de l’exécution de la mesure de renvoi était approprié dans les circonstances. Le demandeur devait se présenter en vue de son renvoi le 31 octobre 2008, comme cela avait été prévu. L’agente a mentionné que, dans le cadre de l’article 48 de la Loi, son pouvoir discrétionnaire de reporter le renvoi était limité.

 

[17]           Le demandeur était au courant du fait qu’une décision concernant une demande d’ERAR est rendue dans les 2 à 6 mois et aussi que si sa demande d’ERAR était rejetée, il serait avisé des dispositions prises en vue de son renvoi, pour partir dans les 2 à 3 semaines. Le demandeur bénéficiait de ce délai afin de se préparer pour une décision favorable ou défavorable et il lui avait été demandé de prendre ses dispositions pour l’une ou l’autre éventualité.

 

[18]           Selon la demande de report et le SSOBL (Système de soutien des opérations des bureaux locaux), la demande CH du demandeur avait été reçue le 16 mai 2008, soit plus d’un mois après l’avis relatif à l’ERAR et elle avait été envoyée au bureau local de CIC de Scarborough

le 15 août 2008.

 

[19]           Selon un site Web de CIC, le délai de traitement à l’étape 1 pour l’approbation d’une demande CH, une fois qu’elle a été transférée à un bureau local de CIC, est d’environ 30 mois. En se fondant sur le délai ci‑dessus, l’agente a conclu que, puisque ce n’est que tout récemment que la demande a été transférée au bureau local de CIC, une décision finale relative à la demande n’était pas imminente.

 

[20]           Selon l’agente, l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur n’empêche pas le traitement de sa demande CH. La demande est sur la pile des cas à traiter et sera analysée conformément au paragraphe 25(1) de la Loi. L’agent de CIC chargé de la demande CH du demandeur a la compétence pour apprécier les facteurs énumérés dans la demande CH, y compris la réunification des familles.

 

[21]           L’agente a dit qu’elle éprouvait de la compassion pour les relations familiales du demandeur au Canada. Néanmoins, elle a reconnu que de telles questions excédaient les limites de sa compétence et que de pareilles considérations seraient mieux examinées dans le contexte de la demande CH. L’agente n’a pas le pouvoir discrétionnaire d’apprécier une « mini » demande CH.

 

[22]           Le demandeur a également déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue sur sa demande d’ERAR. L’exécution de sa mesure de renvoi n’aurait pas pour effet d’empêcher le déroulement de ses procédures judiciaires, conformément à l’alinéa 50a) de la Loi. En outre, le report de l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur, fondé sur sa demande de contrôle judiciaire de la décision relative à sa demande d’ERAR, n’est pas justifié au sens de l’alinéa 50c) de la Loi. Le demandeur est prêt à être renvoyé parce qu’il n’a pas obtenu de sursis de renvoi dans le cadre de la Loi, et il n’y a aucun obstacle au présent processus de renvoi.

 

Les dispositions législatives pertinentes

[23]           Par souci de commodité, les dispositions législatives pertinentes mentionnées dans les présents motifs sont reproduites en annexe.

 

La norme de contrôle

[24]           La décision de reporter le renvoi en application du paragraphe 48(2) de la Loi est une décision discrétionnaire et exige que l’agent tienne compte de tous les facteurs et de toutes les circonstances propres à l’espèce. Il y a un large éventail de circonstances qui doivent être prises en compte. (Poyanipur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 116 F.T.R. 4, 64 A.C.W.S. (3d) 1182 (C.F. 1re inst.); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682).

 

[25]           La Cour adopte le raisonnement suivi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt récent Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, et conclut que la bonne norme de contrôle de la décision des agents d’exécution est la raisonnabilité.

 

[26]           Dans l’arrêt Dunsmuir, selon la Cour, en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, la retenue s’impose habituellement d’emblée. La déférence suppose le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-haut aux paragraphes 47, 48, 52 et 53). Une décision contestée est raisonnable si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Analyse

[27]           Il est bien établi en droit que le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de reporter le renvoi est limité (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000),

187 F.T.R. 219, 98 A.C.W.S. (3d) 422 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 12 et 13). En outre, la simple existence d’une demande CH ne constitue pas un empêchement à l’exécution d’une mesure de renvoi valide.

 

[28]           En l’espèce, le demandeur énumère un certain nombre de facteurs qui, considérés dans leur ensemble, ne rendent pas pour l’instant le renvoi déraisonnable : le demandeur est un veuf âgé de 63 ans, qui a une santé fragile et dont la famille entière est au Canada et aux États‑Unis; ses fils ont pris des engagements pour prendre soin de lui et payer ses dépenses; il participe très activement dans sa communauté chrétienne; il n’a plus de famille en Guyana et la preuve démontre que la situation peut être difficile en Guyana. Toutefois, une demande CH pendante fondée sur des raisons de séparation familiale ne constitue pas un motif pour retarder un renvoi.

 

[29]           Dans la récente décision Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité Publique et de la Protection Civile), 2009 CAF 81, [2009] A.C.F. no 314, la Cour d’appel fédérale a examiné la question longtemps non réglée de savoir si le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’exécution de ne pas reporter le renvoi est théorique, une fois qu’un juge de la Cour fédérale a accordé un sursis. La Cour a conclu que lorsqu’un demandeur sollicite un report de la mesure de renvoi jusqu’à ce qu’un événement particulier se produise, et que cet événement ne s’est pas encore produit, la question n’est pas théorique parce qu’il existe un litige entre les parties.

 

[30]           Aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi, lorsque la mesure de renvoi est exécutoire, toute personne qui en fait l’objet doit quitter le pays et l’agent d’exécution est tenu d’appliquer la mesure « dès que les circonstances le permettent ». Il y a une gamme de facteurs qui peuvent influer valablement sur le choix du moment du renvoi, même en donnant une interprétation très étroite à l’article 48, mais le pouvoir discrétionnaire de l’agent d’exécution de différer le renvoi demeure limité. Le ministre a l’obligation, selon la loi, d’exécuter une mesure de renvoi valide et, par conséquent, toute politique de report devrait refléter cet impératif de la Loi.

 

[31]           Afin de respecter l’économie de la loi, qui impose une obligation positive au ministre, tout en permettant un certain pouvoir discrétionnaire quant au choix du moment du renvoi, le report devrait être réservé à ces demandes où le défaut de différer ferait que la vie du demandeur serait menacée, ou qu’il serait exposé à des sanctions excessives ou à un traitement inhumain. Concernant les demandes CH, en l’absence de considérations particulières, de telles demandes ne peuvent pas justifier un report, à moins qu’elle ne soient fondées sur une menace à la sécurité d’une personne.

 

[32]           Par conséquent, la Cour conclut que la décision de l’agente d’exécution de refuser le report de renvoi du demandeur du Canada était raisonnable. Il convient de mentionner qu’en l’espèce, le demandeur a attendu jusqu’au mois de mai 2008 (11 ans) avant de présenter sa demande CH. On ne saurait dire qu’elle a été déposée en temps opportun.

 

[33]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et aucune ne se pose en l’espèce.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


ANNEXE

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

 

a) une décision judiciaire a pour effet direct d’en empêcher l’exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l’instance;

 

 

 

 

b) tant que n’est pas purgée la peine d’emprisonnement infligée au Canada à l’étranger;

 

 

c) pour la durée prévue par la Section d’appel de l’immigration ou toute autre juridiction compétente;

 

d) pour la durée du sursis découlant du paragraphe 114(1);

 

e) pour la durée prévue par le ministre.

50. A removal order is stayed

 

 

(a) if a decision that was made in a judicial proceeding — at which the Minister shall be given the opportunity to make submissions — would be directly contravened by the enforcement of the removal order;

 

(b) in the case of a foreign national sentenced to a term of imprisonment in Canada, until the sentence is completed;

 

(c) for the duration of a stay imposed by the Immigration Appeal Division or any other court of competent jurisdiction;

 

(d) for the duration of a stay under paragraph 114(1)(b); and

 

 

(e) for the duration of a stay imposed by the Minister.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4631-08

 

INTITULÉ :                                       GEORGE KOWLESSAR

c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 19 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 22 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Brouwer                                                                      POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

 

Ladan Shahrooz                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

                                                                                               

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Andrew Brouwer                                                                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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